20/09/2011
Cheminement
Un jour, j’ai quitté ma maison, sur la colline, et j’ai parcouru le monde.
J’ai dit adieu à ma forêt profonde, pourtant si belle…
Au printemps, je m’y promenais souvent, cherchant des rêves improbables.
L’été, lors des fortes chaleurs, elle offrait comme un refuge de paix et de mystère et à l’automne, on entendait bramer les cerfs, dans les longues nuits qui suivent l’équinoxe.
J’ai dit adieu à mes ciels brouillés, chargés de pluie et où le vent pousse les nuages comme des troupeaux en déroute.
Je suis parti sur les chemins sans même me retourner, tant j’étais heureux de marcher vers l’horizon et de connaître enfin ce qu’il y avait de l’autre côté de ma colline.
J’ai donc marché, beaucoup marché.
Des jours et des jours, des nuits et des nuits.
Quand j’étais trop fatigué, je pénétrais dans des granges inconnues et je m’endormais là, parmi la bonne odeur de la paille. Parfois, dans l’ombre, perché sur une poutre, un chat m’observait, Sphinx éternel qui avait traversé tous les âges. Statue de pierre immobile, il demeurait là, tandis que dans ses prunelles brillait encore l’éclat antique des divinités du Nil.
Je partais le matin dans l’aube froide et mes pas se perdaient dans les premiers brouillards. Personne, jamais, ne remarquait ma présence.
J’ai marché ainsi pendant des semaines, jusqu’au moment où je suis arrivé dans une grande ville.
J’ai demandé quel était son nom. On ne me l’a pas dit, mais on m‘a répondu qu’il n’y avait nulle part de ville aussi grande. J’étais arrivé, parait-il, dans la capitale du monde.
J’ai franchi ses trois murailles et les grandes portes aux herses de fer et je me suis retrouvé parmi la foule. Ca criait, gesticulait, maugréait, tempêtait. Personne, ici, n’avait l’air d’accord.
Pendant trois jours et trois nuits j’ai observé. Je ne disais rien.
J’ai vu des gens se voler, s’insulter ou se tuer. J’ai vu des juges au manteau d’hermine rendre sur la place publique des jugements iniques et des prêtres exaltés vendre des traités de folle espérance. J’ai vu les soldats du prince occire la foule des opposants et le prince lui-même parader dans des carrosses tout en or. J’ai vu des innocents qui pendaient encore à leur gibet et que la pluie avait « débuez et lavez et le soleil dessechez et noirciz. » J’ai vu des femmes mourir dans les douleurs de l’enfantement, tandis que d’autres se vautraient dans le lit des puissants. J’ai vu tout cela et bien d’autres choses encore, comme la Cour des Miracles , les tours de Notre-Dame et la belle Esmeralda, attachée nue sur son bûcher.
Après trois jours et trois nuits je n’en pouvais plus de tous ces gens civilisés. J’étais d’un autre monde !
Sans rien dire, j’ai repris la route et je suis rentré chez moi. Sur sa poutre, le chat m’attendait dans la grange et au cœur de l’immense forêt, les cerfs bramaient déjà, exprimant tous leurs désirs inassouvis. Je suis monté au sommet de ma colline et je le ai écoutés la nuit durant, puis j’ai ouvert mon huis et je suis entré dans ma maison pour ne plus en ressortir.
Dehors, l’ombre immense des arbres n’en finissait pas de progresser sous la lumière de la pleine lune.
07:00 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature
Commentaires
Bonjour Feuilly, merci pour ton petit mot chez moi ... Je suis de nouveau à Bruxelles (avec mon chat) tout est donc à recommencer (!)
J'aime beaucoup ton texte. Cela commence avec un petit côté rimbaldien, puis cela se transforme en conte philosophique et puis, retour à la maison...
Y a-t-il un lieu, une maison, où je rêve de retourner ???
Écrit par : Pivoine | 28/09/2011
Un côté rimbaldien? C'est beaucoup d'honneur... (sourire).
Écrit par : Feuilly | 28/09/2011
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