25/01/2013
Dans le métro
Il était entré dans le métro en même temps que moi et je ne faisais pas attention à lui. Puis subitement, comme les portes étaient toujours ouvertes, il est redescendu sur le quai. Sans le vouloir, il m’a un peu bousculé et s’est excusé très poliment.
Pourquoi sortait-il de la rame dans laquelle il venait d’entrer ? Etrange. C’est là que je l’ai regardé. Trente-cinq à quarante ans, une barbe courte, une veste normale, le capuchon de son pull sur la tête, il tenait en main un sac en plastique.
Puis subitement il s’est mis à parler tout seul. C’est là que j’ai compris que quelque chose n’allait pas. Il parlait parce qu’il était perdu et qu’il n’en pouvait plus de tout le silence qu’il avait enduré depuis des jours. Du coup, son sac en plastique, qui m’avait d’abord paru anodin, prit tout son sens : c’était son seul bagage, son seul avoir dans la grande ville où il devait sans doute chercher chaque soir un endroit où dormir. Peut-être ici, justement, dans les couloirs du métro.
Lui, continuait à parler, en nous regardant tous, nous qui étions restés à l’intérieur. Ce qu’il disait était un peu incohérent et je ne pourrais pas le retranscrire ici. Moi je regardais ses yeux : des yeux plein de gentillesse, ceux d’un homme perdu à qui la vie n’avait pas fait de cadeau.
Puis tout en me fixant moi, il a continué son discours en arabe. Mais calmement, posément, sans élever la voix. Il n’avait rien d’un fou privé de raison. C’était un homme, tout simplement, un homme qui disait sa souffrance et qui regrettait l’indifférence de ses semblables. C’est du moins ce qu’il me semblait comprendre, à travers son langage pour moi inconnu.
Les portes se sont finalement refermées avec un claquement sec et le métro nous a emportés, laissant là sur le quai cet Arabe qui resterait à jamais un étranger.
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21/01/2013
De la guerre au Mali.
Sur ce site Marche romane, j’ai toujours marqué mon opposition à l’invasion de la Libye et à l’actuelle déstabilisation de la Syrie. Indépendamment de ce que l’on peut penser des régimes de Kadhafi et de Bachar-el-Assad, qui n’ont rien de très démocratiques, il faut cependant reconnaître qu’ils offraient l’avantage de faire vivre ensemble et dans la paix des peuples de races et de religions différentes. Ces deux régimes avaient aussi comme caractéristique de s‘opposer à la domination occidentale et à celle du grand capital, ce qui, de leur point de vue, me semble respectable. Pourquoi devraient-ils se soumettre à une influence étrangère qui vient piller leurs ressources comme au temps des colonies ? De plus, le niveau de vie de la population n’était pas si mauvais que cela. En Libye, une grande partie de l’argent du pétrole était réinjecté par l’Etat dans l’économie locale. Il existait des banques alimentaires pour les plus démunis et les familles nombreuses, tout le monde pouvait faire des études et la condition féminine n’avait rien à voir avec ce qui se passe chez nos amis saoudiens, par exemple, puisqu’il y avait des femmes médecins, avocats, professeurs d’université, etc. En Syrie, que je sache, existait une grande liberté religieuse. Même si Bachar–el-Assad s’appuie essentiellement sur les Alaouites, les femmes portent ou ne portent pas le voile, selon le courant de l’Islam auquel elles appartiennent. Il y a des Chrétiens, des Kurdes, des Arméniens, des Maronites, etc. et ces gens vivaient quand même en grande harmonie dans un pays qui n’était pas pauvre et qui pouvait se défendre militairement et se faire respecter.
Bref, l’Occident a armé des intégristes musulmans pour faire tomber Kadhafi (qu’on a exécuté pour être certain que ses nombreux partisans ne poursuivent pas la lutte) et aujourd’hui pour chasser Assad du pouvoir. Une partie de ces intégristes musulmans, une fois la guerre terminée en Lybie, sont partis combattre en Syrie (preuve que la guerre « civile » qui y règne n’a rien d’un soulèvement intérieur), tandis que l’autre partie s’est dirigée vers le Mali, avec toutes les armes qu’ils ont pu trouver (celles que l’Occident leur avait données et celles qu’ils ont volées dans les stocks de l’armée libyenne en déroute).
Bref, on se retrouve aujourd’hui avec des djihadistes qu’on soutient en Syrie et d’autres (les mêmes) qu’on combat au Mali.
Dans mon dernier billet, tout en soulevant toutes ces contradictions de l’Occident, j’ai eu la naïveté de dire qu’il convenait quand même, au Mali, de combattre ces intégristes qui imposent la charia et détruisent des monuments classés sous prétexte qu’ils ne correspondent pas à leur foi (ce qui en dit long sur leur ouverture d’esprit). Depuis, cependant, j’ai un peu réfléchi et je me suis dit que je m’étais peut-être laissé influencer par la propagande officielle.
En effet, on se souvient qu’avant d’envahir l’Afghanistan, on nous a bien abreuvés d’articles sur la destruction des statues bouddhiques par les Talibans. On nous a expliqué aussi comment ils pratiquaient une justice sommaire et n’hésitaient pas à lapider une femme adultère (laquelle, la pauvre, avait été mariée de force à 15 ans à un homme de 50 ans et qui voulait juste vivre le grand amour avec un homme de son âge). Tous ces événements étaient vrais et c’est bien pour cela que je n’aime pas les régimes qui s’appuient sur la religion et que je leur préfère des régimes laïcs (la France ne cesse d’ailleurs de répéter avec fierté qu’elle tient à la laïcité de ses institutions) comme l’étaient ceux de Kadhafi et de Bachar-el-Assad. Ces événements étaient vrais mais on les a bien mis en évidence dans notre presse pour justifier l’invasion de l’Afghanistan.
Alors, ici, avec le Mali et la destruction des mausolées de Tombouctou, je me demande si on n’est pas en présence de la même propagande. Plutôt que d’avouer qu’on a commis une belle bêtise en armant les djihadistes contre la Libye puisqu’ils retournent maintenant ces armes contre nous, on se contente de les laisser avancer le plus loin possible à l’intérieur du Mali, on relate abondamment toutes leurs exactions (que je n’approuve certes pas), puis on passe à l’offensive militaire. Pour le dire autrement, est-ce qu’ils ne font pas fonction d’idiots utiles ? Parfois on les envoie au front pour faire tomber les régimes qui ne nous plaisent pas et parfois on se sert de leur présence dérangeante pour s’imposer militairement dans une région où nous avons pas mal d’intérêts économiques.
Mais ces guerres coûtent cher. Très cher même. Alors qu’on demande aux citoyens occidentaux de se serrer la ceinture (dette publique et désir de respecter les fameux 3% du traité de Maastricht), subitement on retrouve de l’argent pour aller au Mali. Là il n’y a aucun problème. Et on nous ressert le discours humanitaire habituel : il faut aller protéger les populations du sud du Mali, pays démocratique s’il en est. Bref, on ne fait même plus de l’ingérence humanitaire, mais de la prévention humanitaire. Je ne dis pas que la population noire ne mérite pas, en effet, d’être protégée de ces islamistes enragés qui ont tout d’une bande mafieuse. Ce que je dis, c’est que j’ai des doutes quand François Hollande, la main sur le cœur, nous dit qu’il est du devoir moral de la France d’aller aider la population la plus pauvre du globe afin d’éviter qu’elle ne tombe plus bas encore. Mais si le Mali est notre ami et si la misère y règne, pourquoi la France a-t-elle attendu cette invasion islamiste pour voler à son secours ? On a eu cinquante ans (depuis la décolonisation) pour aider ce pays à se relever et on n’a pas fait grand-chose, que je sache. Or ici, on a été capable en quelques heures de mettre sur pied une armada militaire qui coûte certainement plus cher que l’aide alimentaire ou économique que l’on aurait pu apporter. Tout cela me semble louche. La rapidité de notre intervention aussi, qui laisse supposer que tout était prêt de longue date et qu’on n’attendait qu’un prétexte pour entrer en action.
Après la guerre de Sarkozy contre la Libye (dont Total est certainement le grand gagnant et pas le peuple libyen), après le coup d’Etat (appelons-le comme cela) qui a permis à la France de renverser le président Gbagbo au profit d’un ancien du FMI, Alassane Ouattara, on peut dire que la France est très présente dans la région. S’emparer du Mali permettrait d’asseoir son influence du Maghreb et des côtes méditerranéennes jusqu’au golfe de Guinée.
Donc, au vu de ce qui précède, j’en viens à me demander si on ne nous manipule pas une nouvelle fois (les Talibans n’avaient pas grand-chose à voir avec la destruction des tours de New-York, Sadam Hussein n’avait pas d’armes de destruction massive, Kadhafi n’a jamais envoyé son aviation tuer 6.000 civils et ce n’est certainement pas Bachar-el-Assad qui commet des attentats tous les jours dans les zones qui sont sous son contrôle). A partir du moment où des islamistes intégristes ne servent pas nos intérêts (Libye, Syrie) mais se tournent contre des pays qui se montrent très coopératifs avec nos industriels, il faut les arrêter. Pour que la population occidentale accepte les frais de cette guerre, il suffit de demander à la presse de les diaboliser tous les jours (et certes, leurs exactions ne manquent pas). L’armée française était présente sur le terrain depuis longtemps et elle cherchait un prétexte pour s’implanter au Mali. Ces idiots de djihadistes viennent de lui en fournir l’occasion.
Remarquez en passant qu’on se garde bien de divulguer les horreurs commises par les islamistes qui combattent actuellement en Syrie. Il y a donc bien deux manières de présenter les événements, ce qui laisse planer quelques doutes sur les motifs réels de notre présence militaire au Mali. Quelque part, François Hollande poursuit donc la même logique expansionniste que son prédécesseur Sarkozy.
Mais, m’objecterez-vous, si la Libye avait du pétrole, si la Syrie a du gaz et représente en outre une menace pour Israël, que peut-on dire du Mali, un des pays les plus pauvres du monde ? Ces gens-là n’ont rien et notre action, purement désintéressée, se place dans la droite ligne de la France révolutionnaire de 1789, ouverte et généreuse. Ne croyez pas cela. Si la population malienne est pauvre, le sous-sol du pays, lui, ne l’est pas. Le Mali est un des premiers producteurs d’or au monde et il possède d’importants gisements d’uranium, sans parler du fer, du cuivre, de l’étain, du manganèse et du phosphate.
Quand on sait cela, on peut quand même se poser la question de savoir si notre intervention vise à sauver la population du joug islamique ou plutôt à conserver l’accès de nos industriels à tous ces gisements précieux.
Bon, me direz-vous, c’est un peu normal. D’accord, notre intention n’est pas purement humanitaire, mais au moins l’argent que la France va dépenser dans cette guerre va profiter à notre industrie, ce qui n’est quand même pas une mauvaise chose en période de crise. Je veux bien, mais de quelle industrie française parlez-vous ? Ces grands groupes, Total et Elf en tête, paient moins d’impôts que vous. Il s’agit en fait de multinationales qui n’ont aucune attache. Elles vont là où sont leurs intérêts et à partir du moment où elles ne paient pas d’impôts en France, pour moi elles ne sont plus françaises. On demande en fait aux citoyens de financer une guerre qui ne profitera qu’à ces grands groupes financiers et industriels et ni à la France ni aux Français. C’est le Capital dans toute son ampleur. Si les citoyens s’en rendaient compte, ils s’insurgeraient, évidemment. Aussi est-il utile de les monter contre ces affreux islamistes et de présenter cette guerre comme un acte humanitaire désintéressé. Du coup le citoyen veut bien ouvrir son porte-monnaie pour cette noble cause, comme il l’a fait déjà pour faire tomber l’affreux Kadhafi ou le méchant Assad.
D’ailleurs les habituels donneurs de leçon refont surface. Après Fabius et Hollande, voilà Kouchner qui vient justifier cette guerre au Mali. Il ne manque plus que BHL et ils seront tous là.
Une autre chose qui m’inquiète (et qui tend à prouver malheureusement que j’ai raison quant aux motifs réels de cette intervention) c’est la durée de l’opération. Alors que Laurent Fabius avait d’abord parlé de quelques semaines (histoire de rassurer, sans doute), le chef de l‘Etat dit maintenant que l’armée française restera au Mali « le temps nécessaire » pour éradiquer le terrorisme. Voilà qui peut durer longtemps, si on regarde le précédent afghan… Bref, on nous ment et le but réel de l’opération est bien de rester à demeure dans ce pays d’Afrique. Comme on ne peut plus dire comme autrefois qu’on en fait une colonie, on affirme qu’on vient protéger sa population.
Au moins, elle ne tombera pas sous l’emprise des islamistes, me direz-vous. C’est déjà cela, en effet, je le concède. Mais je regrette que personne ne signale que si ces islamistes sont bien armés, c’est en grande partie à cause de nous (la guerre en Libye) ou à cause de pays amis comme le Qatar ou l’Arabie. Si on laisse les monarchies du golfe financer ces enragés de Dieu, c’est qu’ils nous sont utiles, soit pour combattre sur le terrain à notre place, soit pour justifier notre intervention quand c’est nécessaire. Et la preuve que les djihadistes nous sont nécessaires, c’est que l’Occident fait tout pour affaiblir dans le monde arabe la pensée laïque et progressiste. On préfère favoriser des régimes archaïques comme l’Arabie (où il y aurait pourtant beaucoup à dire sur les droits de l’homme, puisque cette notion semble être devenue notre seule grille de lecture). Rien d’étonnant donc à ce que les pauvres des pays arabes, qui ne voient aucun avenir devant eux, se tournent vers cet extrémisme musulman. Je veux dire par là que notre politique dans ces pays favorise l’apparition du terrorisme, qu’il nous faut ensuite combattre (mais dont on se sert pour « envahir » certains pays comme hier l’Afghanistan et aujourd’hui le Mali).
Oui, mais tout n’est pas aussi noir que vous le dites, ferez-vous remarquer, il y a tout de même eu le printemps arabe. C’est vrai. Mais s’il fut spontané, ce printemps (ce qui n’est pas certain), il fut très vite récupéré par la bourgeoisie occidentale. On se retrouve en Tunisie, en Libye comme en Egypte (et demain probablement en Syrie) avec des mouvements religieux obscurantistes au pouvoir. Je ne vois pas ce que les peuples de ces pays vont y gagner. A part des dettes, évidemment, car sous prétexte de modernisation (mais qui va construire ? nos entrepreneurs occidentaux évidemment) les bons Frères musulmans égyptiens ou tunisiens sont en train de faire appel au FMI. On sait ce que cela veut dire. Pauvre printemps arabe…
L'armée française au Mali (d'après Libération)
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19/01/2013
"Mali" soit qui mal y pense.
Que dire de l’intervention au Mali ? Elle est relativement logique puisque c’est un pays ami qui s’est retrouvé agressé par des bandes armées. Ces bandes tiennent plus des réseaux mafieux qu’autre chose, elles imposent de force un islam radical, remplacent le droit par une charia sanguinaire (prévoyant lapidations et amputations), ne respectent pas les monuments religieux (atteinte à l’art et aux croyances), proposent une régression de la condition féminine et font peu de cas de la vie humaine. Bref, on peut comprendre qu’on décide de s’opposer à leur avancée.
Je voudrais simplement faire quelques remarques.
Il ne faudrait pas qu’on se lance dans une nouvelle guerre d’Afghanistan. Je veux dire que nos troupes armées vont se retrouver dans un pays inconnu face à une guérilla qui va les harceler. Les attentats et les coups fourrés ne vont pas manquer et si la guerre ne se termine pas rapidement par l’écrasement de l’adversaire (qui pour le moment est rassemblé pour entreprendre sa conquête du sud du Mali), on risque bien de se retrouver dans une guerre d’usure qui pourrait bien durer des années et concerner plusieurs pays (tout le Sahel et la région désertique comprise entre le Maghreb et l’Afrique noire).
Notre décision d’attaquer de front ces enragés de Dieu aura des conséquences en ce qui concerne le terrorisme (on le voit déjà avec la prise d’otages en Algérie et avec l’évacuation du métro de Lyon suite à une alerte à la bombe). Je veux dire qu’en voulant combattre le terrorisme, on ne fait généralement que l’accentuer et plus on tue de combattants, plus il en vient qui sont prêts à venger leurs frères. J’ai souvent expliqué sur ce site que c’est la politique expansionniste des Etats-Unis qui avait entraîné une résistance des populations locales humiliées et que c’est dans cette population qu’on allait trouver les futurs terroristes. Plus leur nombre augmente, plus ils nous font forcément du tort, et donc plus on les combat. Mais alors c’est un cercle sans fin car cela provoque une radicalisation de ces mouvements et on n’en finit plus.
Indépendamment du fait que ces djihadistes veulent imposer un islam radical et réactionnaire (en quoi ils n’ont certes pas ma sympathie), on pourrait quand même se demander si certaines de leurs revendications ne sont pas légitimes. Si on remonte aux temps de la colonisation, puis de la décolonisation, on se rend compte que les frontières de tous ces pays d’Afrique ne correspondent en rien aux réalités humaines. Le Mali, pour ne parler que de lui, se compose aux deux tiers d’un désert au nord, où vivent des populations d’origine berbère (Touaregs), nomades et de religion musulmane, tandis que dans la partie sud, nettement moins aride et plus propice à l’habitat, on trouve une population noire et sédentaire. Ces gens n’ont pas grand-chose en commun. Par contre, les Touaregs se répartissent sur plusieurs pays : sud de l’Algérie et de la Libye, nord du Mali et du Burkina-Faso ainsi qu’à l’ouest du Niger. On aurait donc pu imaginer qu’au moment de la décolonisation se soit constituée une grande nation touareg, ce qui a été refusé. Bien au contraire on a morcelé ce territoire qui constitue pourtant un ensemble géographique et culturel cohérent (en gros le Sahara où vivent des peuples nomades berbères) et on l’a réparti entre plusieurs états. Il ne faut donc pas s’étonner de retrouver des revendications autonomistes derrière les combats actuels. Il est un peu facile de se contenter de stigmatiser ces guerriers en disant que ce sont des membres d’AQMI (Al Quaida au Maghreb islamique). Ils sont cela aussi, certes, mais disons que les indépendantistes touaregs se sont plutôt associés aux membres d’AQMI pour parvenir militairement à leurs fins et proclamer leur indépendance politique. Malheureusement pour eux, une fois le nord du Mali « libéré », ils ont été évincés par les bandes paramilitaires d’AQMI.
Une autre réflexion qu’on pourrait se faire, c’est de se demander quels intérêts économiques nous sommes en train de protéger dans cette région. Je n’y connais rien du tout, mais je constate que l’armée française est déjà intervenue en Côte d’Ivoire, où elle a permis de chasser l’ancien président et de mettre à sa place Alassane Ouattara, un ancien du FMI, ce qui veut tout dire.
Enfin, je soulignerai une nouvelle fois la partialité de notre presse. Sans rien enlever à la légitimité de l’action en cours, je ne peux m’empêcher de faire un rapprochement avec la situation en Syrie. Là aussi nous avons des djihadistes bien armés (mais qui ont notre soutien, ceux-là) venus en grande partie de l’étranger (comme ici), qui s’en prennent à un gouvernement légal qu’ils veulent renverser. Dans les deux cas il s’agit d’imposer une certaine conception de l’islam sans respect aucun pour les croyances des peuples qu’on va soumettre, lesquels sont considérés comme méprisables par le simple fait qu’ils n’adhèrent pas aux mêmes croyances. Mais alors que la presse fustige les bandes d’AQMI et insiste sur leurs méfaits (la destruction des mausolées à Tombouctou), elle continue à présenter leurs frères de Syrie comme des opposants épris de démocratie (lesquels, s’ils en sont arrivés à prendre les armes et à commettre des attentats monstrueux comme celui qui a coûté la vie à plus de quatre-vingts étudiants à l’université d’Alep, n’ont été poussés à ces extrémités que par un régime qui n’a pas voulu écouter leurs revendications légitimes). Au Mali, par contre, on a critiqué les envahisseurs qui, pour échapper à l’armée française, s’étaient réfugiés dans une ville et s’étaient fondus parmi ses habitants, utilisant ceux-ci comme des boucliers humains. La même chose se passe tous les jours en Syrie, mais là on insiste sur la victoire des combattants qui se sont emparés d’une agglomération. Quand l’armée légale de Bachar el Assad se met à bombarder pour tenter de les déloger, on parle à juste titre de massacre. Pourtant l’autre jour on a vanté l’aviation française qui elle aussi avait bombardé les djihadistes qui s’étaient emparés de plusieurs quartiers d’une ville. Espérons tout de même que nos avions fassent moins de dégâts que ceux d’Assad. De cela on peut être certain, les différentes guerres du golfe nous ayant habitués à la précision chirurgicale de la force aérienne occidentale.
D'après Paris-Match, crédit photo: Photo Apa News/News Pictures (curieusement ces véhicules ressemblent à ceux que l'Occident avait fournis aux opposants de Kadhafi)
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15/01/2013
Une autre guerre humanitaire
Nous avons parlé de Napoléon Bonaparte et de son intervention en Egypte décidée soi-disant pour libérer son peuple et le délivrer des dirigeants qui l’opprimaient.
Trois quarts de siècle plus tard, c’est Napoléon III qui est au pouvoir. En 1860, il décide d’intervenir en Syrie (tiens donc !), alors province ottomane, pour « y rétablir l’ordre ». Que s’était-il passé qui justifiât cette intervention ? Environ 20.000 personnes, la plupart des Chrétiens, venaient d’être massacrées au Liban et à Damas, dans des affrontements intercommunautaires, ce qui avait fortement ému l’Occident (remarquez que les choses ont un peu changé, puisqu’aujourd’hui le même Occident soutient des djihadistes musulmans qui ne cachent pas leur intention de se débarrasser de la population chrétienne). On accuse immédiatement le pouvoir en place, à savoir les autorités ottomanes, au mieux d’avoir laissé faire, au pire d’avoir incité à la haine.
Bref, Napoléon III envoie donc 60.000 soldats, qui débarquent au Liban le 16.août 1860. Ils y resteront une bonne année, le temps que le calme revienne. L’empire ottoman étant affaibli, toutes les puissances occidentales cherchaient en réalité à se positionner pour s’emparer des morceaux du gâteau. La Russie souhaitait s’étendre vers le sud, tandis que la France, une nouvelle fois, cherchait à affaiblir l’Angleterre en se positionnant sur la route des Indes (tout en faisant du commerce). Il fallait donc conquérir La Syrie et pour y parvenir chacun s’était appuyé sur les minorités locales (ce qu’on fait encore aujourd’hui en dressant les Sunnites contre les Chiites) : les Français avaient choisi de protéger les Catholiques, les Russes les Orthodoxes et les Anglais les Druzes. Les massacres intercommunautaires de1860 n’avaient pas d’autre origine.
Un peu plus tard, en pleine Première Guerre mondiale, voilà les Français et les Anglais réconciliés. Du coup, ils organisent ensemble un blocus des côtes syriennes afin d’empêcher le ravitaillement en blé. Le but est de pousser les Arabes à se révolter contre l’Empire ottoman qui soutient par ailleurs l’Allemagne dans le conflit en cours. Affaiblir l’Empire et précipiter sa chute, c’est indirectement affaiblir l’Allemagne. On ne connaît pas le nombre exact des victimes, mais on estime que la famine qui a fait suite au blocus a causé la mort de 200.000 personnes au Liban et de 300.000 en Syrie.
Ca va, pour le moment la tentative de renversement d’Assad n’a encore fait que 60.000 morts.
Empire ottoman
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11/01/2013
Les guerres humanitaires ne datent pas d'hier.
En 1798, l’Egypte est une province de l’Empire ottoman. En pratique, elle est aux mains des Mamelouks (des anciens esclaves affranchis qui ont pris le pouvoir), qui dirigent à la place du sultan et oppriment le pays. La jeune France révolutionnaire, généreuse à souhait, décide d’organiser une expédition militaire pour délivrer le peuple égyptien du joug de ses tyrans et lui apporter les idées des Lumières.
On voit donc que la guerre humanitaire au Proche-Orient ne date pas d’hier.
Cependant, quand on y regarde d’un peu plus près, on se rend compte que la réalité est légèrement différente. D’abord, il y a eu une certaine pression des commerçants français installés en Egypte, qui se plaignent des tracasseries administratives imposées par les Mamelouks. Le commerce et l’argent primant sur tout, l’idée de conquérir l’Egypte était dans l’air. Mais il s’agissait surtout d’affaiblir la Grande-Bretagne (qu’on n’osait pas attaquer de front) et de lui enlever une de ses colonies tout en l’affaiblissant en lui coupant la route des indes.
On envoie donc un jeune général (un peu trop remuant) pour « délivrer » de ses tyrans la terre des Pharaons. Ce général s’appelle Bonaparte. Celui-ci, qui voulait ressembler à César et à Alexandre le Grand, accepte avec joie cette mission. Il remporte la Victoire des Pyramides. Malheureusement, Nelson, qui avec son escadre cherchait la flotte française depuis des semaines, la découvre enfin dans la rade d’Aboukir et la détruit. Voilà donc les soldats français à la fois maîtres et prisonniers des terres d’Egypte. Le futur Napoléon laisse là ses soldats et revient précipitamment en France tirer les fruits de sa victoire. Bientôt il se proclamera empereur.
Watteau, Bataille des Pyramides, musée de Valenciennes
Tout cela pour dire que les interventions pour des raisons humanitaires ne datent pas d’hier et que ceux qui les dirigent pensent avant tout à leur carrière.
Heureusement, l’expédition d’Egypte eut des conséquences scientifiques bénéfiques puisque Bonaparte avait embarqué avec lui des historiens, des botanistes et des dessinateurs, lesquels se mirent à faire une description détaillée de tout ce qu’ils voyaient (suivant les armées et dessinant parfois alors qu’ils étaient en selle sur leur cheval). Leurs travaux vont donner naissance à l’égyptologie.
Sur le plan militaire, l’opération fut finalement un désastre car coincée en Egypte et privée de son général qui avait regagné la France, l’armée française va devoir affronter les Anglais. Atteints de maladie, les soldats capituleront et négocieront leur rapatriement sur des vaisseaux britanniques. Les Anglais voulurent saisir tous les croquis qui avaient été réalisés par les scientifiques français, mais après de nombreux pourparlers, ces derniers purent les emporter ave ceux, seules les pièces historiques restant en possession des Anglais. Ce fut le cas de la fameuse pierre de Rosette, qui se retrouva au British Museum dès 1802.
Elle est écrite en deux langues (égyptien ancien et grec ancien) et trois écritures : écriture hiéroglyphique, écriture démotique (une version simplifiée et plus cursive de la précédente, qui s’est répandue à partir de la XXVI° dynastie car le nombre d’écrits à remplir par les scribes devenait très important) et alphabet grec. On espérait bien, en partant du grec, parvenir à déchiffrer enfin ces fameux hiéroglyphes. C’est Jean-François Champollion qui en perça le mystère, comme chacun sait. Il le fit à partir des copies faites lors de la campagne d’Egypte. Du coup, il sauva l’honneur de la France face à cette Angleterre qui venait de l’humilier sur le plan militaire.
Pierre de Rosette
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08/01/2013
De la partialité de la presse (2)
Comme pour l’article du Point commenté hier, il suffit d’écrire quelques mots clefs dans Google (en l’occurrence ici « Tirs de l'armée contre des groupes armés islamistes au Mali ») et vous trouvez une bonne vingtaine de journaux qui répètent le même texte issu de l’AFP.
Comme dans cet article d’hier également, on a affaire à des groupes islamistes intégristes, venus en grande partie de l’étranger, qui s’en prennent à un gouvernement légal. La seule différence, c’est que cela ne se passe plus en Syrie, mais au Mali.
La seule différence ? Non, car l’article dit exactement le contraire de celui analysé hier. Alors qu’en Syrie on nous parlait d’une opposition qui tentait de renverser un tyran sanguinaire pour rétablir la démocratie, on nous présente maintenant des «groupes armés islamistes » qui « occupent » le nord du Mali. C’est nettement moins valorisant, convenez-en. L’armée régulière (qui visiblement est bien vue par le journaliste) a procédé à des « tirs de sommation » (comprenez : il s’agissait simplement de se faire respecter, l’intention n’était donc pas de tuer) contre un « ennemi » qui a reculé. Ensuite, on explique pour les lecteurs qui l’auraient oublié que cet « ennemi » avait mis « deux mois et demi » pour s’emparer du nord du Mali (ce qui ne semble pas très glorieux) suite à une « offensive » contre l’armée régulière (le gouvernement légal est donc bien victime d’une agression).
Ensuite, on discrédite cet « ennemi », qui a dû s’allier aux rebelles Touaregs pour parvenir à ses fins, ce qui ne l’a pas empêché par la suite d’évincer purement et proprement ces mêmes Touaregs (quels traitres, ces islamistes !). De plus, ce n’est pas un mouvement islamiste unique qui s’en est pris ainsi au pauvre Mali. Non, c’est un ramassis de plusieurs groupes : les djihadistes maliens, mais aussi Mujao (un mouvement djihadiste qui concerne l’ensemble de l’Afrique) et Aqmi (autrement dit Al-Qaïda au Maghreb islamique, le pire de tous et dont le nom seul effraie le lecteur européen). Et comme si cela ne suffisait pas pour diaboliser cet « ennemi », on nous dit que ces envahisseurs ont avec eux « des hommes de la secte islamiste Boko Haram », dont j’avoue ne rien savoir, pas plus que vous sans doute, mais dont on devine, puisqu’il s’agit d’une secte, qu’elle doit tenir un discours déviant et intransigeant.
Bon, il faudra maintenant m’expliquer pourquoi ces djihadistes-là sont de méchants envahisseurs (qu’une armée internationale, dont la France fera sans doute partie, pourrait combattre afin de rétablir le gouvernement légal dans ses droits, ce qui serait une belle action désintéressée, convenez-en) tandis que leurs homologues qui envahissent la Syrie et la mettent à feu et à sang ont tout notre soutien.
Car si les faits décrits plus haut se passaient en Syrie et non au Mali, on aurait écrit :
- Que l’opposition avait démontré sa force en progressant vers le Sud
- Que l’armée avait riposté en ouvrant le feu
- Que cette opposition regroupe différents courants (et donc qu’elle est représentative de l’ensemble du peuple malien)
- Qu’elle occupe le nord du pays depuis des mois et que l’armée régulière n’est pas parvenue à la déloger
- Qu’elle est arrivée à se débarrasser des Touaregs, ce peuple semi-nomade perturbateur
Bref, il existe donc bien deux manières de présenter les mêmes faits et tout cela dépend visiblement des relations que nous entretenons avec le pays concerné. On peut donc à la fois combattre Al Quaïda en Afghanistan, s’en servir en Syrie et s’apprêter à combattre cette organisation au Mali. C’est ce qu’on appelle du réalisme politique. Le tout est de bien savoir présenter les choses à l’opinion.
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07/01/2013
De la partialité de la presse.
http://www.lepoint.fr/monde/syrie-les-chretiens-de-damas-vises-05-01-2013-1608811_24.php
La manière dont la presse rend compte du conflit syrien est tout à fait orientée. Tout d’abord, il faut savoir que l’article du Point repris ci-dessus, vous le retrouvez mot pour mot dans une série impressionnante de journaux (tapez « tir d’obus sur un quartier chrétien de Damas » dans Google et vous verrez combien de journaux sont concernés). On a donc bien affaire à un matraquage de la pensée. On veut faire croire que si tout le monde dit la même chose, c’est que c’est forcément vrai. Cette tactique a été bien utile pour discréditer de régime de Damas et nous faire croire que l’opposition était constituée de citoyens syriens pacifiques épris de démocratie.
Petit à petit, quand il devint évident que les « opposants » employaient les armes d’une manière aussi efficace que l’armée syrienne, il a bien fallu changer de discours. On a dit alors que le conflit se militarisait devant la dure répression du régime. Autrement dit : la lutte armée de l’opposition est légitime (notez en passant que la lutte armée du Hamas, qui envoie des roquettes sur Israël, n’est pas présentée de la même façon puisque là on nous dit en gros qu’Israël a le droit de se défendre)
Ce qu’on s’est bien gardé de nous dire, c’est que les « opposants » légitimes syriens ont vite été entourés et dépassés par de nombreux djihadistes venus des quatre coins du monde arabe. Il s’agit surtout « d’enragés de Dieu » qui ont déjà combattu un peu partout et dont un certain nombre sont directement issus des troupes d’Al Quaïda. Ces djihadistes sont armés par l’étranger (les pays arabes que nous soutenons comme l’Arabie et la Qatar). De plus, les services secrets américains, français et anglais, ainsi que certains éléments de l’armée de ces pays sont bien présents dans la région. Les conseillers russes, qui soutiennent Assad, ne manquent pas non plus, me direz-vous. Certes. Mais cela veut bien dire qu’on est en fait en présence d’un conflit entre la Russie et l’Occident et que ce dont il est question, c’est de se disputer la Syrie. Alors qu’on arrête de nous faire croire qu’il s’agit d’un conflit interne pour la démocratie. L’avenir du peuple syrien, tout le monde s’en moque. On a en Syrie des conseillers militaires et du matériel russes et en face un Occident belliqueux qui se sert de djihadistes fanatiques tout en leur fournissant des armes et un soutien logistique (les satellites américains doivent leur donner pas mal d’indications sur ce qui se passe sur le terrain, comme les satellites russes doivent donner le même genre de renseignements aux troupes d’Assad, d’ailleurs).
Mais revenons à notre article du Point. Qu’un obus soit bien tombé sur un quartier chrétien, cela ne fait pas l’ombre d’un doute. Mais alors il aurait fallu avouer:
-
que les djihadistes n’ont rien de simples « opposants »
-
qu’ils ne sont pas seulement armés d’armes légères mais aussi d’armes lourdes
-
qu’ils essaient d’impliquer dans le conflit les populations palestiniennes en exil en Syrie et les chrétiens syriens eux-mêmes, ces deux communautés étant restées jusque maintenant en dehors des affrontements (soit en prenant à contrecœur le parti de l’armée d’Assad qui était la seule à pouvoir les protéger, soit en constituant eux-mêmes des milices citoyennes pour empêcher les djihadistes d’envahir leurs quartiers)
-
Que les djihadistes ont bien dit qu’ils massacreraient tous les Alaouites et mettraient les Chrétiens dehors
Voilà ce que l’article du Point (ou des autres journaux qui recopient sans réfléchir les dépêches de l’AFP) ne pouvait pas dire sans heurter la sensibilité de ses lecteurs. Le public occidental ne comprendrait pas pourquoi nos gouvernements soutiennent des islamistes enragés dont le programme est de massacrer les civils innocents qui ne seraient pas de la même confession qu’eux (sont visés les chiites, les alaouites, les maronites et les chrétiens).
Alors, plutôt que d’avouer que des rebelles étrangers que nous soutenons tirent des obus sur une population civile chrétienne innocente, on se contente de citer le fait sans rien dire de l’origine du tir. A ce stade, un lecteur inattentif qui ne suit pas le conflit de près pourrait même s’imaginer, s’agissant d’un obus, que c’est l’armée syrienne qui a tiré, ce qui n’est évidemment pas le cas. Mais il y existe heureusement des lecteurs attentifs, alors, après avoir relaté la chute de cet obus sans en avouer l’origine, on noie l’information et on nous dit par exemple
- que « les troupes (syriennes) ont pilonné durant la nuit Daraya, une localité qu'elle tente de prendre depuis plusieurs semaines.
- Alors que le quotidien Al-Watan, proche du pouvoir, affirmait dans son édition de vendredi que la ceinture sud de Damas était désormais "sécurisée", de violents combats y ont eu lieu dans la nuit, faisant quatre morts parmi les rebelles »
Donc le tir des djihadistes contre une population civile innocente n’est finalement qu’un tir de plus dans un conflit qui s’éternise. Mieux : on insiste sur l’impuissance de l’armée à s’imposer sur le terrain (cf. les mots «qu'elle tente de prendre depuis plusieurs semaines »). Puis on discrédite les organes de presse de l’ennemi : Al-Wattan avait annoncé qu’une zone était sécurisée alors que de violents combats y ont de nouveau lieu ». De cette information, le lecteur occidental retire l’impression que l’armée syrienne est à bout de souffle, qu’elle n’en peut plus, que la chute du régime est proche, et que même dans les zones « sûres » les opposants sont capables de continuer les combats. S’ils meurent, c’est en martyrs de leur cause (il y a eu quatre tués).
On aurait pu présenter les choses autrement. Dire que même dans un quartier « sécurisé » il est facile de s’introduire et de faire exploser une voiture. Ou dire que l’armée syrienne a été formée pour se défendre contre Israël et qu’elle n’était pas préparée à des combats de rue menés par des étrangers qui s’infiltrent parmi la population syrienne dont ils se servent comme bouclier humain. Si l’armée ne fait rien, les djihadistes massacrent les civils non sunnites, si elle tente de reprendre le quartier, elle tue des innocents et on aura alors un beau prétexte pour que l’Occident intervienne (comme il l’a fait en Libye).
Voilà tout ce que l’article ne dit pas. Mais il continue en ridiculisant le discours officiel du régime (comme cet aéroport qui serait fermé à cause du brouillard alors qu’en réalité les djihadistes l’ont une nouvelle fois investi). Finalement, il conclut en citant le nombre de morts (toujours les chiffres cités par l’opposition, qui a intérêt à minimiser ses pertes propres et à gonfler le nombre de victimes innocentes. Elle compte donc probablement ses djihadistes morts au combat parmi les victimes civiles innocentes).
Bref, dans nos pays démocratiques et libres, on aura compris que notre presse est orientée selon les intérêts de certains (et qui ne sont ni ceux des citoyens occidentaux ordinaires ni ceux des citoyens syriens). Ce qui m’inquiète, c’est que la liberté de la presse est un des piliers de notre démocratie et on a souvent reproché à juste titre aux régimes dictatoriaux d’en faire un outil de propagande. Il serait donc grand temps de se poser des questions sur la nature réelle de notre régime politique.
Chrétiens syriens (Crédit photo AFP)
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03/01/2013
A fond de cale
C’est à cause de mon jeune âge, que je me suis retrouvé à fond de cale, c’est évident. Les marins, là-haut, avaient tous plus de quarante ans et Ils avaient déjà fait au moins quinze fois le tour du monde. C’étaient de vieux loups de mer, aguerris à la vie sur les bateaux. Alors, vous pensez bien, quand ils ont vu un jeune mousse de seize ans débarquer, ils s’en sont donnés à cœur joie. J’ai eu droit à toutes les blagues idiotes que l’on fait dans ces cas-là : le lit en portefeuille, les vêtements qui disparaissent, les planches du pont qu’il a fallu récurer avec une brosse usée, le laxatif dans le potage et j’en passe. Bon, c’est de bonne guerre et il faut bien subir tout cela si on veut un jour être reconnu comme un vrai marin. J’ai donc supporté toutes ces petites mesquineries avec un certain humour, même si ce fut parfois très dur. Imaginez-le jour où, à l’aube, je me suis retrouvé tout nu en haut du grand mât, tentant d’attraper mes vêtements qu’on avait attachés là. Imaginez surtout ma honte quand l’équipage au grand complet a surgi sur le pont, complètement hilare…
Bref, tout cela n’est pas bien grave, ce ne sont finalement que de petites taquineries. Mais le coup du tonneau de rhum, ça c’est autre chose ! Bon, c’est vrai que j’avais bien essayé une fois ou deux de boire un petit verre, histoire de faire comme les autres, mais c’était tellement fort que je n’y avais plus jamais touché. Les marins, par contre, ne s’en privaient pas. Il y avait trois tonneaux dissimulés au fond de la cale, mais tout le monde connaissait la cachette, vous pensez bien ! Discrètement, à tour de rôle, ils descendaient sans bruit et buvaient une ou deux rasades ou plutôt trois ou quatre. Bref, quand le premier tonneau fut vide et que le capitaine s’en aperçut, il mit des cachets de cire sur les robinets de sortie, avec le sigle de la marine royale. Briser un tel sceau, c’eût été un acte grave qui aurait pu vous mener aux galères, aussi, dans un premier temps, personne ne s’y risqua.
Mais la soif donne des idées et bientôt un des marins trouva une solution. Il perça un petit trou à l’arrière du deuxième tonneau, qu’il colmata avec un bouchon de liège. La légalité était donc respectée. Les insignes du Roi avaient beau protéger le précieux nectar, le tonneau n’en fut pas moins vide après une semaine. Alors, les marins usèrent du même stratagème avec le troisième tonneau, qui ne dura pas plus de cinq jours. Malheureusement un des hommes, passablement ivre et vacillant complètement, se prit les pieds dans un rouleau de cordages qui traînait sur le pont et il alla s’affaler juste devant les bottes du capitaine. Celui-ci, qui trouvait déjà que l’humeur de ses marins était anormalement joviale, fit immédiatement le rapprochement avec les tonneaux de rhum. Il courut à la cale, brisa les sceaux royaux, ouvrit les robinets et dut bien vite se rendre à l’évidence : les tonneaux étaient vides ! Il n’y avait plus une goutte de rhum à bord !
Alors il entra dans une colère olympienne. Lui d’habitude si posé et si digne, il se mit à injurier tout l’équipage en des termes que je n’oserais retranscrire ici. Puis il chercha un coupable. Un grand silence se fit. Personne ne voulait dénoncer personne, évidemment ! Un marin ne trahit pas un autre marin… Coupables, ils l’étaient tous et il était donc impossible de livrer un camarade plutôt qu’un autre à la colère du capitaine. Pourtant celui-ci continuait à exiger un nom. Les hommes se regardèrent, chuchotèrent quelques mots entre eux et l’un deux s’avança. « Le coupable, c’est le mousse. On l’a vu souvent descendre dans la cale, mais on n’a rien dit pour lui éviter des ennuis. » Là, j’en suis resté sans voix ! Il n’y avait que moi qui n’avais rien bu ou si peu et voilà que c’était moi le coupable ! Je compris immédiatement leur raisonnement : d’abord je n’appartenais pas encore à leur monde de marins, je n’étais qu’un apprenti. Ensuite, ne buvant pas, ils se vengeaient des reproches qu’on leur faisait en accusant la seule personne sobre de l’équipage (autrement dit, le groupe faisait bloc contre l’innocent, pour se protéger). Enfin, ils devaient se dire que je n’étais qu’un gamin et donc que le capitaine se montrerait relativement clément pour « mon » étourderie, vu mon jeune âge. Ce ne fut pas vraiment le cas. Il fut décidé, puisque j’aimais tellement descendre dans la cale, que j’y resterais enfermé jusqu’à la fin de la traversée, soit environ cinq semaines.
Les premiers jours furent très durs. Coupé du monde, dans une obscurité totale, j’ai vraiment eu l’impression d’être au fond d’un tombeau. Mais on s’habitue à tout. Petit à petit, je me suis mis à être attentif à tous les bruits du bateau et je parvins ainsi à me faire une idée de la vie qu’on menait là-haut. Une fois par jour, on venait m’apporter un peu de nourriture. Le marin qui descendait avait toujours l’air embêté, sachant bien que j’étais innocent et sachant aussi que si je croupissais là, c’était notamment à cause de lui. Aussi essayait-il de se montrer le plus aimable et le plus gentil possible. Moi je ne disais rien et je me drapais dans ma dignité. Comment aurais-je pu entamer une conversation avec un des mouchards qui m’avaient envoyé dans cette geôle ? En plus j’étais aveuglé par sa lampe tempête et les yeux me faisaient mal.
Une fois le marin remonté sur le pont et la lourde trappe refermée sur ma solitude, je reprenais peu à peu mes repères habituels : le frottement de l’eau contre la coque, les pas sur le plancher supérieur, les voix des hommes qui montaient au grand mât… Même le claquement sec des voiles gonflées de vent me parvenait, m’indiquant que le navire allait à toute vitesse vers sa destination. Tout allait bien, donc. Il ne me restait plus qu’à attendre, à accepter ma destinée, et à rêvasser à un monde meilleur. Alors, rassuré, je cherchais à tâtons la gamelle de pommes de terre bouilles qu’on avait bien voulu me donner et je mangeais, savourant comme un gourmet ces produits de la terre ferme. Cela peut paraître incroyable, mais je n’ai jamais rien mangé de si bon que ces repas frugaux dégustés dans le noir : un jour du potage de légumes, le lendemain du chou cuit à l’eau, le troisième jour de nouveau des pommes de terre fades, accompagnées parfois d’une tranche de lard (ce qui m’indiquait mieux que n’importe quel calendrier qu’on était un dimanche et qu’une semaine déjà s’était écoulée). Ce n’était pourtant pas là des menus de premier choix, mais je dégustais ces mets avec délectation, comme si le fait d’être dans l’obscurité avait exacerbé mes papilles gustatives. Il faut dire que je n’avais rien d’autre à faire et que ces repas constituaient le meilleur moment de la journée.
Des jours et des semaines se passèrent ainsi. A un moment donné, j’ai su, au tangage accentué du navire, que nous abordions le cap Horn, de sinistre mémoire. Pourtant, il n’y avait pas d’autre moyen de gagner la côté chilienne, où nous nous rendions, et cela, c’était un fait connu depuis le départ de La Rochelle. On m’avait raconté tellement d’horreurs sur cette traversée du cap Horn, que j’en frémissais à l’avance, alors même que je n’avais pas encore quitté le sol de France. Et maintenant, voilà nous étions en plein dedans. Le bateau bougeait dans tous les sens et des objets mal amarrés se promenaient dans la cale, ce qui ne me rassurait pas du tout. Parfois, quand le bateau plongeait au creux d’une vague, un seau ou un morceau de bois venait soudain me frapper à l’improviste. J’en avais des coups partout et je commençais à avoir sérieusement peur. Pourtant, mes vraies craintes commencèrent quand j’entendis un grand choc sourd, suivi d’un long craquement de planches particulièrement impressionnant. Catastrophe ! Manifestement, nous avions été projetés contre un écueil. Sur le pont, ce fut le branle-bas de combat. Ca courait dans tous les sens, ça criait, ça hurlait. Je n’arrivais pas à distinguer le sens des ordres qu’on donnait, à cause du bruit des vagues qui s’abattaient sans prévenir sur le navire, le faisant quasiment chavirer, mais l’angoisse que je percevais dans ces voix qui s’égosillaient me faisait suffisamment comprendre que l’heure était grave.
Après un petit quart d’heure de ce remue-ménage, je perçus un bruit métallique, comme si on avait déroulé des chaînes, puis ce fut un nouveau raclement le long de la coque. Il y eut encore quelques ordres épars, puis plus rien. Rien que le fracas des vagues qui n’en finissaient plus de se ruer contre le bateau pour tenter de le submerger. Je m’interrogeais sur ce silence étrange, cette absence de voix humaines, quand soudain la vérité m’apparut dans toute son évidence : les marins avaient mis le canot de sauvetage à la mer ! Ils avaient tous quitté le navire en perdition et m’avaient oublié ! Mon sang se glaça instantanément, une sueur froide courut le long de mon dos et je me mis à trembler de tous mes membres. Affolé, je parcourus comme je pus et dans l’obscurité la distance qui me séparait de l’échelle, que je gravis tant bien que mal. Quand j’arrivai à la trappe qui fermait la cale, je me mis à frapper de toutes mes forces et à hurler. Rien à faire ! Après un quart d’heure de panique et d’agitation frénétique, je dus me rendre à l’évidence : j’étais seul, désespérément seul dans ce bateau en perdition qui prenait l’eau et que tout le monde avait abandonné ! Je redescendis l’échelle comme je pus, car mes jambes continuaient de trembler sous moi, je retraversai la longueur de la cale, non sans heurter l’un ou l’autre objet, et j’allai me recroqueviller dans un coin, attendant la mort.
Alors, les yeux fermés, dans le noir absolu, je me suis mis à écouter les bruits qui m’entouraient. Curieusement, ils me semblaient familiers. J’essayais de me souvenir, mais je n’y arrivais pas. Pourtant, j’étais persuadé d’avoir déjà connu un environnement semblable. Certes, je n’avais jamais été abandonné dans un navire en train de sombrer, mais ces bruits, ces craquements, ainsi ce tangage et ce roulis permanents, ne m’étaient pas inconnus. Ils évoquaient une époque lointaine, très lointaine et avaient curieusement quelque chose de rassurant. Alors j’ai oublié la tempête et le péril où je me trouvais pour essayer de remonter le temps, aux sources de ma mémoire. Quand avais-je déjà connu cela ? Cela remontait à loin, à l’enfance, à la petite enfance même, plus loin encore peut-être… J’ai fermé les yeux de toutes mes forces, je n’ai plus pensé à rien, et me suis laissé bercer par tous ces bruits qui emplissaient mon être.
Oui, c’était il y avait longtemps. J’étais bien. Il faisait chaud. Un doux roulement de gauche à droite me berçait. Un bruit monotone et régulier de basse me faisait vibrer toutes les deux secondes. Je percevais comme le chuintement d’un liquide qui se répandait, qui coulait dans des canalisations. C’était aux origines du monde, aux débuts de ma vie. Parfois j’entendais une voix, une voix aigüe mais pourtant douce et rassurante. J’adorais l’entendre. Quand elle se taisait, il y avait un grand silence, comme quand les marins avaient quitté le navire, tout à l’heure. Ce silence me faisait mal, me faisait peur. J’aimais trop cette voix, je voulais l’entendre encore. Mais voilà que des grognements se manifestaient, d’abord discrètement, puis de plus en plus forts. Des bruits sauvages qui m’effrayaient et qui ressemblaient au frottement des flots le long de la carène. C’était un bruit étrange, comme des borborygmes qui n’en finissaient pas.
J’étais là, au fond de la cale, dans le noir absolu, replié sur moi-même dans un coin comme un petit enfant et j’essayais de me souvenir. Soudain, cette image de mon être recroquevillé sur lui-même me rappela un dessin que j’avais vu autrefois dans un livre et qui représentait un fœtus dans le ventre de sa mère. Alors tout me revint avec une évidence incroyable. Le bruit du cœur, puissant, régulier, et puis cette voix douce qui me plaisait tant et qui était celle de ma mère ! Quant aux borborygmes impressionnants, ils étaient provoqués par tous les viscères en action, avec tous leurs liquides qui se déplaçaient par à coup. Je me souvenais maintenant avoir été ce fœtus dans le ventre de sa mère, entouré de bruits, mais pourtant bien au chaud et protégé à l’intérieur de ce ventre de femme. Rassuré par ma découverte, je m’apaisai et finis par m’endormir, certain que rien de fâcheux ne pouvait m’arriver.
Quand je revins à moi, on donnait des coups sur la trappe d’accès à la cale. Bientôt un peu de jour se fit entre deux planches, puis la lumière devint aveuglante. Un homme descendait par l’échelle, une lampe tempête à la main. Quand il me vit, il laissa échapper un tel cri de stupeur qu’il faillit laisser tomber sa lanterne.
On me fit monter sur le pont et là, à la lumière du jour, je compris ce qui était arrivé. Le bateau, à moitié démantelé, s’était échoué sur des récifs, à une vingtaine de mètres du rivage. Il n’avait donc pas sombré. Pendant que je dormais tranquillement dans l’utérus de ma génitrice, il avait poursuivi sa route, balloté par les flots et était venu s’encastrer entre deux gros rochers, qui l‘avaient maintenu en équilibre. Je l’avais échappé belle ! Je pris une profonde respiration et regardai les falaises impressionnantes qui étaient devant moi. Je venais d’aborder en Amérique, sur cette pointe qu’on appelle la Tierra del Fuego.
00:05 Publié dans Prose | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature
02/01/2013
Bonne Année !
Bonne année à tous les lecteurs et lectrices.
Espérons que 2013 se passe bien pour tout le monde. Mieux vaut ne pas regarder l’actualité, si on veut rester optimiste (avec la Grèce qui s’enfonce dans les mesures d’austérité, l’Espagne qui la talonne, l’Italie dont le Premier Ministre, issu du monde bancaire, dit sans rire qu’il ne se présentera pas aux élections, mais qu’il est prêt quand même à diriger le pays, avec le chômage qui monte partout, les lois sur la protection du travail qu’on détricote et les milliardaires qui n’en finissent plus de s’enrichir…).
Mieux vaut donc cultiver son jardin, ouvrir quelques vieux livres, relire des poèmes beaux et rêver à ce que l’on voudrait que demain soit. Vivons pour nous, égoïstement, et cherchons la substantifique moelle de cette vie qui nous a été donnée.
Gardons pourtant toujours notre conscience en éveil et ne laissons pas quelques dirigeants louches décider à notre place de ce qui ne nous convient pas.
22:56 Publié dans Actualité et société | Lien permanent | Commentaires (5)
23/12/2012
Le temps
Crédit Photo, AFP
Le jour où le temps s’est arrêté
Tout s’est arrêté
Les hommes ont perdu leurs souvenirs
Et n’ont plus eu d’avenir
Quant aux femmes qu’ils aimaient ils les ont oubliées
Sans doute étaient-elles déjà mortes
Ensevelies sous les décombres du monde
12:58 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : littérature
22/12/2012
Nuages...
En ce temps-là, je sculptais des nuages
Je leur donnais des formes étranges et insolites
Des formes que personne n’avait jamais vues
Surtout pas dans des nuages
Certains ressemblaient à des îles lointaines
Perdues au milieu des flots
D’autres avaient l’aspect de vagues écumantes
Venant s’abattre avec fracas sur les rochers du bout du monde
Avec mes doigts, je pétrissais leur substance cotonneuse
La malaxant avec amour jusqu’à leur donner l’apparence de mes rêves
Et des rêves, j’en avais beaucoup à distribuer
La nuit je les guettais durant mon sommeil
Et je capturais les plus beaux
Au petit matin, j’en avais tout un tas
De beaux rêves d’amour, de poésie et de liberté
Pour ne pas les retenir prisonniers dans ma chambre
Où ils auraient dépéri tels des oiseaux en cage
Je les incorporais dans l’âme des nuages
Alors poussés par le vent ils partaient à la conquête du monde
Allant dire à tous qu’il existe quelque part des îles lointaines perdues dans l’océan
Et des vagues écumantes qui se fracassent contre les rochers
A ceux qui me demandaient où se trouvaient ces îles
Et en quelle contrée on pouvait admirer de si belles vagues
Je répondais que ce pays était au fond d’eux-mêmes
Et que pour le découvrir il leur suffisait de regarder les nuages
Les beaux nuages qui traversaient le ciel, remplis de rêves
00:05 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature
18/12/2012
Histoire de moules...
Une lectrice fidèle a employé récemment dans un commentaire le terme « bouchot » que je ne connaissais pas, n’étant pas né au bord de la mer (elle non plus à vrai dire) mais au milieu des bois. Il s’agit des pieux non écorcés (en chêne ou en châtaignier) d’environ 6 mètres de long qu’on enfonce dans le sable et qui servent à l’élevage des moules.
Selon le Robert historique, le mot serait originaire du Poitou. On trouve le mot « bouchaux » en ancien français, issu du latin médiéval « buccaudum ». Ce dernier serait apparenté à un autre mot du latin médiéval (dans la même région toujours), « buccale », lequel désignait l’endroit où l’eau s’échappait à la sortie d’un étang (latin classique « bucca », la bouche, lui-même d’origine celtique et qui avait supplanté le mot latin « os »)
Notre « bouchot » était donc employé dans le Poitou au sens de vanne d’écluse, puis il a désigné plus précisément la sortie d’un parc en clayonnage pour emprisonner le poisson, puis finalement un parc aménagé pour la culture des moules (les pieux étant souvent alignés de manière à former un V). On parla donc de « moules de bouchot » ou tout simplement de « bouchots ». Le terme « bouchot(t)eur » désigne quant à lui assez logiquement un mytiliculteur (terme savant formé à partir du grec mutilos/mytilos, coquillage)
Les peuples étant plus inventifs que les dictionnaires et plus portés vers le merveilleux, ont imaginé une légende. On dit qu’un Irlandais, un certain Patrice Waltonum (tous les Irlandais s’appellent Patrice ou Patrick, c’est bien connu) s’était échoué en 1235 dans la baie de l’Aiguillon (à la limite de la Vendée et de la Charente-Maritime, là où la Sèvre niortaise vient se jeter dans l’Atlantique, autrement dit dans le Pertuis breton, en face de l’île de Ré). Voulant s’établir là, il se mit en devoir d’attraper des oiseaux de mer pour se nourrir. Pour ce faire, il planta des pieux dans le sable, et tendit des filets entre eux. Cependant, comme ces pieux se trouvaient en partie submergés à marée haute, les moules et les coquillages vinrent s’y fixer et le brave Irlandais dut bien constater qu’il attrapait plus de moules que d’oiseaux de mer. Il aurait ensuite perfectionné sa technique en reliant ses piquets par des claies, sur lesquelles les moules vinrent elles aussi se fixer. Cette structure, dont le nom irlandais était « bout choat » aurait donné par déformation notre « bouchot ». C’est du moins ce que dit la légende et même si rien n’est vrai, cela reste une belle histoire.
Des linguistes voient plutôt l’origine du mot « bouchot » dans le nom patois d’une forme de piège immergé pour capturer l’anguille dans le marais poitevin (avec toujours cette idée que le piège est constitué de pieux et de filets et prend la forme d’un v). Le mot dériverait de « boucher » (obstruer le « bouchaux », terme qui désignait comme on l’a vu plus haut la sortie d’une retenue d’eau). C’est donc bien la volonté de boucher un orifice qui prédomine (soit ici le goulot étroit du piège dans lequel s’est faufilée l’anguille, soit dans d’autres cas la sortie de l’étang, afin d’empêcher l’eau de s’écouler). Notre mot « bouchon » comme notre verbe « boucher »viennent d’ailleurs de l’ancien français « bousche » (poignée de paille, faisceau de branchage), venant du latin populaire « bosca » (broussailles). Ce « bosca » est un neutre pluriel en latin, mais il existait aussi comme substantif masculin, lequel, au pluriel, donne évidemment « bosci », d’où notre terme de « bois ».
Je me demande jusqu’à quel point il n’y aurait pas eu confusion entre « bucca » (la bouche) cité plus haut et « bosca » (le bouchon de branchage servant à fermer cette bouche).
Certains pensent que la technique du piège à anguille aurait pu être utilisée sur le littoral. On aurait accroché des filets à des pieux alignés de manière à former un entonnoir en V. Les poissons qui cherchaient à gagner le large à marée basse auraient ainsi été conduits dans une nasse qui « bouchait » la sortie. Ces pieux se couvrant naturellement de moules, on aurait alors eu l’idée d’en planter pour l’élevage (en ensemençant les pieux à l’aide de cordes couvertes de larves et en enfermant les moules dans un filet). La forme en V (ou en W s’il y avait deux V) prise par les alignements de pieux est bien attestée autrefois, ce qui semble confirmer que l’origine de notre mytiliculture doit remonter à ces pièges à poissons.
Laissons maintenant l’étymologie pour faire un peu d’histoire et de géographie et nous pencher sur l’évolution de la culture des moules. Pendant très longtemps, cette technique d’élevage sur bouchots ne s’est pratiquée que sur la côte atlantique, car il n’y a que là que les larves se fixent naturellement sur les pieux. En plus, elle semblait se limiter à l’embouchure de l’aiguillon. Rappelons à ce propos que c’est à cet endroit que se trouvait l’ancien golfe du Poitou, (encore attesté dans l’Antiquité). Composé de petites îles, il devint marécageux à cause des dépôts de l’océan et des alluvions des différents cours d’eau, comme la Sèvre Niortaise. Au VII° siècle, des moines entreprirent des travaux d’assèchement, en construisant des canaux. Au XIII° siècle, après la Guerre de Cent ans, les rois de France encouragèrent le travail des moines. Mais il ne suffisait pas de creuser des canaux, il fallait aussi élever des digues (contre les avancées de la mer et contre les débordements des rivières). Henri IV fit venir des ingénieurs hollandais, passés maîtres dans leur pays dans ce genre de travaux. Ils étaient par ailleurs huguenots, ce qui pour l’ancien protestant qu’était le roi (« Paris vaut bien une messe ») ne gâchait rien. Bref, on parvint tant bien que mal à assécher ce golfe, qui est devenu aujourd’hui le marais Poitevin, appelé aussi la « Venise verte ».
Mais revenons à nos moules. Il faut attendre le XIX° siècle pour que la culture des moules se développe de la Vendée jusqu’à l’île d’Oléron. Dans les années 1950, ce type de culture a été implanté dans la baie du Mont St Michel et dans le Cotentin, ce qui fait qu’aujourd’hui c’est la Normandie qui est devenue la première région productrice de moules de bouchot au monde. Comme les larves ne se fixent pas naturellement aux pieux dans cette région, on tend des cordes de captage sur la côte Atlantique (Noirmoutier, etc.). Les bébés moules viennent s’y déposer et on rapporte les cordes en Normandie afin de les fixer sur nos fameux bouchots.
00:05 Publié dans Langue française | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : moules, marais poitevin, bouchot, étymologie
15/12/2012
Deux maisons d'édition
J’avais parlé autrefois des Classiques Garnier, qui avaient disparu de nos librairies, mais qui semblaient devoir revenir sur le devant de la scène. Je constate aujourd’hui, en effet, que le nombre de titres disponibles ne cesse de croître, ce dont on ne peut que se réjouir.
A côté de l’édition numérique, on ressort les bons vieux livres papiers. « L'ensemble du fonds des Classiques Garnier, depuis son premier titre publié en 1896, est actuellement en cours de réimpression » peut-on lire sur le site de l’éditeur. Toutes les périodes sont couvertes, depuis le Moyen-âge jusqu’au XXI° siècle. A côté des œuvres des écrivains eux-mêmes, on trouve aussi beaucoup d’études universitaires. Si on télécharge le catalogue, on obtient un livret de 93 pages, ce qui est absolument époustouflant…
Citons, au hasard :
Pour le M-A : Antoine de la Salle (les Quinze Joyes de mariage), F. Villon, Tristan et Yseut, Joinville, etc.
Pour le XVI° : Garnier, Pontus du Tyard, Jodelle, etc.
Pour le XVII° : Pascal, Mme de Lafayette, Scarron,
Pour le XVIII° : Voltaire, Crébillon, Montesquieu, Rousseau, Condorcet, etc.
Pour le XIX° : Musset, Nodier, Huysmans, Toussaint Louverture, Gautier, Nerval.
Pour le XX° : Suarès et Jarry.
Juste une remarque un peu négative, pour terminer : dans ma librairie favorite, qui n’est pourtant pas n’importe laquelle, je n’ai pas vu beaucoup de livres des Classiques Garnier, sauf quelques études universitaires. Pour les auteurs, rien, ou alors je n’ai pas bien regardé, ce qui m’étonnerait. Evidemment, le public achètera plutôt une édition de poche chez Folio ou alors carrément un volume de la Pléiade, ce qui ne laisse rien présager de bon pour cette collection d’éditions scientifiques dont le prix reste quand même élevé .
Puisque je suis en train de parler d’éditeurs rares, je me permets de rappeler l’existence du fond des éditions Zodiaque (abbaye de la Pierre qui vire, en Bourgogne).Cette maison d’édition avait été crée en 1951 par Angelico Surchamp, un moine bénédictin, médiéviste et spécialiste de l’art roman. Ce n’est donc pas un hasard si les différentes collections étaient en priorité tournées vers l’art roman, en France ou dans le reste de l’Europe. Elles se sont ensuite intéressées à l’art religieux d’autres époques (gothique) et même à l’art d’autres religions.
Les livres sont réalisés conjointement par des moines et des universitaires, comme Raymond Oursel. Beaucoup de photographies sont dues à Jean Dieuzaide. En 2002, malheureusement, les éditions Zodiaque son vendues au groupe PVC (Publications de la Vie catholique) avant d’être intégrées aux éditions Desclée de Brouwer. Quant aux archives du Zodiaque, elles sont déposées à l’IMEC (Institut mémoires de l’édition contemporaine), à l’abbaye d’Ardenne, près de Caen.
Pour ceux qui souhaiteraient compléter leur collection, le site Romanes.com reprend tous les livres encore disponibles sur le marché de l’occasion. Enfin, il est possible de s’adresser directement à l’abbaye de la Pierre qui vire, qui dispose toujours d’un certain nombre d’ouvrages.
Abbaye de la Pierre qui Vire
23:04 Publié dans Divers | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : editions zodiaque, classiques garnier
Citation
Gare à qui veut être pratique : seuls les spectacles lunaires ont la grande vie, seul le rêve existe, seuls nos désirs comptent. C’est faire confiance à la vie, que de se mesurer avec l’impossible.
Panaït Istrati, « Pour avoir aimé la terre »
00:01 Publié dans Divers | Lien permanent | Commentaires (1)
09/12/2012
Disparition
La neige de ce matin a disparu
Elle a fondu sous des cieux chahutés
Qui sentaient bon le vent marin
Elle a emporté avec elle
Les traces de François Villon
Autrefois poète
Aujourd’hui bandit de grand chemin.
Où est-elle partie cette neige ?
Elle s’en est allée comme l’image de ton visage
Que je ne retrouve plus au fond de ma mémoire.
Credit photo : Isabelle Legault
00:05 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : littérature
08/12/2012
Aphorismes (8)
Les guerres humanitaires sont souvent bien inhumaines.
On s’est beaucoup battu autrefois pour la liberté de la presse. Celle-ci a disparu le jour où ceux qu’elle critiquait ont acheté tous les journaux.
L’habileté d’un bon politicien est de faire croire que notre pays est endetté à cause du peuple, qui a trop bien vécu. Donc, seul le peuple doit rembourser, c’est logique.
Je ne comprends pas. Quand les riches empruntent de l’argent, ils s’enrichissent. Quand un pauvre fait pareil, il s’appauvrit.
La démocratie n’existe plus, mais personne ne s’en est encore rendu compte.
Selon la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, je suis libre. Comprenez libre d’acheter tout ce qui enrichit quelques privilégiés.
00:05 Publié dans Actualité et société | Lien permanent | Commentaires (0)
07/12/2012
Bis repetita
Que dire de l’actualité ? Rien du tout. Ce sont toujours les mêmes malheurs qui se répètent à l’infini.
Une nouvelle fois, Israël a bombardé Gaza, avec l’accord tacite de la planète entière. Le Président français, tout socialiste qu’il est, n’a eu aucun problème pour serrer la main de Netanyahou, qui est pourtant fort à droite. Ensemble, ils se sont recueillis à Toulouse en mémoire des trois enfants juifs assassinés par Mehra. Ils ont raison, on n’assassine pas comme cela des enfants innocents. Mais je n’arrive pas à comprendre pourquoi ces trois-là ont droit à leur respect, tandis que les enfants palestiniens meurent sous les bombes dans l’indifférence générale. Dans les deux cas il s’agit d’enfants.
Ceci dit, on ne connaît pas tout. Par exemple, prenez Mehra lui-même, puisque nous en parlons. Il y a la version officielle, celle que l’on connaît : un musulman vivant dans sa banlieue française, sans grand avenir devant lui et qui se radicalise au contact de certains islamistes jusqu’à aller tuer des militaires français et des enfants juifs. Il était sans doute cela. Mais on ne relève jamais dans la presse que la description de l’assassin des militaires qu’ont donnée certains témoins ne correspond pas à la silhouette de Mehra. Comme on ne nous dit jamais qu’il semblait avoir eu des contacts avec les services secrets français. Soit ceux-ci le surveillaient (mais alors comment et pourquoi l’ont-ils laissé passer à l’acte ?), soit Mehra était un agent double. Qui sait ? En tout cas, il semble avoir effectué un voyage en Israël juste avant de commettre son forfait. On ne voit pas comment un terroriste potentiel, surveillé par la police française, peut entrer sans problème en Israël (qui est quand même un curieux lieu de destination pour un fanatique de l’islam radical) alors que les citoyens français qui veulent s’envoler pour aller défendre les droits des Palestiniens ne sont même pas arrêtés à l’aéroport Ben Gurion mais directement interdits de vol à Orly.
Bref, comme je le disais, notre bonne presse ne lève souvent qu’un côté du voile, mais jamais le voile entier. Ainsi, je trouve bien longues les trente heures durant lesquelles on a dialogué avec Mehra pour finir quand même par l’abattre à bout portant comme un lapin. Enfin, pendant ce temps-là, la tension montait et le danger islamiste devenait évident pour tous. Pour un peu on en aurait accepté toutes les guerres rêvées par l’Otan dans les pays arabes. Quant à Israël, il a le droit de se défendre comme dit Obama, surtout si on assassine ses enfants à Toulouse…
Tiens, puisque j’évoque les pays arabes, parlons de la Syrie. Juste pour dire qu’on nous refait le même coup qu’en Libye. On se sert des djihadistes qu’on avait combattus en Afghanistan pour renverser un régime qui ne nous est pas favorable (et qui, militairement, serait en mesure de faire du tort à Israël). On arme ces gens-là (via l’Arabie et le Qatar), on les soutient et on les déclare même comme les seuls représentants officiels du peuple syrien. Pauvre peuple, en vérité, qui est coincé entre les tirs des sunnites salafistes venus de l’étranger et les bombardements de l’armée syrienne. Il ne peut être plus mal mis. Mais il attend et espère que ces enragés de Dieu ne vont pas prendre le pouvoir, car cela signifierait la fin de l’état laïc, la prédominance d’une tendance religieuse sur les autres et le massacre assuré de pas mal de Chrétiens, d’Arméniens, de Maronites, d’Alaouites et de Chiites.
On ne comprend toujours pas pourquoi l’Amérique pousse ces enragés au pouvoir, aux frontières d’Israël en plus. La seule explication plausible, c’est qu’on se sert d’eux pour renverser le régime et mettre en place les Frères musulmans, lesquels devront ensuite faire le ménage et se débarrasser de tous ces djihadistes turbulents. Les Frères musulmans, on peut leur faire confiance. Il suffit de voir la situation en Egypte. Ce pays vient de s’endetter de plus de 4 milliards de dollars auprès du FMI (que rêver de plus quand on est banquier) et le président Morsi a été capable, par sa diplomatie, de faire arrêter les tirs de roquettes venant de Gaza, ce qui était inespéré. Que voilà un bel allié de l’Occident ! Obama, qui n’a plus assez d’argent pour occuper tout le Moyen-Orient, peut donc se replier et laisser les Frères musulmans régner en maîtres. Après tout, les Arabes se sentaient envahis et méprisés par l’Occident. Ils auront maintenant le régime qu’ils réclament, tellement proche de leurs valeurs que la charia sera rétablie partout. Ils pourront s’investir dans la religion autant qu’ils veulent (et même se massacrer entre eux en fonction des différents courants de l’Islam. D’ailleurs, on leur vendra bien des armes pour cela), nous tout ce que l’on veut, c’est faire du commerce avec eux et leur acheter leur pétrole à un prix raisonnable.
Evidemment, pour cela, il faut que le régime syrien tombe. Le problème, ce n’est pas Assad, c’est la Russie, qui a compris qu’on était en train de l’encercler par le Sud. Et puis la seule base militaire russe en Méditerranée se trouve justement en Syrie. On comprend dès lors que Poutine, qui voudrait que son pays retrouve le rôle international qu’il avait eu autrefois, ne soit pas d’accord avec Obama sur ce dossier syrien.
Pour le reste, rien de nouveau. La Grèce, le Portugal et l’Espagne demandent à leurs peuples de se serrer la ceinture pour rembourser l’argent que ces peuples n’ont jamais voulu emprunter (et chaque jour qui passe augmente le montant des intérêts de manière exponentielle, ce qui fait que les efforts de la veille n’ont servi à rien). Les chiffres du chômage montent partout et ArcelorMittal ferme ses entreprises. Quant aux banques, on continue à les renflouer avec nos impôts.
Tout va bien, donc, pour certains, mais pas pour nous.
00:05 Publié dans Actualité et société | Lien permanent | Commentaires (6)
04/12/2012
Citation
« Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c'est la liberté qui opprime et la loi qui libère »
Henri Lacordaire
21:38 Publié dans Divers | Lien permanent | Commentaires (0)
02/12/2012
Brouillard
Le brouillard a tout effacé et je reste seul avec moi-même.
Les collines ont disparu, ainsi que le village et la forêt.
Il n’y a plus rien.
Rien que le murmure de la rivière, quelque part dans ma mémoire.
Je marche, enveloppé d’un voile de coton blanc.
Je marche sans savoir où je vais.
Il fait froid, très froid.
Autrefois, la vie était ici : des oiseaux dans les arbres, des bourgeons sur chaque branche, un lièvre à l’arrêt, les oreilles au vent, affolé par un bruit insolite, ou bien encore un renard, trottinant à travers les prés, une proie entre les dents.
Aujourd’hui, il n’y a plus rien. Plus de bourgeons, plus d’oiseaux. Le grand lièvre est mort et le renard a disparu.
Il a disparu dans la brume, comme les collines, comme le village, comme la forêt.
Aujourd’hui il n’y a plus rien et je marche seul dans la nuit qui tombe,
Sans savoir où je vais et sans même savoir qui je suis.
15:12 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature
27/11/2012
Toi
Toi que j’ai connue dans un lit de tendresse
Toi qui m’as donné ton cœur, ton âme et ton corps
Toi qui m‘as tout donné, même tes souvenirs d’autrefois
Toi qui es venue à ma rencontre quand je n’espérais plus rien
Toi qui m’as souri quand nos regards se sont croisés pour la première fois
Toi qui m’as aimé comme jamais personne ne m’avait aimé
Toi qui m’as écrit des milliers de lettres des milliers de mots
Toi qui as parlé de l’amour comme personne encore ne m’en avait parlé
Toi qui un soir es venue te blottir contre moi
Toi qui m’as dit simplement « je ne veux pas te quitter »
Toi que j’ai connue dans un lit de tendresse
Toi…
00:05 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature
24/11/2012
Autrefois
Autrefois j’ai parcouru le monde.
J’ai vu des déserts, des montagnes et des mers,
De grands fleuves, des marais et des rivières.
J’ai traversé des forêts, des plaines et des vallées
Et j’ai emprunté tous les chemins de la terre.
J’ai connu la neige et le froid
Sur les massifs schisteux ou les grands plateaux calcaires
Puis j’ai connu la sécheresse et la chaleur
Au fond de toutes les Espagnes
J’ai visité Venise la belle
Noyée dans son miroir
Et la verte Toscane
Dont les collines courent vers la mer.
J’ai vu les lacs des Alpes et les torrents des Pyrénées
Tous les pins des Landes et même la côte bretonne
Des falaises d’Irlande, j’ai contemplé l’océan
Cette immensité liquide aux remous incertains.
Autrefois j’ai parcouru le monde.
Autrefois.
00:05 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature
15/11/2012
Le retour
Ce jour-là, j’ai retrouvé la forêt.
Pas ce petit bois qu’on rencontre à la sortie des villes. Non, la vraie forêt, la forêt primitive, celle de mon enfance, celle de toujours. L’indomptée, l’insoumise, celle qui fut toujours forêt et que l’homme, jamais, ne parvint à évincer. Depuis le plus haut Moyen-âge, jamais bûcheron n’en vint à bout, jamais paysan ne put en conquérir la moindre parcelle pour agrandir ses champs. Toujours la forêt fut là, aussi loin qu’on remonte dans la mémoire des hommes.
Le village, j’en ai parlé. Il dort au cœur des grands bois, le long d’une boucle de la rivière. Trois maisons, un cimetière. C’est là que reposent les miens. Partout autour, c’est la forêt. Celle de Rimbaud, celle de Verlaine, celle qui traverse toutes les frontières. C’est un pays sauvage où la vie, toujours, a été dure. C’est le pays qui m’a formé, c’est mon pays.
Ce jour-là, j’ai retrouvé la forêt.
Photo personnelle, octobre2012
11:59 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : littérature
11/11/2012
Citations
Il serait faux de croire que le culte de la création est celui de l’innovation et de l’avenir. Car l’acte créateur authentique n’est pas plus tendu vers l’ancien que vers le nouveau : il est dirigé vers l’éternel.
Nicolas BERDIAEV, De la destination de l’homme, Essai d’éthique paradoxale.
La nostalgie est la source de la création
Angelopoulos, d'après Aristote.
00:09 Publié dans Errance | Lien permanent | Commentaires (9)
07/11/2012
Reflexion existentielle
Nous sommes tous prisonniers.
Prisonniers des rôles que nous avons à tenir dans la société, rôles que nous avons pourtant acceptés à une certaine époque, lorsque nous étions plus jeunes, et que l’idée d’être un membre actif de cette société nous séduisait.
Aujourd’hui, il est passé pas mal d’eau sous les ponts et les désillusions sont venues, les unes après les autres. Pour peu qu’on ait un rien d’esprit critique, on finit par douter de la pertinence de nos actions et on se dit qu’il existe finalement un abîme entre nos aspirations réelles et ce que nous faisons au quotidien. Notre «être » intérieur ne trouve que bien peu d’occasions de s’exprimer dans ces rôles qui nous collent à la peau. Nous voudrions être « ailleurs », mais surtout pas ici. Reste que cet « ailleurs » reste souvent chimérique et si par hasard nous l’apercevons à portée de la main, nous n’osons pas y croire et nous laissons passer l’occasion.
19:04 Publié dans Errance | Lien permanent | Commentaires (5)
02/11/2012
Dans le grenier
Dans le grenier, il n’y a rien, rien que quelques boîtes remplies d’objets hétéroclites, souvenirs d’époques révolues. Les ouvrir vous plonge dans des regrets sans fin et mieux vaut donc éviter cette descente aux enfers de la mémoire.
Dans le grenier, il n’y a rien, rien qu’un vieux fantôme qui parfois me rend visite. Gentil, courtois, il glisse dans l’ombre sans faire de bruit. C’est à peine si on le devine, tant il est discret. Seule une toile d’araignée frémit dans un coin, signe de son passage pour ceux qui savent voir.
Dans le grenier il n’y a rien, rien qu’un gros morceau de fromage laissé là pour les souris, par amitié pure pour la gent rongeuse. Parfois, de ma chambre, je les entends trottiner à qui mieux mieux, organiser des débats, traiter des affaires de leur Etat. C’est un peuple pacifique et craintif, qui jamais n’assassina personne.
Dans le grenier il n’y a rien, rien qu’une vieille horloge aux aiguilles arrêtées, symbole du temps qui fut et qui jamais plus ne sera. Il y a aussi une armoire remplie de vêtements vieux. Nul ne sait à qui ils purent bien appartenir, ni en quel siècle ils furent portés, si jamais ils le furent.
Dans le grenier il n’y a rien, sauf une lucarne par où je contemple le ciel. Couché sur le plancher, je regarde l’azur, qu’un oiseau parfois traverse d’un vol lent ; ou je compte les nuages, qui passent de droite à gauche, en partance pour nulle part ; ou bien encore j’observe les étoiles, ces mondes disparus qui éclairent ma nuit incertaine. Parfois, fatigué de rêver à des amours improbables et à des voyages impossibles, je m’assoupis un instant. Du fond de mes songes, il me semble entendre un bruit étrange, et je me réveille vaguement. S’agit-il d’une souris qui trotte dans l’obscurité, du fantôme qui frôle l’armoire aux souvenirs, ou de la vieille horloge qui aurait sonné les douze coups de minuit, marquant la fin inéluctable de la partie ?
00:05 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : littérature
28/10/2012
Cimetière
Je suis revenu.
Je suis revenu au village après toutes ces années d’absence. Vingt ans au moins, si pas plus.
J’ai ouvert la petite grille du cimetière, qui a grincé comme autrefois. Rien ne semblait avoir changé.
Les tombes, avec leurs croix de pierre, étaient blotties contre le mur de la vieille église et les arbres penchaient toujours vers elles leur feuillage abondant.
Je me suis avancé dans l’allée de gravier, le cœur battant. Le silence était impressionnant. Les oiseaux, en ce début d’automne, étaient partis et j’étais vraiment seul.
Alors, tout en marchant, j’ai regardé autour de moi.
Ils étaient tous là. Tous ceux que j’avais connus et tous ceux dont le nom m’était familier. Il n’en manquait pas un. Ils avaient été les compagnons d’école de mes parents. Parfois, je les avais rencontrés, revenant des champs, et tenant par la bride leurs chevaux de labour. Ils s’arrêtaient un instant et roulaient une cigarette en évoquant le bon vieux temps.
Et aujourd’hui ils étaient là. Leurs noms s’alignaient les uns après les autres sur les pierres des tombes. Ils étaient de nouveau réunis, comme autrefois autour du « Maître d’école», quand ils étaient enfants. Mais ils étaient sages comme ils ne l’avaient jamais été, et immobiles à jamais.
Il n’en manquait pas un. Ils étaient tous là.
J’ai refermé la petite grille derrière moi et je suis parti, méditant sur les années qui avaient passé. Un coup de vent fit voler quelques feuilles jaunes. L’automne, déjà, était là, annonçant un hiver qui approchait à grands pas.
Photo personnelle octobre 2012
00:14 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : littérature
19/10/2012
Sur la route...
Sur la route, il n’y avait rien.
Rien que l’asphalte mouillé où mes pas résonnaient.
Dans les fossés, la pluie récente avait laissé d’étranges flaques.
Des flaques où se réfléchissaient tous les nuages du ciel.
De chaque côté du chemin, les grands arbres ployaient sous le vent.
Un fort vent d’automne, qui soufflait en rafale.
Des gouttes, parfois, tombaient des branches aux feuilles jaunissantes.
Elles tombaient dans les fossés, au milieu des nuages.
Point d’animaux, dans la grande forêt.
Nulle course effrénée, nul chant nostalgique.
Rien que le silence.
Les oiseaux s’étaient enfuis vers un Sud improbable et le grand cerf était mort.
Mort d’une balle assassine, dans la saison des amours.
Moi, je marchais au hasard, sans but, ne sachant où aller.
Je tentais d’oublier un chagrin, que je cachais avec peine.
Je marchais, et mes pas résonnaient sur l’asphalte mouillé.
Sur la route, il n’y avait rien.
00:05 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature
15/10/2012
Le banc
Ce soir-là, il avait franchi les grilles du petit parc pour la première fois. Il n’y était jamais entré auparavant, sans qu’il sût trop pourquoi, d’ailleurs ; pourtant, cela faisait bien un an qu’il habitait dans le quartier. Il faut dire que ce lundi-là, il faisait si bon quand il a quitté le bureau, qu’il n’avait pas pu résister à l’envie d’aller flâner sous les grands arbres. Depuis une semaine il apercevait les branches déjà jaunes qui se balançaient au-dessus du trottoir. L’automne était au rendez-vous, il fallait en profiter.
Dès qu’il eut franchi la grille, il avait tout de suite été frappé par l’alignement rectiligne des plantations. C’était un jardin à la française, digne imitation de celui de Versailles, mais en plus petit évidemment. Les arbres occupaient toute la périphérie, tandis que le centre était composé de pelouses et de massifs de fleurs, lesquels formaient un motif géométrique au départ d’un petit étang.
Sans savoir pourquoi, alors qu’il venait pour admirer les arbres et leur feuillage aux couleurs chatoyantes, il se dirigea vers cet étang, sans doute à cause du grand jet d’eau dont le murmure lui parvenait malgré la distance. Il faut dire que tous les sentiers menaient à ce jet d’eau et qu’on le voulût ou non, on était obligé de se retrouver devant lui à un moment ou à un autre.
Il resta là longtemps, à admirer les grosses carpes qui nageaient près du bord, happant au passage l’un ou l’autre morceau de pain détrempé. La hauteur du jet d’eau l’impressionna vraiment car elle devait bien atteindre dix mètres, peut-être même quinze. Du côté opposé au vent, un fin brouillard venait vous surprendre et le gravier, à cet endroit-là, était tout humide. Il fit trois fois le tour du bassin, et trois fois il reçut ces espèces d’embruns sur le visage. Cela l’amusait, le détendait, lui faisait oublier tous les soucis de la journée, les collègues bruyants, le chef hystérique, le retard dans les dossiers, etc. S’il avait encore été enfant, il serait resté là, pour recevoir sur lui ce brouillard bienfaisant, mais bon, il n’était plus un enfant… Qu’est-ce que les autres promeneurs auraient pensé de lui, en le voyant dans cette position ?
Il en était là de ses réflexions quand il aperçut à l’autre extrémité de la pelouse, sur une hauteur, un petit banc qui se trouvait à la limite des arbres. Dès qu’il le vit, il fut pris du besoin irrépressible d’aller s’asseoir là-bas, dans la partie la plus élevée du parc, afin de dominer l’ensemble du paysage. Et puis ce banc avait il ne savait quoi de touchant qui l’attirait et il se mit donc en route. Malheureusement, cela lui prit un certain temps car les sentiers s’alignaient selon un motif géométrique et ils n’avaient pas été tracés dans un but fonctionnel. Il se retrouva donc plusieurs fois sur des chemins circulaires, qui le ramenaient à son point de départ ou bien dans des culs de sac qui l’obligeaient à revenir sur ses pas.
Bref, quand enfin il arriva près du petit banc, il s’aperçut que celui-ci était maintenant occupé par une jeune femme. Cela le contraria car il avait envie de solitude. Il n’osa pas, pourtant, retourner d’où il venait, ce qui aurait pu être interprété comme un signe de timidité de sa part. Il continua donc d’avancer et une fois qu’il fut à la hauteur de la jeune personne, il la salua et lui demanda s’il pouvait s’asseoir un instant pour avoir une vue d’ensemble du parc. Elle lui sourit, déposa le livre qu’elle était en train de lire, et l’invita à prendre place.
D’abord il ne dit rien et regarda le paysage. D’ici, l’agencement des pelouses et des plantations était tout simplement magnifique. Quant à la ligne d’arbres qui entourait le parc, l’isolant complètement du monde, elle accentuait encore la beauté de l’ensemble. En effet, les feuilles, qui commençaient à jaunir, offraient un contraste étonnant avec le vert des pelouses, et la verticalité des arbres ainsi que leur ampleur impressionnante rompaient la monotonie. Après une bonne minute, il se dit qu’il devrait quand même bien échanger quelques mots avec sa voisine, sinon la situation allait devenir gênante. Elle n’avait pas repris son livre et regardait, elle aussi, le même paysage que lui. Peut-être attendait-elle qu’il engageât la conversation ? Ou bien tout simplement avait-elle peur que le fait de recommencer à lire fût interprété comme un manque de politesse ? Allez savoir.
- C‘est très beau ce parc, je n’y étais jamais venu.
- Ah non ? Moi j’y viens souvent, surtout pour lire. C’est très calme, on ne voit jamais personne.
- Ah bon, il n’y a jamais personne qui vient ?
- Non, ou alors c’est très rare. On aperçoit parfois un vieux jardinier qui ratisse les allées ou qui taille les rosiers, mais c’est tout.
- C’est curieux quand même, un parc comme celui-ci, en pleine ville, cela devrait attirer du monde…
- C’est le parc d’un ancien château. C’est pour cela qu’il y a des grilles tout autour. C’était privé depuis plus de cent ans et l’entrée était donc interdite. Quand on a ouvert au public, il y a une dizaine d’années, personne n’est venu. Les gens n’avaient pas l’habitude sans doute.
- Et pourquoi est-ce devenu public, si c’était privé ?
- Ça, c’est une longue histoire.
La jeune femme se tut et regarda longuement devant elle.
- Le dernier propriétaire était un vieux monsieur qui vivait là avec sa fille. Il avait plus de soixante-quinze ans et sa fille peut-être vingt-cinq. Il s’était marié assez tard et avait eu cet enfant avec une femme beaucoup plus jeune que lui, une Italienne. Quelques années après l’accouchement, elle est partie comme cela, sans rien dire. On ne l’a jamais revue. Il faut croire qu’elle s’ennuyait et que la vie de château n’était pas pour elle. Son mari en fut inconsolable et il reporta toute son affection sur sa fille. Quand celle-ci fut grande, elle tomba amoureuse, ce sont des choses qui arrivent.
En disant cela, elle regarda son interlocuteur en coin avec un petit sourire qui le troubla.
- Et que se passa-t-il ensuite ?
- Il se passa que le jeune homme dont elle s’était éprise n’était pas aussi libre que ce qu’il lui avait dit. En réalité il était déjà marié et possédait un château je ne sais plus où.
- Et alors ?
- Alors une tristesse immense s’empara d’elle. Pendant des mois elle dépérit, plongeant chaque jour davantage dans une espèce de dépression. Son vieux père se faisait bien du souci, mais il avait beau faire venir tous les médecins de la région et même de grands spécialistes, cela ne changeait rien.
- Oui, les peines d’amour, ce n’est pas facile à guérir.
- Elles ne se guérissent pas. Un matin, alors que tout le monde dormait encore, la jeune fille sortit et se jeta dans l’étang que vous voyez là-bas et s’y noya. Son père ne la découvrit que des heures plus tard. Il ramena son corps dans le château, s’y enferma et, de désespoir, il y mit le feu. Tout a brûlé, il ne resta rien de cette magnifique bâtisse, qui se situait dans le coin latéral, là-bas. On n‘a jamais retrouvé leurs corps.
- Quelle triste histoire ! C’est terrible. Et le château ?
- Il a été démoli. La commune a acheté les terrains et on a ouvert le parc au public. Mais comme je l’ai dit, les gens ne sont pas venus.
- Ils avaient peut-être peur, à cause de ce suicide…
- Ou à cause de l’amour. On ne sait pas quand ça vous prend et on ne sait jamais comment cela se termine.
- Oui, c’est vrai aussi.
Là-dessus leurs regards se croisèrent quelques instants. C’était à la fois délicieux et inquiétant. Un courant passait, c’était certain, mais tous deux sentaient comme un danger potentiel, sans qu’ils sussent d’ailleurs bien déterminer lequel. Pour sortir du labyrinthe des sentiments dans lequel il se sentait embourbé (labyrinthe qui n’était pas sans rappeler les allées géométriques inextricables du parc) l’homme changea de sujet :
- Quel livre étiez-vous en train de lire, avant que je ne vous interrompe ?
- Un livre de Cioran.
- Oh, j’adore Cioran, lequel ?
-"De l’inconvénient d’être né »
- Tout un programme, en effet.
- Vous ne croyez pas si bien dire.
- Pourquoi ?
- Oh, rien, comme cela. Regardez cet étang, là-bas, avec le jet d’eau, il est joli, n’est-ce pas ?
- Oui, très joli.
- Mais il est également très profond.
- Assez profond pour qu’une jeune fille puisse s’y noyer…
- Voilà. La vie est souvent comme cela. On croit que tout est beau et puis dès qu’on creuse un petit peu, on s’aperçoit qu’il y a des gouffres sous nos pieds.
- Même dans les histoires d’amour ?
- Surtout dans les histoires d’amour…
Un nouveau silence s’installa entre eux. Il regarda sa voisine à la dérobée. Elle contemplait fixement le grand jet d’eau et semblait être fascinée par lui.
- Regardez ce brouillard… Parfois, dans l’existence, vous pouvez connaître un amour magnifique. Mais quand brusquement tout s’arrête, vous vous retrouvez dans le même brouillard que celui-là. Vous êtes perdue, vous ne savez plus ce que vous faites. Vous marchez au hasard, aveuglée par toutes ces gouttelettes. Et finalement vous tombez dans l’étang et tout est fini.
Elle soupira, puis soudain se leva.
- Désolée, il faut que j’y aille. On m’attend ailleurs, quelque part, dans un autre monde.
Et disant cela, elle lui tendit la main. Il la prit et la serra, passablement ému, tout en plongeant son regard dans le sien. Elle lui sourit d’une manière charmante, puis s’éloigna. Il la regarda longtemps, petite silhouette qui s’approchait du jet d’eau… Puis, à cause du soir qui tombait, elle disparut de sa vue. Il se leva à son tour et s’achemina vers la sortie, essayant d’emprunter les mêmes sentiers que ceux qu’elle venait de prendre, sans trop savoir pourquoi il s’amusait à ce jeu ridicule et enfantin.
Le lendemain, il y avait des nuages et beaucoup de vent. Les arbres qui longeaient le trottoir agitaient leurs branches dans tous les sens : l’automne, le vrai, était là, et bien là cette fois. Il pensa que ce n’était pas le temps idéal pour lire sur un banc, fût-ce du Cioran et cela le contraria fortement. Cela ne l’empêcha pas, cependant, de pénétrer dans le parc comme la veille. En l’absence de soleil, celui-ci lui parut moins beau, moins lumineux. En fait, on ne voyait que le jet d’eau, dont l’eau, projetée par le vent qui soufflait en tempête, retombait avec un bruit de cascades sur les graviers, à une bonne vingtaine de mètres du bassin.
Il dut faire un détour pour échapper aux embruns qui envahissaient le centre du parc et il s’achemina vers l’endroit où il s’était assis hier. A cause des rafales de vent, il courbait la tête et comme des branches jonchaient les allées, il avait tendance à regarder à ses pieds. Il n’était donc plus qu’à une centaine de mètres de l’endroit qu’il voulait atteindre quand il releva enfin la tête. Hélas, la lectrice n’était pas là ! Il fallait s’en douter, avec ce temps de chien ! Soudain, il s’arrêta, complètement médusé : non seulement la lectrice n’était pas là, mais le banc non plus ! Il avait disparu ! Il se mit donc à courir pour en avoir le cœur net au plus vite. Quand il se retrouva au même endroit que la veille, il inspecta le sol méticuleusement. Rien, il n’y avait rien. Pas le moindre trou qui aurait marqué l’emplacement de ce fameux banc, ni dans l’herbe, ni dans l’allée de gravier. C’était tout simplement incompréhensible.
D’où il était, il aperçut un vieux jardinier qui, à l’autre extrémité du parc, ratissait une pelouse pour en enlever les feuilles mortes, activité tout à fait inutile et même saugrenue avec ce vent qui soufflait en rafales. Il se dirigea donc vers lui, tout en ayant bien soin d’éviter le jet d’eau, qui semblait encore plus déchaîné que tout à l’heure. Quand il fut à hauteur du jardinier, il fut frappé par son âge. Qu’est-ce qu’il était vieux ! Ce devait être un des anciens domestiques du château, ce n’était pas possible autrement ! Il lui demanda d’abord s’il n’avait pas vu une jeune femme avec un livre, mais le vieux n’avait rien vu. Il lui demanda si par hasard il avait remarqué sa présence les autres jours. Mais non, les autres jours il n’avait rien vu non plus. Et le banc ? Le fameux banc ? Qu’était-il advenu de lui ? « Le banc ? Quel banc ? » demanda le jardinier, l’ai étonné. Alors le visiteur lui indiqua la direction : «Là-bas sur les hauteurs, à la lisière des arbres… » « Non, répondit le vieil homme, il y a bien longtemps qu’il n’y a plus de banc dans ce parc ! Ils étaient abimés et on les a tous enlevés quand le château a été rasé. »
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08/10/2012
Le loup et le chaperon
Je remets ici en ligne, pour ceux qui ne l'auraient pas lu, un texte qui avait été publié autrefois sur un autre site :
http://tempetedansunencrier.hautetfort.com/archive/2009/0...
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Il était une fois un pauvre loup qui était pourchassé par des chasseurs. Voilà trois jours qu’il fuyait comme il pouvait, à travers prés, à travers bois, s’écorchant aux ronces, tombant dans les fossés, pataugeant dans les marécages et se noyant presque à chaque fois qu’il traversait une rivière. Il était fourbu, épuisé, affamé. Son pelage était couvert de feuilles, d’épines, de bouts de branches et il n’avait vraiment pas fière allure. Pendant trois jours il n’avait fait que courir mais les chasseurs, sur leurs chevaux, ne l’avaient pas lâché et c’est vraiment grâce au hasard que ceux-ci avaient finalement perdu sa trace et qu’il avait pu enfin leur échapper.
Le voilà donc tout penaud, tout fourbu, claudiquant comme il peut sur un petit sentier et tentant de reprendre haleine. Soudain, en sens inverse, il voit une très jeune fille s’avancer, toute de rouge vêtue. Elle doit avoir douze ans, peut-être treize et il ne sait pas trop bien si c’est encore une enfant ou si c’est déjà une femme. « Bonjour », lui dit-elle en souriant quand elle arrive à sa hauteur. « Tu es un loup ? » « Oui, répond celui-ci, je suis un loup gris, mais franchement, pour le moment, je ne suis plus que l’ombre de moi-même» et il raconte son aventure à la petite qui l’écoute attentivement.
« Tu n’es pas blessé ? », lui demande-t-elle. « Alors c’est le principal, non ? Par contre tu as sans doute faim. J’apportais des gaufres à ma mère-grand qui est un peu souffrante. Si tu veux, je t’en donne la moitié. Tu sais, après tout, à son âge, elle ne mange plus grand chose, la mémé, alors une gaufre de plus ou une gaufre de moins, elle n’y verra que du feu. » «Ca, c’est vraiment gentil » dit le loup, « et c’est vrai que j’ai fort faim, mais que va dire ta mère, si elle apprend que tu as partagé les gaufres avec un loup ? Après tout, c’est pour ta mère-grand qu’elle les avait faites, non ? » « Oh, tu sais, ma mère, elle n’a qu’à aller les apporter elle-même, si ça ne lui plaît pas ! Déjà qu’elle n’arrête pas de m’envoyer porter mille choses ! Une fois c’est du potage, une autre fois un beau rôti bien cuit ou bien une tarte ou encore des biscuits qu’elle a préparés elle-même. Je ne fais que des allées et venues ! Et c’est qu’il y a loin entre nos deux maisons et puis c’est lourd, toutes ces victuailles, tu n’imagines pas ! Tiens, sers-toi, cela te fera du bien et pour moi ce sera plus léger. » Et disant cela, elle ouvre son panier et tend au loup une belle gaufre bien dorée, cuite juste à point. Celui-ci, affamé comme il est, ne se le fait pas dire deux fois et le voilà qui se met à manger de bon appétit, tandis que la jeune fille, attendrie, le regarde en souriant.
«Tiens », lui dit-elle quand il a fini, « en voici encore une autre.» Et d’autorité elle donne une deuxième gaufre au loup, puis elle s’assoit dans l’herbe, au bord du chemin et se met à en manger une aussi. « Après tout », dit-elle « la mère-grand ne manque de rien et puis ce n’est quand même pas une pâtisserie qui va la guérir, bien au contraire. Son problème, c’est qu’elle est trop vieille, c’est sa seule maladie, en fait. Nous, par contre, on est jeunes, hein ? On est plein de vie et on a l’avenir devant nous. Alors autant que les gaufres soient dans notre estomac plutôt que dans celui d’une quasi-mourante, tu ne crois pas ? » Le loup, qui était tout de même un peu gêné en entendant ces propos et qui se sentait surtout coupable de manger le dessert de la mère-grand, ne savait que dire, mais la fille à côté de lui était si jolie, elle le regardait avec des yeux si bienveillants, qu’il lui donna raison. Et puis c’était bien la première fois qu’un humain se montrait gentil avec lui, alors il n’allait pas créer des difficultés pour le principe. Tant pis pour la mémé. Alors il puisa dans le tas de gaufres et mangea tout ce qui restait.
« Tu me sembles être un beau loup », fit remarquer la jeune fille quand il eut tout avalé. « Evidemment, aujourd’hui, après ta mésaventure, tu ne te montres pas sous ton plus beau jour. Assieds-toi, je vais arranger cela. » Et tout en le regardant en coin, elle détacha le peigne qui tenait ses cheveux, qui tombèrent aussitôt en jolies cascades le long de son beau visage. Le loup la contempla, impressionné par autant de grâce et de beauté. « Allez, viens », lui dit-elle « et laisse-toi faire. » Alors elle se mit à le peigner soigneusement, tout en enlevant de son pelage tous les débris végétaux qui y étaient restés accrochés. A la fin, elle prit son bonnet rouge et s’en servit comme d’un chiffon pour lustrer le pelage de l’animal avec application. Quand elle eut fini, elle se recula et contempla son travail avec satisfaction. Le loup était méconnaissable et il avait maintenant fière allure.
« Tu es vraiment beau », murmura la petite. « Merci », dit le loup, tout content qu’on s’intéressât ainsi à lui et en même temps un peu troublé par ce qui se passait. « Bon, ben, il faudrait bien que j’y aille », suggéra-t-il un peu à contrecœur. « Un loup en compagnie d’une jeune fille, cela ne se fait pas trop. Il vaudrait mieux que je regagne ma forêt profonde. » « Comment, cela ! Tu t’en vas déjà ? » dit la petite, un sanglot dans la voix. « Tu me laisses toute seule sur ce chemin alors que moi je me suis montrée bien gentille avec toi ? » Le pauvre loup ne savait plus quelle contenance prendre, tant il était mal à l’aise. « Bien sûr, que je voudrais rester encore un peu avec toi, mais enfin, si on nous voit ensemble, cela va faire jaser et puis je risque de prendre un coup de fusil. » « Mais non, je t’assure que non. Je te défendrai, tu penses bien. Allez, tiens-moi compagnie jusqu’à la maison de mère-grand. D’accord ? Tu verras, on ne rencontrera personne. »
Et les voilà donc partis, devisant de choses et d’autres, comme les meilleurs amis du monde. Arrivés devant la maison de l’aïeule, le loup voulut de nouveau prendre congé, mais la jeune fille avait une petite idée derrière la tête, aussi insista-t-elle pour qu’il vienne prendre un bol de cacao. Et aussitôt, la voilà qui frappe à la porte. «C’est toi ? » demande la vieille dame, d’une voix tremblotante. « Oui, c’est moi », répond le Chaperon rouge. « Je suis couchée, entre. Tire la chevillette et la bobinette cherra. »
« Attends un petit peu ici », dit la jeune fille au loup, il faut que je lui annonce ta visite. » Là-dessus, elle tire sur la chevillette et en effet la bobinette choit. Mais une fois à l’intérieur, elle se met à crier : « Mère-grand, mère-grand, je suis poursuivie par un affreux loup gris affamé. Il va venir jusqu’ici et nous manger toutes les deux ! Fuyons pendant qu’il en est encore temps et allons nous réfugier dans la cabane du jardin ! C’est la seule solution… » Affolée, prise de panique, l’ancêtre sort de son lit comme elle peut, en chemise de nuit. Aussitôt, le Chaperon la pousse vers la porte de derrière, la tire à travers tout le potager, presque en courant, puis la précipite littéralement dans le cabanon et l’enferme à l’intérieur. « Reste là », lui crie-t-elle, « je vais chercher les chasseurs. » Mais au lieu des chasseurs, c’est le loup qu’elle va chercher et qu’elle fait entrer dans la maison de sa mère-grand.
« Je suis désolée, ma gand-mère a visiblement dû s’absenter car elle n’est pas là», dit-elle avec aplomb. « Tu sais, la mémé a encore bon pied bon œil et n’est pas si malade que cela. Elle va souvent dans la forêt ramasser des brindilles pour allumer son feu. Si tu veux, en l’attendant, nous allons goûter à ce gigot d’agneau qui mijote au coin du feu. Tu as encore bien une petite faim, non ? » En sentant la bonne odeur qui s’échappait de la casserole, le loup ne put qu’acquiescer. Les voilà donc installés à table tous les deux, avec un succulent repas dans leurs assiettes. La jeune fille a bien fait les choses. Elle a même allumé une petite bougie et débouché une bouteille de vin. Après quelques verres, les langues se délient, comme il est de coutume. Le loup raconte ses grandes courses dans la forêt ou encore la manière dont il s’y prend pour égorger les bœufs ou les moutons. La jeune fille, elle, expose ses désarrois d’adolescente. Elle parle de ses querelles avec sa mère, de sa solitude, de ces éternelles allées et venues qu’elle doit faire chez la grand-mère. Le loup l’écoute et compatit à son sort. La petite en est touchée et lui sourit. Alors il explique que dans le fond il est un animal tendre et que c’est à tort que les hommes le craignent. Certes, il lui arrive de tuer des animaux, mais c’est toujours pour manger, pas par méchanceté. En outre, il suffit de regarder le gigot de mouton qui est dans l’assiette pour se rendre compte que les hommes n’agissent pas autrement. Le Chaperon l’écoute attentivement, son verre à la main, l’esprit un peu troublé par l’alcool. Elle regarde ce loup et se dit que c’est vraiment un bel animal. Quelle prestance que la sienne ! Il y a de la noblesse dans la manière dont il se tient. Et comme il parle bien ! Son regard s’attarde sur le large poitrail poilu et elle se dit qu’elle a envie de le caresser, puis de se blottir tout contre lui, bien au chaud et de ne plus penser à rien.
« Je suis un peu fatiguée, je vais m’étendre quelques instants sur le lit » dit-elle subitement. Et la voilà qui enlève sa cape écarlate, puis sa robe rouge et finalement ses sous-vêtements bordeaux. Elle a un petit sourire en coin et son regard croise un instant celui du loup, qui reste complètement abasourdi devant autant d’audace et de candeur. Mais déjà elle s’est glissée dans les couvertures en pouffant de rire et la belle peau blanche et jeune, appétissante à souhait, n’est déjà plus qu’un souvenir, mais un souvenir qui restera gravé à jamais dans la mémoire du loup.
« Tu as de grands yeux » lui dit-il, alors qu’elle le regarde, songeuse. « C’est pour bien te voir », répond-elle. « Mais tu as aussi de grandes oreilles », lui lance-t-il par blague. « C’est pour bien écouter tes histoires », murmure-t-elle tendrement. « Comme tu as de belles dents blanches ! » fait-il remarquer. « C’est pour mieux te charmer par mon sourire » susurre-t-elle. Alors, ils restent là à se regarder, pendant un instant d’éternité, sans rien dire.
On ne saura jamais ce qui se serait passé ensuite, car à ce moment précis un chasseur fit irruption dans la maison. Il avait ouvert la porte d’un coup de pied et se tenait là debout, son fusil à la main, tempêtant contre ce satané loup qu’il n’était pas parvenu à tuer. Mais quand il voit que ce n’est pas la grand-mère, qu’il connaît bien, qui est dans le lit, mais une enfant ou plutôt une jeune fille, en fait presque une femme, il se tait et pose son fusil. Il avance vers le lit sans avoir vu le loup, qui se tient dans l’ombre derrière lui. La petite, terrorisée, pousse un cri perçant. Alors l’homme lui plaque une main sur la bouche et sort son couteau de chasse. « Tais-toi », hurle-t-il, « si tu cries encore, c’en est fini de toi. Et si plus tard tu parles, je ne donne pas cher de ta peau… » Là-dessus il tend la main pour arracher les couvertures mais il n’a même pas le temps de finir son geste que déjà le loup est sur lui et l’instant d’après il gît sur le plancher, dans une mare de sang, mort.
Voilà nos deux protagonistes dans une bien mauvaise posture, avec ce cadavre entre eux deux au milieu de la pièce. D’un côté, il est vrai que le méchant, dans cette histoire, a été puni, ce qui fait que la morale est sauve, comme dans tous les contes, mais que dirait la mère–grand si elle entrait à ce moment précis ? Tout ce qu’elle verrait c’est d’abord un loup assassin, sa victime encore chaude à ses pieds et ensuite elle constaterait que sa petite-fille est couchée dans son propre lit, aussi nue qu’Eve pouvait l’être au paradis, ce qui laisse supposer que quelqu’un pensait atteindre le septième ciel et l’a pour cela obligée à se déshabiller. Bref, il n’y aurait pour elle qu’un seul coupable, messire le loup, l’ennemi héréditaire, la bête immonde, celle qui hante nos cauchemars depuis la nuit des temps. Tout cela, le Chaperon et le pauvre loup s’en rendent parfaitement compte. Ils connaissent leurs classiques, tous les deux et ils savent que dans le conte initial, c’est le Chaperon rouge qui s’est montré bien naïf en faisant confiance au loup sanguinaire et lubrique et donc qu’il lui appartiendra, à l’avenir, de se montrer plus prudent avec les inconnus. Ici, par contre, le gros naïf, c’est le loup, évidemment, qui se retrouve maintenant dans une situation inextricable. Il ne lui reste plus qu’à partir et à disparaître et c’est ce qu’il fait, non sans s’être auparavant perdu dans le regard de la jeune fille.
Il était une fois un pauvre loup qui était pourchassé par des chasseurs…
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04/10/2012
De la récupération du "Printemps arabe" (fin)
Venons-en maintenant au point-de-vue occidental. Quel pourrait-être le but poursuivi en plaçant au pouvoir des régimes religieux ? A quoi ont bien pu penser les dirigeants de Washington et leurs valets de la vieille Europe ?
- Eh bien d’abord ils ont pensé à abattre les régimes qui ne nous sont pas favorables comme la Syrie et la Libye. Mieux vaut des islamistes en place que ces chefs d’Etat tout puissants qui travaillent contre nous. Non pas qu’on ne soutienne à l’occasion des régimes dictatoriaux (on a même été jusqu’à les favoriser, comme le 11 septembre 1973 au Chili – un autre 11 septembre dont on ne parle jamais), mais il faut alors qu’ils soient en notre faveur. Dans le cas contraire, nous nous souvenons que la démocratie doit primer partout.
- Une fois ces régimes ennemis neutralisés, l’Iran sera isolé.
- Supposons que le printemps arabe soit spontané. Il est difficile de résister à la fureur populaire quand celle-ci se déchaîne. Or les EU devaient être au courant, via leurs ambassades, que le feu couvait. Comme ils devaient savoir que le sentiment antiaméricain prenait de plus en plus d’importance. Dans un tel contexte, il aurait été suicidaire de vouloir maintenir les anciens alliés qu’étaient Ben Ali ou Moubarak. Mieux valait saluer la victoire de la démocratie, se faire bien voir des peuples en colère, et tenter d’orienter leurs décisions dans l’ombre pour qu’elles ne soient pas trop désavantageuses pour l’Occident.
- Si le printemps arabe a été pensé à Washington avant même de se concrétiser, le raisonnement est le même : faire éclater soi-même un mouvement qui allait de toute façon jaillir un jour ou l’autre et ce afin de mieux l’orienter.
- La guerre contre le terrorisme en Afghanistan a été un échec en plus d’avoir été une boucherie (et je ne parle ici que de nos troupes). Le résultat politique et militaire est nul. Il y aura toujours autant de terroristes de par le monde tant que la même politique expansionniste et impérialiste sera à l’œuvre dans le chef de l’Occident. Il faut apprendre à dialoguer avec les peuples d’égal à égal plutôt que de vouloir les asservir. Ce qui était une évidence pour les personnes de bon sens il y a dix ans commence peut-être à être compris par les dirigeants de Washington.
- Dès lors, puisque les Arabes veulent être musulmans (et être musulmans cela veut dire aussi être antioccidental, autrement dit se raccrocher à la culture ancestrale de son pays et ne pas accepter cette marchandisation libérale de l’existence qui ne tient pas compte de la dignité humaine), puisque les Arabes veulent être musulmans, dis-je, eh bien qu’ils le soient. Comme cela ils ne nous reprocheront plus d’imposer notre culture. Le principal, après tout, c’est de faire du commerce avec eux et de les spolier de leur matière première.
- Mais tant qu’à faire d’être musulmans, qu’ils le soient jusqu’au bout. Autant avoir à la tête de ces états de partis religieux purs et durs. Loin de faire progresser ces pays vers un futur économiquement et techniquement prospère, ils vont au contraire les plonger dans un Moyen-âge religieux et obscurantiste, appliquant un code civil directement inspiré d’une lecture littérale du Coran.
- Avec un peu de chance, les partis religieux plus modérés vont s’opposer à cette politique des extrémistes. Les partis laïcs aussi. Cela fera donc des dissensions au sein de ces pays, marquées probablement par des attentats et de la violence. C’est ce qu’on appelle « diviser pour mieux régner ». Pendant que les Arabes se battront entre eux, s’affaiblissant économiquement chaque jour davantage, ils ne penseront pas à nous nuire.
- La situation que l’on connaît dans l’Irak « libéré » (où il ne se passe pas un jour sans qu’un attentat ne fasse dix tués), se généralisera partout. Chaque attaque contre un groupe adverse entraînant automatiquement une réplique, cela nous promet de beaux combats en perspective. Pendant ce temps, l’Occident ne sera pas menacé. Il veillera simplement à fournir les armes ou mieux, il les vendra.
- Ces guerres internes vont finalement ressembler à des guerres civiles. On commence à voir ce que cela donne en Libye, où les nouveaux dirigeants ne sont d’accord entre eux que sur un point : faire la chasse aux anciens fidèles de Kadhafi. Il faut par ailleurs entendre le terme « fidèles » au sens large. Un contrôleur des Contributions ou un ingénieur des Ponts et Chaussées, en tant que fonctionnaires qui étaient payés par l’ancien régime, risquent fort de perdre la vie dans l’indifférence générale, les médias occidentaux se gardant bien de rendre compte de cette « chasse aux sorcières ».Mais en-dehors de cette épuration, les nouveaux maîtres des lieux ne sont d’accord sur rien et les tensions qui règnent entre eux vont finir par se manifester de façon plus violente.
- Le but ultime est donc bien de transformer des Etats forts, à la structure politique et militaire efficace, et d’en faire des Etats affaiblis, sans envergure internationale aucune (voir l’Irak actuel). L’avantage, c’est que cela ne coûte presque rien. Les deux guerres d’Irak et la présence de nos soldats sur le terrain pendant près de dix ans se chiffrent en milliards de dollars, sans parler des pertes humaines, toujours mal acceptées par la population au moment des élections (combien de militaires ont été tués en tout ?). Ici, on utilise des combattants arabes formés par les Arabes eux-mêmes, pour renverser d’autres Arabes.
- Evidemment, cette politique ne s’applique pas avec les pays amis, comme ceux du Golfe. Pour comprendre, il suffit de voir avec quelle violence le soulèvement populaire à Bahreïn (pourtant issu en droite ligne du printemps arabe) a été réprimé par l’armée saoudienne. Notre presse en a peu parlé d’ailleurs, juste quelques mots au moment du grand prix de Formules Un, car c’est de l’argent occidental qui était menacé. La même presse n’a pas parlé non plus des soulèvements qui ont bel et bien eu lieu en Arabie proprement dite. Remarquons aussi la différence : Les Chiites de Bahreïn n’ont pas le droit de se soulever, tandis que les Sunnites de Syrie semblent avoir ce droit
- Notons au passage un fait paradoxal. Les intégristes s’en prennent dans certains pays à des mausolées (en gros et pour faire simple, il s’agit des tombeaux d’anciens prophètes, vénérés par certains musulmans), dans la même logique que les Iconoclastes chez nous brisaient les statues des saints. Devant ces destructions l’Occident ne réagit pas. Les croyants qui priaient devant ces mausolées ne sont-ils pas des hommes comme les autres et ne peuvent-ils revendiquer certains droits, à commencer par le libre choix de leur culte ? Il faut croire que non, puisqu’on laisse les intégristes saccager tout. L’avantage c’est qu’on ruine ainsi une culture millénaire et qu’on éradique de vieilles traditions. Sans le savoir, les Salafistes préparent le terrain pour l’introduction d’une nouvelle culture, celle du libre-échange des marchandises (bientôt on pourra vendre des bouteilles de Coca Cola à toute cette population)
Voilà, à mon avis, les différentes raisons qui poussent l’Occident à favoriser la venue au pouvoir d’un islam radical. Est-ce une politique raisonnable ? Elle me paraît dangereuse pour plusieurs raisons :
- Comment neutraliser les djihadistes une fois les combats terminés ?
- Comment s’assurer que ces gens nous seront reconnaissants de les avoir mis au pouvoir ou du moins d’avoir favorisé fortement leur victoire ? Qui dit que demain ils ne vont pas se retourner contre nous ? Voir par exemple les attaques contre les ambassades américaines (attaques peut-être encouragées par Israël pour que l’Amérique se sente menacée et réagisse militairement)
- Comment accepter que les minorités musulmanes (les Alaouites en Syrie par exemple) ou chrétiennes risquent de subir de sérieuses représailles ? En Syrie, les Kurdes redoutent l’entrée des troupes turques, les Arméniens aussi (qui se souviennent du génocide du début du XX° siècle). Les Alaouites et les Chrétiens ont peur. Qu’en est-il de la notion des droits de l’homme pour ces minorités ? Ne convient-il pas de protéger ces populations comme le régime actuel le faisait ? En d’autres termes, ne risque-t-on pas, en renversant des régimes forts et laïcs au nom de la démocratie, de contribuer à un massacre généralisé ?
- Qui dit que ces populations musulmanes, excitées par des Imams intégristes, ne vont pas se retourner un jour contre Israël ? Or Israël a tous les droits, on le sait, et surtout celui de se défendre. En fait il a même le droit d’attaquer et d’aller bombarder l’Iran par exemple. L’Occident essaie pourtant de le calmer en prenant des mesures contre le pays des Ayatollahs, car il sait que si Israël attaque, l’Iran ripostera. Alors on sera parti pour une troisième guerre mondiale !
Bref, les cartes sont en train de se distribuer autrement et le monde que l’on a connu risque d’être fort différent demain.
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