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10/02/2014

De l'opinion du plus grand nombre.

Un petit extrait de Schopenhauer : 

Ce que l'on appelle l'opinion commune est, à y bien regarder, l'opinion de deux ou trois personnes ; et nous pourrions nous en convaincre si seulement nous observions comment naît une telle opinion. Nous verrions alors que ce sont deux ou trois personnes qui l'ont admise ou avancée ou affirmée, et qu'on a eu la bienveillance de croire qu'elles l'avaient examinée à fond ; préjugeant de la compétence suffisante de celles-ci, quelques autres se sont mises également à adopter cette opinion ; à leur tour, un grand nombre de personnes se sont fiées à ces dernières, leur paresse les incitant à croire d'emblée les choses plutôt que de se donner le mal de les examiner.

Ainsi s'est accru de jour en jour le nombre de ces adeptes paresseux et crédules ; car une fois que l'opinion eut pour elle un bon nombre de voix, les suivants ont pensé qu'elle n'avait pu les obtenir que grâce à la justesse de ses fondements.

Les autres sont alors contraints de reconnaître ce qui était communément admis pour ne pas être considérés comme des esprits inquiets s'insurgeant contre des opinions universellement admises ou comme des impertinents se croyant plus malins que tout le monde. Adhérer devint alors un devoir.

Désormais, le petit nombre de ceux qui sont capables de juger est obligé de se taire ; et ceux qui ont le droit de parler sont ceux qui sont absolument incapables de se forger une opinion et un jugement à eux, et qui ne sont donc que l'écho de l'opinion d'autrui. Ils en sont cependant des défenseurs d'autant plus ardents et plus intolérants. Car ce qu'ils détestent chez celui qui pense autrement, ce n'est pas tant l'opinion différente qu'il prône que l'outrecuidance qu'il y a à vouloir juger par soi-même — ce qu'ils ne font bien sûr jamais eux-mêmes, et dont ils ont conscience dans leur for intérieur.

Bref, très peu de gens savent réfléchir, mais tous veulent avoir des opinions ; que leur reste-t-il d'autre que de les adopter telles que les autres les leur proposent au lieu de se les forger eux-mêmes?

Puisqu'il en est ainsi, que vaut l'opinion de cent millions d'hommes? Autant que, par exemple, un fait historique attesté par cent historiens quand on prouve ensuite qu'ils ont tous copié les uns sur les autres et qu'il apparaît ainsi que tout repose sur les dires d'une seule personne.

"De l'art d'avoir toujours raison"

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22:12 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (29) | Tags : littérature

06/02/2014

Dernière promenade

Il y avait la mer, qui n’en finissait pas de se briser.

Il y avait les nuages, qui n’arrêtaient plus de s’accumuler.

Il y avait le vent, qui soufflait en tempête.

Il y avait nous deux, qui marchions en silence

Et nos pas derrière nous, qui déjà s’effaçaient.

Il y avait ton visage et tes lèvres fermées.

Il y avait ces mots, que je redoutais et qui ne venaient pas.

Il y avait mon cœur qui déjà battait la chamade

Et qui se brisait, silencieux, au milieu des tempêtes.

Il y avait la mer et le vent.

Il y avait surtout tes lèvres, 

Que jamais plus je n’embrasserais. 

 

Littérature

23:02 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : littérature

31/01/2014

Nouvelles du monde

On manifeste et on se tue en Egypte, où on n’a le choix qu’entre la peste ou le choléra  (l’armée ou les Frères musulmans), on se bat entre bandes rivales en Libye (belle démocratie que celle apportée par l’OTAN !), on assassine des opposants de gauche en Tunisie avant de se déchirer sur le texte de la Constitution (« les femmes ont-elles une âme ? », voilà à peu près le débat), une grande partie de la RDC est soumise à l’exaction de milices sorties de nulle part (mais surtout quand même du Rwanda voisin), qui tuent et violent à qui mieux mieux, l’armée française n’en finit pas de sécuriser le Mali et semble bien impuissante en Centrafrique, où on tue et pille en pleine ville et en plein midi (chrétiens contre musulmans ou l’inverse). Ne parlons pas de la Syrie, qui lutte depuis trois ans contre une bande d’enragés venus des quatre coins de la planète avec la bénédiction de l’Occident, des enragés qui n’ont que les versets du Coran à la bouche (mais aussi des armes turques en main et de l’argent saoudien dans les poches). Cette guerre s’étend au Liban et maintenant  à la Russie (avec des attentats perpétrés par les musulmans du Caucase), sans doute pour la punir d’avoir soutenu le régime syrien. Comme si cela ne suffisait pas, voilà qu’on l’attaque dans son ancienne  province, l’Ukraine, où l’Occident excite les milices fascistes et nationalistes en espérant annexer cet immense territoire dans son grand marché commercial et financier (et libérer de prison une pauvre milliardaire qui défend le droit des  hommes à s’enrichir).

Bref, il n’y a qu’en France où on ne se bat pas encore. Il est vrai que c’est un état laïque et que dans la majorité des conflits que j’ai évoqués la religion tient une place prépondérante (si pas chez ceux qui tirent les ficelles, du moins chez ceux qui se battent dans la rue) au point qu’on a l’impression d’être revenu aux temps de la Saint Barthélémy et des Guerres de Religion, ce qu’on ne croyait certes plus possible à notre époque. On a l’impression de régresser. La preuve : pendant que notre bon roi François s’amuse avec sa nouvelle maîtresse et répudie publiquement l’ancienne, quelques excités réactionnaires manifestent contre l’école de la République, qui selon eux aurait tendance à oublier qu’un homme est un homme et que la femme est faite pour tenir le ménage et faire des enfants. 

Et pendant ce temps-là, la crise continue, les entreprises ferment et le chômage s’aggrave. La seule bonne nouvelle, paraît-il, c’est que quelques-uns parviennent à s’enrichir  d’une manière absolument scandaleuse. Tant mieux pour eux. Et tant pis pour nous. 

 

La Grande Mosquée des Omeyyades, VIII° siècle (Syrie)

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25/01/2014

Une carte de Provence

Cela faisait longtemps qu’il aimait Fabienne en secret, mais il n’osait pas lui avouer les sentiments qu’il éprouvait pour elle. Ils se voyaient souvent, pourtant. Très souvent, même. Ils se retrouvaient autour d’un verre avec des amis ou allaient au cinéma. C’était gai, ils se parlaient, riaient des mêmes choses ou refaisaient le monde à coup d’idées grandioses, des idées comme on n’en a qu’à vingt ans. Ils étaient toujours d’accord sur tout et au plus fort des discussions, quand les autres, criant et vociférant, en venaient presqu’aux mains, ils échangeaient entre eux des regards amusés qui en disaient long sur leur complicité. Le problème, c’est qu’il n’était pas possible de parler un peu intimement au milieu d’un groupe si agité, même s’il s’agissait de bons amis. Il aurait fallu s’isoler un peu. Pourtant de tels moments arrivaient parfois, notamment quand ils restaient seuls dans le café, vers une ou deux heures du matin, lorsque tous les autres étaient partis. Lors de ces tête-à-tête, la complicité déjà évoquée était plus grande encore, même s’ils restaient là sans rien dire. En effet, ils n’avaient même pas besoin de parler pour se comprendre. Ils se sentaient bien comme cela, l’un avec l’autre, et c’était suffisant.

Pourtant, quand il rentrait chez lui dans la nuit noire, le long de la voie du chemin de fer, il s’en voulait de n’avoir pas osé. Une autre fois, c’était juré, il lui parlerait et lui dirait tout ce qu’il avait dans le cœur. Oui, mais c’était risqué quand même ! Si elle prenait peur et si elle mettait un terme à leur amitié ? Bon, c’était vrai qu’elle le regardait parfois à la dérobée, il l’avait bien remarqué et c’était vrai qu’à ces moments-là elle baissait vite le regard, comme si elle avait été prise en faute, mais cela ne voulait encore rien dire. Ou au contraire cela voulait dire  qu’elle avait peur, justement, qu’il ne prît pour un intérêt trop appuyé ce qui n’était finalement que de l’amitié. Bref, plus il se mettait à réfléchir de la sorte et moins il trouvait le courage nécessaire pour avouer cet amour qui pourtant le rongeait intérieurement. Quand enfin il arrivait chez lui, à une heure avancée de la nuit, il se mettait au lit et s’endormait aussitôt, n’ayant pris aucune décision.

Les semaines passaient cependant et bientôt ce seraient les vacances scolaires. Elle partirait un long mois en Provence avec sa famille et Dieu seul sait qui elle pourrait rencontrer là-bas. Il fallait faire vite. Mais plus l’échéance approchait et moins il osait prendre son amie à part et lui dire simplement : « Je t’aime ».

Un matin, pourtant, il lui sembla avoir trouvé la solution. Il lui écrirait ! Une belle et longue lettre où il dirait enfin ce qu’il éprouvait, sans rien cacher. Par écrit, ce serait quand même plus facile. Les mots viendraient les uns après les autres, s’assembleraient, et finiraient par prendre un sens. Il ne sentirait pas son regard de fille posé sur lui, ce regard qui le paralyserait à coup sûr s’il se lançait dans une déclaration amoureuse. Bien au contraire il pourrait s’expliquer en toute quiétude, trouver des arguments, tenter de convaincre…

Evidemment, ce ne fut pas aussi facile qu’il le pensait d’écrire cette lettre, et il dut s’y prendre à trois ou quatre fois, barrant les mots, déchirant le papier, en reprenant un autre, pour le déchirer de nouveau, mais enfin il y parvint. Il ne restait plus qu’à glisser la précieuse missive dans une enveloppe, mais cela aussi  prit du temps. Car écrire, c’était bien, mais rencontrer le lendemain la personne dans le café habituel, au milieu des amis, c’en était une autre. Alors il prit la décision d’attendre un petit peu que sa tendre amie soit partie en vacances pour lui envoyer sa déclaration d’amour en Provence, sur son lieu de villégiature. Cela lui laisserait trois semaines à la fois merveilleuses et angoissantes pour attendre sa réponse. Cela lui laisserait surtout un petit répit avant de savoir si elle répondrait favorablement ou non à son amour.

La lettre était partie depuis trois jours et Fabienne depuis une semaine quand la nouvelle tomba, abrupte, incroyable : lors d’une excursion  dans le massif des Maures, la voiture de ses parents, en voulant éviter un sanglier, était tombée dans un ravin. Il n’y avait pas eu de survivants.

Le jour de l’enterrement, il pleuvait. C’était une petite bruine fine et tenace qui vous faisait frissonner bien qu’on fût en plein juillet. Tout le monde était là, atterré et silencieux. Sa famille à elle, les oncles, les tantes, les cousins, tous ceux qu’on ne connaissait pas et qu’on n’avait même jamais vus. Mais surtout tous les amis étaient là aussi, ceux de l’école et du café, revenus en train express pour la circonstance, qui de Quiberon, qui de Marbella, qui de Florence.

En rentrant chez lui, tout en marchant le long de la voie ferrée, il entendait encore les pelletées de terre qui tombaient sur son cercueil et il avait bien du mal pour ne pas pleurer, là, devant tout le monde. Un train passa, emportant des vacanciers pour des destinations lointaines. Plus rien n’avait de sens. Plus rien n’aurait jamais plus de sens. La vie venait de s’arrêter pour toujours.

 

Il ouvrit la porte de sa maison et machinalement regarda dans la boîte aux lettres. Il y avait une carte du Lavandou. De sa belle écriture ronde, Fabienne disait : « il y a si longtemps que j’attendais ce moment ! Moi aussi je t’aime ! Je pense tout le temps à toi. A très bientôt mon ange. » 

 

 

Littérature

 

Massif des Maures 

22:47 Publié dans Prose | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : littérature

18/01/2014

Réflexion existentielle

Devant tous les malheurs du monde, devant toutes les injustices que l’on voit partout, devant cette montée en puissance de la mondialisation économique qui va de pair avec la restriction de nos acquis sociaux, devant la multitude de clochards qui errent désormais dans toutes nos gares et tous nos lieux publics, devant cette fameuse compétitivité qui écrase à la fois les travailleurs et les petits patrons pour le plus grand profit de quelques multinationales aussi invisibles qu’insaisissables, devant la grande constellation politico-financière qui nous dirige, devant tout cela, dis-je, on peut parfois se demander quelle attitude il convient  d’adopter.

Soit je ne vois rien par ignorance et ce serait un peu dommage. Soit je fais semblant de ne rien voir, ce qui est très commode mais ni très glorieux ni très responsable, on en conviendra. Soit je fais quotidiennement l’inventaire de tout ce qui ne va pas sur la planète et je m’en rends malade car à part dénoncer les injustices sur mon site, je n’ai pratiquement aucun pouvoir pour faire bouger les choses (encore qu’on a  vu des Assange ou des Snowden faire trembler des empires). Soit… Soit à un certain moment je dois prendre du recul et tout en sachant ce qui se passe, en le dénonçant à l’occasion, en n’étant jamais dupe, j’essaie cependant de trouver un peu de tranquillité au fond de moi car après tout je n’ai qu’une vie (et elle est courte) et il m’appartient de la gérer au mieux pour ma satisfaction personnelle.

Schopenhauer, dans son petit traité « L’art d’être heureux », distingue ce que l’on est (la personnalité), ce que l’on a et ce qu’on représente. Il est clair que le bonheur ne se trouve ni dans les richesses (on a vu des pauvres qui étaient très heureux de leur sort et des riches qui n’étaient jamais satisfaits) ni dans ce qu’on représente pour les autres (car finalement les autres ne savent rien de moi et même s’ils me lancent des louanges, non seulement elles sont souvent éphémères, mais en plus elles ne me rendront pas vraiment heureux). Donc, il n’y a que dans l’affirmation de ce que je suis que je peux trouver le bonheur. Et je crois qu’il a raison : « Ce que quelqu’un possède pour soi, ce qui l’accompagne dans la solitude et que personne ne peut ni lui donner ni lui prendre, voilà qui est beaucoup plus essentiel que tout ce qu’il possède ou ce qu’il est aux yeux des autres. »

 

Par rapport aux injustices du monde, il me faut donc les connaître, mais, tout en les condamnant, je dois être capable de vivre ce que je suis et d’être heureux avec moi-même. Sans doute cela suppose-t-il une part d’égoïsme, mais comment faire autrement ?  M’énerver sans cesse (et me rendre malheureux) pourrait au contraire être considéré comme une trahison envers moi-même car au lieu de m’affirmer avec sérénité dans ce milieu hostile, je ne ferais que le subir. Or je me dois un certain respect à moi-même et si la nature m’a créé tel que je suis (avec mon caractère, mes qualités, mes défauts, mes aspirations, ma sensibilité propre, mes limites) c’est cela que j’ai le devoir d’affirmer.  Au moins serai-je content d’être moi, c’est déjà bien, non ?

Schopenhauer

00:05 Publié dans Errance | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : schopenhauer

15/01/2014

Les îles

Tous les jours il regardait la mer et les vagues infinies.

Tous les jours il contemplait l’horizon et les bateaux qui voguaient vers des îles inconnues, des îles dont personne, jamais, ne revenait.

Tous les jours, du haut des falaises, il respirait les vents du large, chargés d’embruns salés et de saveurs épicées.

Alors il croyait voir d’immenses plages dorées où des enfants nus jouaient sous les soleils des tropiques. Derrière les grandes dunes blondes s’étendaient des forêts incroyables, où, depuis mille ans, des arbres exotiques embaumaient l’air de parfums troublants et poivrés. Parfois, il lui semblait apercevoir, couchées dans des pirogues noires, des femmes dolentes et lascives qui évoquaient Gauguin. Plus loin, dans des cases de palmes, leurs sœurs donnaient de l’amour à des guerriers féroces venus oublier, sous leurs caresses tendres, les blessures des combats.

Et lui restait là, sur la falaise, contemplant les nuages en déroute qui traversaient le ciel, s’imaginant parfois que c’étaient là les voiles d’un immense bateau en partance pour ces îles dont personne jamais ne revenait.  

 

 Littérature

01:19 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature

13/01/2014

De la manière de conserver le pouvoir

Je poursuis mes lectures et je tombe sur cet extrait, qui me semble dans la suite logique du texte précédent, qui traitait des moyens employés par certains hommes pour arriver au pouvoir. Il s’agit ici de réfléchir à la manière dont ils s’y prennent pour conserver ce pouvoir une fois qu’ils s’en sont emparés. L’auteur n’est plus Platon, cette fois, mais Etienne de la Boétie, l’ami de Montaigne. Voici ce qu’il écrit dans le « Discours de la servitude volontaire »  :  

Pauvres gens misérables, peuples insensés, nations opiniâtres à votre mal et aveugles à votre bien ! Vous vous laissez enlever sous vos yeux le plus beau et le plus clair de votre revenu, vous laissez piller vos champs, voler et dépouiller vos maisons des vieux meubles de vos ancêtres !

Vous vivez de telle sorte que rien n’est plus à vous. Il semble que vous regarderiez désormais comme un grand bonheur qu’on vous laissât seulement la moitié de vos biens, de vos familles, de vos vies. Et tous ces dégâts, ces malheurs, cette ruine, ne vous viennent pas des ennemis, mais certes bien de l’ennemi, de celui-là même que vous avez fait ce qu’il est, de celui pour qui vous allez si courageusement à la guerre, et pour la grandeur duquel vous ne refusez pas de vous offrir vous-mêmes à la mort. Ce maître n’a pourtant que deux yeux, deux mains, un corps, et rien de plus que n’a le dernier des habitants du nombre infini de nos villes. Ce qu’il a de plus, ce sont les moyens que vous lui fournissez pour vous détruire. D’où tire-t-il tous ces yeux qui vous épient, si ce n’est de vous ? Comment a-t-il tant de mains pour vous frapper, s’il ne vous les emprunte ?

Les pieds dont il foule vos cités ne sont-ils pas aussi les vôtres ? A-t-il pouvoir sur vous, qui ne soit de vous-mêmes ? Comment oserait-il vous assaillir, s’il n’était d’intelligence avec vous ? Quel mal pourrait-il vous faire, si vous n’étiez les receleurs du larron qui vous pille, les complices du meurtrier qui vous tue et les traîtres de vous-mêmes ? Vous semez vos champs pour qu’il les dévaste, vous meublez et remplissez vos maisons pour fournir ses pilleries, vous élevez vos filles afin qu’il puisse assouvir sa luxure, vous nourrissez vos enfants pour qu’il en fasse des soldats dans le meilleur des cas, pour qu’il les mène à la guerre, à la boucherie, qu’il les rende ministres de ses convoitises et exécuteurs de ses vengeances. Vous vous usez à la peine afin qu’il puisse se mignarder dans ses délices et se vautrer dans ses sales plaisirs. Vous vous affaiblissez afin qu’il soit plus fort, et qu’il vous tienne plus rudement la bride plus courte. Et de tant d’indignités que les bêtes elles-mêmes ne supporteraient pas si elles les sentaient, vous pourriez vous délivrer si vous essayiez, même pas de vous délivrer, seulement de le vouloir.

Soyez résolus à ne plus servir, et vous voilà libres. Je ne vous demande pas de le pousser, de l’ébranler, mais seulement de ne plus le soutenir, et vous le verrez, tel un grand colosse dont on a brisé la base, fondre sous son poids et se rompre.

Sarlat, maison natale de La Boétie

littérature

00:06 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : littérature

05/01/2014

De l'art oratoire

Au fil de mes lectures, je tombe sur le dialogue suivant (les protagonistes parlent des discours tenus par les politiciens de leur ville) :

 S*

Bon. Mais la rhétorique qui s’adresse au peuple (…), c’est-à-dire à des hommes libres, quelle idée faut-il en prendre ? Te paraît-il que les orateurs parlent toujours en vue du plus grand bien et se proposent pour but de rendre par leurs discours les citoyens aussi vertueux que possible, ou crois-tu que, cherchant à plaire aux citoyens et négligeant l’intérêt public pour s’occuper de leur intérêt personnel, ils se conduisent avec les peuples comme avec des enfants, essayant seulement de leur plaire, sans s’inquiéter aucunement si par ces procédés ils les rendent meilleurs ou pires ?

 

C*

Cette question n’est plus aussi simple. Il y a des orateurs qui parlent dans l’intérêt des citoyens ; il y en a d’autres qui sont tels que tu dis.

S*

Il suffit. S’il y a deux manières de parler au peuple, l’une des deux est une flatterie et une déclamation honteuse ; l’autre est l’honnête, j’entends celle qui travaille à rendre les âmes des citoyens les meilleures possible, qui s’applique à dire toujours le meilleur, que cela plaise ou déplaise à l’auditoire. Mais tu n’as jamais vu de rhétorique semblable, ou, si tu peux citer quelque orateur de ce caractère, hâte-toi de le nommer.

C*

Non (…), je ne peux t’en nommer aucun, du moins parmi les orateurs d’aujourd’hui.

 

Voilà assurément un texte qui me semble bien d’actualité. Nous vivons dans une société tronquée, où le terme démocratie ne veut plus dire grand-chose. Certes, il  y a des élections et des campagnes électorales, certes les citoyens peuvent voter pour le candidat de leur choix, mais au final, on voit bien que les politiques qui sont menées sont toujours les mêmes. Qu’on vote à droite ou à gauche, ceux qui ont accédé au pouvoir font toujours le jeu du grand Capital, car c’est l’argent en fait qui dirige le monde (il suffit pour s’en convaincre de compter le nombre de guerres coloniales que le très socialiste président Hollande a déclarées, en Afrique ou ailleurs, dépassant dans le cynisme son prédécesseur, le très haï Sarkozy).  Bref, le tout pour ces gens est d’arriver au pouvoir et de faire carrière.  Une fois bien installés sur le trône où nous les avons mis, ils ne dirigent pas le pays mais vont dans le sens de l’Histoire. Communistes si la mode est au communisme, capitalistes si la mode est à l’économie de marché. Nos intérêts à nous, ils s’en moquent bien. Le tout est de jouer le jeu et de nous endormir pour arriver au pouvoir. A ce titre, les discours politiques proférés pendant les campagnes électorales sont de toute première importance puisqu’il s’agit de gagner notre confiance pour avoir notre vote. Dans ces discours, il convient donc de flatter le bon peuple et de lui dire ce qu’il a envie d’entendre.  Non, il n’y a plus de véritable démocratie et on regrettera l’époque bénie où celle-ci avait vu le jour, dans la belle cité d’Athènes.

 

Sauf que là aussi note conception repose sur une illusion. D’abord parce qu’Athènes n’a pas toujours connu la démocratie et que celle-ci a parfois été remplacée par une dictature (je pense à l’épisode des « Trente Tyrans » par exemple). Ensuite parce que même lorsque la démocratie régnait, les orateurs les plus habiles, qui avaient suivi les leçons de rhétorique des sophistes, parvenaient à manipuler leur public pour s’emparer ensuite du pouvoir. En fait c’est de cela que traitait le texte ci-dessus. Ce que je vous ai donné à lire, c’est un extrait du « Gorgias » de Platon, qui met en scène Socrate et son interlocuteur Calliclès. Ce dernier soutient que la rhétorique est le plus important de tous les arts puisqu’elle permet à tous les coups de convaincre les interlocuteurs, même quand celui qui parle ne connaît rien au problème exposé et même quand il a tort. Socrate, lui, soutient que c’est là un art dangereux et que tout homme qui voudrait prendre les commandes de la cité devrait le faire pour le bien de celle-ci et non pour s’enrichir ou pour tromper. Comme quoi, il n’y a rien de neuf sous le soleil. Et du coup je me rends compte que j’ai vécu dans l’illusion en croyant que la démocratie athénienne était exemplaire. C’est à désespérer.

Littérature

18:47 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (24) | Tags : littérature

31/12/2013

Meilleurs voeux !

Comme il se doit, je viens souhaiter une bonne année à mes fidèles lecteurs. Comble, d’ironie, alors que je n’ai publié qu’un seul  et unique texte en décembre (pour dire que je n’écrirais sans doute plus grand-chose ici), je n’ai pour ainsi dire jamais eu autant de visiteurs si j’en crois mes statistiques, que pour une fois j’ai regardées.  Faut-il en déduire que mon silence attire plus les foules que mes textes ? Ce serait un peu frustrant. Je préfère penser que beaucoup sont venus voir si j’étais sorti de ma période de découragement et si un nouveau billet avait été publié.

Par ailleurs, je remercie tous ceux qui avaient laissé un commentaire afin d’apporter un soutien dont j’avais certes  bien besoin. Après quelques semaines, la crise semble passée et Marche romane continuera donc en 2014 (c’est mon cadeau de Nouvel An, en quelque sorte).  Pourtant, les textes viendront sans doute au compte-gouttes, au gré de mon humeur ou en fonction du besoin où je me trouverai de dire quelque chose. En effet, je vois ce site comme un moyen de m’exprimer, de poster des poèmes ou de courts récits qui sans cela ne seraient jamais lus, ou encore un moyen de dire ma perplexité devant le monde dans lequel il nous faut bien vivre.

A ce propos, il conviendrait d’être prudent avec cette année qui s’annonce. En effet, je ne vois rien de bien réjouissant sur le plan mondial. En Syrie, le régime s’est maintenu et est parvenu à résister à l’invasion djihadiste soutenue par l’Occident et les richissimes monarchies du golfe. Tant mieux, car les enragés sanguinaires qu’on voulait mettre au pouvoir me semblent bien dangereux (appelons un chat un chat et arrêtons de nous montrer conciliants : les régimes salafistes basés sur la charia n’ont rien à voir avec la démocratie comme on veut nous le faire croire. Au contraire, ils me semblent bien proches de l’extrême-droite et du fascisme). En attendant, la Syrie est détruite, ses bâtiments en ruine et l’économie anéantie, sans parler des victimes innocentes et des millions de réfugiés.

Demain, ces mêmes djihadistes qui semblent avoir échoué vont se retourner contre nous. Ils viennent déjà de perpétrer quelques attentats en Russie.

En Afrique, tout va mal : Mali, Centrafrique, Soudan et maintenant RDC. On nous parle certes de conflits ethniques ou confessionnels, mais derrière tout cela il y a toujours des intérêts économiques et des rivalités entre la France et les USA ou entre l’Occident et la Chine.

En Asie, la Chine, justement, commence à montrer les dents et revendique un espace aérien plus étendu (afin de ne plus être espionnée systématiquement par les avions US). Même chose sur le plan maritime avec comme possibilité un conflit futur avec le Japon.

Bref tout va mal et les vendeurs de canons ont de beau x jours devant eux. 

Sur ces mots, je vous souhaite quand même une bonne année 2014. Essayez de trouver le bonheur comme vous pourrez, c’est-à-dire surtout en vous-mêmes. En effet, quand on parvient à trouver un équilibre intérieur, c’est encore souvent ce qu’il y a de mieux.


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12/12/2013

Réflexion

Je me rends compte que les textes se font de plus en rares sur ce site. Par respect pour ceux qui viennent perdre leur temps tous les jours afin de vérifier s’il n’y a rien de nouveau, je me demande si je ne ferais pas mieux de le fermer. Il me semble que tout a été dit, déjà. Quant à ce qui n’a pas encore été exprimé, est-ce bien la peine de le dire ? Les textes politiques sur la situation du monde pourraient être multipliés à l’infini, ils ne changeront rien à l’ordre des choses et je ne fais finalement que convaincre des convaincus. Pour ce qui est des textes dits littéraires, ma foi je prends toujours plaisir à en écrire quand l’envie m’en prend, mais est-ce bien utile ? On en trouve évidemment de bien meilleurs ailleurs et surtout dans les livres (attention, je n’ai pas dit que tous les livres édités étaient bons). Ne vaut-il pas mieux se taire, observer, et prendre conscience qu’entre soi et le monde le fossé restera décidément infranchissable ?

Bon, quelques lecteurs apeurés viendront s’insurger et essayer  de me convaincre de continuer. Mais honnêtement, dans les milliers et les milliers de sites qui existent, ils n’auraient aucune peine à trouver d’autres textes à se mettre sous la dent. Certains sont peut-être moins bons, mais d’autres sont certainement meilleurs. Alors ?

Alors je ne sais pas. J’ai toujours eu un énorme plaisir à écrire ici, mais là, il me semble que l’inspiration est à sec, comme si quelque chose s’était cassé. Sans doute cela n’a-t-il rien à voir avec la tenue du site elle-même mais est-ce un problème entre moi et moi-même. Il faut peut-être attendre. Laissons passer un peu de temps et on verra bien. 

30/11/2013

Brouillard

Ce matin, le brouillard était là, un brouillard épais, qui avait grignoté le paysage. Les lointains avaient disparu et avec eux la belle forêt de hêtres qui barrait l’horizon.  La ferme au bout du petit chemin n’était plus là non plus, pas plus que les pâtures où rêvaient les chevaux.  Des haies qui clôturent mon jardin, on ne devinait que quelques feuilles, encore fallait-il écarquiller longtemps les yeux et avoir beaucoup d’imagination. Aucun bruit, aucun chant d’oiseau, rien. Tout était mort.

Quand j’ai ouvert la porte de la maison, il m’a semblé être devant un mur. On ne distinguait aucun objet à plus de trois mètres. Je me suis avancé lentement dans cette brume étrange, me demandant si je n’étais pas le dernier habitant encore en vie dans le village. Même les chats n’étaient plus là, eux qui d’habitude accouraient quand je mettais le nez dehors.  J’ai foulé l’herbe humide de la pelouse et me suis dirigé à tâtons vers la barrière. En me retournant, j’ai vu que la maison, elle aussi, avait disparu. Il me fallut garder mon calme pour continuer malgré tout. Enfin, après avoir hésité un peu, je suis arrivé près de la boîte aux lettres. Comme d’habitude, elle était vide, désespérément vide. Aucune lettre, aucune carte, rien.

Alors j’ai rebroussé chemin comme j’ai pu. En hésitant,  j’ai retrouvé la maison et son seuil. J’ai refermé la porte derrière moi et me suis assis près du feu. Les flammes brillaient dans l’âtre, comme si toute la vie du dehors s’était réfugiée là, comme s’il ne restait plus au monde que ces trois bûches incandescentes qui bientôt seraient réduites en cendres.

J’ai pris un livre que je n’ai pas ouvert et j’ai écouté le silence. Le grand silence des jours de brouillard, où même les facteurs ne trouvent plus leur chemin.

Littérature

00:25 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : littérature

18/11/2013

Il y avait...

Il y avait la forêt, la grande forêt profonde.

Il y avait des champs et des prairies, dans la chaleur de l’été.

Il y avait des fermes, rien que des fermes, qui avaient fini par former un village.

Il y avait une rivière, qui sautait sur les cailloux.

Il y avait un pont avec deux  arches, d’où je regardais passer l’eau.

Il y avait le long de la berge, des arbres centenaires qui avaient toujours été là.

Il y avait le vent dans leurs branches et ce chant que je n’ai jamais oublié.

Il y avait l’église et son vieux cimetière, au centre de tout.

Il y avait un jardin devant l’épicerie, avec des centaines de papillons volant de fleur en fleur.

Il y avait une fille de mon âge dont le corsage entrouvert m’intriguait beaucoup.

Il y avait un vieux cheval qui s’en allait débarder aux bois.

Il y avait des nuits noires avec des milliers d’étoiles.

Il y avait la lune, parfois, qui faisait luire les toits d’ardoise.

Il y avait dans la forêt des sentiers mystérieux qui menaient vers l’inconnu.

Il y avait des bêtes furtives, qu’on entendait parfois.

Il y avait toujours dans la boue la trace de leurs pas.

Il y avait en automne, le brame des cerfs qui résonnait dans les lointains. 

Il y avait la forêt, la grande forêt profonde.


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08/11/2013

La mer

Il aimait la mer comme d’autres aimaient les femmes et trouvait dans les immensités océanes ce que d’autres cherchaient dans des yeux bleus ou verts.

La grande plaine liquide, ses vagues ondulantes, ses senteurs troublantes, tout le fascinait, jusqu’aux tempêtes rageuses qui parfois venaient se fracasser contre les rochers, les enlaçant dans des remous redoutables.

Le va et vient des marées, surtout, l’intriguait et il cherchait à comprendre quel plaisir la nature trouvait à ce jeu sans cesse recommencé.  La mer avançait, conquérante et lascive, pour toujours revenir en arrière, avant de repartir à l’assaut de ces rivages inaccessibles qu’elle semblait vouloir posséder sans y arriver jamais.

Souvent, il s’asseyait sur le sable et regardait dans le ciel pur le vol des cormorans, dont les cris pleins de désespoir convenaient bien à son âme sombre et ombrageuse.  

Ou bien il parcourait la plage infinie, rêvant à changer de vie, et ses pieds, sur le sable humide, laissaient des traces qui s’effaçaient  aussitôt.  

A l’horizon, dans des lointains improbables, passait parfois un bateau, seule présence humaine dans cette immensité. Alors il songeait à des voyages lointains, se demandant soudain si la mer, sous d’autres cieux, avait la même couleur, cette couleur verte ou bleue que d’autres trouvaient dans les yeux des femmes.   

 

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27/10/2013

Souvenir pieux

Je suis retourné, seul, dans la collégiale que nous avions visitée ensemble,

Au temps de notre amour.

La nef m’a paru vide, terriblement vide.

Les grandes colonnes de pierre nue montant vers le ciel

M’ont semblé démesurées, froides, et inhumaines.

Ce jour-là, le soleil n’éclairait pas les vitraux, qui restèrent obstinément muets,

Ne délivrant aucun message, ne communiquant aucune poésie.

Les grandes peintures murales étaient ternes

Et aucune bougie ne brûlait dans la petite chapelle latérale que tu avais tant aimée.

Même le chœur était fermé et des portes de bois ouvragé en interdisaient l’accès.

Dans le grand silence, mes pas résonnèrent longtemps sur les dalles noires et inégales,

Tandis que je cherchais en vain l’écho de ton propre pas, 

Qui n’existait plus que dans ma mémoire.  

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18/10/2013

Nuages

Les nuages passaient, poussés par les grands vents atlantiques.

Dès l’aube naissante, ils défilaient, troupeaux affolés et sauvages,

Ravageant le ciel pâle.

Plus noirs que des chevaux fous, ils couraient vers des horizons improbables,

Venant des plaines océanes dont ils avaient conservé l’amertume.

Et moi, sur ce quai désert, je les regardais passer, incrédule.

Moi qui n’allais plus nulle part et qui avais raté tous les trains, je restais là,

Perdu dans ma solitude.

Je les regardais, formes éphémères et changeantes

Chargées de tous les chagrins du monde.

Parfois, je me demandais où finirait leur course,

En quels pays lointains ils déverseraient leur pluie, 

Et sur quel visage d’enfant ils feraient couler des larmes.


Littérature

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12/10/2013

La plus grande bibliothèque du monde

Que rêver de plus qu’un pouvoir politique, un chef d’Etat, qui déciderait de rassembler en un seul lieu le plus de livres possible ? Et pas seulement les livres de sa nation, écrits dans sa langue, mais tous les livres du monde ? Et pour que ces livres étrangers puissent être compris par tous, il prendrait l’initiative de les faire traduire par des spécialistes éminents… Le centre culturel ainsi créé, cette immense bibliothèque, servirait à la culture, mais elle servirait aussi au rayonnement intellectuel de la nation qui en aurait pris l’initiative et donc indirectement à la gloire du chef de l’Etat qui en aurait eu l’idée.

Oui, me direz-vous, mais ce n’est là qu’un rêve. On n’a jamais vu un politicien s’intéresser à ce point à la culture. Un politicien, non, mais un homme d’Etat, oui. Et vous n’allez pas le croire, mais cet homme d'Etat existe. Ou plus exactement, il a existé. Il s’appelait Ptolémée I et fut à la base, en -288 avant JC,  de la bibliothèque d’Alexandrie.

Pour rappel, Ptolémée est un des généraux d’Alexandre le Grand. A la mort de celui-ci, son empire fut partagé et Ptolémée obtint l’Egypte, où il fonda la dernière dynastie des Pharaons (qui n’étaient donc plus égyptiens, mais grecs, y compris la dernière d’entre eux, Cléopâtre, qui se suicida dans les circonstances que l’on sait). Son dessein était de faire de sa capitale, Alexandrie, le centre du monde hellénistique et donc de concurrencer Athènes.

Sous Ptolémée II, le nombre de livres aurait déjà atteint 500.000 volumes. Des savants venus de tout le monde méditerranéen se pressaient là. Certains venaient pour étudier, d’autres pour traduire. Car il avait été décidé de traduire tous les livres en grec, ce qui représentait un travail colossal. C’est notamment là que fut traduit en grec le Pentateuque hébreu, qui donna naissance à a version dite des Septante (car selon la légende, six représentants de chacune des 12 tribus juives s’étaient réunis pour ce travail).

Mais bientôt, la bibliothèque d’Alexandrie fut concurrencée par celle de Pergame, en Asie mineure (la Turquie actuelle, donc). Elle connut des heures sombres sous Ptolémée VIII Évergète, qui expulsa les savants d'Alexandrie et nomma un militaire comme bibliothécaire ! Il fallut la chute d’Athènes, conquise par les Romains en 86 avant J-C pour qu’Alexandrie retrouvât la place qui était la sienne dans le monde de la culture.

Tout cela jusqu’à ce fameux incendie qui a tout détruit. Imaginez quelle catastrophe ! Tous ces livres de l’Antiquité, venus des quatre coins du monde civilisé de l‘époque, irrémédiablement détruits ! Quelle perte pour l’humanité ! Combien d’auteurs latins et grecs ne nous sont connus que par les citations que d’autres auteurs ont faites de leurs œuvres. Et même parmi  les plus célèbres, nous n’avons souvent conservé qu’un ou deux ouvrages (parfois même incomplets) sur les dizaines qu’ils ont écrits. Tout cela serait en notre possession aujourd’hui si tout n’avait pas été ravagé par les flammes.

Bref, tout cela pour dire que cet incendie de la bibliothèque d’Alexandrie m’a toujours semblé un des événements les plus noirs de l‘histoire.

Sauf, qu’en y regardant d’un peu plus près, je me suis aperçu que la réalité était plus complexe.

D’abord, il faut savoir qu’aucune trace ni aucun vestige de cette fabuleuse bibliothèque n’ont été retrouvés, ce qui ne facilite pas les choses (les restes du phare d’Alexandrie ont par contre été découverts récemment en Méditerranée). Ensuite, force est de constater que les historiens ne sont pas d’accord entre eux quant à la date de la destruction.

Certains situent l’incendie un peu après la bataille de Pharsale (en – 48 avant JC) qui opposa César et Pompée. César avait remporté la victoire (comme toujours) et le Pharaon Ptolémée XIII, qui avait malencontreusement soutenu Pompée, mais qui était très opportuniste, avait aussitôt fait assassiner ce dernier pour plaire au vainqueur. Malheureusement pour lui, César s’éprit de sa sœur Cléopâtre VII (elle était à la fois sa sœur et son épouse et partageait le pouvoir avec lui). Dans le conflit qui opposa ensuite le frère et la soeur, César prit évidemment le parti de cette dernière. Il s’ensuivit une guerre et en – 47, César incendia la flotte d'Alexandrie, pour asseoir son autorité. Le feu se serait alors propagé aux entrepôts et aurait détruit une partie de la bibliothèque. On estime généralement la perte entre 40 000 et 70 000 rouleaux. Rien ne prouve cependant que la bibliothèque ait été détruite à ce moment-là. Certains pensent que ce sont plutôt des copies conservées dans un entrepôt, à l’extérieur de la bibliothèque, qui sont alors parties en fumée.

Plus tard, on assista à des conflits entre le pouvoir romain païen et les adeptes du christianisme. Mais une fois que Constantin eut fait de ce christianisme la religion officielle, on se mit à détruire les anciens temples païens (voir L’Edit de Théodose en 391). La bibliothèque d'Alexandrie, avec les œuvres antiques qu’elle contenait, aurait pu disparaître à ce moment-là. En effet, on n’a jamais vu une religion ne pas détruire les textes de la religion qui l’a précédée.

Enfin, plus tard vint la conquête arabe. Un historien arabe du XII° siècle prétend qu’en 642 le calife Omar aurait donné l'ordre de détruire la bibliothèque. Cela n’aurait rien d’extraordinaire non plus, mais on n’a finalement aucune preuve de ces événements. Peut-on faire confiance à quelqu’un qui écrit 500 ans après les faits et qui semble être le seul à mentionner cet incendie ? Il est vrai qu’un autre historien arabe, du XIII° siècle celui-là, parle bien de la destruction d’une bibliothèque par le calife Omar, mais il la situe en Irak...

« Que sont devenues les sciences des Perses dont les écrits, à l’époque de la conquête, furent anéantis par ordre d’Omar ? Où sont les sciences des Chaldéens, des Assyriens, des habitants de Babylone ? […] Où sont les sciences qui, plus anciennement, ont régné chez les Coptes ? »

En 868, ce sont les Turcs qui envahissent l’Égypte. Ils saccagèrent notamment Alexandrie et on peut penser que ce qui restait encore de la fameuse bibliothèque (pour autant qu’il en restât encore quelque chose) fut détruit à ce moment-là.

Bref, de tout ceci il faut retenir qu’il n’y aurait peut-être pas eu un incendie unique, qui aurait ravagé la bibliothèque en une fois, mais plusieurs destructions successives. L’histoire qui m’avait tant  épouvanté, ces millions de livres détruits en un seul jour, n’aurait donc été qu’un mythe

 

Notons qu’une bibliothèque moderne (Bibliotheca alexandrina) a été fondée en 1995 suite à un partenariat entre l’Egypte et l’Unesco. Elle est supposée, à terme, contenir cinq millions d’ouvrages. La Bibliothèque nationale de France lui a d’ailleurs donné 500 000 livres en 2010. Mais comme l’histoire se répète sans fin, en août 2013, des partisans du président Morsi, qui venait d’être destitué par l’armée, s’en sont pris à la  toute nouvelle Bibliotheca alexandrina. En février 2011, en plein cœur du Printemps arabe, elle avait déjà dû être protégée des vandales et des pillards par les membres du personnel et par de jeunes manifestants qui avaient compris que l’accession à la liberté ne passe jamais par la destruction des livres. 


Une des plus anciennes éditions de l'Odyssée

Chant X, v. 418-482. Dernier quart du IIIe siècle av. J.-C..

Rouleau de papyrus, découvert à Ghoran (Égypte) en 1900, 

bibliothèque d'alexandrie

02/10/2013

Passion

Fantôme blanc enroulé dans la nuit de mes songes

Je te revois,

Étendue au travers des draps de l’amour,

Gémissant, lèvres entrouvertes,

Tandis que mes doigts profanes parcouraient la nudité de ta passion.

A l’oreille, je te murmurais des mots doux et chauds,

Des mots humides et tendres,

Comme nos langues qui se cherchaient dans des baisers d’éternité.

Dehors, éclataient de terribles orages

Et nous, apeurés par notre amour,

Nous écoutions les grands battements de nos cœurs.

C’est alors que sur tes lèvres, j’ai déposé des mots nus, 

Et qu’une fleur rouge s’est épanouie sur la neige des draps blancs. 

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28/09/2013

Du mensonge d'Etat

Le 02 septembre dernier, la France a « déclassifié » un document secret défense afin de prouver la culpabilité du régime de Bachar el Assad dans l’attaque chimique qui a occasionné de nombreuses victimes dans la banlieue de Damas à la fin du mois d’août. Cette démarche visait à obtenir l’approbation des députés en vue d’une frappe militaire française contre le régime syrien.

On sait que le renversement d’Assad tient particulièrement à cœur au Président de la République puisque ce dernier en faisait déjà son cheval de bataille lors de sa campagne électorale.  Un tel acharnement déclaré doit nous rendre prudents sur toutes les preuves qui seront avancées quant au côté malfaisant du régime syrien. On a connu la France moins prompte à condamner les dictatures de Franco, de Pinochet et de bien d’autres. Les disparus chiliens, torturés et exécutés n’ont jamais beaucoup ému le gouvernement français. Les Argentins ou les Nicaraguayens assassinés non plus.

Donc, de prime abord, cette volonté déclarée de renverser Assad me semble louche car je ne vois pas en quoi la Syrie menace l’Etat français. Par contre je vois très bien en quoi il dérange Israël.

Vous me direz que le régime d’Assad n’est pas un exemple de démocratie (ce que j’admets volontiers)  et que la générosité du président le pousse naturellement à défendre les droits de l’homme. Certes, je ne peux que me réjouir d’un tel sens altruiste, mais pourquoi alors le sieur Hollande ne s’insurge-t-il pas contre la condition de la femme en Arabie ou au Qatar et même contre la manière dont ces pays conçoivent les droits de l’homme ? Pourquoi la répression de la révolution au Bahreïn ne le préoccupe-t-elle guère ? Pourquoi la situation préoccupante des Palestiniens de la bande de Gaza ne l’émeut-elle pas davantage ? Mystère.

Donc, l’acharnement avoué qu’il manifeste contre le régime syrien doit pour le moins poser question.

Mais revenons-en au document déclassifié qui a été présenté aux députés afin d’obtenir leur approbation pour une intervention armée.  Que contient exactement ce document, supposé prouver la culpabilité d’Assad ? Eh bien il faut avouer qu’il ne contenait strictement aucune preuve concrète. En gros, on s’appuie sur le fait qu’on a affaire à des armes chimiques pour dire que seule l’armée syrienne aurait eu la capacité d’en employer. Que l’armée ait cette capacité, personne n’en doute (mais pourquoi par ailleurs aurait-elle employé de telles armes alors qu’elle remportait enfin le succès sur le terrain ?). Par contre, quand je vois les vidéos que les rebelles eux-mêmes postent sur Youtube et où on les voit munis d’artillerie lourde, je me dis qu’ils auraient été très capables d’envoyer un obus contenant du gaz chimique.

Pourtant, pour le document déclassifié, seule l’armée aurait eu la capacité technique voulue. C’est sur cette « preuve » fragile que les députés devaient décider d’envoyer l’armée française bombarder la Syrie en représailles (tuant par ailleurs d’autres innocents).

 Cependant, quand on y réfléchit bien, seuls les rebelles avaient intérêt à utiliser les armes chimiques et à faire croire que le gouvernement syrien était à la base de cette attaque. L’aviation américaine serait alors intervenue en leur faveur au moment précis où ils commençaient à essuyer des défaites sur le terrain.

Le document présenté aux députés se gardait bien de dire que cette « opposition » syrienne était surtout constituée d’éléments étrangers non syriens, par ailleurs épaulés, entraînés et armés par l’Occident. Sans compter qu’il n’était pas difficile d’entraîner ces « troupes » à la manipulation des armes chimiques (armes qu’elles possédaient puisque c’est bien pour cela que l’Onu était venue enquêter sur le terrain suite aux déclarations de Carla del Ponte elle-même).

Si le Parlement britannique n’avait pas désavoué Cameron et si la Russie n’avait pas proposé aux USA un moyen de sortir de la crise, l’armée française serait en guerre en ce moment et elle soutiendrait en fait sans le savoir les djihadistes qui sont plus que probablement les responsables de l’attaque chimique.

On peut donc supposer que le fameux document présenté aux Parlementaires était un faux destiné à obtenir leur adhésion à l’invasion de la Syrie. Qu’on se souvienne avec quel aplomb  Colin Powell avait brandi une fiole de « poison » devant l’assemblée de l’ONU pour obtenir le droit de destituer Sadam Hussein. Maintenant on sait que toutes ces soi-disant preuves étaient fausses (au point qu’on peut se demander si Colin Powell lui-même n’a pas été manipulé et qu’il aurait donc menti de bonne foi).

 

Mais si ce document est un faux, est-ce la DGSE qui a  essayé d’obtenir l’adhésion des Parlementaires ou bien s’est-on servi de son nom pour apporter des « preuves» aux députés ? Mystère.

Syrie

23/09/2013

Étymologie (suite et fin)

Avaler : on oublie parfois que ce terme est lié à « aval » et indiquait à l’origine l’action de descendre ou de faire descendre. Ensuite, par restriction sémantique, il a désigné le fait de faire descendre un aliment par le gosier.

Merci. Du latin « mercedem » (salaire, récompense), il a pour sens premier « grâce, pitié, miséricorde ». Il a aussi le sens de « cadeau, faveur » avant d’exprimer la gratitude pour une faveur accordée. Depuis le XVI° siècle, le substantif féminin signifie « grâce », le masculin exprime le remerciement et la politesse.

Franc. Le mot a d’abord une valeur ethnique (le peuple franc) avant de désigner au VI° siècle un homme libre puis un noble par naissance. A ce caractère social s’ajoute une connotation morale : le noble ne peut être que bon, généreux et affable.  A partir du XVII° siècle, franc désigne surtout la sincérité et la droiture. Il garde cependant son ancien sens dans des expressions comme «avoir les coudées franches », « franc-tireur » ou « coup-franc ».

Beau, du latin « bellus » qualifie la perfection physique ou  morale. Il peut aussi traduire l’affection ou le respect quand il est en apostrophe. Cette dernière signification est à l’origine des termes de parenté indirecte (« beau-frère », « belle-mère »).

 

Port (porz en ancien français) vient du latin « portus » et désigne un défilé dans les montagnes (où il est concurrencé par « col ») Il peut aussi désigner un abri pour recevoir les navires. Dans le premier sens , on retrouve le mot « passeport » et des toponymes (comme St Jean Pied de Port, dans les Pyrénées-Atlantiques, au pied du col (ou port) de Roncevaux, célèbre par la chanson de Roland).


St Jean Pied de Port 

Etymologie

17/09/2013

Etymologie

Je voudrais revenir, encore une fois, sur le Charroi de Nîmes, ou plus exactement sur les notes de Claude Lachet, le professeur de Lyon III qui a traduit le texte. On trouve dans ces notes de nombreuses remarques étymologiques et certaines ont attiré mon attention.

Ainsi en va-t-il du mot « Bachelier ». Dans les chansons de geste, ce terme désigne toujours une personne jeune, quelle que soit sa condition sociale. On peut donc traduire ce terme par « adolescent ». Souvent, le mot est accompagné par un adjectif qui souligne les qualités propres à la jeunesse (audace, enthousiasme, générosité). A partir du XIV° siècle, « bachelier » désigne le premier grade universitaire.

« Payer en monnaie de singe ». Le pont reliant l’île de la Cité à la rive gauche de la Seine s’appelait le « Petit Pont » et c’était le plus ancien pont de Paris. Construit en pierre en 1185, il a souvent été détruit par les crues du fleuve (ou même par les incendies qui embrasaient les maisons de bois dont il était bordé). Pour le traverser, il fallait payer. Seuls les jongleurs étaient dispensés du péage. Pour prouver leur état de jongleurs, ils faisaient exécuter des tours à leur singe, d’où l’expression « payer en monnaie de singe ».

« Oïr » : du latin « audire », le verbe oïr est le terme usuel au Moyen-Age pour désigner le fait de percevoir des sons. Les formes trop brèves de ce verbe et les homophonies gênantes avec celles du verbe avoir ont entraîné son abandon au profit du verbe « entendre ». Comme chacun sait, oïr a survécu à l’impératif (« oyez », formule qu’employaient les hérauts), dans l’expression « par ouï-dire » et dans l’adjectif « inouï ».

« Repaire ». Ce terme provient indirectement du mot latin « patria », ce qui ne saute pas aux yeux. En effet, à côté de « patria » existait le verbe « repatriare » ( rentrer dans sa patrie, rentrer chez soi), lequel avait donné repairier en ancien français, avec le sens premier de revenir dans un endroit familier. Ensuite, par extension, il a signifié demeurer, séjourner. Du coup, le déverbal « repaire »  a pris le sens de ‘retour », « endroit où l’on séjourne », mais aussi de « gîte des animaux sauvages ». A partir du XVII°, on distingue « repaire » (lieu de refuge pour les animaux ou les individus dangereux)  et « repère » (retour à un point déterminé, la marque servant à retrouver un emplacement). Notons pour ce dernier  terme un rapprochement inconscient avec le latin « reperire » (retrouver).

 

« Femme ». Le terme latin « uxor » (femme mariée) avait donné en ancien français « oissour », bientôt remplacé par « moillier » (du latin « mulier » lequel désignait d’abord et plus généralement toute personne de sexe féminin), toujours avec le même sens. Le même étymon a bien entendu donné « mujer » en espagnol. C’est au XV° siècle que « moillier » disparaît à son tour au profit de « femme ». Ce mot est en fait un participe présent passif qui signifiait « qui est sucée, qui allaite » et s’appliquait dans un premier temps exclusivement aux animaux femelles. On rapprochera le terme du verbe « fellare », sucer, lequel a donné « fellation » en français. Comme quoi l’étymologie réserve bien des surprises…

15/09/2013

De la Syrie (3)

La Syrie va donc remettre ses stocks d’armes chimiques à la communauté internationale pour qu’ils soient détruits. Fort bien.

Sauf que ce n’est pas l’armée syrienne qui a utilisé ces armes récemment à Damas.

Ce qui veut dire que d’autres (en l’occurrence les rebelles) ont toujours des armes chimiques (on a d’ailleurs trouvé dans des tunnels différentes substances toxiques provenant d’Europe ou des pays du golfe), qu’ils se sont vantés sur des vidéos qu’ils les utiliseraient et qu’ils les ont d’ailleurs déjà utilisées dans les combats récents (voir les déclarations de Carla del Ponte).

Rien n’est donc résolu sur le fond et demain d’autres enfants pourraient très bien mourir après avoir été gazés, surtout s’ils sont kurdes, chrétiens, chiites ou alaouites. Mais il semblerait que pour Washington, seul le gaz détenu par Bachar el Assad soit dangereux. C’est en tout cas ce que pense son allié israélien, qui a finalement moins peur d’Assad que des rebelles. En effet, si ceux-ci finissent par remporter la victoire, ils auront accès aux stocks de l’armée syrienne et rien ne dit qu’ils ne vont pas les utiliser contre Israël.

Donc, ce coup monté pour lequel on n’a pas hésité à massacrer des enfants, permettait à la fois d’affaiblir Assad en bombardant la Syrie et de protéger Israël en allant détruire les fameux stocks d’armes chimiques.

Mais la Russie, qui est décidemment très forte ces derniers temps, et qui veut faire comprendre aux USA qu’ils ne sont plus seuls à diriger le monde, est parvenue à éviter ces frappes américaines en proposant la destruction des stocks syriens (qu’Assad n’utilisait quand même pas pour le moment).

 Comme les Occidentaux  (sauf Hollande, qui avait fait de la chute de Bachar el Assad une priorité de sa campagne électorale, en bon valet d’Israël qu’il est) étaient réticents à intervenir et qu’Obama lui-même semblait un peu hésitant (mais la pression de différents lobbies -à vous de deviner lesquels- l’avaient quand même poussé à vouloir frapper militairement la Syrie), tout le monde s’est emparé de la proposition russe avec soulagement.

Evidemment, ceux qui voulaient la guerre (les pro-israéliens Kerry, Hollande et Fabius) ont tout de suite compris l’opportunité qui s’offrait à eux : ils ont dit en substance : d’accord, on n’intervient pas cette fois-ci et on détruit les armes chimiques, mais au moindre dérapage, on ira bombarder la Syrie en représailles. Assad, à qui on a déjà imputé un massacre qu’il n’a pas commis, a tout de suite compris le piège : une fois ses armes chimiques détruites, les djihadistes gazeront quelques centaines de personnes supplémentaires et on le rendra, lui, une nouvelle fois responsable de ce carnage, ce qui justifiera l’entrée en guerre de l’Occident. Le problème, c’est justement qu’il n’aura plus ses armes chimiques pour se défendre (car s’il avait clairement dit qu’il ne les utiliserait pas contre son peuple, il ne s’était pas caché non qu’en cas d’attaque étrangère contre la Syrie, il y aurait recours).

Donc, si on peut se féliciter que l’attaque contre la Syrie a été ajournée, je me montre quand même un peu pessimiste. Les USA n’avaient pas attaqué l’Irak d’emblée. Ils avaient d’abord affaibli ce pays par une première guerre du golfe, puis par un blocus économique et militaire, et enfin en bombardant régulièrement des zones sensibles pendant plus de 10 ans (tuant au passage des civils, femmes et  enfants compris, en très grand nombre, et faisant certainement plus de victimes qu’Assad n’est supposé en avoir fait à Damas). Ce n’est qu’une fois l’armée irakienne affaiblie qu’ils l’ont affrontée directement. Il en a  été de même avec la Libye, Kadhafi ayant renoncé à un certain moment à se doter de  l’arme atomique contre la promesse américaine de ne pas l’envahir. On a vu ce que ces promesses valaient.

Donc, pour revenir à la Syrie, je suis certes content que ce pays ne soit pas bombardé pour une faute que son gouvernement n’a pas commise (car on sait ce que valent les frappes soi-disant chirurgicales), mais je reste pessimiste pour l’avenir. En effet, ces armes chimiques constituaient quand même une belle dissuasion contre toute attaque terrestre d’une armée étrangère.

En attendant Israël doit rire, puisqu’il voit son vieil ennemi s’affaiblir (n’oublions pas que les missiles atomiques israéliens sont pointés sur la Syrie depuis des années et qu’ils vont le rester). En plus, les stocks d’armes chimiques ne risqueront plus de tomber dans les mains des rebelles, qui auraient pu en faire un mauvais usage. Car une arme chimique n’est mauvaise que lorsqu’elle se retourne contre vous et jamais quand elle tue un ennemi. C’est d’ailleurs pour cela qu’Israël dispose lui aussi d’importants stocks d’armes chimiques. Ce ne sont ni les USA ni les Russes qui le lui reprocheront, car ces deux pays, bien qu’ils aient signé la fameuse convention de 1993, se sont bien gardés de détruire l’entièreté de leurs stocks. On ne sait jamais…

Bon, tout cela c’est très bien, allez-vous me dire, mais votre raisonnement depuis le début repose sur un postulat, celui selon lequel Assad serait  innocent et n’aurait pas commis les crimes qu’on lui impute dans la banlieue de Damas. En effet. Mais si on peut douter de la pertinence de mon raisonnement, moi qui ne suis qu’un petit blogueur anonyme, il est d’autres personnes plus illustres qui disent la même chose et c’est avec une certaine satisfaction que j’ai retrouvé certains de mes arguments chez des militaires de haut grade :

 http://www.voltairenet.org/article180213.html

Enfin, pour terminer, moi qui ai assez souvent fustigé la presse pour ses mensonges délibérés dans l’analyse de la crise syrienne, je voudrais ici rendre hommage à un journaliste courageux de La Voix du Nord, qui ose apostropher son rédacteur en chef de manière assez directe tellement il est écœuré par le discours de ce dernier :

http://www.comite-valmy.org/spip.php?article3896

    

Syrie

 

 

 

13/09/2013

De la Syrie (2)

Que les « preuves » qui accusent le président Assad ou son armée d’avoir utilisé des armes chimiques soient fausses, cela ne fait aucun doute.  En effet, comme l’avait reconnu autrefois le chef du renseignement britannique au sujet de la guerre d’Irak :  « Les renseignements et les preuves sont  arrangés en fonction de la politique ».

Donc, la question qu’on peut légitimement se demander, c’est si Obama reçoit les véritables informations ou si au contraire ses services secrets lui mentent en partie. Car on pourrait très bien imaginer qu’un lobby industriel ait influencé ou corrompu des membres des services secrets afin que ceux-ci falsifient certains rapports, ce qui amènerait le président américain à prendre les décisions qu’ils ont envie qu’il prenne.

Or, les gens qui ont intérêt à voir les Etats-Unis s’engager dans ce conflit sont nombreux.

Tout d’abord, il y a tous les marchands d’armes, qui gagnent leur vie grâce aux guerres.

Ensuite, il y a tous les entrepreneurs  qui pourront aller reconstruire un pays en ruine.

Ne parlons même pas des compagnies pétrolières, qui pourraient mettre la main sur les réserves de gaz syriennes ou même construire un oléoduc qui traverserait ce pays, ce qui éviterait aux bateaux provenant d’Arabie ou d’Irak de devoir emprunter le golfe persique, le mer rouge et le canal de Suez, régions dangereuses s’il en est, surtout ces derniers temps, avec l’instabilité politique qui règne dans la région. 

Il y a enfin et surtout  Israël, qui a toujours souhaité voir le régime d’Assad tomber, d’autant plus que ce régime soutient le Hezbollah.

Que s’est –il vraiment passé dans la banlieue de Damas ? Honnêtement, je n’en sais rien.

Les Américains disent que la responsabilité en revient à Assad ou à son armée. Ils disent avoir « suffisamment » de preuves, mais ils ne les montrent pas.

Assad dit que ce n’est pas lui.

Les Russes disent avoir la preuve (elle a été montrée à l’ONU) que les rebelles ont tiré des missiles juste à l’endroit où a eu lieu le massacre. Rien ne dit cependant que ces missiles contenaient des agents chimiques, mais c’est troublant.

Certains opposants ont critiqué l’Arabie, qui leur aurait envoyé des armes chimiques sans les prévenir et sans leur expliquer comment il fallait s’en servir.  Les morts dans leur camp serait donc dû à un accident de manipulation.

D’autres opposants disent que des groupes radicaux parmi eux auraient provoqué l’incident pour obliger les Etats-Unis à intervenir. Ainsi, ils affirment avoir vu des récipients contenant des produits chimiques qui ont ensuite été ouverts dans la banlieue de Damas.

Dans le même ordre d’idée, on pourrait imaginer que l’Arabie, le Qatar et la Turquie, voyant les Etats-Unis un peu réticents à intervenir,  aient agi dans le même sens.

Il en va de même d’Israël, dont il n’est plus à démontrer que les services secrets sont passés maîtres dans des actions en pays étrangers.

Bref,  on voit que les explications sont multiples et qu’il n’est pas évident du tout qu’Assad soit le responsable de ce massacre, puisqu’il est le seul perdant de cette situation (avec les victimes innocentes, évidemment). 

Bref, la situation est si complexe qu’on ne s’y retrouve plus. On sait aussi que l’Etat israélien, qui n’aime certes pas le gouvernement de Bachar el Assad, n’aime pas d’avantage les djihadistes enragés qui pourraient le remplacer. En d’autres termes, le statu quo actuel, où les deux parties s’affrontent en s’épuisant mutuellement, arrangerait bien Jérusalem. Donc, quand Assad prend le dessus, comme c’est le cas actuellement, il faudrait s’arranger d’une manière ou d’une autre pour que les USA viennent tempérer son ardeur.  L’attaque chimique pourrait donc bien être un coup des services secrets israéliens pour obliger son allié à intervenir. Mais si on commence comme cela, cela n’aura plus de fin. Pourquoi, quand les missiles US s’abattront sur Damas ne pas couler un destroyer américain et accuser l’Iran ? Ce serait une belle manière de se débarrasser de ce voisin gênant.

 

Bon, je fais un peu ici de la politique fiction mais parfois la vérité dépasse la fiction. 

Syrie

08/09/2013

De la Syrie.

Il n’est plus possible de se taire sur ce qui se passe en Syrie. Je veux dire, vous l’aurez compris, sur les mensonges dont le Capital se sert tous les jours pour justifier une intervention armée dont vous, citoyens désargentés, allez payer les frais.

On nous avait dit que le méchant Saddam Hussein  avait des armes de destruction massive. Personne ne les a jamais trouvées, même pas le général  qui avait brandi une fiole de poison devant les députés de l’ONU. Et qu’est devenu l’Irak, depuis que l’Occident l’a libéré d’un tyran et lui a apporté la démocratie ? Je vous laisse le soin de compter le nombre des victimes des attentats quotidiens…

On nous avait dit que Kadhafi avait bombardé sa population qui réclamait un peu de liberté. Un médecin  libyen, exilé à Genève, était monté à la tribune de l’ONU et avait parlé de 6.000 morts. On connaît la suite. L’Otan a bombardé et détruit ce pays, rasant des villes et faisant plus de 70.000 morts. On sait aujourd’hui que ce médecin n’avait d’autres preuves que les dires invérifiables de ses amis restés en Libye, lesquels, depuis, sont devenus ministres dans le nouveau régime qu’ils ont contribué à mettre sur pied par leurs mensonges. Et qu’est devenue la Libye aujourd’hui, ce pays le plus riche d’Afrique qui vivait de son pétrole ? C’est devenu un pays arriéré où des factions diverses se massacrent entre elles, tandis que le groupe Total exploite à son profit les puits de pétrole.

Et maintenant, que nous dit-on à propos de la Syrie ? Toujours la même chose, à savoir qu’un affreux dictateur est entrain de massacrer ses opposants. Ce dictateur serait tellement mauvais qu’il aurait sciemment gazé sa propre population, n’épargnant même pas les enfants. L’Occident généreux, une nouvelle fois, se propose d’aller rétablir la démocratie dans cette région du monde.

Les exemples précédents de l’Irak exsangue et de la Libye anéantie nous demandent pourtant de garder la tête froide et de réfléchir avant de donner notre assentiment à une  intervention armée qui risquerait bien de dégénérer en conflit généralisé (car la Syrie n’est pas seule, elle, étant secondée par l’Iran et la Russie). 

On nous dit que la Syrie possède des armes chimiques. C’est vraisemblable, toutes les armées en ont. Bachar el Assad, cependant, avait dit qu’il ne les utiliserait jamais contre son peuple (ce qui veut dire aussi qu’il pourrait les utiliser contre une agression étrangère si celle-ci devait avoir lieu, car il n’a jamais signé aucune convention de non-utilisation pas plus qu’Israël d’ailleurs). Aurait-il menti ? Rien n’est impossible. Pourtant, quel intérêt aurait-il eu d’utiliser de telles armes chimiques alors que d’une part son armée était en train de remporter la victoire (chaque jour des zones occupées par les soi-disant rebelles – en réalité un ramassis d’intégristes étrangers armés et payés par l’Occident- étaient reconquises) et que d’autre part des enquêteurs de l’ONU étaient justement présents à Damas. Je veux bien admettre qu’Assad soit un dictateur, mais il n’est pas fou et il a prouvé par le passé qu’il savait se montrer très prudent. Quel intérêt aurait-il eu d’utiliser des armes chimiques à dix kilomètres des enquêteurs internationaux ? Surtout que ces derniers venaient suite aux déclarations de Carla del Ponte elle-même, qui avait assuré que c’étaient les rebelles qui s’étaient rendus responsables, précédemment, de tels actes.  L’armée régulière avait en effet découvert des armes chimiques bien dissimulées dans des tunnels qui étaient sous contrôle des djihadistes, armes chimiques qui comme par hasard provenaient d’Arabie, de Turquie et d’Europe.

Bref, les inspecteurs de l’ONU étaient à Damas pour enquêter sur les décès suspects qui avaient déjà eu lieu précédemment. Ils étaient donc à deux doigts de révéler au monde entier que l’Occident avait fourni des armes chimiques à des intégristes enragés et que ceux –ci n’avaient pas hésité à s’en servir. Et voilà que fort à propos survient une nouvelle attaque chimique, immédiatement imputée au régime, celle-là. On parle de 300 morts, de 1.300, de 1.600, les chiffres varient, ce qui prouve bien que rien n’est vraiment sûr ni vérifié. Bref, le monde entier s’alarme (ou plus exactement la presse occidentale, qui appartient aux industriels et aux vendeurs de canons, ne l’oublions pas, alarme le monde entier). L’ordre est donc donné aux inspecteurs de l’ONU de délaisser l’enquête en court et de se rendre sur les lieux du nouveau massacre, survenu comme par hasard au meilleur moment.

Qu’Assad en soit le commanditaire me semble fort improbable car il avait tout à perdre en agissant de la sorte. Par contre, pour ce qui est du camp adverse…

Qu’il y ait eu des morts et même beaucoup, cela ne fait aucun doute. Qu’on ait utilisé des armes chimiques, cela semble évident. Que le gaz ait été du sarin (bien connu de tous à cause de son utilisation lors de la guerre de 14-18), comme on tente de le faire croire pour émouvoir l’opinion, parait au contraire fort peu probable. En effet,  les symptômes dont souffrent  les victimes ne correspondent pas aux symptômes occasionnés par le sarin.

A ce propos, je tiens à signaler l’incohérence des articles publiés lors des premières attaques chimiques (celles que l’on a déjà tenté d’attribuer au régime d’Assad, mais qui selon Carla del Ponte provenaient bien du camp des « rebelles »). J’ai lu que les médecins avaient administré jusqu’à quinze doses d’atropine pour maintenir les victimes en vie. Or, tout citoyen ordinaire qui comme moi a effectué autrefois son service militaire sait qu’au-delà de deux doses, l’atropine est mortelle. C’est pour cela qu’on nous recommandait bien, si on devait jamais administrer une dose à un soldat blessé, de laisser l’ampoule vide bien en vue sur son uniforme, afin qu’une fois celui-ci transporté à l’hôpital, un médecin n’aille pas lui en administrer deux doses supplémentaires, ce qui l’aurait tué immanquablement. Tout cela pour dire que ces articles qui sont supposés recueillir les propos des médecins qui soignent les rebelles ne sont qu’un tissu de mensonges.

Mais revenons à ce qui nous occupe, à savoir la dernière attaque chimique qui a eu lieu, celle pour laquelle Obama et Hollande veulent punir Assad au nom de la morale. On remarquera qu’on nous a surtout montré des enfants. Aucun adulte n’aurait donc été touché ? Où étaient les parents de ces enfants quand les gaz les ont frappés ? Ce sont des questions que je me suis posées mais auxquelles je n’avais pas de réponse. La réponse, horrible, on la trouve peut-être ici :

 http://www.voltairenet.org/article180127.html

http://www.comite-valmy.org/spip.php?article3874

Qu’ajouter après cela ? Ces articles sont-ils mensongers ? C’est possible, mais jusqu’à preuve du contraire je les tiens pour plus véridiques que ceux que l’on trouve dans notre presse. En effet, comme je l’ai déjà dit, Assad n’aurait eu aucun intérêt à utiliser des armes chimiques alors que son armée était tout doucement en train de gagner la guerre. Par contre l’opposition avait tout intérêt à arrêter l’avancée de cette armée en obligeant la communauté internationale à intervenir. Or on sentait Obama assez hésitant sur ce sujet. Malheureusement, il avait prononcé il y a un an une phrase qui se retourne maintenant contre lui. Il avait dit que l’usage d’armes chimiques constituerait une  ligne rouge à ne pas franchir. Il suffisait donc de fabriquer des preuves, d’utiliser des enfants pour cela afin d’émouvoir la planète entière et d’imputer le crime au régime syrien.

Hollande et Cameron, sans même attendre les résultats de l’enquête de l’ONU, décident de partir en guerre. Cameron, cependant, est désavoué par son parlement. Du coup, Obama, qui hésite mais qui n’a pas le choix (car le lobby des armes et le lobby israélien le poussent à passer à l’action), se résigne à intervenir, mais il renvoie la responsabilité de l’attaque à son propre parlement. Hollande se retrouve donc seul, mais fidèle à ses convictions puisqu’il avait déjà annoncé lors de sa campagne électorale qu’il ferait de la chute de Bachar el Assad une priorité de son quinquennat. On ne parlait pourtant pas encore à l’époque d’armes chimiques. En quoi la politique d’Assad menaçait-elle la France ? Je ne dis pas que son régime soit le meilleur qui soit, mais au moins permettait-il aux pratiquants de nombreuses religions différentes de cohabiter en harmonie. Au lieu de cela l’Occident a attisé la haine entre sunnites et chiites, il a armé et entraîné des enragés de Dieu venus des quatre coins de la planète et il leur a demandé de mener cette guerre à sa place. Ceux-ci n’y parvenant finalement pas, il faudra bien intervenir directement. Et pour cela, il faut bien manipuler l’opinion.

 

Mais on pourrait légitimement se demander en quoi l’utilisation  de gaz est plus horrible que l’agent orange répandu au Vietnam  par les Américains ou que les bombes à uranium appauvri utilisées en Irak et en Libye, lesquelles ont contaminé nos propres soldats et qui continuent à contaminer la population de ces pays (voir le nombre effroyable d’enfants qui naissent handicapés). Est-il plus grave de mourir à cause du gaz que de sauter sur une des mines qu’Israël a généreusement laissées derrière lui au Liban ? Tout cela est fort relatif. D’autant que les Américains eux-mêmes avaient fourni à Saddam Hussein tout le gaz qu’il voulait quand il s’agissait de le déverser sur l’Iran (le plus grand crime de ces ennemis des USA étant d’avoir destitué le Shah et d’avoir repris possession de leurs puits de pétrole). Bref, tout cela est fort relatif et on voit que lorsqu’on veut substituer la morale au droit (en attaquant sans accord de l’ONU sous un prétexte humanitaire) il s’agit toujours de la morale du plus fort. 

Syrie

06/09/2013

Qu'est-ce qu'un livre ?


-Est-ce vrai que tu n’as lu aucun de ces livres ?

- Les livres sont assommants.

- Les livres sont des miroirs, et l’on n’y voit que ce que l’on porte en soi-même…

 

 

Carlos Ruiz Zafon, « L’ombre du vent », Grasset, 2004, page 231.

 

Littérature

 

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02/09/2013

Le Charroi de Nîmes

On se rend quand même compte, en abordant  une œuvre ancienne comme « Le Charroi de Nîmes », qu’il est parfois difficile d’en saisir le sens exact. Ainsi, dans le cas présent, j’en suis à me demander si cette chanson de geste, comme toutes les autres de la même veine,  vise à glorifier un héros ou si au contraire elle doit être lue au second degré, remettant justement en cause, par l’ironie, les chansons de geste classiques.

Je m’explique.

L’histoire raconte que Guillaume, à qui le roi de France devait tout, est le seul vassal à n’avoir reçu aucun fief en récompense de ses exploits. Furieux, il va s’expliquer avec le roi. Ce dernier tergiverse, puis lui propose de reprendre un fief dont le tenancier est mort. Guillaume refuse pour ne pas déshériter le fils (encore enfant) du chevalier décédé. Alors le roi lui propose d’épouser une veuve qui se trouve à la tête d’un fief. Guillaume refuse pour la même raison (ne pas léser l’enfant issu du premier lit). Finalement, Guillaume se montrant de plus en plus pressant et le roi ne sachant plus que faire, il lui propose un quart de son royaume. Le noble Guillaume refuse de nouveau, tout en rappelant que si Louis est roi, c’est grâce à lui (autrefois, il l’avait fait couronner de force et avait occis les nobles qui s’opposaient à ce couronnement). A la fin, Guillaume trouve lui-même une solution. Puisqu’il n’y a plus de fiefs à distribuer, il ira en conquérir un au détriment des Sarrasins (augmentant du même coup le territoire du roi et celui de la Chrétienté).

Guillaume peut donc être vu comme le vassal idéal. Noble et généreux, il lutte sans arrêt pour son roi et quand ce dernier ne se montre pas à la hauteur de son rôle, loin de le destituer, il s’arrange encore pour accroître son territoire. La chanson de geste pourrait donc être vue comme une apologie de la noblesse, qui doit se montrer respectueuse de l’institution féodale en dépit des faiblesses du suzerain (le roi). En outre, Guillaume n’est pas seulement fort et courageux, il est aussi intelligent puisque c’est par une ruse qu’il parvient à prendre la ville de Nîmes (en appliquant la technique du cheval de Troie)

Mais on pourrait comprendre cette œuvre tout autrement. En effet, elle est pleine d’ironie et doit faire rire les spectateurs qui en écoutent le récit. Ainsi on voit Guillaume entrer dans une colère noire quand il apprend qu’il est le seul à n’avoir reçu aucun fief. Il monte en courant les escaliers du palais et apostrophe le roi qui, à sa vue, se lève (en quoi il sort de son rôle de suzerain, ce qui doit provoquer le rire). A chaque proposition du roi, Guillaume refuse et quitte le palais. Mais à chaque fois il revient et la même scène se reproduit (le roi se lève à son arrivée). Les termes employés sont d’ailleurs identiques :

Voit le li rois, encontre s’est levez,

Puis li a dit : « Guillelmes, quar seez.

-Non ferai, sire dit  Guillelmes le ber,

Mes un petit vorrai a vos parler. »

Dist Looÿs : « Si com vos commandez.

Mien escient, bien serez escoutez

 

Traduction :

L’apercevant, le roi s’est levé à sa rencontre,

puis lui a dit : « Guillaume, asseyez-vous donc.

Non, sire, répond Guillaume le vaillant,

je veux seulement vous dire quelques mots.

A vos ordres, déclare Louis,

à mon avis, vous serez bien écouté.

 

On remarque donc le ridicule de la situation (le roi se lève et obéit aux injonctions de Guillaume). Comme la scène se répète plusieurs fois, elle est franchement comique.  Le roi de France est un personnage ridicule et c’est encore Guillaume qui trouve la solution finale (prendre une nouvelle terre aux sarrasins).

Ce comique de situation, nous le retrouvons plus loin dans le récit. Par exemple, les chevaliers rencontrent un paysan qui revient de Nîmes et ils lui demandent si la cité est bien tenue. Ils veulent savoir si beaucoup de soldats sarrasins en assurent la défense, mais le paysan comprend le terme « tenue » à sa façon et il répond qu’il y a plein de marchandises bon marché à acheter.

Une fois que les chevaliers se sont cachés dans des tonneaux, un des leurs, déguisé en paysan, veut faire avancer les bœufs qui tirent le charriot, mais il n’y arrive pas. Quand enfin ceux-ci se décident à bouger, il les conduit maladroitement dans le fossé.

Enfin, quand les chevaliers français se sont introduits dans la ville de Nîmes, Guillaume, déguisé en marchand, a une conversation des plus comique avec le roi sarrasin, celui-ci faisant allusion à sa propre personne sans savoir qui il a devant lui.

 

Bref, on le voit, le « Charroi de Nîmes » est une œuvre amusante, qui rompt un peu avec le style grandiloquent auquel nous ont habitués des chansons de geste comme la Chanson de Roland. Faut-il donc comprendre qu’elle a été écrite dans le but de se moquer des œuvres antérieures ? Voilà en fait une question à laquelle il est difficile de répondre avec certitude.   

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22/08/2013

Littérature du Moyen-Age

Les peuples ont toujours fait les frais des guerres menées par les grands, cela ne date pas d’hier. Les visées politiques, économiques ou religieuses ne tiennent pas compte des destinées individuelles des gens ordinaires. Voir ici, dans « Le Charroi de Nîmes » (chanson de geste du cycle de Guillaume d’Orange datant du XII° siècle) la manière dont les paysans sont mis à contribution sans ménagement :

 

XXXVI

 

Par le conseil que li baron lor done

Li quens Guillelmes fist retorner ses homes

Par Ricordane quatorze liues longues.

Prennent les chars et les bués et les tonnes.

Li bon vilain qui les font et conjoingnent

Ferment les tonnes et les charrues doublent.

Bertran ne chaut se li vilain en grocent :
Tiex en parla qui puis en ot grant honte,

Perdi les eulz et pendi par la goule.

 

XXXVII

 

Qui dont veïst les durs vilains errer

Et doleoires et coigniees porter,

Tonneaus loier et toz renoveler,

Chars et charretes chevillier et barrer,

Dedenz les tonnes les chevaliers entrer,

De grant barnage li peüst remenbrer.

A chascun font un grant mail aporter ;

Quant il venront a Nymes la cité

Et il orront le mestre cor soner,

Nostre François se puissent aïdier.

 

Traduction de Claude Lachet :

 

 

XXXVI

 

Selon conseil donné par ses barons,

le comte Guillaume fit retourner ses hommes

par la voie Regordane, à quatorze lieues en arrière.

Ils prennent les charrettes, les bœufs et les tonneaux.

Les braves paysans qui les fabriquent et les assemblent

fixent les tonneaux et doublent les atelages.

Peu importe à Bertrand si les paysans grognent :

tel qui protesta en fut ensuite tout honteux,

il perdit la vue et fut pendu par la gorge.

 

XXXVII

 

Ah ! si vous aviez vu alors les rudes paysans se démener,

porter les doloires et les cognées,

lier les tonneaux et les remettre complètement à neuf,

garnir de chevilles et de barres chariots et charrettes,

si vous aviez vu les chevaliers entrer dans les tonneaux,

vous auriez pu vous souvenir d’un grand exploit.

On munit chacun d’un grand maillet

afin qu’à leur arrivée dans la cité de Nîmes,

au moment où ils entendront sonner le cor de leur chef, 

nos Français puissent se tirer d’affaire.


Notons que le Charroi de Nîmes est une chanson de geste particulière dans la mesure où le héros Guillaume utilise une ruse et non pas sa seule force pour s’emparer de la ville (qui dans le écit est supposée occupée par les Sarazins). Il demande à ses chevaliers de se cacher dans des tonneaux qu’il introduit ensuite dans la cité en se faisant passer pour un marchand, imitant en cela le grand Ulysse et son cheval de Troie.


littérature,le charroi de nîmes

17/08/2013

Départ

En ce 15 août, le ciel était gris, chez moi. Puis il s’est mis à pleuvoir. Une petite pluie fine, peu abondante, mais qui vous empêche de sortir et vous gâche la journée. Après le déjeuner, pourtant, le soleil est revenu, pointant son nez entre les nuages qui filaient vers l’est.  Allons, tout n’était pas tout à fait perdu ! J’allais pouvoir faire quelque chose de mon après-midi. Mais là, le nez en l’air pour vérifier que les éclaircies prenaient le dessus, il  a bien fallu me rendre à l’évidence.  Dans ces petits morceaux de ciel bleu, il n’y avait plus rien. Les grands voltigeurs noirs n’étaient plus là. Plus de vols gracieux, plus d’acrobaties, plus de cris perçants, plus de rase-mottes au ras des toits. Les martinets étaient partis, marquant irrémédiablement la fin de l’été.

 

Oh, certes, il  y aurait encore de beaux jours, mais ce ne serait plus pareil. La roue venait de tourner et l’été n’en finirait plus d’agoniser lentement. Il venait d’être frappé à mort et n’aurait plus que quelques soubresauts. Le départ des martinets disait à ceux qui savent entendre que l‘automne n’était plus très loin. 

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21:47 Publié dans Errance | Lien permanent | Commentaires (13)

13/08/2013

Les Barbares

Je suis resté au bord du chemin à les regarder passer.

Ils étaient nombreux, très nombreux, même.

Bottés, casqués, criant, vociférant, ils partaient conquérir Rome, Constantinople ou Jérusalem (peu importe l’endroit, finalement, ces ambitieux ne pensant qu’à s’emparer des capitales du monde).

Ils marchaient, couraient, galopaient, reprenant en chœur des chants guerriers dont les refrains évoquaient la douleur, le sang et la mort.

C’était à celui qui arriverait le premier afin de s’approprier l’or des temples  et de dénuder les dernières vestales.

Assoiffés de richesses et d’honneurs, ils saccageaient tout sur leur passage, ne tolérant pas qu’on pût s’opposer à leur irrésistible ascension sociale.

Ils ont pillé, brûlé, violé.

Ils ont tué, détruit, assassiné.

Quand il n’y eut plus que des cendres là où se dressait notre village, ils sont repartis, plus fiers que jamais, en direction de Rome, de Constantinople ou de Jérusalem.

Et moi, je suis resté au bord du chemin à les regarder passer.

 

litterature

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30/07/2013

La pause continue

Je reviens de vacances, je lis un peu la presse, que j’avais quelque peu délaissée, et je découvre que rien n’a changé. Des attentats en Irak, une guerre en Syrie qui n’en finit pas de finir, des morts en Egypte, entre partisans et opposants des Frères musulmans, et puis des morts par accident (un train en Espagne, un car en Italie). L’actualité est désespérante. Pourquoi en parler ? Quant aux poèmes qu’on pourrait écrire, ils seraient bien trop tristes pour plaire à mes lecteurs. Mieux vaut donc continuer à se taire. 

LE-GRAND-SILENCE.jpg

 

20:12 Publié dans Errance | Lien permanent | Commentaires (14)

11/07/2013

Pause

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