21/10/2011
Pour une définition ontologique de l'homme (fin)
On mettra en avant le fait que dans l’état de nature, l’homme primitif (ou le sauvage dont parlent les voyageurs) est en guerre permanente avec ses semblables. Il aura donc fallu un « contrat » pour créer les sociétés civilisées. En renonçant à une partie de ses droits naturels, l’individu a pu enfin vivre en harmonie avec ses semblables. C’est donc en se donnant des règles qui limitaient sa liberté individuelle que l’homme est sorti de l’état de nature et qu’il s’est définitivement distingué de l’animal (auquel il ressemble tant). Par la Culture, il va réglementer ses besoins primaires (manger et se reproduire). Il va donc élaborer toute une philosophie du travail et de la propriété pour répartir sans heurt les richesses (et du même coup, le pouvoir royal, les Parlements, les tribunaux et la police se trouvent justifiés). A côté de cela, l’institution du mariage va permettre de réglementer le désir, le refus de l’inceste assurant par ailleurs un échange « policé » des femmes (comme disent les anthropologues). La société et ses règles servent donc à assurer la libre circulation des biens et des femmes afin de préserver la paix dans la cité.
D’autres éléments viendront étoffer cette idée d’une « culture » spécifique à l’homme, éléments qui seront capables de le définir (le distinguant enfin définitivement de l’animal). Il y aura par exemple le sentiment religieux et l’ensevelissement des morts. Chaque peuple aurait connu la même histoire. Une fois sorti de l’état de nature, il passerait par une étape théocratique (époque des oracles, de la magie etc.), puis ce serait l’âge des héros (l’aristocratie guerrière) et enfin l’âge des monarchies librement consenties.
Il existe donc entre les peuples une hiérarchie des cultures, depuis les sociétés primitives jusqu’à la France de Louis XIV, hiérarchie qui reflète leurs différents degrés d’évolution vers la Raison. Dès lors, par peur de l’animalité qu’il ressent en lui, l’homme occidental ira jusqu’à rejeter le sauvage du côté de l’animal (ce qui justifiera toutes les persécutions). Pour expliquer pourquoi certains pays sont très évolués alors que d’autres sont encore proches de l’état de nature, on se servira des climats. C’est parce qu’ils n’ont pas eu la chance de vivre dans un climat tempéré, comme celui de l’Europe occidentale, que les habitants du Nouveau Monde sont restés sauvages ou que les Orientaux vivent toujours sous des régimes dictatoriaux.
Mais si la culture que l’homme s’est volontairement donnée est ce qui le différencie de l’animal, on imagine le tollé que provoquera plus tard la théorie du « Bon Sauvage » que développera Jean-Jacques Rousseau. Venir dire que la société corrompt l’homme et que l’état de nature est préférable, c’est littéralement remettre en question la définition de l’homme que l’Âge classique finissant avait eu tant de mal à trouver.
La seule solution acceptable, finalement, pour surmonter cet antagonisme entre l’animal et l’homme sera la théorie de l’évolution. Celle-ci ne niera pas le côté « animal » de l’homme, mais lui rendra sa position privilégiée en le plaçant au somment de la hiérarchie.
Il serait d’ailleurs intéressant de se demander pourquoi ces théories de l’évolution font maintenant partie de notre inconscient collectif. C’est peut-être moins parce qu’elles sont exactes (je ne les remets d’ailleurs pas ici en cause) que parce qu’elles apportent des réponses satisfaisantes à certaines questions qui étaient demeurées longtemps insolubles.
Mais revenons à l’Âge classique. Dire que la Culture définissait l’homme et le sortait de l’animalité, c’était bien. Mais comment expliquer alors que les peuples dits sauvages continuaient d’exister et ne s’étaient pas encore détruits ? Ils n’avaient pas de règles pourtant. Et les animaux alors ? Ils n’avaient aucune règle politique ou morale et pourtant ils ne disparaissaient pas. Pourquoi l’homme civilisé aurait-il dû être le seul dont la survie devait dépendre des règles qu’il s’était données ? Problème insoluble, comme on le voit, que s’empressera de mettre en évidence un Pierre Bayle. C’est Spinoza, cependant, dans son « Tractatus theologico-politicus » qui fera vaciller définitivement cette idée d’un contrat social qui définirait la culture et donc l’homme.
Pour Spinoza, l’état de nature est sans doute barbare, mais on y vit libre. Il ne voit donc pas ce qui aurait amené l’homme à renoncer à sa liberté immédiate dans l’espoir d’un bonheur futur que la société et ses lois lui apporteraient. Non, si l’homme a accepté ce contrat, ce n’est pas par un acte de raison mais simplement afin d’accroître les moyens d’assouvir ses appétits. Autrement dit, la société policée émane des mêmes passions qui régissaient le monde du désir, autrement dit celui de la pure nature. Finalement, vu les lois drastiques que la société impose et vu la tyrannie exercée par beaucoup de pouvoirs politiques, Spinoza en vient à se demander si l’état de culture est fort différent de l’état de nature. En d’autres mots, la belle définition qui permettait de distinguer l’homme de l’animal était une nouvelle fois remise en doute.
Par ailleurs, un autre problème se posait, celui de la diversité des cultures. Si les hommes peuvent être aussi différents d’un pays à l’autre (ils ont d’autres coutumes, d’autres habitudes, d’autres lois, d’autres religions), c’est qu’il n’existe pas une raison unique et universelle, mais une série de possibles que l’éducation reçue par les parents va restreindre à la Raison du pays où on vit. De là il ressort que l’homme ne serait pas unique, mais qu’il y aurait autant de différences entre les hommes qu’entre un homme et un singe. Décidemment, il est bien difficile pour l’espèce humaine de se définir et de sortir de l’animalité…
Après toutes ces interrogations qui ont bouleversé l’Âge classique, le XVIII° siècle des Lumières tranchera finalement pour la science. L’homme n’est peut-être pas un être privilégié voulu par Dieu (version biblique), il n’est peut-être qu’un être perdu dans l’infini de l’espace (rappelez-vous l’angoisse de Pascal devant le vide sidéral), comme l’ont démontré Bruno, Galilée ou Gassendi, mais il est le seul à pouvoir dominer la nature et la transformer. En d’autres termes, l’homme est une sorte de Dieu lui-même puisqu’il est capable d’améliorer son habitat naturel, ce que ne peut pas faire l’animal. On comprend mieux, dès lors tout l’engouement qui se développera pour la science. Outre le fait qu’elle permettait en effet de faire de nouveau de l’homme un être privilégié, elle dressait enfin une barrière infranchissable entre lui et l’animal.
Notons que ces arguments sont toujours ceux que l’on entend aujourd’hui : l’animal ne parle pas et s’il est parfois habile (voir la complexité de construction d’un nid d’oiseau par exemple), il ne construira jamais un avion et n’ira jamais sur la lune. C’est un fait.
En conclusion, j’ai voulu montrer par ce long détour dans l’histoire de la culture que la conception que nous avons des animaux dépend en grande partie de l’époque dans laquelle on vit. Le regard que nous portons sur eux n’est pas objectif, mais dépend en fait de la manière dont l’homme se définit lui-même à l’époque où il vit.
Qui aujourd’hui mépriserait son chien parce qu’il n’aurait pas d’âme ? Qui considérerait que les cris de ce même chien, lorsqu’il est frappé par un bâton, n’auraient rien à voir avec la douleur puisque l’animal n’est qu’un objet mécanique qui ne ressent rien ? Personne évidemment, parce qu’aujourd’hui le statut de l’animal a changé. On a légiféré pour le protéger et les actes de cruauté comme certaines expérimentations médicales ou scientifiques ont été proscrits. Non seulement on ne tolère plus qu’on fasse souffrir un animal, mais même son bien-être doit être assuré (cependant, quand on voit les élevages de porcs ou de volailles…).
Ceci étant dit, peut-on franchir une étape et dire que l’animal éprouve des sentiments ? Sans tomber dans un anthropomorphisme primaire, je crois que oui. Evidemment, tout est une question de degré dans la hiérarchie. On peut supposer qu’un chien ou un singe éprouvera davantage d’affects qu’un poisson rouge ou un verre de terre. Et bien sûr on ne va pas prétendre ici qu’il y a une similitude totale entre les sentiments des animaux et ceux des humains. On ne peut nier, cependant, qu’un chien puisse être triste à ses heures (voire carrément malheureux) et bondir de joie à d’autres. On voit dans son regard qu’il comprend même une certaine forme d’humour. Jouez à cache-cache avec un chien et vous verrez son regard amusé non seulement quand il gagne la partie, mais même quand il la perd et qu’il comprend que vous avez rusé avec lui.
Bien sûr, les animaux ne parlent pas, mais ils se comprennent entre eux pourtant. Et ils savent également se faire comprendre de l’homme. Certes, ils ne disposent pas d’un langage articulé et élaboré, mais il n’en reste pas moins qu’ils communiquent. Si on accepte le fait qu’ils sont à un stade moins évolué que nous dans la chaîne du vivant, cela ne posera pas trop de problèmes pour leur accorder ces facultés. Par contre, si on veut creuser un fossé infranchissable entre eux et nous, cela devient plus difficile à accepter. Mais n’est-ce pas justement le désir de nier l’animal qui est en nous qui nous pousserait à raisonner de la sorte ? La vieille opposition Culture/Nature dont nous avons longuement parlé ici continuerait-elle à nous influencer ?
L’absence de langage articulé entrave forcément l’animal dans la transmission des « connaissances » d’une génération à l’autre et c’est peut-être bien à cause de cette carence qu’il n’évolue pas beaucoup dans ses comportements, se contentant de s’adapter aux changements de la nature, mais ne dominant jamais cette dernière, à l’inverse de l’homme. Pourtant, les conquêtes de l’homme sur cette nature sont-elles toutes bénéfiques ? Le scientisme n’a-t-il pas ses limites ? L’époque technicienne que nous connaissons ne risque-t-elle pas de nous entraîner vers des catastrophes terribles (voir l’incident nucléaire de Fukushima ou le réchauffement climatique). Alors, dire que l’homme est différent de l’animal parce qu’il domine la nature, c’est vrai évidemment, mais est-ce que notre culture elle-même n’a pas ses limites ? L’animal a continué de subir la nature, mais il a survécu. Nous, nous avons décidé de domestiquer cette nature, mais nous comprenons aujourd’hui que nous risquons d’aller trop loin et de disparaître. Il faudrait des garde-fous, mais il n’y en a pas. Le système s’est emballé et plus personne ne le maîtrise (voir les livres de Jacques Ellul). Dès lors, à l’échelle des siècles, qui sera finalement le plus raisonnable ? L’animal qui sera parvenu à survivre ou l’homme qui aura anéanti la planète et lui-même par la même occasion ?
Alors, bien sûr la parole nous distingue de l’animal. L’écrit aussi et encore l’ordinateur. Mais est-ce pour cela qu’il faut dire que cet animal n’éprouve rien et ne ressent rien ? Bien sûr il n’enterre pas ses morts, mais peut-on dire qu’il est toujours indifférent lorsqu’un de ses congénères disparaît (voir les « cimetières » où les éléphants retournent souvent, comme s’ils venaient méditer sur leur destin) ? En fait nous n’en savons rien et dans le doute mieux vaut ne pas prendre position.
Ce qui est certain c’est qu’entre l’être humain et l’animal un « langage » est possible, un langage archaïque sans doute et qui doit remonter à nos propres origines, mais pourquoi vouloir le nier ? Nous autres, citadins, nous aspirons à retrouver la nature. Pourquoi ne pas nous laisser guider par ces êtres qui comme nous partagent la même planète et la même époque ?
Spinoza
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17/10/2011
Pour une définition ontologique de l'homme (2)
Au dix-huitième siècle, on ira encore plus loin dans le raisonnement en affirmant qu’il n’existe aucune frontière et que l’homme n’est finalement qu’un animal comme les autres, ce qui lui fait perdre du même coup son statut privilégié. On a vu que Descartes séparait fondamentalement les hommes des animaux tandis que Bayle, lui, estimait qu’ils étaient tout deux de même nature (même si cette nature était moins évoluée chez l’animal). Cette dernière théorie trouvera son aboutissement ultime avec Julien Offroy de La Mettrie (1709-1751), un philosophe matérialiste et athée qui écrira « L’Homme Machine ». Comme matérialiste, il s’oppose à Descartes. Pour lui, il n’y a pas d’esprit « divin », il n’y a que la matière. Il distingue entre la matière brute (une pierre) et la matière vivante, qui peut se mouvoir ou non. Dès lors, comme athée, il ne peut plus découvrir la spécificité de l’homme dans la spiritualité ou dans une immortalité supposée et il fait donc de ce dernier un simple animal. Ce qui distingue l’espèce humaine des autres espèces vivantes ne repose plus sur une différence fondamentale de nature, mais sur une simple gradation. L’homme est plus évolué parce que son cerveau physique est plus élaboré.
En général, la forme et la composition du cerveau des quadrupèdes est à peu près la même que chez l'homme. Même figure, même disposition partout, avec cette différence essentielle, que l'homme est de tous les animaux celui qui a le plus de cerveau, et le cerveau le plus tortueux, en raison de la masse de son corps. Ensuite, le singe, le castor, l'éléphant, le chien, le renard, le chat, etc. : voilà les animaux qui ressemblent le plus à l'homme, car on remarque chez eux la même analogie graduée par rapport au corps calleux.
Quant au langage, il n’est plus le propre de l’homme. La Mettrie considère que les animaux peuvent échanger des messages entre eux et il n’est pas loin de penser qu’on pourrait apprendre à parler aux grands singes comme l’orang-outan.
Parmi les animaux, les uns apprennent à parler et à chanter; ils retiennent des airs et prennent tous les tons aussi exactement qu'un musicien. Les autres, qui montrent cependant plus d'esprit, tels que le singe, n'en peuvent venir à bout. Pourquoi cela, si ce n'est par un vice des organes de la parole ?
Mais ce vice est-il tellement de conformation qu'on n'y puisse apporter aucun remède ? En un mot, serait-il absolument impossible d'apprendre une langue à cet animal ? Je ne le crois pas.
Je prendrais le grand singe préférablement à tout autre.
Pour La Mettrie, tout être vivant a des sensations et c’est à partir de ces sensations qu’il parvient à penser. Donc, l’animal est capable de sentir ce qui se passe en dehors de lui :
Un être d'une structure semblable à la nôtre, qui fait les mêmes opérations, qui a les mêmes passions, les mêmes douleurs, les mêmes plaisirs, plus ou moins vifs (...) un tel être enfin ne montre-t-il pas clairement qu'il sent ses torts et les nôtres, qu'il connaît le bien et le mal et, en un mot, a conscience de ce qu'il fait ?
La Mettrie élabore donc une théorie selon laquelle il existe une égalité entre les êtres vivants et il récuse l’idée d’une différence d’essence. Si différence il y a, elle est de degré, sans plus. Qu’on soit homme, lion, aigle ou poisson, tous recherchent l’équilibre et le bonheur.
Résumons ce que nous avons développé jusque maintenant. Nous avons vu que selon la Bible l’homme est d’essence différente de l’animal. Cette conception a duré des siècles, d’autant plus que l’animal avait surtout une fonction utilitaire et qu’on n’avait pas trop le temps de se pencher sur ce qu’il ressentait. A l’Âge classique, cependant, de nouvelles questions se posent. Si certains comme Descartes continuent à dire que l’homme est d’essence différente (parce qu’il pense, ce qui renvoie encore à Dieu), d’autres comme Pierre Bayle commencent à en douter. Le point ultime sera atteint avec la Mettrie qui ne verra plus en l’homme qu’un animal.
Pour comprendre ce changement il faut savoir que l’Âge classique, qu’on nous présente toujours comme une période d’équilibre, est en fait un moment crucial pour la pensée.
S'appuyant sur la Bible, l’home s'est cru au centre du monde. Mais des voix se sont élevées pour dire le contraire. Le procès de Galilée n’a pas d’autre motif. A partir du moment où le soleil ne tournait plus autour de la terre mais que c’était l’inverse qui se produisait, cela signifiait que l’homme n’était plus un privilégié élu de Dieu, mais qu’il était un simple animal vivant sur une planète perdue dans l’espace. Galilée se rétractera pour ne pas être brûlé (« Et pourtant elle tourne »), mais d’autres comme Giordano Bruno périront sur le bûcher.
L’Eglise a beau multiplier les procès d’inquisition, d’autres connaissances se font jour qui remettent en doute l’enseignement de la Bible (et donc sa véracité même). Ainsi, des os de dinosaures sont découverts, ce qui remet complètement en question la création du monde telle qu’elle est expliquée dans la Genèse. Sur les hautes montagnes des Alpes, on découvre des coquillages fossilisés à plus de 2.000 mètres. Ces transformations géologiques étonnantes obligent d’attribuer à la terre un âge qu’on n’aurait même jamais imaginé. Enfin, l’étude des chronologies égyptiennes et chinoises (voir les missions jésuites en Chine) achèvent de jeter un discrédit sur la chronologie biblique.
Mais alors, si l’homme n’est pas cette créature unique voulue par Dieu, qu’est-il en définitive ? Un simple animal ? Tant que la religion a conservé suffisamment de puissance et d’autorité, on a pu se réfugier dans cette idée que l’homme était le seul à avoir une âme et donc à être immortel. Mais la religion traditionnelle avait essuyé un sérieux revers avec la Réforme, qui avait sapé une partie de son autorité. Puis voilà qu’apparaissent des penseurs athées, qui réfutent cette idée de l’âme et de l’immortalité. Que restait-il donc alors pour définir la spécificité de l’homme face à l’animal ? Comme si cela ne suffisait pas, les grands voyageurs reviennent avec des récits troublants. Il existerait ailleurs des hommes qui vivent selon d’autres coutumes et d’autres règles, des hommes sauvages, proches de la nature (et donc de l’animal) et qui semblent finalement beaucoup plus heureux que les Occidentaux.
La crise est profonde (voir le remarquable livre de Paul Hazard, « La Crise de la conscience européenne ») et l’homme est obligé de se trouver une nouvelle définition. Dans l’opposition traditionnelle entre nature et culture, il revendique la culture. S’il n’est pas un être privilégié voulu par Dieu, l’homme doit rechercher en lui-même ce qui le différencie des animaux. Ce sera donc la culture et surtout le langage qui détermineront sa spécificité. On a vu que pour Descartes l’animal n’est finalement qu’une simple machine, qui ne peut penser (car s’il pensait, il faudrait lui attribuer à lui aussi une âme immortelle, ce qui ne peut se concevoir). Comme cet argument ne convainc pas beaucoup le parti athée, Descartes doit trouver un autre critère pour définir l’homme. Ce sera le langage. Descartes n’ignorait point que les animaux étaient capables de communiquer entre eux, même sans parole (Pline, Plutarque et Montaigne l’avaient déjà démontré). Il fallait donc aller au-delà de la notion de communication pour définir l’homme et c’est pour cela qu’il avancera la notion de langage articulé. L’homme est le seul être vivant à avoir inventé des signes arbitraires pour les faire correspondre au mode de sa pensée. Certes, le chien aboie et par cela il se fait comprendre, mais l’homme parle.
Le débat semblait clos. L’homme, par le langage arbitraire qu’il avait inventé, appartenait résolument à la culture, tandis que l’animal avec ses cris était irrémédiablement renvoyé à l’état de nature.
Remarquons que sans le savoir Descartes venait de condamner son propre système. En effet, il continuait par ailleurs à soutenir que la pensée, par son côté spirituel, rapprochait l’homme de Dieu. Or comment encore concilier la présence d’un être transcendant qui aurait créé l’homme et la nécessité pour ce dernier d’inventer un signe arbitraire (le langage) pour se définir et se positionner comme fondamentalement différent de l’animal ? Les deux axes de son raisonnement sont contradictoires. Soit on se passe de Dieu et on admet que l’homme se définit par son invention du langage arbitraire, soit on admet Dieu mais alors il faut supposer que le langage n’est pas arbitraire et qu’il est inné chez l’homme, comme le cri l’est par ailleurs chez l’animal. On n’en sort pas et une nouvelle fois la distinction homme/animal pose problème.
Comme si cela ne suffisait pas, voilà que des matérialistes athées comme Gassendi se mettent à parler d’un espace qui serait infini. L’ancienne cosmologie biblique vole définitivement en éclat et avec elle la conception traditionnelle que l’on se faisait de l’homme. Perdu dans l’univers, semblable à l’animal, l’homme se cherche désespérément. D’autant plus qu’il se rend compte qu’il est aussi perdu dans le temps. Avant, il croyait qu’il avait été créé par Dieu pour vivre sur la terre, attendre le jugement dernier et retourner au paradis. Mais voilà que l’Histoire fait elle aussi son apparition et l’homme sent qu’il ne la domine pas. Il pressent par ailleurs une analogie entre lui et les autres êtres vivants (une sorte de continuum qui irait des atomes aux êtres simples, puis des êtres simples aux êtres évolués et enfin de ces derniers aux hommes). On se penche sur ces êtres étranges que sont les truffes, les coraux, les anémones de mer, dont on ne sait pas trop s’ils appartiennent encore au règne végétal ou déjà au règne animal. On pressent une continuité logique des êtres inférieurs jusqu’à l’homme.
Les penseurs chrétiens tentent de réfuter tout cela en soutenant que les différentes espèces sont biens distinctes, que rien ne les relie et qu’elles ont été voulues comme telles par Dieu. Mais les voyageurs font état de ces créatures étranges qu’ils ont rencontrées : orangs-outangs, gorilles, chimpanzés, etc. La ressemblance avec l’homme est si évidente et l’intelligence de ces bêtes tellement incontestable que l’idée d’un continuum entre les espèces s’impose petit à petit. On passerait insensiblement d’une espèce à l’autre, tout aussi facilement qu’on passerait de l’animal évolué à l’homme. Epistémologiquement, nous sommes à une charnière à la fin de l’Âge classique. En effet, tous les anciens critères pour définir l’humanité sont maintenant battus en brèche. La raison, par exemple, ne peut plus suffire pour caractériser l’homme car elle ne serait qu’un des aspects des êtres biologiques qui constituent la grande chaîne du vivant. Tout ce qui est naturel renvoie irrémédiablement au monde naturel. Il faut donc, pour définir l’homme, que celui-ci ait ajouté quelque chose à la nature. Mais dire que l’homme n’existe que par sa culture (forcément arbitraire et variant dans le temps et dans l’espace), c’est le replonger dans le domaine de la contingence. Une telle conception est inacceptable. Il fallait donc réintroduire la nécessité dans cette définition de la culture. Mais comment ?
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13/10/2011
Pour une définition ontologique de l'homme (1)
Dans un précédent billet, la question s’est posée de savoir quel était le statut de l’animal. En effet, un commentateur s’était ainsi exprimé :
« Vous dites à propos de l’animal : « Il aime, il souffre, puis il meurt». Jusqu’à présent je pensais que les sentiments (amour, haine, souffrance…) nous distinguaient de l’animal. »
Tout d’abord, avant d’aller plus loin, je tiens à préciser que dans mon texte je n’avais pas parlé de haine chez l’animal, simplement d’amour et de souffrance, mais ces deux mots-là, j’y tiens, je les revendique et je ne les renie pas.
Ceci étant dit, la question qui se pose est donc de savoir si les animaux peuvent avoir des sentiments comme les hommes ou si au contraire ils en sont démunis. L’air de rien, une réflexion sur ce thème risque de nous entraîner très loin car ce qui est ici en jeu, c’est la définition de l’homme, ni plus ni moins. Ce dernier a bien conscience, quelque part, d’être un animal (il n’est ni une pierre ni une plante), mais il a toujours revendiqué à juste titre un statut particulier. Reste à savoir si ce statut privilégié repose sur une différence de degrés (l’animal ne serait dénué ni d’intelligence ni de sensibilité, mais l’être humain en serait plus généreusement pourvu) ou si au contraire la différence est plus fondamentale (l’animal n’éprouverait ni amour ni sentiment, caractéristiques qui seraient l’apanage de l’homme).
Il est clair que la manière dont l’homme voit l’animal a évolué dans le temps. Si nous remontons aux origines, nous retrouvons les textes sacrés. Selon la Genèse, Dieu a d’abord créé les animaux, puis l’homme (à son image), dont la mission était de commander aux premiers.
Dieu dit: Que les eaux produisent en abondance des animaux vivants, et que des oiseaux volent sur la terre vers l'étendue du ciel.
Dieu créa les grands poissons et tous les animaux vivants qui se meuvent, et que les eaux produisirent
en abondance selon leur espèce; il créa aussi tout oiseau ailé selon son espèce. Dieu vit que cela était bon.
Dieu les bénit, en disant: Soyez féconds, multipliez, et remplissez les eaux des mers; et que les oiseaux multiplient sur la terre.
Ainsi, il y eut un soir, et il y eut un matin: ce fut le cinquième jour.
Dieu dit: Que la terre produise des animaux vivants selon leur espèce, du bétail, des reptiles et des animaux terrestres, selon leur espèce. Et cela fut ainsi.
Dieu fit les animaux de la terre selon leur espèce, le bétail selon son espèce, et tous les reptiles de la terre selon leur espèce. Dieu vit que cela était bon.
Puis Dieu dit: Faisons l'homme à notre image, selon notre ressemblance, et qu'il domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur le bétail, sur toute la terre, et sur tous les reptiles qui rampent sur la terre.
Dieu créa l'homme à son image, il le créa à l'image de Dieu, il créa l'homme et la femme.
Dieu les bénit, et Dieu leur dit: Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et l'assujettissez; et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur la terre.
Fondamentalement, l’homme est donc différent des animaux. D’abord parce qu’il ressemble à Dieu et ensuite parce qu’il a pour mission de dominer le monde animal. La différence est donc à la fois de degré (il est le maître et l’animal est l’esclave) et de nature (il est d’essence quasi divine). Il est clair que c’est son statut particulier qui lui donne le droit de dominer et d’être au sommet de la hiérarchie. Il n’est donc pas seulement un animal supérieur, il est avant tout d’essence différente.
Notons que lorsqu’il est au paradis terrestre, l’homme, qui est à l’image de Dieu, est immortel. Pourtant, à ce moment, il n’a pas toute la connaissance, laquelle est l’apanage de la divinité : « tu ne mangeras pas de l'arbre de la connaissance du bien et du mal, car le jour où tu en mangeras, tu mourras. » L’homme est donc de la même nature que Dieu (immortel et à son image) mais il se trouve dans un degré inférieur de la hiérarchie (il ne peut pas tout savoir).
Plus tard, quand Eve a été séduite par le serpent (symbole phallique ?) et qu’elle a mangé la pomme défendue et en a donné à Adam, tout s’écroule. Le couple prend alors conscience de sa nudité (en quoi il se différencie une nouvelle fois des animaux), autrement dit de sa sexualité. La connaissance qu’il possède maintenant, c’est celle du mystère de la création (fécondation), ce qui le rend en effet semblable à Dieu. Celui-ci s’en irrite fort et chasse le couple du paradis. Les propos qu’il tient ne sont pas anodins :
Il dit à la femme: J'augmenterai la souffrance de tes grossesses, tu enfanteras avec douleur, et tes désirs se porteront vers ton mari, mais il dominera sur toi.
C’est donc bien par cette possibilité de créer (qu’elle vient de se donner en enfreignant l’interdit divin) qu’elle est punie. Certes, elle pourra procréer et donner elle aussi la vie, mais cela se fera dans la douleur.
Sur la ressemblance qui existe maintenant entre l’homme et Dieu, le texte biblique est très clair :
L'Éternel Dieu dit: Voici, l'homme est devenu comme l'un de nous, pour la connaissance du bien et du mal. Empêchons-le maintenant d'avancer sa main, de prendre de l'arbre de vie, d'en manger, et de vivre éternellement.
Dieu chasse donc l’homme du paradis, l’oblige à travailler et surtout lui enlève son immortalité, sans quoi il serait maintenant tout à fait semblable à son créateur.
Revenons maintenant à notre propos initial sur le statut de l’animal. Selon la Genèse, l’homme et l’animal sont donc de nature fondamentalement différente. D’essence divine, possédant maintenant la connaissance, l’homme est un dieu, même si c’est un dieu déchu et mortel. Il a donc tous les droits sur les animaux, qui, étant d’une nature autre, ne peuvent évidemment avoir aucune des caractéristiques de l’homme. On refusera donc à l’animal tout sentiment, tout désir, toute souffrance. L’homme est presqu’un Dieu, l’animal est plutôt un sorte d’objet vivant.
Cette conception biblique va bien entendu être véhiculée par le Christianisme et elle va donc influencer considérablement notre culture.
Remarquons que la position biblique est rassurante. L’homme est le roi de l’univers et tout a été créé pour lui. Ainsi, par exemple, la terre est au centre du monde (c’est le soleil qui tourne autour d’elle) et elle n’a été faite que pour l’homme. De plus, ce dernier a reçu pour mission de dominer la nature et de régner sur les animaux. Il a donc un statut tout à fait à part dans la création. Entre lui et l’animal, il y a un gouffre infranchissable.
Pendant tout le Moyen-âge et finalement jusqu’à l’époque des premières machines mécaniques, l’animal va plus ou moins conserver ce statut. C’est qu’il est d’abord utilitaire, c’est sa première fonction. Le cheval ou le bœuf servent à tirer la charrue, le chat à chasser les souris, le chien à garder la maison ou les troupeaux. Il est aussi un outil indispensable pour la chasse. A la guerre, c’est le cheval qui est irremplaçable. C’est le fameux destrier (le palefroi, lui, est un cheval de parade tandis que le « cabalus » est plutôt une mauvaise monture). Les bœufs, les moutons et les cochons servent comme aujourd’hui d’animaux de boucherie. Par tous ces exemples, on voit donc bien que l’animal est avant tout utilitaire. Il sert à répondre à nos besoins, un peu comme les plantes, en quelque sorte, qui elles aussi servent à nous nourrir ou à nous guérir si elles sont médicinales. Dans un tel contexte, l’homme va pleinement exercer son droit sur l’animal (ce droit qu’il tient de Dieu, ne l’oublions pas). Cet animal il va falloir le dominer, afin qu’il nous obéisse et nous serve au mieux. Impossible d’avoir des sentiments pour cette « machine utilitaire ». A la limite, on pourrait avoir de la colère à son égard si elle se montre rétive ou peu obéissante, mais c’est tout.
Certains animaux sont même considérés comme néfastes dans l’imaginaire collectif. C’est le cas du chat, part exemple, qui est bien utile, certes, pour chasser les souris dans les réserves de blé, mais qui, selon l’Eglise, est lié avec le diable. C’est un être maléfique et le pape Innocent VIII, au XV° siècle, ira jusqu’à encourager le sacrifice de chats lors des fêtes populaires. On les brûlait comme on brûlait les sorcières. A l’opposé de l’homme qui est à l’image de Dieu et qui a une âme immortelle, le chat renvoie à l’Enfer, surtout s’il est noir comme la nuit. Entre l’être humain et cet envoyé de Satan, il faut dresser une barrière infranchissable, celle du feu qui purifie et qui détruit le mal.
Utilitaire ou néfaste, l’animal ne va pas recevoir beaucoup d’affection de l’homme, qui a trop besoin de lui pour sa survie pour aller s’attendrir sur cet être inférieur. Dès lors, on n’imaginerait même pas que l’animal, de son côté, puisse lui aussi avoir un semblant de sentiments. On peut même le battre, il reste insensible.
Cette dichotomie entre l’homme et l’animal est répétée à l’infini car au fond d’eux-mêmes les hommes savent qu’ils sont comme les animaux, des êtres de chair qui vivent, souffrent, se reproduisent et meurent. Il faut donc à tout prix dresser une barrière infranchissable entre ces deux catégories, sinon l’être humain n’est plus rien.
Descartes, par exemple, constate que seul l’homme peut s’exprimer par la parole. Les animaux ne parlant pas, c’est qu’ils ne pensent pas non plus. Ce ne sont pas des « choses qui pensent » mais des «choses étendues», sans plus. Dès lors, l’animal n’est pas non plus sensible ou, s’il ressent quelque chose, c’est par un simple processus mécanique. Si on frappe un animal et qu’il tressaille, recule et crie, ce n’est pas parce qu’il ressent quoi que ce soit, mais par une réaction mécanique (comme les aiguilles d’une montre que l’on a remontées ou comme un aimant qui attire naturellement le fer). L’homme se rapproche de lui par son corps, mais il s’en distingue par son esprit, qui est d’essence divine. L’animal n’étant à la limite qu’une chose, il ne peut avoir d’esprit. Il n’a pas conscience d’être lui-même, il ne parle pas, il n’apprend rien, ne connaît rien et s’il ressent jamais quelque chose, c’est comme un automate.
Pierre Bayle, dans son Dictionnaire historique et critique (1695-1697) prétendra au contraire, contre Descartes, qu’on ne peut établir aucune différence ontologique entre l’homme et l’animal. De plus, les actions des animaux sont tellement complexes qu’elles ne peuvent s’expliquer de façon purement mécanique. Soit ils ont une âme spirituelle, comme les humains, soit ils ont une âme matérielle, laquelle leur permet cependant de penser. En d’autres termes, soit les animaux ont une âme, soit ils n’en ont pas, mais alors les humains non plus.
Là où Descartes assimilait la sensibilité chez l’animal à un simple mouvement physique (ce qui lui permettait de dire que dans le fond l’animal n’était pas sensible), Bayle au contraire estime que les animaux sont sensibles et dès lors il en déduit qu’ils sont également doués de conscience et de raison.
Pierre Bayle
07:00 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature, descartes, bayle
11/10/2011
Rivage
Là-bas, après les montagnes, il y avait une plaine.
Et après la plaine, il y avait une bande de terre avec des bruyères et des joncs.
Derrière les joncs, il y avait une lande, plate et herbeuse, qui s’avançait vers l’horizon.
Au bout de la lande, tout au bout, il y avait une plage, aussi infinie que mes rêves.
J’ai marché et j’ai marché pour savoir ce qu’il y avait derrière la plage.
Derrière la plage, il y avait la mer, qui englobait le monde.
Et derrière la mer, il n’y avait rien.
Rien que la limite de mon rêve évanoui.
Département des Landes (40)
07:00 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature
09/10/2011
Médias (1)
J’ai été frappé, lors du conflit en Libye, de la désinformation systématique de nos grands médias. Qu’on approuve ou qu’on désapprouve l’intervention occidentale contre Kadhafi, peu importe finalement. Ce que je veux souligner ici, c’est que la presse, justement, devrait faire un travail objectif d’information et laisser ses lecteurs ou ses téléspectateurs libres de se faire une opinion.
Evidemment, on se doute bien qu’un article ou une émission sont toujours un peu orientés, ne serait-ce que par l’opinion préalable que le journaliste doit avoir sur les faits qu’il relate (soit que cette opinion est préalable à son reportage, soit qu’il se l’est forgée au cours de ce reportage). Tout cela est humain et normal. Mais alors le journal (ou la chaîne de télévision) devrait avoir l’honnêteté de proposer différentes approches d’un même événement, ce qui n’est manifestement pas le cas.
Dans le cas de la guerre en Libye, on a vu que tous les médias donnaient systématiquement la même version des faits, au point qu’on pourrait légitimement se demander si le but ultime n’est pas de conditionner l’opinion publique et de l’encourager à soutenir ce conflit. Je n’extrapole pas. On connaît par exemple aujourd’hui l’importance de la presse américaine dans le fait que la population étasunienne a accepté l’intervention en Irak. Cependant, parler du passé est certes intéressant, mais ce serait encore mieux si nous pouvions décoder ce qu’on nous dit à la télévision ou ce qu’on écrit dans nos journaux au moment où les faits se passent. Cela nous éviterait de cautionner certaines actions simplement parce que nous ne sommes pas au courant.
C’est pourquoi je voudrais de temps en temps attirer l’attention de mes lecteurs sur la manière dont les médias nous présentent les faits et sur tout ce qui se cache là en-dessous. Comment des journalistes peuvent-ils sciemment déformer des faits et tromper l’opinion ? On veut bien admettre que certains soient corrompus, mais tous ne peuvent pas l’être. Que se passe-t-il donc réellement, quelles pressions exerce-t-on sur eux pour les contraindre à falsifier leurs reportages ?
Pour tenter de répondre à ces questions, j’ouvre donc une nouvelle rubrique intitulée « médias » (voir colonne de gauche) qu’on remplira de temps en temps, selon ce que j’aurai repéré dans la presse et qui me semblera sujet à caution.
Ce qui m’a interpellé aujourd’hui, c’est une émission sur la Palestine (que je n’ai pas vue) diffusée sur Antenne 2 et qui a déclenché une série de protestations au point que le président de France télévisions doit aller s’expliquer auprès de l’ambassadeur d’Israël :
http://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2011/10/09...
On lira également avec profit la réponse que donne un journaliste :
http://blog.france2.fr/charles-enderlin/
Sans commentaires.
15:14 Publié dans Médias | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : médias, désinformation, palestine
05/10/2011
La course contre la montre
La vie est courte et l’on a peu de temps devant soi. On a même peu de temps pour discourir sur le temps qui passe. D’ailleurs parler et réfléchir serait perdre son temps. Mieux vaut aller de l’avant et vivre.
Mais vivre sans penser est un peu ridicule, cependant. Parfois, il faut savoir s’arrêter et prendre son temps, afin de comprendre que le temps passe inexorablement et qu’il nous faut aller bien vite à l’essentiel. Il n’y a pas de temps à perdre, en quelque sorte !
Mais cet essentiel, dans notre vie, consiste en quoi, finalement ?
Une course contre le temps, sans doute. Parvenir à s’affirmer et à exprimer ce que l’on est vraiment. Dans l’absolu, autrement dit hors du temps. « Tel qu’en lui-même enfin l’éternité le change » disait un poète. Il y a très longtemps. Mais lui, il se situait à la fin de la partie, quand la vie s’est arrêtée. Moi je parle de maintenant, de l’instant présent. Je regarde le grand cadran et je vois les aiguilles qui défilent. Elles repassent au même endroit dix fois, vingt fois, mille fois et il ne s’est rien passé. Je n’ai rien fait d’autre que de regarder la fuite du temps. Ce n’est pas malin, j’ai perdu mon temps. Les autres, eux, ne pensent pas au temps qui fuit, mais ils agissent. Ils agissent comme s’ils devaient être immortels et ne se soucient pas du temps. Ou alors de temps en temps, sans plus. Ils agissent, s’enrichissent et sont tout contents. Ils n’ont peut-être pas tort, tant qu’à faire.
Moi, en attendant, je reste des heures à contempler la fuite du temps. Je ne suis pas plus bête pour autant. Je ne fais rien, mais je sais. Je sais qu’un jour ce sera la dernière heure. Et je me dirai que j’aurai perdu mon temps.
Alors il sera trop tard.
Vulnerant Omnes, Ultima Necat.
07:00 Publié dans Errance | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : cadran solaire, temps qui fuit
03/10/2011
Aphorismes (6)
Ce n’est sans doute pas un hasard si, dans nos écoles, les cours d’histoire se limitent à évoquer l’empire romain et celui de Charlemagne (autrement dit les deux seules périodes où toute l’Europe était unifiée politiquement) tandis que les mille ans qu’il a fallu pour que naisse la France actuelle sont passés quasi sous silence.
Le Christianisme s’est cru habile en récupérant les grandes fêtes païennes à son profit. C’était pourtant avouer que sa doctrine était aussi arbitraire que celle qu’il remplaçait.
L’amour fait voir l’autre meilleur qu’il ne l’est en réalité. Heureusement, d’ailleurs.
Le désir que l’on éprouve pour les personnes de l’autre sexe est peut-être la seule constante de la vie.
C’est quand nous sommes amoureux que nous approchons le plus près du bonheur. Pourtant, si on y réfléchit, la nature nous joue encore là un bien sale tour. Elle se moque de notre bien-être personnel et ne recherche en fait que la perpétuation de l’espèce.
Ce sont toujours les loups qui arrivent au pouvoir dans les dictatures. Dans les démocraties aussi d’ailleurs.
Quand on est enfant, on regrette de n’être pas plus grand et quand on est adulte, on regrette son enfance. Plus tard encore, on regrette les deux.
Je n’ai jamais rien compris au péché originel. Du coup, je ne vois pas pourquoi un Dieu devrait mourir pour racheter une faute que je n’ai pas commise.
Plutôt que de venir bêtement mourir sur une croix pour partager notre état mortel, le Christ aurait mieux fait de nous rendre immortels.
Il est des jours, quand je suis coincé dans une foule, où j’envie les anachorètes du désert.
Pour celui qui ne croit pas, la prière n’a aucun sens. Elle ne devrait pas en avoir davantage pour le Chrétien. En effet, s’il aime son Dieu, il devrait accepter le monde imparfait qu’il lui a donné, plutôt que de venir le supplier sans cesse pour en abolir les aspects les plus injustes.
Dans le regard de cette femme croisée dans la rue, J’avais cru voir l’éternité que je cherchais en vain depuis toujours. Ce n’était en fait que l’éternité de mon désir.
Ces femmes que l’on croise et que l’on ne reverra plus jamais ont toujours quelque chose de parfait. Forcément puisqu’on ne les connaît pas.
07:00 Publié dans Actualité et société | Lien permanent | Commentaires (0)
30/09/2011
La ruelle
Il est certain que je suis encore à moitié endormi, le matin, quand je pars prendre mon train pour aller travailler. Heureusement que j’emprunte toujours le même itinéraire et que je ne dois pas trop réfléchir... Non pas que je marche les yeux fermés, tout de même pas, mais c’est un fait que mon esprit travaille au ralenti. Je rêvasse vaguement et tente de me remémorer les songes de la nuit. Ou bien encore je replonge dans les pensées que j’avais lorsque, chez moi, je dégustais ma première tasse de café, pensées que je serais bien incapable de résumer par la suite, à vrai dire. Bref, si je vous explique tout cela, c’est pour dire que je ne fais pas vraiment attention à ce qui se passe autour de moi, tellement je suis plongé dans un état second, quasi hypnotique. D’ailleurs il m’est déjà arrivé de croiser des connaissances sans les saluer, tant je suis ailleurs. Alors, les détails du parcours, vous pensez bien que je n’y suis pas du tout attentif, mais alors pas du tout !
Cela fait pourtant trois ans maintenant que je passe au même endroit chaque matin et que j’emprunte les mêmes rues, mais je ne pourrais vous dire si le boucher a installé une nouvelle enseigne lumineuse ou si le droguiste a repeint sa façade. Non, moi, je poursuis mon chemin et je ne vois rien. La seule chose que je remarque, à la rigueur, c’est la petite boulangère, lorsqu’elle ouvre son volet. Il faut dire qu’elle est vraiment mignonne et que ce serait un crime de ne pas la regarder ! Souvent, elle me lance un regard en coin quand je passe à sa hauteur, mais si j’essaie de lui sourire, elle baisse aussitôt les yeux. Dommage. Je me dis qu’un jour elle finira bien par répondre à mon petit signe et que la vie en sera plus belle. En attendant, je poursuis ma route et je vais prendre mon train. Une fois dans le compartiment, j’essaie de lire un peu, mais souvent je me rendors et j’oublie tout, même la petite boulangère.
Le matin précis dont je veux vous parler était un vendredi 13, je m’en souviens très bien. Tout en marchant comme un somnambule, je me disais que mes collègues allaient encore m’importuner pour jouer au loto avec eux. Qu’est-ce qu’ils peuvent être superstitieux ! Pour un peu ils liraient l’avenir dans les entrailles d’un poulet si d’aventure il leur en tombait un entre les mains. Bref, j’étais déjà fatigué à l’idée de devoir leur dire non. Il me semblait les entendre d’ici : « Un vendredi 13, cela n’arrive pas tous les jours, il faut en profiter ! Le sort sera en notre faveur, c’est certain. Nous allons enfin gagner !» J’en soupirais d’ennui à l’avance. C’est alors que j’ai remarqué que mon lacet était détaché. Je me suis donc penché pour le relacer et c’est en me relevant que j’ai vu la ruelle. Elle n’était pas large, non. Il n’y avait pas plus d’un mètre vingt entre les deux maisons qui la délimitaient. J’ai quand même été étonné car je ne n’avais jamais remarqué sa présence, mais bon, dans mon cas le fait de passer là tous les jours ne voulait rien dire, comme je l’ai déjà expliqué.
Une force mystérieuse me poussait à aller voir ce qu’il y avait dans cette ruelle. J’étais légèrement en avance alors, après une seconde d’hésitation, je me suis aventuré sur les gros pavés disjoints qui couvraient le sol. Après quelques mètres, j’ai été frappé par le grand silence qui régnait ici. Tout était calme, délicieusement calme. J’avais l’impression d’être en-dehors du monde. De part et d’autre du passage, de vieilles maisons s’alignaient, dont certaines avaient encore des colombages, comme au Moyen âge. Des vignes vierges et du lierre montaient à l’assaut des façades et aux fenêtres des pots de géraniums donnaient une touche de couleur qui égayait l’ensemble. Des gens vivaient donc ici, hors du temps et de l’espace des autres hommes. Je les enviais un peu, tant l’endroit était poétique à souhait. Pas de voitures, pas de panneaux publicitaires, pas de bruit, ce lieu était un petit paradis. Comment avais-je fait pour n’avoir jamais remarqué son existence ? Ma distraction me perdra, c’est sûr…
J’ai continué à avancer. Une jeune fille était devant sa porte, occupée à donner un bol de lait à son chat. Elle était vêtue d’une longue robe chamarrée de couleurs vives, à la mode gitane. La scène était touchante et j’aurais voulu avoir mon appareil photographique avec moi pour immortaliser cet instant. Cela ne dura que quelques secondes car quand elle m’aperçut, elle rentra précipitamment chez elle et ferma la porte. Seul le chat me considéra avec méfiance, avant finalement de se sauver en abandonnant son bol. Pas de chance, voilà que je dérangeais l’harmonie des lieux rien que par ma seule présence. Cela m’attrista un peu et une sorte de gêne ou de malaise commença à m’envahir. Bon, je n’allais quand même pas faire demi-tour ! Maintenant que je m’étais engagé jusqu’ici, autant aller jusqu’au bout… J’ai donc poursuivi ma visite.
La ruelle faisait un coude à angle droit et s’enfonçait sous une maison par un long corridor vouté. C’était pour le moins insolite. Quand je me suis retrouvé de l’autre côté, j’ai pris conscience que je ne voyais plus du tout la rue par laquelle j’étais venu. J’étais maintenant complètement coupé du monde et le silence qui régnait ici, plus profond encore que celui de tout à l’heure, avait quelque chose d’angoissant. A vrai dire, je commençais à me sentir troublé et comme pris de vertiges, d’autant que les demeures, ici, étaient bien moins entretenues. Certaines avaient des carreaux cassés et semblaient abandonnées. D’autres avaient des façades qui s’affaissaient sur elles-mêmes et c’était bien un miracle si elles tenaient encore debout. Pourtant, par-ci par-là, de la lumière filtrait à travers les fenêtres. Ces maisons étaient donc habitées ! C’était inimaginable ! L’impression de délabrement avancé qui régnait en ce lieu avait de quoi inquiéter et cela contribuait sans doute à augmenter mon angoisse.
J’ai quand même poursuivi ma route, même si je n’en avais plus trop envie.
Tout au bout de la ruelle, j’ai découvert un vieux puits, avec son seau en bois et sa corde. Pour un peu, je me serais cru dans un tableau de Breughel. Le chat de tout à l’heure se tenait sur la margelle et m’observait attentivement. Sur le pas de sa porte, un vieillard était assis, tenant dans ses mains une tasse de thé. Je le saluai, mais il ne répondit pas. A peine s’il opina d’un vague signe de tête. Même s’il ne faisait rien, je le dérangeais dans ses rêveries, c’était évident. J’allais m’en aller discrètement quand un grand gaillard d’une trentaine d’années sortit d’une des maisons. Costaud, les cheveux sales et en bataille, une barbe de trois jours, des tatouages sur les avant-bras, on n’avait pas trop envie de le fréquenter. Il me lança un regard noir et se dirigea vers le fond de la ruelle, où se trouvaient des clapiers. Il en ouvrit un, saisit un lapin par les oreilles et l’extirpa de sa cage. Ensuite, il s’approcha de la margelle sur laquelle il déposa l’animal, qui se débattait comme il pouvait. Mais l’homme le tenait fermement et il finit par réussir à le soulever par les pattes arrière. Pendue la tête en bas comme elle était, la pauvre bête n’en finissait plus de gigoter. Alors, lentement, sans se presser, l’homme lui asséna un violent coup sur la nuque, derrière les oreilles. Il y eut un soubresaut et puis ce fut tout. Le lapin était mort.
L’homme me regarda de nouveau méchamment, tout en attachant le lapin au-dessus du puits. Puis avec un grand couteau il se mit à le dépiauter. Je regardais tout cela médusé, incapable de bouger. J’aurais dû m’en aller car cette scène de boucherie à six heures trente du matin n’avait vraiment rien de réjouissant. En plus, je me rendais compte que je dénotais complètement dans ce milieu : avec ma cravate et mon porte-documents, c’est moi qui avais l’air idiot, ici. Pourtant, quelque chose en moi m’empêchait de bouger. J’étais comme pétrifié et les brefs regards que me lançait l’homme aux tatouages me paralysaient complètement. Au lieu de faire demi-tour et de rebrousser chemin, je restais là à fixer cette scène comme s’il était agi d’une exécution capitale.
De la sueur commença à me couler sur le visage et dans le cou. Je me sentais mal. J’avais l’impression qu’une force mystérieuse m’obligeait à contempler cette mise à mort et que celle-ci avait quelque chose à voir avec ma propre mort. Ici, dans cette ruelle au bout du monde, il me semblait avoir croisé mon destin. Ce que j’avais toujours su et que j’avais toujours repoussé dans mon subconscient se dévoilait ici au grand jour. Ma vie, un jour s’arrêterait, comme celle de ce lapin, et comme lui mon corps ne serait plus rien, rien qu’un objet inerte, sur lequel tous les sacrilèges seraient permis.
L’homme, lui, ne réfléchissait pas autant. Avec son couteau, il entaillait les quatre membres de la pauvre bête près des pattes, puis, après avoir fait de même autour du cou, il la dépiauta d’un coup. La peau et le pelage s’enlevèrent en une fois, comme un gant qu’on retourne et le pauvre lapin apparut complètement nu, la chair à vif. Je n’en finissais plus de regarder cette scène, complètement abasourdi. L’homme entaillait maintenant profondément le ventre de l’animal et il en extirpait tous les viscères, le cœur, le foie, l’estomac, tous les intestins… Tout cela tomba tout en bas dans le puits avec un grand « plouf » qui me fit tressaillir. C’était horrible.
Quand il eut fini, l’homme emporta ce qui restait du lapin, laissant sur la margelle la peau ensanglantée. Quand il passa près de moi, il me jeta une nouvelle fois un de ses mauvais regards , puis il rentra chez lui en faisant claquer la porte. Je ne savais plus que faire. Il aurait fallu s’en aller, mais j’étais comme paralysé. Je me souviens d’avoir alors regardé dans la direction du vieillard, dans l’espoir de trouver un peu de réconfort, mais il n’y avait plus personne. Il avait disparu.
Je me suis demandé pendant quelques instants si je n’avais pas rêvé tout cela, mais en m’approchant du puits je vis la peau du lapin, déposée là comme un vulgaire chiffon. Je ne pouvais donc plus douter. Comme malgré moi et malgré la répugnance que ce geste provoquait en moi, j’approchai ma main… Plus près, encore plus près, jusqu’à toucher la peau nue et ensanglantée. Elle était encore chaude et j’ai poussé un cri d’horreur, puis j’ai ressenti comme un coup terrible derrière la tête et je me suis vu tomber à terre. Après plus rien. Le trou noir.
Quand je suis revenu à moi, le soleil brillait par-dessus les maisons. Je me suis levé péniblement, en me tenant à la margelle du puits et j’ai regardé autour de moi : il n’y avait que des maisons à l’abandon. Pas de vieillard sur le pas de sa porte, pas de clapiers dans le fond, pas de peau de lapin sur la margelle.
Je frissonnais, je tremblais, je n’en pouvais plus. Encore un peu et j’allais faire un autre évanouissement. Il ne fallait pas rester là. Je sentais la mort, elle n’était pas loin. Je suis donc reparti en direction de la rue. J’ai retraversé le petit passage sous la maison et me suis retrouvé dans la première partie de la ruelle. Il n’y avait rien ici, à part deux grands murs gris aux blocs disjoints. Plus de maisons, plus de lierre, plus de géraniums aux fenêtres, plus de jeune fille donnant à manger à son chat.
Je tremblais de plus en plus. Incapable de réfléchir, je me mis à courir, afin de sortir d’ici au plus vite. Enfin, je suis arrivé dans la rue et j’ai poussé un beau « ouf » de soulagement. J’ai épousseté mes vêtements comme j’ai pu, puis j’ai repris mon chemin vers la gare. Quand je suis arrivé, la grande horloge du fronton marquait midi. Midi ! Comment cela était-il possible ?
Au bureau, je n’ai pas beaucoup travaillé. J’avais un mal de tête terrible et les lettres que j’essayais péniblement de rédiger n’avaient aucun sens. J’avais beau aligner les mots, quand je me relisais cela ne voulait rien dire du tout. A quatre heures, éreinté, je suis rentré chez moi. J’ai repris mon train dans l’autre sens, mais une fois arrivé dans ma petite ville de banlieue, j’ai pris un autre itinéraire. J’avais peur, oui, peur, de repasser encore une fois devant cette fameuse ruelle.
Le lendemain, il a bien fallu pourtant. C’était le chemin le plus court pour aller à la gare et je ne pouvais pas me permettre d’arriver encore une fois en retard. Courageusement, je me suis donc dirigé vers l’endroit fatidique, les dents un peu serrées, je l’avoue. La petite boulangère qui ouvrait son volet m’a regardé en coin, comme d’habitude, mais en voyant que je ne lui souriais pas, elle a eu un air surpris, peut-être même était-elle déçue. Tant pis ! C’est que moi je ne pensais qu’à ma ruelle…
Arrivé au même endroit que la veille, j’ai bien regardé. D’abord à gauche, puis à droite. C’était à n’y rien comprendre ! Il y avait bien une rangée de maisons, mais c’était tout. Entre les deux façades (et je les reconnaissais parfaitement), il n’y avait rien. Absolument rien. Avais-je rêvé tout cela ? Pourtant, en portant la main à la tête, j’ai touché un endroit douloureux. C’était bien là que je m’étais fait mal hier en tombant évanoui. Et puis la nuque aussi était douloureuse, comme si j’avais reçu un coup. Le même coup que le lapin, peut-être ? Je ne savais pas, je ne savais plus.
J’allais repartir quand je l’ai vu !
Là, sur le trottoir, le long de la façade d’une des maisons, un chat buvait un bol de lait. Quand je suis passé près de lui, tout tremblant, il m’a regardé attentivement. Moi, je n’ai pas osé me retourner et bien vite je suis allé prendre mon train.
07:00 Publié dans Prose | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : litterature
28/09/2011
Le chasseur
Un fauve tigré court dans la jungle.
Voilà qu’il se coulisse dans la savane, se dissimule et finit par se tapir, immobile.
Les hautes herbes sont plus hautes que lui. On le distingue à peine.
En chasseur féroce, il guette sa proie. Sera-ce une gazelle, une antilope ou quelque buffle aux grandes cornes ?
Le voilà qui bondit, preste pour tuer.
Mais le coup est raté. La souris s’est sauvée. Honteux, le chat tigré revient à la maison par le sentier, dédaignant cette fois l’herbe de la pelouse.
07:00 Publié dans Prose | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature
26/09/2011
Aphorismes (5)
On travaille pour vivre et puis on finit par vivre pour travailler.
Les enfants sont encore si près du moment de leur création qu’ils conservent en mémoire l’image de l’impossible.
Dire que j’aurais pu naître dans le corps d’un chien ou d’un oiseau. Mes pensées, sans doute, auraient été fort différentes. Mais qu’est-ce que cela aurait changé sur le plan de l’univers ?
Le jour, on s’agite, on vaque à ses occupations. Mais la nuit, il suffit de lever la tête vers le ciel pour découvrir tous ces mondes où nous n’irons jamais. On se sent alors emporté dans le grand vide sidéral et on se demande quel sens cela peut bien avoir.
Il existe des étoiles qui sont éteintes depuis plus de mille ans déjà quand leur lumière nous parvient. On se dit alors que tout ce que nous voyons n’est finalement qu’illusion.
Ces étoiles mortes sont à notre image : un bref éclat dans la nuit noire. Et puis plus rien.
Il y a dans les yeux de certains chiens un monde de bonté qu’on serait bien en peine de trouver ailleurs.
L’animal est comme nous, un être vivant perdu dans l’abîme intersidéral. Il aime, il souffre, puis il meurt. La seule différence, c’est qu’il ne sait pas écrire.
La musique est comme une porte ouverte sur un autre monde. Un monde qui s’articule autour du silence.
La peinture, elle, fige le temps dans un moment d’éternité.
L’araignée semble si fragile, pendue à son fil. Pourtant c’est un prédateur redoutable. Un peu comme l’homme, quoi.
On se demanderait bien pourquoi l’espèce humaine est la seule dont la population s’accroit sans cesse, au point de mettre la planète en danger. Les autres espèces, elles, disparaissent lentement mais inexorablement.
Quand homo sapiens aura rayé de la terre tous les animaux, continuera-t-il encore à se multiplier à l’infini, courant ainsi à sa propre perte ?
La croyance dans le progrès, telle que l’homme des Lumières la concevait, est sans doute ce qui est en train de nous détruire.
07:00 Publié dans Actualité et société | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : aphorismes
21/09/2011
Automne
Automne,du latin « automnus ». Mot probablement d’origine étrusque, mais les Romains avaient fini par le confondre avec le verbe « augere », croître, augmenter. C’est que l’idée première était bien positive, celle d’une saison où l’on engrangeait les récoltes, où la terre donnait en abondance fruits et légumes et récompensait ainsi les hommes du mal qu’ils s’étaient donné au printemps pour labourer. Jusqu’au XII° siècle, on employait d’ailleurs le terme « gain » (temps de la récolte) et pas notre mot « automne », qui est en quelque sorte emprunté tel quel au latin au XIII° siècle, dans un premier temps toujours avec cette idée de récolte, puis progressivement avec celle de déclin.
« Gain » , déverbal de gagner (gaigner) désignait bien ce que l’on gagne et s’appliquait donc à la saison qui suit l’été (voir aussi le « regain » si cher à Jean Giono), caractérisée par son abondance.
Les dictionnaires ne nous disent pas pourquoi on est passé de ce sens positif à celui négatif de déclin, de mort annoncée. Là où les hommes de l’Antiquité et du Haut Moyen-âge ne voyaient que récompense ou don gratuit, ceux qui les ont suivis n’ont plus vu que l’idée de mort lente. Les mentalités avaient-elles changé ? Le Christianisme culpabilisateur avait-il fait son œuvre ? Le climat du Nord de la Gaule, si différent des hivers romains cléments explique-t-il cela ? C’est l’histoire de la bouteille à moitié vide ou à moitié pleine en fait. Les Anciens regardaient derrière eux et voyaient dans l’automne le résultat concret de leurs efforts antérieurs tandis que leurs successeurs avaient déjà les yeux tournés vers l’hiver qui s’approchait inéluctablement.
Il est vrai que la chronologie antique était cyclique : de même que les saisons revenaient d’année en année, l’Histoire elle-même était circulaire, chaque civilisation passant régulièrement par un Age d’or suivi de périodes plus sombres. Dans le Moyen-âge chrétien, au contraire, le temps est devenu linéaire. Dieu a créé l’homme et celui-ci doit vivre sur terre un certain nombre de siècles avant la fin du monde et le grand jugement de l’Apocalypse. L’être humain n’est plus que de passage en quelque sorte et il a les yeux tournés vers sa mort prochaine. Il voit donc dans l’automne l’annonce de cette fin qui s’approche et il la souhaite autant qu’il la redoute. Comme Chrétien il espère en finir au plus vite avec cette vie terrestre et il aspire au Royaume de Dieu, mais comme être humain, évidemment, il voit avec angoisse approcher sa propre fin. Dans tous les cas, il ne voit plus dans l’automne que le commencement d’un déclin inéluctable et plus du tout cette saison belle, aux couleurs chatoyantes, qui remplit nos greniers et nous empêche de mourir de faim une fois l’hiver venu.
Photo personnelle
07:00 Publié dans Langue française | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : automne, étymologie
20/09/2011
Cheminement
Un jour, j’ai quitté ma maison, sur la colline, et j’ai parcouru le monde.
J’ai dit adieu à ma forêt profonde, pourtant si belle…
Au printemps, je m’y promenais souvent, cherchant des rêves improbables.
L’été, lors des fortes chaleurs, elle offrait comme un refuge de paix et de mystère et à l’automne, on entendait bramer les cerfs, dans les longues nuits qui suivent l’équinoxe.
J’ai dit adieu à mes ciels brouillés, chargés de pluie et où le vent pousse les nuages comme des troupeaux en déroute.
Je suis parti sur les chemins sans même me retourner, tant j’étais heureux de marcher vers l’horizon et de connaître enfin ce qu’il y avait de l’autre côté de ma colline.
J’ai donc marché, beaucoup marché.
Des jours et des jours, des nuits et des nuits.
Quand j’étais trop fatigué, je pénétrais dans des granges inconnues et je m’endormais là, parmi la bonne odeur de la paille. Parfois, dans l’ombre, perché sur une poutre, un chat m’observait, Sphinx éternel qui avait traversé tous les âges. Statue de pierre immobile, il demeurait là, tandis que dans ses prunelles brillait encore l’éclat antique des divinités du Nil.
Je partais le matin dans l’aube froide et mes pas se perdaient dans les premiers brouillards. Personne, jamais, ne remarquait ma présence.
J’ai marché ainsi pendant des semaines, jusqu’au moment où je suis arrivé dans une grande ville.
J’ai demandé quel était son nom. On ne me l’a pas dit, mais on m‘a répondu qu’il n’y avait nulle part de ville aussi grande. J’étais arrivé, parait-il, dans la capitale du monde.
J’ai franchi ses trois murailles et les grandes portes aux herses de fer et je me suis retrouvé parmi la foule. Ca criait, gesticulait, maugréait, tempêtait. Personne, ici, n’avait l’air d’accord.
Pendant trois jours et trois nuits j’ai observé. Je ne disais rien.
J’ai vu des gens se voler, s’insulter ou se tuer. J’ai vu des juges au manteau d’hermine rendre sur la place publique des jugements iniques et des prêtres exaltés vendre des traités de folle espérance. J’ai vu les soldats du prince occire la foule des opposants et le prince lui-même parader dans des carrosses tout en or. J’ai vu des innocents qui pendaient encore à leur gibet et que la pluie avait « débuez et lavez et le soleil dessechez et noirciz. » J’ai vu des femmes mourir dans les douleurs de l’enfantement, tandis que d’autres se vautraient dans le lit des puissants. J’ai vu tout cela et bien d’autres choses encore, comme la Cour des Miracles , les tours de Notre-Dame et la belle Esmeralda, attachée nue sur son bûcher.
Après trois jours et trois nuits je n’en pouvais plus de tous ces gens civilisés. J’étais d’un autre monde !
Sans rien dire, j’ai repris la route et je suis rentré chez moi. Sur sa poutre, le chat m’attendait dans la grange et au cœur de l’immense forêt, les cerfs bramaient déjà, exprimant tous leurs désirs inassouvis. Je suis monté au sommet de ma colline et je le ai écoutés la nuit durant, puis j’ai ouvert mon huis et je suis entré dans ma maison pour ne plus en ressortir.
Dehors, l’ombre immense des arbres n’en finissait pas de progresser sous la lumière de la pleine lune.
07:00 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature
18/09/2011
Presse censurée (suite)
On apprend, via un article du Monde, que Denis Olivennes se trouvait parmi les invités du président Sarkozy lors de son petit voyage éclair à Tripoli. Or, qui est Denis Olivennes ?
Il est le fils d’Armand Olievenstein et a occupé de nombreuses fonctions. Ancien auditeur à la Cour des Comptes, conseiller dans différents cabinets ministériels socialistes, on le retrouve à la tête d’Air France, de Canal+ (indemnité de départ de 3,2 millions d’euros), de la FNAC (ironie du sort, l’'immeuble occupé par la Fnac Wagram, dans le XVIIe arrondissement, appartient à Kadhafi), avant de passer au Nouvel Observateur puis à Europe 1. En 2011, il devient directeur du Pôle information du groupe Lagardère.
Comme socialiste, il a lutté pour que ce parti se rapproche du centre et lors des élections de 2007 il a préconisé une alliance avec l’UDF.
Il est aussi à l’origine du rapport qui a débouché sur la Loi Hadopi (contrôle d’Internet).
Notons enfin qu’en 2009, il a été critiqué par la société des rédacteurs du Nouvel Observateur (qui souhaitait conserver son indépendance par rapport à la direction du magazine) parce qu’il avait consacré à Nicolas Sarkozy un entretien de huit pages manifestement trop complaisant.
Et voilà qu’on le retrouve aujourd’hui à Tripoli à la droite de Sarkozy, alors que par ses fonctions il est capable de noyauter une grande partie de la presse. Rien d’étonnant, donc, à ce qu’on ne nous parle pas beaucoup des bombardements intensifs qui ont lieu en ce moment sur Syrte et Bani Walid, ni sur le climat de terreur qui règne à Tripoli. Forcément, ce serait avouer qu’une guerre civile vient de commencer. En effet, tant qu’ils étaient dans l’Est, les « rebelles » n’avaient à se battre que contre l’armée de Kadhafi, la population leur étant globalement favorable. Mais maintenant, il s’agit de conquérir le territoire des tribus qui sont restée fidèles à l’ancien dirigeant. Il en va donc tout autrement. Tout homme en âge de se battre, tout adolescent, attend les envahisseurs une arme à la main. L’OTAN n’a donc plus d’autre solution que de bombarder et de bombarder pour soutenir l’avancée des rebelles (pardon, des hommes du CNT, reconnu par l’ensemble des nations ou presque comme le seul régime légal de la Libye). Mais à partir du moment où la moitié d’un pays combat l’autre moitié (avec une aide étrangère), je n’appelle plus cela une révolution populaire contre un dictateur mais tout simplement une guerre civile.
Bon, et moi qui avais dit que je ne reviendrais plus sur ce thème de la Libye... Cette fois, c'est promis, je me tais.
00:44 | Lien permanent | Commentaires (0)
15/09/2011
Presse censurée
Bon, je sais bien que j’avais dit que je me tairais au sujet du conflit en Libye, mais c’est plus fort que moi, il faut encore que je rajoute un mot.
En fait, suite à ma question sur le rôle de la presse dans ce conflit et la manière honteuse dont elle a déformé les événements, j’ai peut-être trouvé un élément de réponse.
Michel Collon, ce journaliste indépendant sans lequel nous n’aurions rien su sur ce qui se passait là-bas, publie dans son blogue un article de Cédric Rutter, lequel nous renvoie à un article du Nouvel Observateur que je vous invite à lire :
http://tempsreel.nouvelobs.com/actualite/monde/20110914.O...
Et tant que vous y êtes, vous pouvez aussi lire celui-ci :
http://tempsreel.nouvelobs.com/actualite/carnets-de-libye...
Visiblement, les journalistes du Nouvel Obs semblent avoir mal supporté la censure dont ils ont été victimes.
23:06 | Lien permanent | Commentaires (2)
14/09/2011
Presse et démocratie
Il est inutile de continuer à parler ici de la situation en Libye. La pièce est terminée, il n’y a plus rien à dire. Les grandes puissances qui ont été à l’origine de cette guerre peuvent maintenant dépecer le pays, lui voler son pétrole et confisquer à leur profit les milliards que l’Etat libyen avait amassés à l’étranger. Une partie de cet argent servira à reconstruire la Libye. Officiellement, on dira que l’Europe et l’Amérique rendent au peuple opprimé les sommes que le dictateur Kadhafi leur avait volées. Ceux qui voient clair diront qu’une partie seulement des avoirs de l’Etat libyen vont retourner dans ce pays (le reste sera confisqué comme trésor de guerre) Encore faut-il préciser que la population n’en verra pas la couleur car cet argent servira à reconstruire tout ce que l’Otan a détruit avec application et méthode, toutes ces cibles qui ne ressemblaient pas forcément à des objectifs militaires. (centrales électriques, châteaux d’eau, etc.) Et qui va reconstruire cela ? Les entreprises françaises, pas les libyennes, évidemment. Si vous êtes cyniques, vous me direz qu’au moins cela donnera du travail à notre belle jeunesse qui végète au chômage à cause de la crise. Ne vous faites pas trop d’illusions ! On dit que Bouygues est le premier sur la liste pour aller proposer ses services en Libye. Il partira avec trois ingénieurs et deux architectes et il embauchera sur place une main d’œuvre bon marché. Trop de gens ont tout perdu là-bas pour ne pas accepter un salaire de misère.
En clair, le peuple français a payé une guerre qui a appauvri le peuple libyen, une guerre qui va juste permettre à quelques privilégiés (français comme libyens) de s’enrichir honteusement.
De son côté, Sarkozy espère maintenant vendre enfin ses Rafales aux nouveaux dirigeants. S’il y parvient, il fera d’une pierre deux coups. Il fera plaisir à ses amis milliardaires qui fabriquent les avions et il aura sur le sol africain une armée amie prête à défendre ses intérêts si besoin était (ou les intérêts de l’Otan).
Bref, ne parlons plus de la Libye. Je suis fatigué et écœuré de tout cela. Sans compter que l’Histoire continue. C’est la Syrie qui est maintenant dans le collimateur, puis l’Iran suivra, évidemment. L’Histoire se répète et la population occidentale, comme un troupeau de moutons, suit aveuglément en bêlant de joie devant toutes ces démocraties enfin rétablies.
Ce site se voulait un site littéraire, mais chaque fois qu’un grand événement se produit (l’avènement de l’empereur Sarkozy 1er, la guerre de Gaza, l’invasion de la Libye), je ne peux m’empêcher de me révolter et de tempêter. Cela ne sert pourtant à rien. La preuve est là : la Libye est maintenant un pays exsangue où se commettent des atrocités finalement plus horribles encore que celles commises par Kadhafi (comme en Irak, comme en Afghanistan, nous connaissons cela par cœur). Pourtant, ne rien dire aurait été lâche car cela aurait signifié un accord tacite (« Qui ne dit mot consent ») ou à tout le moins une résignation coupable.
Mais bon. Crier ne sert à rien, on le voit bien. Et même quand les peuples se soulèvent spontanément, comme en Egypte ou en Tunisie, les résultats obtenus sont bien en-dessous des résultats escomptés.
Bref, je me lasse de parler tout seul dans le désert. Pourtant, dans mon indignation, j’avais même publié l’article sur la Libye qu’on a pu lire ici dans différentes revues en lignes :ici, là et puis là. Cela a provoqué pas mal de commentaires et je m’en réjouis, mais en gros je n’ai convaincu que des personnes qui pensaient déjà comme moi au départ.
Bref, le moment est donc venu de se taire sur ce sujet et de revenir à la littérature. Car finalement il faut vivre aussi pour soi (la vie est courte) et on ne peut pas indéfiniment dénoncer toute la misère qui règne dans le monde, surtout quand il y en a de plus en plus. Mahmoud Darwich, le poète palestinien qui était devenu célèbre auprès des siens pour avoir écrit quelques poèmes à connotation politique, l’avait bien compris. A un moment donné, il s’est tu et a renoncé à fustiger l’occupation israélienne pour se concentrer sur la seule poésie. Il a alors écrit sur la Palestine (« le pays de ma mère ») avec une sensibilité qui a sans doute fait plus pour dire la beauté de ce pays volé à ses habitants que tous les discours politiques.
Juste une question, avant d’en terminer. Une question qui me tracasse et à laquelle je n’ai que des réponses partielles. Vous savez que la démocratie repose sur quelques principes de base, comme la séparation des trois pouvoirs (législatif, exécutif, judiciaire) mais aussi sur la liberté de la presse. Un pays libre est un pays où la presse peut s’exprimer et où les journalistes peuvent dénoncer tout ce qui leur semble digne de l’être. C’est d’ailleurs un des points qu’on reprochait à Kadhafi : avoir nationalisé la presse, la radio et la télévision afin de ne diffuser qu’un discours officiel, qui ne risque pas de nuire au régime en place. Or, concernant cette guerre qui s’achève, la relation médiatique qui en a été faite semble pour le moins partiale, si pas complètement orientée. La presse dans son ensemble a toujours tenu le même discours : d’un côté un tyran sanguinaire qui massacre sa population et de l’autre des pays épris de démocratie qui viennent protéger un peuple opprimé. Les images qu’on nous a montrées sont venues renforcer ce discours.
Et pourtant…
Et pourtant, si on en croit quelques journalistes indépendants, la réalité était tout autre. Les premiers, ils ont douté que les personnes de race noire qu’on leur a montrées étaient des mercenaires. Les premiers ils ont souligné le côté hétéroclite de la coalition (communistes, anciens royalistes, musulmans intégristes) et ils ont insisté sur ses divisions. Les premiers ils ont parlé d’exactions lors de l’avancée des troupes du CNT et enfin, les premiers, ils ont dénoncé le rôle de l’Otan qui, loin de protéger la population contre l’armée de Kadhafi (voir résolution de l’ONU) se livrait à des bombardements aveugles, visait des cibles civiles et détruisait systématiquement toute l’infrastructure du pays. Enfin, ces mêmes journalistes indépendants ont dénoncé les massacres et les règlements de compte qui se produisaient chaque fois que les troupes rebelles s’emparaient d’une ville.
Avons-nous pu lire dans nos journaux ou entendre sur nos antennes de semblables discours ? Nullement. Pourtant les grands médias avaient eux aussi envoyé leurs journalistes sur place. Ils ne peuvent pas être tous incompétents. Ils ont dû voir des choses (ou alors ils sont restés dans leur chambre d’hôtel et se sont contentés de recopier les comptes-rendus officiels qu’on venait leur apporter). Ils ont dû dénoncer les exactions (à moins qu’ils se soient censurés eux-mêmes pour conserver leur emploi). Or nous n’en avons rien su. Pourquoi ?
Ne me dites pas que ce sont les journalistes indépendants qui ont menti. Depuis, des organismes comme Amnesty international ou d’autres ont confirmé leurs dires : massacres de population noire par les rebelles, exactions, viols, exécutions sommaires, pillages, etc. Quant à l’Otan il continue de bombarder systématiquement le fief de Kadahfi, faisant forcément de nombreuses victimes innocentes parmi les civils, ce qui est bien contraire à la mission de protection de la population que l’ONU lui avait confiée.
Depuis, on sait que les dirigeants de la coalition ne sont pas tous recommandables et que derrière tout ce conflit il y a une question de gros sous (contrats pétroliers juteux, reconstruction, privatisations de pans entiers de l’économie libyenne, importance accrue du FMI auprès des pays d’Afrique, qui ne pourront plus compter sur l’aide financière de Kadhafi, projet d’une base militaire de l’Otan en Afrique du Nord, etc.).
Mais il est trop tard. Le mal est fait en quelque sorte. La population occidentale prend conscience après coup que la réalité n’était pas aussi rose que ce qu’on lui avait dit. Comme en Irak et en Afghanistan, elle est mise devant le fait accompli. Après, elle se résigne et oublie. Qui, aujourd’hui, va se lever pour dire que Sadam Hussein (indépendamment de tout ce que l’on peut penser du personnage) n’avait pas d’armes de destruction massive ou que s’il en avait (voir les bombardements « chimiques » de certains villages kurdes), elles lui avaient été fournies par les Américains eux-mêmes afin qu’il s’en serve contre les Iraniens ? Personne ne va se scandaliser de cela aujourd’hui puisque c’est une vérité que tout le monde connaît maintenant.
Et bien, en Libye, c’est le même mensonge médiatique qui a permis (et qui a même justifié) une guerre coloniale.
Alors ma question est la suivante : comment cela est-il possible ? Comment notre presse, gardienne de notre démocratie, peut-elle s’avilir en s’acoquinant ainsi avec le pouvoir ? On dirait qu’elle reçoit ses ordres de ce pouvoir dont elle est supposée dénoncer les exactions.
Il est vrai que les grands groupes de presse ont été rachetés par des personnes puissantes, plus ou moins les mêmes que celles qui sont impliquées dans tous ces conflits. Ceci explique peut-être cela.
Reste à savoir, dans ces conditions, si nous sommes encore en démocratie. En effet, les mensonges manifestes de notre presse officielle doivent nous amener à nous poser des questions. Notre régime politique, fondé sur la liberté individuelle et la transparence n’est-il pas tout doucement en train de se rapprocher de ces régimes dictatoriaux qu’il s’enorgueillit tant de combattre ?
21:21 Publié dans Actualité et société | Lien permanent | Commentaires (10)
11/09/2011
Petit essai d'économie politique (fin)
Je disais donc que les citoyens, bousculés par la mondialisation de l’économie et ses principes fort peu humains, en viennent à souhaiter que les Etats conservent leur rôle protecteur. Car que se passera-t-il le jour où tout, absolument tout, sera privatisé ? Il faudra alors souscrire des contrats auprès des compagnies d’assurances (dont on connaît les tarifs onéreux) pour tenter de se faire rembourser une petite partie des frais médicaux ou pharmaceutiques. Il faudra cotiser toute sa vie auprès d’une banque privée pour avoir droit à une retraite décente (mais comment abandonner quasi un tiers de son salaire ? Et que se passera-t-il si cette banque fait faillite ?) Quant à la législation sociale, elle aura disparu et le patronat pourra exiger tout ce qu’il voudra. Ne lui jetons pas la pierre, d’ailleurs, car il sera contraint et forcé d’agir de la sorte pour répondre aux exigences des actionnaires qui auront pris les commandes des entreprises.
Bref, je discutais de tout cela l’autre jour dans un parc avec une connaissance. C’est alors que mon attention a été attirée par un homme qui somnolait sur un banc. Il n’avait pas (encore) la mine d’un clochard mais son teint basané le trahissait. C’était sans doute un de ces nombreux réfugiés politiques (mais ce sont en fait généralement des réfugiés économiques) à la situation précaire que l’on trouve dans nos villes. Je ne sais comment la conversation s’engagea, mais nous comprîmes tout de suite que cet homme n’avait pas perdu un mot de notre conversation. « Le problème », dit-il, « c’est que les riches qui dirigent le monde veulent de plus en plus d’argent. » Nous étions assez d’accord avec lui et par curiosité nous lui avons demandé comment cela se passait dans son pays, ce pays qu’il venait de quitter.
« Chez moi », dit-il, « c’est fort différent. J’étais fonctionnaire et l’Etat m’avait accordé une maison de fonction. Après cinq années, elle était à moi. Oh, elle n’était pas neuve et il y avait tout de même quelques travaux à faire, mais c’est l’Etat, une nouvelle fois, qui a tout pris ne charge. Evidemment, quand j’ai voulu agrandir, j’ai dû faire un emprunt, mais le taux n’était pas bien élevé » ajouta-t-il en souriant.
« Et il était de combien, ce taux ? » demandâmes-nous intrigués. « Ben, de zéro pour cent, on ne pouvait pas faire mieux. »
Nous le regardâmes un peu étonnés. Zéro pour cent ? Non, ce n’était pas beaucoup, en effet… Suspicieux, nous avons commencé à le dévisager. Que venait faire chez nous ce fonctionnaire, s’il vivait dans un tel paradis ?
« Oui, c’est vrai qu’ici, en Europe, c’est fort différent » continua-t-il. « J’en sais quelque chose. Au début, quand je suis arrivé, j’ai loué un tout petit appartement, que je payais avec les économies que j’avais apportées. Mais l’argent s’est vite volatilisé. C’est qu’il ne fallait pas seulement s’acquitter du loyer. Il y avait aussi l’eau, le gaz et l’électricité, qu’on me facturait à des prix inimaginables. » Là, nous étions bien d’accord. Depuis la vague des privatisations, le prix du gaz et de l’électricité avait augmenté de 30%. C’était un scandale. Avant, c’était quand même plus abordable… « C’était surtout plus abordable chez moi » dit l’étranger. « Comment, cela, plus abordable ? » « Ben c’était gratuit, tout simplement, pris en charge par l’état. Quant à l’essence, elle était à 0,08 euros du litre. »
Là, c’était trop. Nous nous sommes regardés, mon copain et moi, et c’est nous qui nous sommes retrouvés assis sur le banc. L’émotion était si forte que nous en avions les jambes coupées ! Subitement, nous avons dévisagé notre interlocuteur avec méfiance. Ce n’était pas possible, ce qu’il racontait là. Ce n’était qu’un fumiste, un inventeur d’histoires. Ou alors un fou, un mythomane, qui rêvait à un pays fabuleux qui n’avait jamais existé ailleurs que dans son imagination. D’ailleurs, pourquoi aurait-il quitté un tel Eden ? Cela ne tenait pas debout.
« Et vous travailliez dans quoi exactement ? » demandai-je en espérant qu’il s’embrouillerait dans ses contradictions. « Vous étiez fonctionnaire aux Contributions ? » « Oh non » répondit-il avec naturel. « Il n’y a pas d’impôts chez nous, ni même de taxe spéciale. Comment appelez-vous cela déjà… La TVA ? » Quoi ? Ni impôts ni TVA ? Il n’y avait pas de doutes, ce type était fou à lier. Il déraisonnait complètement. Si cela se trouvait, il était né ici de parents immigrés et n’avait jamais mis un pied à l’étranger.
« Vous parlez drôlement bien le français, pour quelqu’un qui n’est pas ici depuis longtemps », susurra mon ami d’un air soupçonneux. « Oui, c’est normal. L’Etat m’avait accordé une bourse et je recevais l’équivalent de 1.600 euros par mois pour aller étudier dans une université réputée en dehors de nos frontières. Moi, j’avais choisi la France, c’est là que j’ai appris le français. Je serais bien resté, une fois que j’ai obtenu mon diplôme, mais il n’y avait pas d’emploi. Alors je suis retourné chez moi. Comme j’étais diplômé, j’ai perçu un salaire provisoire pendant un an. Puis j’ai finalement trouvé du travail. Au Ministère, je m’occupais du service des plaques d’immatriculation. C’est qu’’il y a beaucoup de voitures chez nous, puisque les particuliers peuvent les acheter au prix d’usine. Et avec l’essence qui est pour rien… »
Là, je dois dire que nous n’en menions pas large. C’est qu’on finissait par croire à tout ce que racontait ce bougre, tant il parlait avec naturel. Je sentais même naître en moi une pointe de jalousie. A ce stade, j’ai voulu tout savoir, alors j’ai continué mon interrogatoire.
« Et la vie était chère, chez vous ? Je veux dire, l’alimentation ? » « Oh non, moins chère qu’ici. Bien moins chère. D’abord, pour les familles nombreuses, il y avait des magasins où tout était à moitié prix. Mais bon, moi cela ne me concernait pas. Mais vous devez comprendre que même dans les autres magasins le gouvernement intervenait. Par exemple, si un producteur vendait un kilo de pâtes un euro, l’Etat l’achetait et le revendait à la population 50 centimes. Cela n’a l’air de rien, mais sur une année cela vous fait une belle différence. Ajoutez à cela que le soins médicaux étaient gratuits et faites vos comptes…»
Nous le regardâmes, complètement interloqués. « Ben, pourquoi êtes-vous partis, alors ? » demandâmes-nous en chœur.
Son regard se voila. Il contempla les pelouses du parc comme là-bas, chez lui, il devait contempler l’infini du désert. « Je suis parti à cause de l’OTAN et de vos bombardements» dit-il. « Et puis aussi pour ne pas être massacré par ceux que vous nommez les « rebelles ». Vous comprenez, comme fonctionnaire d’Etat, j’allais être considéré comme un traitre, qui avait soutenu le régime. Pourtant, je n’ai jamais fait de politique. »
« Ah, vous êtes Libyen, alors ? Mais les « rebelles », comme vous dites, vous ont pourtant apporté la démocratie, ce n’est quand même pas rien, cela, non ? Cela vaut mieux que de petits avantages matériels. » « Quels rebelles, d’abord ? Un ramassis de royalistes et de religieux proches d’Al Qaïda ? Vous ne trouvez pas étrange que cette révolution n’a pas commencé dans la capitale, à Tripoli, comme ce fut le cas au Caire ou à Tunis ? Vous ne trouvez pas étrange qu’ils ont tout de suite eu des armes ? Et qu’ils ont été capables de prendre d’assaut des casernes ? Et c’est quand même bizarre que c’est justement la région pétrolière qui s’est soulevée, non ? Ils ont même créé une banque centrale. Vous penseriez à cela, vous, quand vous manifestez dans la rue ? Bon, maintenant il n’y a plus rien à faire puisque la planète entière a reconnu leur légitimité. J’ai bien fait de partir si je tenais à la vie. En attendant j’étais bien là-bas, moi, et maintenant… » D’un geste las il montra le parc où il passait ses journées et peut-être ses nuits.
Nous ne savions plus que dire. Nous avons dû convenir que dans son cas, évidemment, le changement de régime ne lui avait rien apporté. « Mais enfin, cela vous plaisait tant que cela de vivre dans une dictature, vous ne vous sentiez pas étouffer ? » « Et ici, alors ? Vous croyez que je me sens mieux ? Il est vrai que je suis plus libre depuis que je passe mes nuits sur un banc, à la belle étoile... »
Que pouvions-nous répondre à cela ?
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08/09/2011
Petit essai d'économie politique (2)
Les citoyens ont déjà compris, suite à cette crise financière que traverse actuellement le système capitaliste, que ce sont surtout eux qui vont devoir faire des efforts. Cela ne les rassure pas beaucoup car la crise risque bien d’être longue et les efforts soutenus. En effet, on sent bien que ce n’est pas une petite crise passagère, qui serait liée à un événement extérieur. Non, c’est le système lui-même qui est malade. Cela fait pourtant des années que les mêmes citoyens crient que cette mondialisation de l’économie, basée sur la concurrence et le libre-échange, n’apportera que des malheurs. Forcément ! Si on affaiblit le rôle des Etats, par nature protectionnistes, et si on détricote toutes les règles existantes pour ne conserver qu’une concurrence pure et dure, on ne peut arriver qu’à une espèce de jungle où toutes les firmes vont se manger l’une l’autre. Et c’est bien ce qui se passe.
Imaginez dix usines où on fabrique des chaussures. Celles qui vont offrir un produit de qualité, avec de la bonne matière première et qui en plus vont bien payer leur personnel, ne pourront pas résister longtemps à la concurrence puisque dans les rayons des magasins leurs chaussures se vendront forcément plus chères. Si elles ne changent pas de tactique, elles vont inéluctablement faire faillite. D’une part elles vendront peu et d’autre part la qualité de leur produit fini aura comme conséquence que les clients ne renouvelleront pas souvent leur achat. Par contre celles qui vont licencier à tour de bras, qui vont réduire les salaires, puis mécaniser au maximum et finalement utiliser une matière première moins onéreuse vont s’imposer.
Après quelques années, des dix usines, il n’en restera déjà plus que cinq (ce qui nous fait déjà pas mal de chômeurs supplémentaires, à charge de la collectivité). Mais elles sont toujours concurrentes et si elles veulent survivre, elles vont continuer à diminuer la qualité et à imposer des règles de travail inhumaines. C’est là que l’Etat, autrefois, intervenait, en imposant par exemple une législation sociale, qui protégeait les travailleurs. Mais avec la grande Europe, le pouvoir des Etats a été fortement réduit. Pour faire simple, on pourrait dire que ces derniers mènent un combat d’arrière-garde. Ils ne proposent plus aucune nouvelle mesure de protection mais sont au contraire contraints, petit à petit, de modifier leur législation existante pour qu'elle corresponde à la nouvelle philosophie de l’économie : rien ne doit faire obstacle au commerce.
Mais tout cela, les citoyens le savaient depuis longtemps. Ils savaient qu’ils allaient voir leurs conditions de travail empirer et leurs salaires diminuer. Puisque les firmes licencient pour rester concurrentielles, ceux qui ont eu la chance de conserver leur emploi doivent mettre les bouchées doubles pour effectuer l’ensemble des tâches. Le rythme de travail devient quasi frénétique et l’épuisement guette. Soit.
Mais voilà que malgré tous les efforts fournis l’économie ne se porte quand même pas très bien. Il faut dire qu’elle reposait depuis toujours sur la croissance (vendre de plus en plus, accroître des parts de marché, etc.) et celle-ci n’est plus au rendez-vous. Forcément, le nombre de citoyens gagnant « bien » leur vie diminue chaque jour, tandis que les emplois à temps partiel, les emplois précaires et les emplois sous-payés se généralisent (et je ne parle pas des millions de chômeurs européens, qui vivotent comme ils peuvent). Dans un tel contexte, les gens essaient de ne pas trop dépenser et donc, indirectement, ils contribuent à la mauvaise santé de l’économie.
Comme si cela ne suffisait pas, la patronat, toujours obsédé par cette idée de concurrence dont il devient lui-même finalement victime, a délocalisé ses entreprises en Chine ou ailleurs. Les jeunes européens ne trouvent plus d’emploi et restent longtemps à charge de leur famille, ce qui réduit encore le pouvoir d’achat de celle-ci.
Puis est venue la crise boursière qui a achevé de démoraliser les milieux d’affaires. On demande donc une nouvelle fois aux citoyens de sauver un système qu’ils désapprouvent et qui leur a déjà enlevé plein d’avantages. Car on n’a plus que le mot « privatisations » à la bouche. L’eau, le gaz, l’électricité, tout y passe. Et les prix flambent, évidemment, car fournir de l’eau n’est plus considéré comme une obligation étatique pour répondre aux besoins des citoyens, mais comme un moyen de s’enrichir. Tout ce qui peut rapporter de l’argent doit être privatisé. On oblige les Etats à vendre leur parc immobilier pour le relouer bien cher et on demande aux universités d’être autonomes (ce qui risque bien de limiter l’accès aux études, car celles-ci seront forcément de plus en plus inaccessibles sur le plan financier). L’enseignement, qui était considéré comme un devoir de la collectivité envers les jeunes générations, ne sera bientôt plus qu’un grand marché, lui aussi. On est contre l’Etat social. A la limite, si on pouvait faire disparaître cet Etat, on le ferait. En tout cas il est hors de question que les firmes privées lui donnent de l’argent via leurs impôts : tout doit être conservé pour les actionnaires. Alors, l’Etat ne pourra plus rien distribuer, puisqu’il n’aura plus rien. Et comme les caisses seront vides, on demandera aux citoyens de travailler plus tard : 67 ans, 69 ans, 70 ans ? Pourquoi pas ? D’ailleurs on pense déjà à permettre aux retraités d’exercer une petite activité complémentaire afin d’arrondir leurs fins de mois…
Bref, devant une telle situation, qui empire tous les jours, les citoyens se mettent à rêver à un pays où la vie serait différente, un pays où ils seraient à l’abri de cette économie mondiale qui les écrase.
Où pourraient-ils le trouver ?
07:00 Publié dans Actualité et société | Lien permanent | Commentaires (2)
05/09/2011
Petit essai d'économie politique
On sait que les banques sont inquiètes et qu’elles ont peur de ne pas récupérer l’argent qu’elles avaient prêté auprès des Etats. En effet, ceux-ci sont tellement endettés qu’on imagine même qu’ils pourraient tomber en faillite et donc se retrouver dans l’impossibilité de rembourser. Je n’ai jamais bien compris comment un Etat pouvait tomber en faillite, car un Etat est pour moi une collectivité et non une société privée. Mais bon, je ne suis pas économiste et je ne vais pas ergoter là-dessus. Cependant, j’entends dire par des plus malins que moi en ce domaine, que cette évaluation des Etats sur leur degré de solvabilité est récente. Les banques, avant d’engager leurs fonds, voulaient être certaines de bien placer leur argent. Elles effectuaient donc une étude préalable qui revenait en gros à se demander s’il n’y avait pas moins de risques d’investir en Allemagne plutôt qu’en Grèce, par exemple. Mais une telle étude n’était pas facile à réaliser et elle coûtait cher. Alors les banques, toujours soucieuses de faire des économies, ont sous-traité ce travail et l’ont confié aux fameuses agences de notations.
Celles-ci, toutes fières de leurs nouvelles missions, sont donc venues trouver les Etats et leur ont demandé des chiffres. Dans un premier temps, les Etats ont éclaté de rire (du moins leurs représentants). Mais les agences leur ont fait comprendre que si elles ne disposaient pas de chiffres valables, elles inventeraient n’importe quoi et que leur rapport risquerait d’être fort négatif. Par contre, si l’Etat collaborait et si ses chiffres étaient bons, alors, évidemment, le rapport serait on ne peut plus favorable, ce qui permettrait, en cas de nouvel emprunt, d’obtenir des taux d’intérêts préférentiels.
Devant de tels arguments, les Etats se sont donc laissé convaincre les uns après les autres et ils ont coopéré. Alors les agences, sous la pression des banques qui les avaient engagées et qui rétribuaient leurs services, sont revenues trouver ces Etats et elles leur ont dit en substance : « Puisque grâce à nous vous parvenez à avoir des intérêts préférentiels (conséquence de la bonne note que nous vous avons attribuée) et donc que vous faites des économies, la moindre des choses, c’est que ce soit vous qui rétribuiez nos services. »
Et c’est ainsi que les Etats se mirent à payer, à la place des banques, ces firmes qui venaient pour les évaluer.
Tout alla bien jusqu’au jour où ces firmes découvrirent que les Etats avaient des dettes. Ce n’était un secret pour personne et surtout pas pour les banques qui leur avait commandé le travail, puisque c’étaient ces banques-mêmes qui avaient prêté de l’argent (espérant en retirer de gros bénéfices et en retirant en effet d’énormes). Alors on se mit à écrire des rapports négatifs : la Grèce était au bord du gouffre, le Portugal ne valait pas beaucoup mieux. Quant à l’Espagne et l’Italie, n’en parlons pas.
En quelques semaines, toute l’Europe du Sud se retrouva en situation de faillite potentielle. Les bourses s’effondrèrent et les riches commencèrent à avoir peur pour l’argent qu’ils avaient placé. Alors, les banques, en nouveaux maîtres du monde qu’elles sont devenues, donnèrent des ordres. Il fallait redonner confiance au Marché. La banque centrale européenne, qui craignait pour l’existence-même de la monnaie unique, répercuta cet ordre auprès des gouvernements (lesquels, rappelons-le, ont la confiance des parlementaires pour lesquels nous avons voté) et c’est ainsi qu’on entendit que des mesures drastiques devaient être prises envers les citoyens. Pas les riches, non, les autres citoyens, ceux qui travaillent et qui sont en fait l’âme de ces Etats aujourd’hui endettés.
Pour le dire autrement, ces citoyens qui avaient déjà contribué l’an passé, avec leurs impôts, à sauver les banques quand celles-ci étaient en difficulté, se voyaient maintenant contraints, par ces mêmes banques, de se serrer la ceinture pour permettre au système capitaliste de perdurer.
On n’insistera pas sur le côté ignoble de la situation, qui saute aux yeux de tous, mais on fera quand même remarquer que depuis ce jour nous ne sommes plus en démocratie puisque ce ne sont plus les élus du peuple qui décident mais les banques, qui ne sont tout de même que des firmes privées. Ce ne sont donc plus les intérêts des citoyens que l’état gère, mais des intérêts particuliers. Le « Contrat social » de Rousseau semble bien oublié
Alors, quand en plus on a le culot d’aller renverser des dictateurs en Afrique du Nord sous prétexte de défendre la démocratie, cela me fait quand même franchement rire.
Nous verrons d’ailleurs demain comment cette dictature, elle, se comportait avec ses citoyens.
L'Eurotower à Francfort.
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31/08/2011
Aphorismes (4)
Si Dieu existait, nous n’en serions pas là.
La religion dit que tout s’arrangera après la mort. Il suffit donc d’attendre. La révolution, elle, veut que tout s’arrange tout de suite, même s’il faut en mourir.
Je plains les hommes des cavernes, qui n’avaient pas de livres. Que pouvaient-ils bien faire, les soirs d’hiver, à part dessiner sur les murs ?
« L’enfant est un pervers polymorphe » disait Freud. Il est donc supérieur à l’adulte, qui, lui, s’est généralement spécialisé dans un seul domaine.
«Je suis l’Empire à la fin de la décadence », disait Verlaine dans « Jadis et Naguère ». Quand je regarde autour de moi, j’en arrive presque à me croire son contemporain..
Nous conservons la nostalgie de l’enfance car elle contenait tous les rêves que nous n’avons jamais pu réaliser.
Je voudrais un monde à ma mesure, où je me sente bien. Malheureusement, il y a quasi sept milliards d’individus qui n’ont pas la même conception que moi.
C’est en regardant la taille d’un arbre qu’on a planté qu’on se rend compte que le temps a passé.
La vie était devant moi. Et puis un beau jour elle s’est retrouvée derrière.
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29/08/2011
La Libye (encore et toujours)
Alger devra "répondre de (son) attitude vis-à-vis des révolutionnaires libyens", a ainsi affirmé le colonel Bani. Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) a revendiqué dimanche une double attaque suicide ayant fait 18 morts et 26 blessés vendredi en Algérie, reprochant notamment à Alger son "soutien au régime de (Mouammar) Kadhafi". (AFP)
L’Algérie, qui a une longue frontière commune avec la Libye, se méfie à juste titre des éléments islamistes qui sont présents parmi les rebelles. Elle se montre donc très prudente et ne se presse pas pour reconnaître le mouvement des insurgés, qui par ailleurs sont soutenus depuis le début par la France de Sarkozy. Cette présence de l’armée française dans un pays voisin n’est sans doute pas sans rappeler de douloureux souvenirs au peuple algérien.
Bref, un premier attentat a déjà eu lieu sur le sol Algérien, revendiqué par les Islamistes intégristes. C’est donc toute l’Afrique du Nord qui risque maintenant d’être déstabilisée et pour longtemps. En s’appuyant sur n’importe qui pour renverser Kadhafi, on a ouvert la boîte de Pandore.
Par ailleurs, certaines sources nous disent que l’Otan aurait bombardé Syrte sans grand discernement et qu’il y aurait plus de 300 morts (invérifiable dans les médias officiels, qui parlent simplement d’une avancée des rebelles vers Syrte).
Les mêmes sources affirment que des hommes ayant appartenu aux escadrons de la mort colombiens auraient été recrutés pour « nettoyer le terrain » des Pro-Kadhafi. Ces commandos avaient été financés autrefois par les USA et le gouvernement colombien pour lutter contre les guérillas et faire fuir les habitants des régions possédant des richesses naturelles importantes. Leur tactique reposait sur les massacres, la torture et les persécutions.
fhttp://www.parlatino.org.ve/index.php?option=com_content&...
Il est certain qu’on les a retrouvés en Afghanistan et en Irak. On nous dit ici qu’ils auraient été recrutés par la compagnie américaine Epi Security & Investigation. Le récent ministre de l’information du CNT aurait admis leur présence sur le sol libyen.
Difficile de vérifier tout cela. Mais si c’était vrai ?
Si c’était vrai, cela voudrait dire que les « rebelles » et leur alliés de l’Otan ne valent pas beaucoup mieux que monsieur Kadhafi.
Photo Reuters
11:37 Publié dans Actualité et société | Lien permanent | Commentaires (8)
28/08/2011
La Libye est aussi un pays africain
"En tant qu’Africains, nous avons besoin de faire notre introspection et de nous dire ce que nous devons faire pour défendre nos intérêts. La question que nous devons nous poser est : pourquoi sommes-nous si silencieux ? Ce qui est arrivé en Libye peut très bien être un signe précurseur de ce qui peut arriver dans un autre pays. Je pense que nous devons tous examiner ce problème, parce que c’est un grand désastre. Nous ne pouvons pas dire que nous sommes incapables d’empêcher ces pouvoirs occidentaux d’agir comme ils agissent parce qu’ils agiront de cette manière demain. Je pense que nous pouvons, pourvu que nous agissions et qu’ils voient que s’ils continuent ce type d’actions, ils rencontreront la résistance de tout le continent africain. Mais malheureusement, notre voix est trop faible et nous devons faire quelque chose pour la rendre plus forte et pour revendiquer clairement le droit des Africains de décider de leur propre avenir.»
Thabo Mbeki, ancien chef de l'Etat Sud-Africain (1999-2008) et figure emblématique de l'ANC, dans une interview au Sunday Times.
07:02 Publié dans Actualité et société | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : libye
27/08/2011
Le Certificat
Y a eu d’abord la dictée, ensuite des problèmes. C’était pas très difficile, je me souviens, y avait qu’à copier. On faisait, nous, partie des refusés de l’automne, de la session précédente. Pour presque tous c’était tragique… Qui voulaient devenir apprentis… A l’oral je suis tombé très bien, sur un bonhomme très corpulent (…). Il m’a posé deux questions à propos des plantes… Ca, je ne savais pas du tout… Il s’est répondu à lui-même. J’étais bien confus. Alors il m’a demandé la distance entre le Soleil et la Lune et puis la terre et l’autre côté… Je n’osais pas trop m’avancer. Il a fallu qu’il me repêche. Sur la question des saisons je savais un petit peu mieux. J’ai marmonné des choses vagues… Vrai, il était pas exigeant… Il finissait tout à ma place.
Alors il m’a posé la question sur ce que j’allais faire dans l’avenir si j’avais un Certificat ?
- Je vais entrer, que j’ai dit lâchement, dans le commerce.
- C’est dur, le commerce, mon petit ! … qu’il ma répondu… Vous pourriez peut-être encore attendre ? … Peut-être encore une autre année ?
Il devait pas me trouver costaud… Du coup j’ai cru que j’étais collé… Je pensais au retour à la maison, au drame que j’allais déclencher… Je sentais monter un vertige… Je croyais que j’allais défaillir… tellement que je me sentais battre… Je me suis raccroché… Le vieux il m’a vu pâlir…
-Mais non mon petit ! qu’il me fait, rassurez-vous donc ! Tout ça n’a pas d’importance ! Moi je vais vous recevoir ! Vous y entrerez dans la vie ! Puisque vous y tenez tant que ça !
Céline, Mort à crédit
07:00 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, céline
26/08/2011
Une guerre médiatique
Qui croire ?
La version officielle:
http://www.lepoint.fr/monde/libye-les-pro-kadhafi-ont-tue...
Ou la version moins officielle:
http://www.michelcollon.info/Massacre-de-Noirs-par-les-re...
Ou peut-être les deux.
21:51 Publié dans Actualité et société | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : libye
25/08/2011
De la Libye (suite de l'article précédent)
Qu’on me comprenne bien. Certains, en lisant le texte qui précède, vont dire que je suis partial et que je prends ouvertement parti pour le clan de Kadhafi. Il n’en est rien. On sait par ailleurs qui est Kadhafi et quand Sarkozy l’a accueilli à bras ouverts en 2007, j’ai été suffisamment clair en disant que ce n’était pas là une démarche qui honorait l’Elysée.
http://feuilly.hautetfort.com/archive/2011/04/04/petit-re...
Mais qu’on arrête de nous mentir et qu’on dise clairement qu’on envoie notre armée en Libye pour renverser un régime que nous n’aimons pas beaucoup. Qu’on dise aussi qu’on redoutait une vraie révolution dans ce pays, sur le modèle tunisien ou égyptien. Car alors c’est le peuple qui aurait été au pouvoir sur la quasi-totalité de la côte nord de l’Afrique. Impensable ! Déjà que les ennuis commencent entre la nouvelle Egypte et Israël ! Alors il valait mieux prendre les devants, se servir auprès de l’opinion de cette idée de révolution populaire, renverser Kadhafi, et mettre au pouvoir un gouvernement fantoche qui nous obéira au doigt et à l’œil et qui nous permettra de piller les richesses du pays.
Quant à ceux qui douteraient de ce que je dis sur le comportement de l’Otan, qu’ils regardent ceci. Le son est mauvais et c’est assez long, mais cela vaut la peine.
http://www.youtube.com/watch?v=GGOkf8qJuVo
http://www.youtube.com/watch?v=5JcNPIW3Fu8
07:20 Publié dans Actualité et société | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : libye
De la Libye
Et maintenant ? Maintenant que Kadhafi est tombé (enfin presque), que fait-on de la Libye ? Ben, on instaure la démocratie, tiens, c’est bien pour cela que nous sommes allés là-bas non ? Pour libérer le peuple d’un tyran.
Pas si sûr.
Nous avons d’un côté un Nicolas Sarkozy affaibli, qui chute dans les sondages à moins d’un an des présidentielles. Un Nicolas qui a tellement été pris de court par les révoltes arabes qu’il en était encore à proposer l’aide de sa police pour aider Ben Ali en Tunisie alors que ce dernier avait déjà quasiment quitté le pays. Rien de tel qu’une bonne guerre pour redorer son blason. Surtout s’il s’agit d’aller défendre la démocratie et les intérêts du peuple. Les Français fondent quand ils entendent cela. Voilà donc celui qui voulait nettoyer au Karcher les banlieues remplies d’immigrés louches qui prend subitement la défense des peuples arabes. Dont acte.
Ce n’est pas tout. Nous avons aussi une Amérique et une Europe qui stagnent économiquement et qui sont endettées jusqu’au cou. Cela commence à se savoir. Dans un tel contexte, il faut assurer la relance en allant de l’avant. C’est le vieux principe des guerres coloniales : aller puiser dans le portefeuille du voisin et lui voler toutes ses richesses naturelles.
Et puis, tant qu’à faire de voir tomber les vieux amis comme Ben Ali et Moubarak, autant profiter du vent de révolte qui secoue les pays arabes pour se débarrasser d’ennemis séculaires, qui vous défient depuis quarante ans. Or Kadhafi est dangereux. Que ce soit un dictateur et un mégalomane, nul le conteste. Mais ce n’est pas cela le problème. On a sympathisé avec tellement de tyrans qu’on n’y regarde plus de si près, surtout quand ils servent vos intérêts. Mais voilà. Kadhafi, ce grand égoïste, garde pour lui et pour son peuple tout l’argent provenant des richesses de son pays. Ainsi n’octroie-t-il qu’un bénéfice de dix pour cent aux compagnies pétrolières occidentales et empoche-t-il les quatre-vingt-dix autres. Quel scandale ! A-t-on jamais vu cela ? En plus il se présente comme l’unique survivant du panarabisme de Nasser, ce qui peut toujours être dangereux, surtout pour notre allié israélien. Et ce n’est pas tout. Ce tyran authentique, qui s’enrichit personnellement, a le culot et l’intelligence de redistribuer une partie de l’argent qu’il récolte. Son régime comporte un volet social. On distribue des aides, on offre des logements gratuits, bref, on fait de l’état, qui est riche, un état social, protectionniste et presque paternaliste. Voilà qui est à contre-courant des principes libéraux de l’OMC.
Et comme si cela ne suffisait pas, voilà Kadhafi qui aggrave son cas en aidant l’Afrique. L’Afrique, vous vous rendez compte ? Ce continent sous-développé qui n’est jamais arrivé à rien malgré un bon siècle de colonialisme ! Un continent qui ferait bien de souscrire un emprunt auprès du FMI s’il voulait s’en sortir (il parviendra toujours bien à rembourser les intérêts puisque son sous-sol regorge de richesses). Mais voilà que le pays le plus riche de ce continent, la Libye, se propose de financer de nombreux projets et de relever l’Afrique (mise en orbite de satellites, etc.). Impardonnable. Bientôt on n’aura plus besoin de nous et tous les anciens peuples colonisés auront les moyens d’exploiter eux-mêmes les richesses de leur sol. Mieux vaut donc prendre les devants et se débarrasser de Kadhafi.
Comment ?
On l’a vu. En légitimant une guerre coloniale sous le couvert d’une intervention humanitaire ponctuelle et limitée, d’ailleurs avalisée par l’ONU. Une fois le mandat en main, on l’interprète comme on veut.
Bien sûr, il faut un peu endormir l’opinion, qui n’accepterait pas que l’argent de ses impôts serve à spolier un peuple de ses richesses. Alors on parle de défense de la démocratie. On prend prétexte du soulèvement de la Cyrénaïque (spontané ?) pour parler d’un soulèvement populaire alors qu’on assiste en fait à la sécession d’une province. Rien de comparable donc à la situation tunisienne ou égyptienne où 95% de la population se soulevait contre le pouvoir. Ici, c’est autre chose, mais on feint de l’ignorer et on brouille les cartes.
On défend donc la démocratie, c’est-à-dire les rebelles, un ramassis hétéroclite d’anciens royalistes pro-occidentaux et de religieux extrémistes proches d’Al-Quaïda. Ceux-là même contre lesquels on est allé faire la guerre en Afghanistan. Mais peu importe si en Asie on se bat contre eux, ici on leur offre des armes. Il n’est pas question d’engager nos soldats sur le terrain, alors ces Libyens rebelles peuvent se montrer fort utiles pour servir nos intérêts. On va donc les aider de toutes les manières (argent, armes, reconnaissance diplomatique). On va même chercher d’anciens ministres corrompus de Kadhafi, qui ont retourné leur veste à temps, pour diriger le mouvement. Après tout ils ont l’habitude de diriger.
Et la guerre commence. Elle devait durer quelques jours. Puis quelques semaines. Elle durera plusieurs mois. Plusieurs mois durant lesquels on se servira des médias pour nous désinformer au maximum. On parlera de la lente mais inexorable avancée des rebelles. Jamais des frappes de l’Otan. Forcément ! Comment expliquer qu’on tue des gens pour leur bien, pour les défendre contre un tyran et leur imposer notre conception de la liberté ? Par contre on va utiliser le vieux stratagème du mensonge, celui qui a déjà bien fonctionné avec l’Afghanistan (un repaire de terroristes) et l’Irak (la possession d’armes de destruction massive). Alors on rapporte des atrocités soi-disant commises par les troupes régulières de Kadhafi : bombardements de civils (où sont les preuves ?), viols (aucune preuve) etc. On se garde bien de dire par contre que là où les rebelles ont progressé, ils ne se sont pas privés pour se venger d’une population qui finalement restait fidèle au régime en place. Il y a eu des massacres gratuits, des viols, des familles emmurées chez elles. On n’en a pas parlé. Des journalistes indépendants ont essayé de s’exprimer pourtant. Ils n’ont trouvé aucun échos. Il a fallu attendre la prise de Tripoli pour qu’un chef rebelle écœuré parle de démissionner. Il est prudent et ne veut pas qu’on le rende un jour responsable des exactions barbares commises par ses troupes à l’encontre de civils terrorisés.
Pendant ce temps, l’Otan continue ses bombardements, détruisant des objectifs militaires, mais aussi civils. Cela permettra de reconstruire après la guerre et puis en attendant cela porte un coup au moral de la population. Sans eau, sans électricité, sans hôpitaux, elle ne souhaitera plus qu’une chose : que Kadhafi s’en aille et que tout soit enfin fini.
Mais le régime résiste. On s’enlise. On accroît l’aide aux rebelles : on parachute des milliers d’armes, on offre des véhicules, de l’argent. Nos conseillers militaires sont sur place pour former tous ces apprentis soldats et surtout pour coordonner leur action. On finit par investir Tripoli par la mer, pour frapper le régime en plein cœur. Quelques centaines de personnes bien entraînées et de fausses informations (la capture des fils de Kadhafi par exemple) suffisent pour tout faire vaciller. Les communications entre les états-majors de Kadhafi sont probablement coupées (on a suffisamment bombardé» au cours des derniers mois) et le régime s’effondre lentement. La Russie, la Chine, l’Egypte en prennent acte. Pourtant le lendemain la situation reste confuse. Le fils de Kadhafi, qu’on disait captif, se promène dans la rue, libre et le Kadhafi lui-même reste introuvable. Le régime tient donc encore ? Peu importe. La communauté internationale a reconnu sa défaite.
De quoi demain sera-t-il fait ?
Il n’y aura plus d’Etat-providence en Libye, mais plutôt des privatisations. Certes, on se sera débarrassé d’un dictateur, mais l’argent du pétrole ne sera plus redistribué. Il ira enfin, comme c’est justice, remplir les coffres de quelques multinationales. Les ressources naturelles du pays serviront à rembourser la guerre. C’est là la moindre chose que peuvent faire les Libyens pour récompenser les troupes occidentales qui leur ont ouvert les portes du monde (capitaliste). Quant à L’Afrique, elle pourra dire adieu à son idée d’une banque centrale et d’une monnaie unique africaine. Elle ira s’endetter auprès du FMI et de son nouveau patron (ou patronne). Il y a donc fort à parier que le taux d’immigration vers l’Europe augmentera en proportion de celui de la pauvreté. Cela nous fera de la main d’œuvre pas cher et pas mal d’étrangers en plus dans nos banlieues, lesquelles s’agiteront chaque jour davantage. Pas grave. Il y aura bien un nouveau Sarkozy pour proposer de nettoyer tout cela au Karcher. Les gens voteront pour lui et une fois au pouvoir il ira faire une autre guerre ailleurs. Pourquoi pas en Syrie tiens ?
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24/08/2011
Aphorismes (3)
C’est seulement quand la rose est fanée qu’on s’aperçoit qu’elle avait des épines.
La nature est menteuse, car elle nous fait croire qu’après chaque hiver revient le printemps. Pourtant, dans la vie, il n’en va pas de même.
Il est des fleuves si larges qu’on n’oserait les traverser à la nage.
L’enfance est un pays de rêves dont on ne sort jamais tout à fait.
Internet a fait du monde un village. Je ne suis pas certain que la pensée universelle y ait beaucoup gagné.
Je ne comprends pas comment un pour cent de la population parvient à imposer sa loi aux quatre-vingt-dix-neuf autres sans que ceux-ci ne réagissent.
Lire, c’est ouvrir ses fenêtres sur le monde.
Le meilleur moyen pour un état d’éliminer ses dettes est de ne pas les rembourser.
La vue d’un arbre m’a parfois apporté plus de bonheur que toutes les peintures enfermées dans les musées. Quant au bruissement des feuilles, il vaut toute la musique du monde.
« On ne prête qu’aux riches » dit le proverbe. Il faut donc en déduire que les états européens sont fort riches.
07:00 Publié dans Actualité et société | Lien permanent | Commentaires (1)
18/08/2011
De la route que l'on suit.
Nous nous sommes penchés, l’autre jour, sur l’étymologie des mots « chemins » et « marche ». Voyons maintenant quelle est l’origine du terme « route ».
La route (XVI° s.) ou « rote » (XII° s.) vient du latin populaire « rupta », substantif issu du participe passé de rumpere (briser, ouvrir) que l’on retrouvait dans l’expression « via rupta » autrement dit la voie ouverte. L’idée initiale était donc d’ouvrir un passage (à travers une forêt par exemple, ou une montagne). Par la suite, le mot a désigné une voie de communication de première importance (ce qui exclut les voies urbaines ou rues, qui elles sont locales). De là dérivent des expressions comme « barrer la route », « feuille de route » ou encore « faire de la route ».
Employé par métaphore pour désigner la voie que l’on suit, le mot « route » a pris le sens de moyen utilisé pour parvenir à son but : « la route du succès », « être sur la route de quelqu’un », « être sur la bonne route », etc. Notez que « faire fausse route » s’appliquait initialement au domaine maritime, mais dans son sens abstrait il est envisagé aujourd’hui dans un contexte purement terrestre.
Le mot route a fini par désigner les communications et les échanges entre certains points du globe : la route de la soie, la route du rhum.
Notons qu’il existait un verbe « router » (XIV° s.), qui était intransitif et qui voulait tout simplement dire « marcher ». On le retrouve toujours dans des dialectes comme le wallon. Dans l’Ouest, on retrouve aussi le dérivé « routin », pour désigner un petit chemin.
Notre mot « routine », vient bien évidemment de « route » (au sens figuré de moyen, ligne de conduite). Il a d’abord évoqué un savoir-faire acquis par une pratique prolongée mais il a fini par prendre le sens d’action accomplie par habitude. D’où le sens péjoratif contemporain : habitude d’agir, de penser toujours de la même manière.
Et les « routiers », me direz-vous ? Le terme est ancien et n’a pas toujours désigné les conducteurs de camions, ceux-là qui nous effraient sur les autoroutes avec leurs mastodontes. Non, ce mot, on le rencontre déjà au XII° s. avec le sens de « valet d’armée ». Un peu plus tard, on le retrouve (mais au pluriel cette fois) pour désigner des soldats irréguliers organisés en bandes qui pillaient les provinces. Le sens était donc plus ou moins celui de « voleur de grand chemin ». C’est de ce sens que viendrait l’expression « un vieux routier » (homme habile, expérimenté, qui a beaucoup voyagé).
Vous me suivez toujours ?
07:00 Publié dans Langue française | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : route, étymologie
13/08/2011
Aphorismes (2)
Liberté, égalité, fraternité… Bon, l’égalité n’a jamais existé, on le sait bien, il suffit de regarder deux enfants à la naissance… Quant à la fraternité, c’est souvent un vain mot. Il restait la liberté. Oui, c’est tout ce qu’il restait…
Les bourses s’effondrent, le nombre des chômeurs augmente. Le principal est de trouver un équilibre, non ?
Quand on est déçu par le monde, on se tourne vers la littérature. Grave erreur, car elle nous rend encore plus lucide !
Je me suis toujours demandé ce que l’Ecclésiaste faisait au milieu de la Bible. Un texte qui dit que la mort et l’oubli sont au bout du chemin et que le mieux que nous ayons à faire est de jouir de la vie détonne au milieu des autres textes mystiques et eschatologiques. Ce doit être une erreur de l’éditeur.
« L’amour, c’est l’infini mis à la portée des caniches », disait Céline. Brave Céline, il ne nous laissera aucune illusion.
Quand je suis dans un train, je lis. Parfois le livre parle d’un voyageur qui prend le train. Il me semble alors qu’un gouffre s’ouvre sous mes pieds.
Quand j’ai levé les yeux de mon livre, j’ai vu que la voyageuse assise en face de moi m’observait. Intimidée, elle a aussitôt détourné son regard. Moi, j’ai replongé plus vite encore dans mon livre. Il serait temps que je relise Céline.
00:01 Publié dans Actualité et société | Lien permanent | Commentaires (8)
09/08/2011
Sur les chemins...de la langue
« Partir sur les chemins » disais-je l’autre jour….
Ce qui nous renvoie à la première activité de l’homme. Dès la préhistoire, l’homme se déplaçait et marchait. Nos ancêtres étaient d’ailleurs des chasseurs-cueilleurs non sédentarisés et la marche était l’essence-même de leur vie. Ils devaient se déplacer pour survivre et tenter de trouver en d’autres endroits les aliments nécessaires à leur organisme.
Le chemin est aussi vieux que la marche et donc aussi vieux que l’homme.
Ce qu’on sait moins, c’est que le mot « chemin » est lui-même très ancien. Il provient du latin populaire « camminus », lequel trouve son origine dans un mot celtique qui a laissé des traces dans les langues romanes. (italien cammino, espagnol camino, portugais caminho). On peut supposer que le gaulois a survécu plus longtemps dans les campagnes, celles-ci étant habituellement moins ouvertes aux influences extérieures, par leur isolement-même. Il ne faut pas perdre de vue non plus le bon sens des gens qui y habitent, généralement peu enclins à suivre les modes nouvelles et préférant répéter inlassablement des gestes anciens qui ont fait leurs preuves. On peut donc imaginer que les citadins parlaient déjà le latin tandis que dans les campagnes le celtique était encore bien vivace (un peu comme les patois d’oc ou d’oïl, qui survivent toujours aujourd’hui dans les régions rurales).
Rien d’étonnant non plus à ce que ce soit le langage des paysans qui nous ait donné le mot « chemin », car si la ville est un lieu clos et exigu où on demeure immobile, en dehors des murs qui la circonscrivent, dans les terres sauvages et infinies qui la bordent, on se déplace et on marche.
On opposera donc le « chemin » (voie tracée dans la campagne) à la « rue », propre à la ville. Si cette dernière est bordée de maisons, le chemin au contraire n’est qu’un simple passage dans l’immensité de la nature. Le monde citadin est celui de la culture, tandis que le chemin appartient encore à la nature. C’est à peine s’il renvoie discrètement à une activité humaine. En terre, bordé de végétation, parfois difficilement praticable, il suggère simplement la présence des hommes qui sont passés là avant nous. Des hommes dont nous ne savons rien, que nous n’avons jamais rencontrés et que nous ne rencontrerons peut-être jamais. En ville, dans une rue, je suis avec les hommes. Sur un chemin, je suis seul dans la nature, mettant simplement mes pieds là où un de mes semblables, un jour, a déposé les siens.
Le mot chemin a donné différentes expressions : chemin de ronde, voleur de grand chemin, se mettre en chemin, à mi-chemin, chemin faisant, le chemin de la vie, faire son chemin, le droit chemin, etc. Personnellement, celle que je préfère, c’est « chemin de traverse », car là il s’agit de sortir des sentiers battus pour suivre une voie anormale, insolite, parallèle ou non à la voie principale.
Du chemin, passons à la marche. Le terme « marche » provient du francique « markhon » (marquer, limiter, mettre une marque, une borne). La « marche », c’est donc d’abord une frontière, une limite, comme dans l’intitulé de ce site « Marche romane » (une région de frontières, quelque part aux limites de la Romania). Quant à « marcher », lui, son sens premier en ancien français est celui de « fouler aux pieds », de « mettre le pied sur » Par exemple, dans l’expression « marcher sur les pas de ». De là, on passe à l’idée de se mouvoir, de se déplacer. Ensuite, au XVII° siècle, on appliquera ce verbe au fonctionnement d’un mécanisme (cette montre marche bien) ou d’une affaire (ses affaires marchent bien).
Le déverbal « marche » (d’un escalier) renvoie au sens premier puisque c’est la partie de l’escalier sur laquelle on pose le pied (le vieux mot « degré » s’en est du coup trouvé supplanté). Le sens actif (action de se déplacer) n’est attesté qu’à partir de 1508, nous dit le Robert historique (qui vaut décidemment tous les romans). Il s’applique d’abord aux déplacements des troupes (d’où l’expression « en ordre de marche » ou encore le terme « marche militaire » qui désigne un morceau de musique qui incite à la marche). Il faudra attendre le XVII° siècle pour que notre mot « marche » désigne le déplacement d’un groupe de personnes.
Eté 2011, photo personnelle
07:00 Publié dans Langue française | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : étymologie, marche, chemin
06/08/2011
Aphorismes ...
<! On lit dans la presse qu’il y a de plus en plus de millionnaires. On ne comprend pas pourquoi on nous présente cela comme une bonne nouvelle. Jusqu’au moment où on se souvient que cette presse appartient précisément à l’un ou l’autre de ces millionnaires.
<! L’union européenne déclare sans rire qu’elle ne peut plus aider les pauvres car cela serait contre les principes de l’OMC. Et c’est vrai que selon les règles du libre-échange, aucun état ne peut fausser les lois du marché en subsidiant des firmes en difficulté. Voilà donc les pauvres bien mal embarqués. Demain ils seront déclarés en faillite ! J’en viens à regretter le paternalisme des maîtres de forges du XIX° ou même la charité des sœurs de l’Enfant-Jésus. Quelle époque !
<! Je ne comprends pas pourquoi certains qui ne travaillent pas doivent toucher des allocations de chômage en ne faisant rien alors que d’autres s’en passent très bien. Il est vrai que ces derniers sont nés millionnaires.
<! La dictature consiste à prendre le pouvoir de force et à travailler contre nous, tandis que la démocratie consiste à mettre au pouvoir, avec notre accord, des gens qui travaillent quand même contre nous.
<! Le capitalisme consiste à concentrer la richesse dans les mains de quelques-uns. Sauf en période de crise, où on demande à l’ensemble des citoyens de se serrer la ceinture pour sauver le système. C’est ce qu’on appelle de la démocratie participative. De quoi se plaint-on ?
<! Une guerre coloniale consiste à tuer des gens pour s’emparer de leurs richesses. Une guerre humanitaire aussi.
16:08 Publié dans Actualité et société | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : aphorismes