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21/10/2011

Pour une définition ontologique de l'homme (fin)

On mettra en avant le fait que dans l’état de nature, l’homme primitif (ou le sauvage dont parlent les voyageurs) est en guerre permanente avec ses semblables. Il aura donc fallu un « contrat » pour créer les sociétés civilisées. En renonçant à une partie de ses droits naturels, l’individu a pu enfin vivre en harmonie avec ses semblables. C’est donc en se donnant des règles qui limitaient sa liberté individuelle que l’homme est sorti de l’état de nature et qu’il s’est définitivement distingué de l’animal (auquel il ressemble tant). Par la Culture, il va réglementer ses besoins primaires (manger et se reproduire). Il va donc élaborer toute une philosophie du travail et de la propriété pour répartir sans heurt les richesses (et du même coup, le pouvoir royal, les Parlements, les tribunaux et la police se trouvent justifiés). A côté de cela, l’institution du mariage va permettre de réglementer le désir, le refus de l’inceste assurant par ailleurs un échange « policé » des femmes (comme disent les anthropologues). La société et ses règles servent donc à assurer la libre circulation des biens et des femmes afin de préserver la paix dans la cité.

D’autres éléments viendront étoffer cette idée d’une « culture » spécifique à l’homme, éléments qui seront capables de le définir (le distinguant enfin définitivement de l’animal). Il y aura par exemple le sentiment religieux et l’ensevelissement des morts. Chaque peuple aurait connu la même histoire. Une fois sorti de l’état de nature, il passerait par une étape théocratique (époque des oracles, de la magie etc.), puis ce serait l’âge des héros (l’aristocratie guerrière) et enfin l’âge des monarchies librement consenties.

Il existe donc entre les peuples une hiérarchie des cultures, depuis les sociétés primitives jusqu’à la France de Louis XIV, hiérarchie qui reflète leurs différents degrés d’évolution vers la Raison. Dès lors, par peur de l’animalité qu’il ressent en lui, l’homme occidental ira jusqu’à rejeter le sauvage du côté de l’animal (ce qui justifiera toutes les persécutions). Pour expliquer pourquoi certains pays sont très évolués alors que d’autres sont encore proches de l’état de nature, on se servira des climats. C’est parce qu’ils n’ont pas eu la chance de vivre dans un climat tempéré, comme celui de l’Europe occidentale, que les habitants du Nouveau Monde sont restés sauvages ou que les Orientaux vivent toujours sous des régimes dictatoriaux.

Mais si la culture que l’homme s’est volontairement donnée est ce qui le différencie de l’animal, on imagine le tollé que provoquera plus tard la théorie du « Bon Sauvage » que développera Jean-Jacques Rousseau. Venir dire que la société corrompt l’homme et que l’état de nature est préférable, c’est littéralement remettre en question la définition de l’homme que l’Âge classique finissant avait eu tant de mal à trouver.

La seule solution acceptable, finalement, pour surmonter cet antagonisme entre l’animal et l’homme sera la théorie de l’évolution. Celle-ci ne niera pas le côté « animal » de l’homme, mais lui rendra sa position privilégiée en le plaçant au somment de la hiérarchie.

Il serait d’ailleurs intéressant de se demander pourquoi ces théories de l’évolution font maintenant partie de notre inconscient collectif. C’est peut-être moins parce qu’elles sont exactes (je ne les remets d’ailleurs pas ici en cause) que parce qu’elles apportent des réponses satisfaisantes à certaines questions qui étaient demeurées longtemps insolubles.

Mais revenons à l’Âge classique. Dire que la Culture définissait l’homme et le sortait de l’animalité, c’était bien. Mais comment expliquer alors que les peuples dits sauvages continuaient  d’exister et ne s’étaient pas encore détruits ? Ils n’avaient pas de règles pourtant. Et les animaux alors ? Ils n’avaient aucune règle politique ou morale et pourtant ils ne disparaissaient pas. Pourquoi l’homme civilisé aurait-il dû être le seul dont la survie devait dépendre des règles qu’il s’était données ?  Problème insoluble, comme on le voit, que s’empressera de mettre en évidence un Pierre Bayle. C’est Spinoza, cependant, dans son « Tractatus theologico-politicus » qui fera vaciller définitivement cette idée d’un contrat social qui définirait la culture et donc l’homme.

Pour Spinoza, l’état de nature est sans doute barbare, mais on y vit libre. Il ne voit donc pas ce qui aurait amené l’homme à renoncer à sa liberté immédiate dans l’espoir d’un bonheur futur que la société et ses lois lui apporteraient. Non, si l’homme a accepté ce contrat, ce n’est pas par un acte de raison mais simplement afin d’accroître les moyens d’assouvir ses appétits. Autrement dit, la société policée émane des mêmes passions qui régissaient le monde du désir, autrement dit celui de la pure nature. Finalement, vu les lois drastiques que la société impose et vu la tyrannie exercée par beaucoup de pouvoirs politiques, Spinoza en vient à se demander si l’état de culture est fort différent de l’état de nature. En d’autres mots, la belle définition qui permettait de distinguer l’homme de l’animal était une nouvelle fois remise en doute.

Par ailleurs, un autre problème se posait, celui de la diversité des cultures. Si les hommes peuvent être aussi différents d’un pays à l’autre (ils ont d’autres coutumes, d’autres habitudes, d’autres lois, d’autres religions), c’est qu’il n’existe pas une raison unique et universelle, mais une série de possibles que l’éducation reçue par les parents va restreindre à la Raison du pays où on vit. De là il ressort que l’homme ne serait pas unique, mais qu’il y aurait autant de différences entre les hommes qu’entre un homme et un singe. Décidemment, il est bien difficile pour l’espèce humaine de se définir et de sortir de l’animalité…

Après toutes ces interrogations qui ont bouleversé l’Âge classique, le XVIII° siècle des Lumières tranchera finalement pour la science. L’homme n’est peut-être pas un être privilégié voulu par Dieu (version biblique), il n’est peut-être qu’un être perdu dans l’infini de l’espace (rappelez-vous l’angoisse de Pascal devant le vide sidéral), comme l’ont démontré Bruno, Galilée ou Gassendi, mais il est le seul à pouvoir dominer la nature et la transformer. En d’autres termes, l’homme est une sorte de Dieu lui-même puisqu’il est capable d’améliorer son habitat naturel, ce que ne peut pas faire l’animal. On comprend mieux, dès lors tout l’engouement qui se développera pour la science. Outre le fait qu’elle permettait en effet de faire de nouveau de l’homme un être privilégié, elle dressait enfin une barrière infranchissable entre lui et l’animal.

Notons que ces arguments sont toujours ceux que l’on entend aujourd’hui : l’animal ne parle pas et s’il est parfois habile (voir la complexité de construction d’un nid d’oiseau par exemple), il ne construira jamais un avion et n’ira jamais sur la lune. C’est un fait.

En conclusion, j’ai voulu montrer par ce long détour dans l’histoire de la culture que la conception que nous avons des animaux dépend en grande partie de l’époque dans laquelle on vit. Le regard que nous portons sur eux n’est pas objectif, mais dépend en fait de la manière dont l’homme se définit lui-même à l’époque où il vit.

Qui aujourd’hui mépriserait son chien parce qu’il n’aurait pas d’âme ? Qui considérerait que les cris de ce même chien, lorsqu’il est frappé par un bâton, n’auraient rien à voir avec la douleur puisque l’animal n’est qu’un objet mécanique qui ne ressent rien ? Personne évidemment, parce qu’aujourd’hui le statut de l’animal a changé. On a légiféré pour le protéger et les actes de cruauté comme certaines expérimentations médicales ou scientifiques ont été proscrits. Non seulement on ne tolère plus qu’on fasse souffrir un animal, mais même son bien-être doit être assuré (cependant, quand on voit les élevages de porcs ou de volailles…).

Ceci étant dit, peut-on franchir une étape et dire que l’animal éprouve des sentiments ? Sans tomber dans un anthropomorphisme primaire, je crois que oui. Evidemment, tout est une question de degré dans la hiérarchie. On peut supposer qu’un chien ou un singe éprouvera davantage d’affects qu’un poisson rouge ou un verre de terre. Et bien sûr on ne va pas prétendre ici qu’il y a une similitude totale entre les sentiments des animaux et ceux des humains. On ne peut nier, cependant, qu’un chien puisse être triste à ses heures (voire carrément malheureux) et bondir de joie à d’autres. On voit dans son regard qu’il comprend même une certaine forme d’humour. Jouez à cache-cache avec un chien et vous verrez son regard amusé non seulement quand il gagne la partie, mais même quand il la perd et qu’il comprend que vous avez rusé avec lui.

Bien sûr, les animaux ne parlent pas, mais ils se comprennent entre eux pourtant. Et ils savent également se faire comprendre de l’homme. Certes, ils ne disposent pas d’un langage articulé et élaboré, mais il n’en reste pas moins qu’ils communiquent. Si on accepte le fait qu’ils sont à un stade moins évolué que nous dans la chaîne du vivant, cela ne posera pas trop de problèmes pour leur accorder ces facultés. Par contre, si on veut creuser un fossé infranchissable entre eux et nous, cela devient plus difficile à accepter. Mais n’est-ce pas justement le désir de nier l’animal qui est en nous qui nous pousserait à raisonner de la sorte ? La vieille opposition Culture/Nature dont nous avons longuement parlé ici continuerait-elle à nous influencer ?

L’absence de langage articulé entrave forcément l’animal dans la transmission des « connaissances » d’une génération à l’autre et c’est peut-être bien à cause de cette carence qu’il n’évolue pas beaucoup dans  ses comportements, se contentant de s’adapter aux changements de la nature, mais ne dominant jamais cette dernière, à l’inverse de l’homme. Pourtant, les conquêtes de l’homme sur cette nature sont-elles toutes bénéfiques ? Le scientisme n’a-t-il pas ses limites ? L’époque technicienne que nous connaissons ne risque-t-elle pas de nous entraîner vers des catastrophes terribles (voir l’incident nucléaire de Fukushima ou le réchauffement climatique). Alors, dire que l’homme est différent de l’animal parce qu’il domine la nature, c’est vrai évidemment, mais est-ce que notre culture elle-même n’a pas ses limites ? L’animal a continué de subir la nature, mais il a survécu. Nous, nous avons décidé de domestiquer cette nature, mais nous comprenons aujourd’hui que nous risquons d’aller trop loin et de disparaître. Il faudrait des garde-fous, mais il n’y en a pas. Le système s’est emballé et plus personne ne le maîtrise (voir les livres de Jacques Ellul). Dès lors, à l’échelle des siècles, qui sera finalement le plus raisonnable ? L’animal qui sera parvenu à survivre ou l’homme qui  aura anéanti la planète et lui-même par la même occasion ?

Alors, bien sûr la parole nous distingue de l’animal. L’écrit aussi et encore l’ordinateur. Mais est-ce pour cela qu’il faut dire que cet animal n’éprouve rien et ne ressent rien ? Bien sûr il n’enterre pas ses morts, mais peut-on dire qu’il est toujours indifférent lorsqu’un de ses congénères disparaît (voir les « cimetières » où les éléphants retournent souvent, comme s’ils venaient méditer sur leur destin) ? En fait nous n’en savons rien et dans le doute mieux vaut ne pas prendre position.

Ce qui est certain c’est qu’entre l’être humain et l’animal un « langage » est possible, un langage archaïque sans doute et qui doit remonter à nos propres origines, mais pourquoi vouloir le nier ?  Nous autres, citadins, nous aspirons à retrouver la nature. Pourquoi ne pas nous laisser guider par ces êtres qui comme nous partagent la même planète et la même époque ?

 


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Commentaires

J'entendais mercredi sur France-Culture, un échange avec une philosophe, psychologue-clinicienne, qui disait comment la présence animale peut participer d'une aide en thérapie.
L'animal comme altérité et comme sujet psychique.
Il s'agit (dans une proximité avec les idées avancées par Derrida) de relations singulières, de sujet à sujet, et non de "catégories" d'invidus ou d'animaux. Un humain singulier, un animal singulier, une relation singulière.
C'est aussi l'animal pris dans sa capacité à prendre des initiatives (ce n'est pas une instrumentalisation de l'animal) : par exemple un chien se "laissant tomber à terre", comme la malade qu'il côtoie.
L'animal "agissant" au niveau de l'inconscient, des sentiments archaïques, parfois comme "révélateur".
La possibilité pour l'homme d'une relation où il s'abandonne car il n'a pas avec l'animal de souci "d'auto-représentation".

Références de l'émission :

http://www.franceculture.com/emission-le-journal-de-la-philosophie-l-animal-a-l-ame-2011-10-19.html

Écoute possible :

http://www.franceculture.com/player/reecouter?play=4329003

Écrit par : Michèle | 21/10/2011

Merci pour ces liens. Oui, j'ai déjà vu cela. De jeunes handicapés qui s'ouvraient enfin un peu par l'intermédiaire d'un animal. Car il y a "quelque chose" qui passe.

Écrit par : Feuilly | 21/10/2011

Merci surtout à toi pour ces articles. Pour la réflexion et les échanges qu'ils suscitent. Pas sûr, par exemple, que j'aurais écouté cette émission, sur laquelle je suis tombée par hasard, alors que j'étais en voiture (situation idéale, faire de la route, pour écouter la radio :)

Quand je vois d'où tu as démarré (la Bible), je souris en pensant que j'ai donné à mon chat noir, le nom d'un père de l’Église : Athanase. Parce que le jour où, de la SPA, ce chat est venu chez nous, c'est moi qui ai eu le privilège de choisir son nom et je lisais "Telling", de François Taillandier, (Stock, 2006), roman dans lequel il y avait un "Athanase":)

Écrit par : Michèle | 21/10/2011

Je lis qu'Athanase était égyptien (Alexandrie) et qu'il a joué un rôle déterminant lors des premiers conciles pour fixer la doctrine de l'Eglise. Il s'est opposé à l'arianisme (le Christ est subordonné au Père) pour défendre la "consubstantialité" (le Fils est distinct mais consubstantiel au Père), ce qui mena en droite ligne au principe de la Trinité.

Je dis tout cela histoire de rappeler que les dogmes actuels de l'Eglise auraient pu être différents de ce qu'ils sont aujourd'hui. Si une thèse l'a emporté sur une autre, c'est uniquement dû à la ténacité et au caractère (parfois irascible dans le cas d'Athanase) des évêques présents. Une fois le dogme admis, il n'a plus été question d'y toucher. Cette rigidité est sans doute regrettable pour les esprits libres, qui préféreraient chercher par eux-mêmes la meilleure manière de concevoir leur dieu.

Enfin, nous sommes partis de la Genèse pour arriver aux animaux et voilà que nous repartons du chat d'une commentatrice pour finir par une réflexion sur l'Eglise primitive. la boucle est bouclée ou le serpent se mord la queue, comme on veut. Le serpent d'Eve, bien entendu.

Écrit par : Feuilly | 21/10/2011

Et si on créait un être vivant mi-homme, mi-animal ? Ce n’est plus de la science fiction ! Actuellement les scientifiques sont capables de créer des chimères, mais la loi leur interdit d’aller jusqu’au bout de la création. Les parlementaires anglais ont donné leur feu vert pour l'intégration d'ADN humain dans des ovules d'animaux. Cette manipulation permet d’obtenir des organismes dotés de deux patrimoines génétiques distincts (chimères). Pour le moment, ces hybrides sont réservés à des fins exclusivement scientifiques et doivent être détruits au plus tard au bout de 14 jours de développement. Il est aussi interdit de les implanter dans l'utérus d'une femme ou d'un animal. Peut-on imaginer le résultat d’une telle implantation ?
Évidement, les catholiques s’opposent farouchement à la loi britannique et dénoncent ce qu’ils appellent des " expériences à la Frankenstein". On imagine facilement la raison : elles aboliraient la dichotomie entre l’homme et l’animal, affirmation appuyée par les textes bibliques. Vous disiez dans le premier chapitre : "Selon la Genèse, Dieu a d’abord créé les animaux, puis l’homme (à son image), dont la mission était de commander aux premiers". Encore une fois, la science des hommes met à mal les dogmes religieux.

Écrit par : Halagu | 22/10/2011

@ Halagu : perspective inquiétante que celle que vous évoquez là. Je ne doute pas un instant qu’avec un peu de persévérance la science n’arrive à fabriquer cet hybride mi-homme mi-animal. Mais sans vouloir donner raison à l’Eglise, on peut quand même se demander où cela pourrait nous conduire.

Il y a certainement des avantages dans le domaine médical (transplantation d’organes sans rejets ou que sais-je) mais il y a aussi beaucoup d’inconvénients.

Ellul, dans ses livres, nous apprend que chaque fois qu’une invention technique ou une découverte scientifique voit le jour, on trouve toujours une bonne raison pour ne pas s’arrêter et aller plus loin, ce qui revient à nier (ou à ne pas vouloir voir) les dangers que cette invention ou cette technique pourraient comporter en elles-mêmes.

Par exemple, on construit une centrale nucléaire pace que cela permet de polluer moins qu’une centrale classique et parce que cela nous assure une relative indépendance énergétique, mais on néglige le fait qu’on la construit dans une zone sismique. La réponse, nous l’avons à Fukushima.

J’ai bien peur qu’il n’en soit de même ici. Cette chimère porte bien son nom et dieu sait où elle nous mènera. L’homme, ici, mange une nouvelle fois du fruit défendu. Si Adam et Eve avaient découvert leur sexualité et le mystère de la procréation, il en va de même ici. Car c’est vraiment jouer avec les possibilités du vivant ce qu’on fait là.

On a le même problème avec les recherches sur les embryons humains ou les cellules souches. Ces recherches offrent de nombreux avantages (comme des réparations spontanées d’organes) et je sais bien que si on avait stoppé les recherches, la fécondation in vitro, par exemple, n’existerait pas. Mais il faudrait peut-être non pas savoir s’arrêter, mais savoir s’arrêter à ce qui est bon pour l’humanité. Mais qui aura l’autorité pour dire ce qui est permis et ce qui ne l’est pas ?

Le risque, avec vos chimères, c’est que la distinction entre les espèces va disparaître. Bien sûr on sait que la nature elle-même ne fait pas autre chose que de composer tous les possibles à partir d’un schéma primitif très simple. Elle s’est amusée à créer les dinosaures et bien d’autres espèces aujourd’hui disparues (et dont l’existence comme la disparition ne nous émeuvent pas du tout). Pourquoi, dès lors, me direz-vous, ne pas s’amuser à faire comme la nature et mélanger les espèces pour en créer de nouvelles (ce que la nature aurait d’ailleurs peut-être fait elle-même un jour) ? Certes, mais de là à créer un hybride homme-animal, cela fait quand même peur.

Ce qui est amusant, c’est que c’est vous qui aviez réagi autrefois quand j’avais dit que les animaux avaient des sentiments. Vous aviez alors fait remarquer qu’il y avait tout de même une barrière entre l’homme et l’animal (parole, conscience de la mort future, etc.). Et maintenant, voilà que vous abolissez toutes ces différences pour créer une chimère. Du coup, c’est moi qui me braque et qui revendique une certaine spécificité pour l’homme. Comme quoi nous réagissons plus avec nos sentiments qu’avec notre raison.

Écrit par : Feuilly | 22/10/2011

Il est difficile de faire des commentaires brefs sur des sujets aussi importants. A un moment ou un autre on tombe dans le piège des malentendus. Je vais essayer préciser certains points.

- Les scientifiques anglais créent déjà des chimères. Ils les utilisent dans la recherche médicale et, pour se conformer aux lois, ils les détruisent au bout de quatorze jours. Donc techniquement il n’y a plus de barrière.
- Je suis de votre avis, la création d’un être vivant hybride n’est pas souhaitable. Si j’ai évoqué cette manipulation génétique, c’est seulement pour dire que les religions n’ont pas prévu qu’un jour l’homme prendra en charge la création d’un être vivant et qui sera simultanément homme et animal. L’interfécondité,entre espèces, est à présent possible. Ceci est un imprévu supplémentaire qui contredit les textes religieux. A ce rythme, que restera-t-il dans un siècle des fondements de l’édifice religieux? Cette question hante les églises et, par réaction de défense active, elle participe probablement à l’émergence de l’intégrisme.

-Je ne suis pas du tout pour la suppression des barrières entre les espèces. Je suis convaincu qu’une créature hybride signera la régression de l’espèce humaine. Imaginez un hybride qui hériterait de l’animal l’impossibilité d'apprentissage de langage et de l’homme une parfaite représentation de la mort ! On peut envisager bien d’autres combinaisons insupportables.

- Vous dites : « Le risque, avec les chimères, c’est que la distinction entre les espèces va disparaître ». Je confirme, c’est un risque réel. Et je voulais vous l’entendre dire, c’est fait ! On sait, depuis longtemps, que génétiquement la différence entre l’homme et l’animal est minime. Ce qui nous distingue est ailleurs et il est important (langage, raison, relation à la société, conscience de la mort, …). C’est ce qui a fait dire à Nietzsche et aux matérialistes que la différence entre nous et l’animal est une différence de degré et non de nature. Une atténuation de « degré » risque de créer un groupe d’individus intermédiaires, un lieu où l'on relègue les personnes jugées « médiocres », une aubaine pour tous les Hitler à venir ! Et c’est pour cette raison que je suis effrayé par l’attitude de certains qui consiste à vouloir abolir toute barrière entre l’homme et l’animal. Je suis convaincu que le narcissisme de l’espèce est protecteur !

Continuez à revendiquer une certaine spécificité pour l’homme et nous nous rencontrerons autour de ce qui nous unit, mon frère. Vous voyez, c’est presque un prêche !!!

Écrit par : Halagu | 23/10/2011

Et nous revoilà à cette bonne vieille île du docteur Moreau !
Sauf que les avertissement des Wells ou autres Huxley n'ont jamais rien empêché et, comme Icare, l'enfant ou l'apprenti sorcier, l'homme doit toujours faire ses propres expériences et s'y brûler les ailes ou les doigts plutôt deux fois qu'une. Pire! L'enfant ne touchera pas deux fois le fer à repasser (qui à essayer avec la plaque à cuisson) tandis qu'à l'homme, évidement, Tchernobyl n'a pas suffi... ni, sans doute, Fukushima, et tant ira la cruche à l'eau que... J'ai de sérieuses appréhensions pour mes gosses, mais, de toute façon, nous n'y pouvons rien, lorsque même les fortes voix des visionnaires éclairés et célèbres, n'ont jamais retenti que « in deserto ».

Écrit par : giulio | 23/10/2011

@ Halagu : merci pour ces précisions. Nous sommes évidemment d’accord en ce qui concerne la religion et la véracité du texte biblique. Evidemment, beaucoup de croyants répondent qu’il faut comprendre ces textes comme des fables ou des paraboles qui tentent d’expliquer la formation du monde et ne pas y chercher une vérité objective. Si on discute un peu avec eux, c’est tout l’Ancien Testament qu’ils finissent par rejeter, seul comptant pour eux le message d’amour du Christ. Soit. Mais si on doute de l’A.T., pourquoi ne pas douter aussi du Nouveau et de cet épisode clef qu’est la Résurrection ? Enfin, c’est un autre débat…
Nous sommes bien d’accord aussi pour conserver une barrière entre l’homme et l’animal, même si celle-ci est ténue et en tient pas à une différence de nature mais de degré. Par contre, il ne faudrait pas nier chez l’animal une certaine intelligence et certains « sentiments » (même s’ils sont sans doute plus frustres que les nôtres, on est bien d’accord) et n’en faire qu’un être stupide afin de mettre en valeur la spécificité de l’homme. Je crois au contraire que les animaux, si frustres soient-ils, peuvent nous apprendre des choses. Le fait qu’un « je ne sais quoi » comme disait Jankélévitch, peut passer entre l’homme et une espèce différente de lui est déjà en soi assez extraordinaire.

@ Giulio : oui, les discours de prudence ne servent à rien, c’est un fait. C’est cela qui est effrayant. Des individus isolés et clairvoyants peuvent mettre en garde, cela ne sert strictement à rien. La technologie continue sa logique et personne ne peut l’arrêter. Je redoute le moment où certains vont trouver un virus auquel certaines races seulement seront sensibles… Il y en a déjà qui veulent ressusciter le virus de la peste noire du Moyen-âge à partir d’ossements des victimes.

Écrit par : Feuilly | 24/10/2011

petit jeu de mots ou paraphrase sur Virgile (Enéide) : "timeo scienciae et dona ferentes"

Écrit par : giulio | 24/10/2011

Timeo Danaos et dona ferentes (« Je crains les Grecs (accusatif) apportant des cadeaux »)

Il faudrait mettre "scientias", non?

Écrit par : Feuilly | 24/10/2011

Giulio parodie Virgile et on peut traduire par "j'ai peur de la science quand elle fait des cadeaux", "j'ai peur des cadeaux de la science" :)

Écrit par : Michèle | 24/10/2011

Oui, je crains la science, même quand elle fait des cadeaux. La sagesse des anciens, leurs pures allégories (la guerre de Troie n'a peut-être jamais eu lieu) s'appliquent en toutes circonstances et tout au long de l'histoire.
N'appelle-t-on pas certains virus infectieux, mais aussi informatiques "cheval de Troie"? Quoiqu'il en soit, Feuilly, tu as raison de m'épingler sur mon latin d'il y a plus d'un demi siècle (pas une excuse). J'eus dû prendre l'accusatif. Mea culpa!

Écrit par : giulio | 24/10/2011

@ Michèle : non un accusatif suivi chez Virgile d'un participe présent lui aussi à l'accusatif.

@ Giulio : oui, les allégories antiques nous suivent toute notre vie, finalement. Cela va finir par se perdre dans les générations suivantes, toutes centrées sur le commerce, le savoir-faire, la management et plus du tout sur la culture au sens nous l'entendons nous.

Écrit par : Feuilly | 24/10/2011

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