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25/01/2013

Dans le métro

Il était entré dans le métro en même temps que moi et je ne faisais pas attention à lui. Puis subitement, comme les portes étaient toujours ouvertes, il est redescendu sur le quai. Sans le vouloir, il m’a un peu bousculé et s’est excusé très poliment.

Pourquoi sortait-il de la rame dans laquelle il venait d’entrer ? Etrange. C’est là que je l’ai regardé. Trente-cinq à quarante ans, une barbe courte, une veste normale, le capuchon de son pull sur la tête, il tenait en main un sac en plastique.

Puis subitement il s’est mis à parler tout seul. C’est là que j’ai compris que quelque chose n’allait pas. Il parlait parce qu’il était perdu et qu’il n’en pouvait plus de tout le silence qu’il avait enduré depuis des jours.  Du coup, son sac en plastique, qui m’avait d’abord paru anodin, prit tout son sens : c’était son seul bagage, son seul avoir dans la grande ville où il devait sans doute chercher chaque soir un endroit où dormir. Peut-être ici, justement, dans les couloirs du métro.

Lui, continuait à parler, en nous regardant tous, nous qui étions restés à l’intérieur. Ce qu’il disait était un peu incohérent et je ne pourrais pas le retranscrire ici. Moi je regardais ses yeux : des yeux plein de gentillesse, ceux d’un homme perdu à qui la vie n’avait pas fait de cadeau.

Puis tout en me fixant moi, il a continué son discours en arabe. Mais calmement, posément, sans élever la voix. Il n’avait rien d’un fou privé de raison. C’était un homme, tout simplement, un homme qui disait sa souffrance et qui regrettait l’indifférence de ses semblables. C’est du moins ce qu’il me semblait comprendre, à travers son langage pour moi inconnu.

Les portes se sont finalement refermées avec un claquement sec et le métro nous a emportés, laissant là sur le quai cet Arabe qui resterait à jamais un étranger.

metro_bruxelles.jpg

Commentaires

Ma question, éternelle, à moi-même: pourquoi quand nous voyons quelqu'un dans la détresse ne l'invitons-nous pas à venir chez nous ? Chacun pouvant ainsi être accueilli chez quelqu'un, ce qui lui éviterait peut-être de sombrer, le temps de trouver une solution...

De la même façon qu'à l'époque si chacun de ceux qui leur était confronté avait tué un nazi...

Le parallèle peut paraître étrange, ma question étant : pourquoi n'agissons-nous jamais directement, cette action s'ajouterait alors à celles que nous avons autrement (politiquement, syndicalement, associativement, civiquement, etc.)

Écrit par : Michèle | 25/01/2013

J'aime ces "choses vues", ces tranches de vie, une sorte de "journal du dehors"...

Écrit par : Michèle | 25/01/2013

Jamais deux... :)

Quand je dis accueillir chez soi, cela veut dire sous un toit et au chaud, quelle que soit la modestie de l'accueil. Je n'ai jamais été une femme d'intérieur et je n'ai aucun sens de la "décoration", mais j'ai toujours bonheur à partager repas et chaleur d'un logis.
Éviter surtout ce sentiment que chacun devrait avoir "ses pauvres", et moi qui n'aime pas particulièrement Pascal Bruckner, je l'entendais hier soir, à propos de son dernier livre, dénoncer ces gens qui foncent tels des charognards sur le malheur d'autrui, et souligner la méchanceté qu'il y avait sur le visage de mère Térésa... :)

Écrit par : Michèle | 25/01/2013

Que de commentaires, Michèle ! Pourquoi on ne les prend pas chez soi ? Parce qu'on n'est pas Mère Thérésa, justement et qu'on préfère s'en prendre au système dans l 'espoir de les sauver tous plutôt que de se pencher sur un cas particulier. Peut-être pcq ces gens-là nous font peur. Et pourtant, qu'est-ce qu'un sourire leur ferait du bien.

Ce qui m'agace chez mère Thérésa, c'est qu'elle ne s'en prend pas aux causes politiques, aux inégalités sociales. Elle les accepte et dis que c'est aux individus à réparer les imperfections du système, en aidant les pauvres jusqu'à y donner sa vie. Il y a là une démesure qui touche à l'orgueil.

Écrit par : Feuilly | 25/01/2013

C'est dans les mouroirs qu'elle pouvait gagner des âmes à Dieu...

Écrit par : Michèle | 25/01/2013

Ces gens-là nous font peur, dis-tu. Ces gens qui n'ont rien. Je crois que ce qui nous fait peur c'est notre propre sort que nous voyons à travers eux. Notre propre dénuement. Qui advient de toute façon un jour.

Écrit par : Michèle | 26/01/2013

Douloureux face à face et symbolique à souhait: celui ( ceux ) qu' on laisse sur le quai...

Quand j' étais petite, ma grand mère habitait un ancien presbytère. Il n' était pas rare que des gars qui " faisaient la route " s' arrêtent et demandent l' hospitalité pour une nuit ou deux. Elle partageait son repas, préparait une chambre. Certains restaient silencieux. D' autres racontaient leur vie plus ou moins cabossée, les paysages traversés.. Parfois il se faisaient embaucher quelques jours dans la ferme à côté et puis ils reprenaient la route, disparaissant comme ils étaient venus...
Aujourd' hui, ceux qui cherchent " la maison du curé " se retrouvent mis, contre leur gré, à l' hôpital et leurs chiens à la SPA...

Écrit par : agnès | 27/01/2013

@ Michèle : la peur de notre sort : évidemment.
@ Agnès : merci pour ce témoignage. Il me semble que cette grand-mère, qui revient souvent dans vos propres textes, était un personnage extraordinaire et hors du commun.

Écrit par : Feuilly | 27/01/2013

Tous les êtres humains sont capables, en dehors de toute pathologie ou de névrose,  de développer de la compassion et de l'empathie. On a démontré, en effet, que l'empathie se manifeste,  sans aucun  apprentissage, très tôt chez le nourrisson. Mais cette capacité est plus ou moins développée et aiguisée selon le vécu, les expériences, les croyances, les valeurs et les émotions de chacun...Ici le narrateur est certainement dans l'empathie, il ressent, il comprend l'arabe, il rentre en résonance avec lui, puis il se sépare de lui. La question de Michèle ''pourquoi quand nous voyons quelqu'un dans la détresse ne l'invitons-nous pas à venir chez nous ?'', me parait essentielle, car elle nous fait quitter l'empathie (perception des émotions d'autrui, sans confusion entre soi et l’autre) pour nous placer sur le terrain de la sympathie  qui se décrit comme  un processus d'identification à autrui, une confusion entre soi et l’autre, qui aboutit à un partage d’émotion, partage qui crée à son tour un lien affectif positif. La sympathie est donc un partage et une identification à l'autre et la grand-mère d'Agnès répond bien à cette réaction en chaine qui aboutit à l'action altruiste. Elle partage avec autrui le gite et le couvert, mais surtout elle partage des émotions.
Quand j'ai lu cet excellent texte, j'ai pensé de suite à la chanson de Reggiani qui s'appelle simplement ''L'arabe''. Votre texte et la chanson sont, à mon avis, parfaitement complémentaires. L'un évoque une situation qui déclenche une réponse empathique et l'autre décrit une rencontre dans le silence du désert, au cours de laquelle l'identification à l'autre s’opère, transforme la défiance en confiance et aboutit à l'enchevêtrement des sentiments et la naissance d’un lien affectif. Peut-être que la sympathie est-elle plus facile à établir dans un tête-à-tête qui nous rend plus disponible, plutôt que dans un métro bondé...

Paroles de la chanson http://musique.ados.fr/Serge-Reggiani/L-Arabe-t102677.html
Reggiani http://www.youtube.com/watch?v=NzOONxWW60g

Écrit par : Halagu | 28/01/2013

Bonjour Halagu,

je me demande si la sympathie n'implique pas une interaction. Une empathie réciproque en quelque sorte. Et ce que propose Michèle n'est pas si facile à mettre en place, spontanément inviter quelqu'un dans la détresse à partager notre intimité. La façon de faire de la grand-mère d'Agnes est toute autre, la porte de sa maison est ouverte et c'est celui dans la détresse qui la pousse de lui-même sachant qu'il sera accueilli, ce qui est est à mon avis bien différent d'une invitation... Bon, ceci dit, je n'ai jamais fait l'expérience d'aller vers l'autre en détresse et lui offrir mon hospitalité et je ne sais pas si j'en suis capable.

Merci Feuilly pour ce beau texte qui fait réfléchir...

Écrit par : helenablue | 28/01/2013

Halagu, ce que vous dites de la sympathie, qu'il y a confusion entre soi et l'autre, identification, me plaît beaucoup. Et c'est ce qui fait que lorsqu'on est amoureux (c'est-à-dire en sympathie profonde, extrême), on veut tout savoir de l'autre ; à cause de cette confusion, de ce transfert de soi, soi qui a besoin de connaître, de rendre l'inconnu connu. L'autre et moi, l'autre est moi.

Helenablue, il y a un petit moment que je ne suis pas venue en visite chez vous. C'est un grand plaisir de vous lire ici :)

Tant que j'y suis, je fais le tour :)
Agnès, "ceux qu'on laisse sur le quai", quand le poète parle il dit tout :)

Feuilly, je n'ai pas attendu ton retour pour saluer tes visiteurs. Un blogue c'est une maison dont on pousse la porte, comme dans l'ancien presbytère de la grand-mère d'Agnès :)

Écrit par : Michèle | 28/01/2013

Bonjour Helenablue

Contrairement à Michèle, je passe tous les soirs chez toi à l'heure de l'apéritif et à partir de ce soir je passerai la [Michèle] prendre avec moi, si elle veut bien! :) Tu vois que tu es capable d'offrir ton hospitalité sans contrepartie, qu'on soit avec, ou sans détresse.

@ Michèle
Je n'ai pas pensé à l'amour en tant que sympathie profonde, mais ça doit être vrai. Cependant, cela me pose un réel problème, car je vais être obligé, pour éviter tout malentendu, d’éliminer les hommes de ma sympathie profonde et de multiplier mes conquêtes féminines. Est-ce raisonnable?

Écrit par : Halagu | 29/01/2013

Sans doute a-t-il senti une marque d’attention qui lui a permis de fixer son regard et d’exprimer son ressenti. Le reste n’est que supposition, le silence ou un langage inconnu laisse la part libre à tout scénario imaginé.
Dans la cohue, nous sommes souvent si peu receptifs à la misère humaine.
Et la misère humaine même si elle s’exprime n’en garde pas moins la dignité de l’homme.
La semaine dernière, à Liège, un sans-abri est mort de froid, juste un entrefilet dans le journal… Je me souviens aussi d’un reportage à la télé française d’une association qui proposait le gite à des sans-abris et que ceux-ci refusaient …Ils ne voulaient pas dépendre d’un système qu’ils avaient rejeté, ils voulaient garder une autonomie qui était peut-être la seule chose qui leur restait …

Pardon aux commententateurs de ne pas avoir lu leurs commentaires avant de rédiger le mien, je reviendrai !
Et merci pour ce billet dont la simplicité touchante éveille tant d'élans du coeur !

Écrit par : saravati | 29/01/2013

@ Halagu : la sympathie va plus loin, en effet puisqu'elle débouche sur l'affectif et la réciprocité.

@ Helenablue : si j'ai bien compris, la grand-mère d'Agnès habitait un ancien presbytère et c'est donc à la porte du curé que les "voyageurs" croyaient venir frapper. Mais spontanément elle a assumé le rôle, ce qui n'est pas évident. Manifestement elle avait de la générosité en elle.

@ Michèle : parlez entre visiteurs, c'est très bien.

@ Saravati : l'indifférence d'une foule devant un malheur solitaire fait peur car elle témoigne d'une indifférence totale.

Écrit par : feuilly | 29/01/2013

" Faut-il que les loups
Reviennent chez nous
Rendre la chaleur
Que donnait la peur ? "

chantait cet artiste que j'ai beaucoup aimé. Je me permets de partager son cri, qui ressemble au vôtre. Ce qui vous honore au demeurant.
http://www.youtube.com/watch?v=vP8XuZbacxI

Écrit par : Barnabé | 30/01/2013

@ Barnabé : et qui honore tous les lecteurs de ce site, visiblement, à voir leurs réactions. :))

Écrit par : Feuilly | 30/01/2013

Tout à fait, tout à fait...

Écrit par : Barnabé | 30/01/2013

Les commentaires sont fermés.