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08/10/2012

Le loup et le chaperon

Je remets ici en ligne, pour ceux qui ne l'auraient pas lu, un texte qui avait été publié autrefois sur un autre site :

  http://tempetedansunencrier.hautetfort.com/archive/2009/0...

                                 

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Il était une fois un pauvre loup qui était pourchassé par des chasseurs. Voilà trois jours qu’il fuyait comme il pouvait, à travers prés, à travers bois, s’écorchant aux ronces, tombant dans les fossés, pataugeant dans les marécages et se noyant presque à chaque fois qu’il traversait une rivière. Il était fourbu, épuisé, affamé. Son pelage était couvert de feuilles, d’épines, de bouts de branches et il n’avait vraiment pas fière allure. Pendant trois jours il n’avait fait que courir mais les chasseurs, sur leurs chevaux, ne l’avaient pas lâché et c’est vraiment grâce au hasard que ceux-ci avaient finalement perdu sa trace et qu’il avait pu enfin leur échapper.

Le voilà donc tout penaud, tout fourbu, claudiquant comme il peut sur un petit sentier et tentant de reprendre haleine. Soudain, en sens inverse, il voit une très jeune fille s’avancer, toute de rouge vêtue. Elle doit avoir douze ans, peut-être treize et il ne sait pas trop bien si c’est encore une enfant ou si c’est déjà une femme. « Bonjour », lui dit-elle en souriant quand elle arrive à sa hauteur. « Tu es un loup ? » « Oui, répond celui-ci, je suis un loup gris, mais franchement, pour le moment, je ne suis plus que l’ombre de moi-même» et il raconte son aventure à la petite qui l’écoute attentivement.

« Tu n’es pas blessé ? », lui demande-t-elle.  « Alors c’est le principal, non ? Par contre tu as sans doute faim. J’apportais des gaufres à ma mère-grand qui est un peu souffrante. Si tu veux, je t’en donne la moitié. Tu sais, après tout, à son âge, elle ne mange plus grand chose, la mémé, alors une gaufre de plus ou une gaufre de moins, elle n’y verra que du feu. » «Ca, c’est vraiment gentil » dit le loup, « et c’est vrai que j’ai fort faim, mais que va dire ta mère, si elle apprend que tu as partagé les gaufres avec un loup ? Après tout, c’est pour ta mère-grand qu’elle les avait faites, non ? » « Oh, tu sais, ma mère, elle n’a qu’à aller les apporter elle-même, si ça ne lui plaît pas ! Déjà qu’elle n’arrête pas de m’envoyer porter mille choses ! Une fois c’est du potage, une autre fois un beau rôti bien cuit ou bien une tarte ou encore des biscuits qu’elle a préparés elle-même. Je ne fais que des allées et venues ! Et c’est qu’il y a loin entre nos deux maisons et puis c’est lourd, toutes ces victuailles, tu n’imagines pas ! Tiens, sers-toi, cela te fera du bien et pour moi ce sera plus léger. » Et disant cela, elle ouvre son panier et tend au loup une belle gaufre bien dorée, cuite juste à point. Celui-ci, affamé comme il est, ne se le fait pas dire deux fois et le voilà qui se met à manger de bon appétit, tandis que la jeune fille, attendrie, le regarde en souriant.

«Tiens », lui dit-elle quand il a fini, « en voici encore une autre.»  Et d’autorité elle donne une deuxième gaufre au loup, puis elle s’assoit dans l’herbe, au bord du chemin et se met à en manger une aussi. « Après tout », dit-elle « la mère-grand ne manque de rien et puis ce n’est quand même pas une pâtisserie qui va la guérir, bien au contraire. Son problème, c’est qu’elle est trop vieille, c’est sa seule maladie, en fait. Nous, par contre, on est jeunes, hein ? On est plein de vie et on a l’avenir devant nous. Alors autant que les gaufres soient dans notre estomac plutôt que dans celui d’une quasi-mourante, tu ne crois pas ? » Le loup, qui était tout de même un peu gêné en entendant ces propos et qui se sentait surtout coupable de manger le dessert de la mère-grand, ne savait que dire, mais la fille à côté de lui était si jolie, elle le regardait avec des yeux si bienveillants, qu’il lui donna raison. Et puis c’était bien la première fois qu’un humain se montrait gentil avec lui, alors il n’allait pas  créer des difficultés pour le principe. Tant pis pour la mémé. Alors il puisa dans le tas de gaufres et mangea tout ce qui restait.

« Tu me sembles être un beau loup », fit remarquer la jeune fille quand il eut tout avalé. « Evidemment, aujourd’hui, après ta mésaventure, tu ne te montres pas sous ton plus beau jour. Assieds-toi, je vais arranger cela. » Et tout en le regardant en coin, elle détacha le peigne qui tenait ses cheveux, qui tombèrent aussitôt en jolies cascades le long de son beau visage. Le loup la contempla, impressionné par autant de grâce et de beauté. « Allez, viens », lui dit-elle « et laisse-toi faire. » Alors elle se mit à le peigner soigneusement, tout en enlevant de son pelage tous les débris végétaux qui y étaient  restés accrochés. A la fin, elle prit son bonnet rouge et s’en servit comme d’un chiffon pour lustrer le pelage de l’animal avec application. Quand elle eut fini, elle se recula et contempla son travail avec satisfaction. Le loup était méconnaissable et il avait maintenant fière allure.

« Tu es vraiment beau », murmura la petite. « Merci », dit le loup, tout content qu’on s’intéressât ainsi à lui et en même temps un peu troublé par ce qui se passait. « Bon, ben, il faudrait bien que j’y aille », suggéra-t-il un peu à contrecœur. « Un loup en compagnie d’une jeune fille, cela ne se fait pas trop. Il vaudrait mieux que je regagne ma forêt profonde. » « Comment, cela ! Tu t’en vas déjà ? » dit la petite, un sanglot dans la voix. « Tu me laisses toute seule sur ce chemin alors que moi je me suis montrée bien gentille avec toi ? » Le pauvre loup ne savait plus quelle contenance prendre, tant il était mal à l’aise. « Bien sûr, que je voudrais rester encore un peu avec toi, mais enfin, si on nous voit ensemble, cela va faire jaser et puis je risque de prendre un coup de fusil. » « Mais non, je t’assure que non. Je te défendrai, tu penses bien. Allez, tiens-moi compagnie jusqu’à la maison de mère-grand. D’accord ? Tu verras, on ne rencontrera  personne. »

Et les voilà donc partis, devisant de choses et d’autres, comme les meilleurs amis du monde. Arrivés devant la maison de l’aïeule, le loup voulut de nouveau prendre congé, mais la jeune fille avait une petite idée derrière la tête, aussi insista-t-elle pour qu’il vienne prendre un bol de cacao. Et aussitôt, la voilà qui frappe à la porte. «C’est toi ? » demande la vieille dame, d’une voix tremblotante. « Oui, c’est moi », répond le Chaperon rouge. « Je suis couchée, entre. Tire la chevillette et la bobinette cherra. »

« Attends un petit peu ici », dit la jeune fille au loup, il faut que je lui annonce ta visite. » Là-dessus, elle tire sur la chevillette et en effet la bobinette choit. Mais une fois à l’intérieur, elle se met à crier : « Mère-grand, mère-grand, je suis poursuivie par un affreux loup gris affamé. Il va venir jusqu’ici et nous manger toutes les deux ! Fuyons pendant qu’il en est encore temps et allons nous réfugier dans la cabane du jardin ! C’est la seule solution… » Affolée, prise de panique, l’ancêtre sort de son lit comme elle peut, en chemise de nuit. Aussitôt, le Chaperon la pousse vers la porte de derrière, la tire à travers tout le potager, presque en courant, puis la précipite littéralement dans le cabanon et l’enferme à l’intérieur. « Reste là », lui crie-t-elle, « je vais chercher les chasseurs. » Mais au lieu des chasseurs, c’est le loup qu’elle va chercher et qu’elle fait entrer dans la maison de sa mère-grand.

« Je suis désolée, ma gand-mère a visiblement dû s’absenter car elle n’est pas là», dit-elle avec aplomb. « Tu sais, la mémé a encore bon pied bon œil et n’est pas si malade que cela. Elle va souvent dans la forêt ramasser des brindilles pour allumer son feu. Si tu veux, en l’attendant, nous allons goûter à ce gigot d’agneau qui mijote au coin du feu. Tu as encore bien une petite faim, non ? » En sentant la bonne odeur qui s’échappait de la casserole, le loup ne put qu’acquiescer. Les voilà donc installés à table tous les deux, avec un succulent repas dans leurs assiettes. La jeune fille a bien fait les choses. Elle a même allumé une petite bougie et débouché une bouteille de vin. Après quelques verres, les langues se délient, comme il est de coutume. Le loup raconte ses grandes courses dans la forêt ou encore la manière dont il s’y prend pour égorger les bœufs ou les moutons. La jeune fille, elle, expose ses désarrois d’adolescente. Elle parle de ses querelles avec sa mère, de sa solitude, de ces éternelles allées et venues qu’elle doit faire chez la grand-mère. Le loup l’écoute et compatit à son sort. La petite en est touchée et lui sourit. Alors il explique que dans le fond il est un animal tendre et que c’est à tort que les hommes le craignent. Certes, il lui arrive de tuer des animaux, mais c’est toujours pour manger, pas par méchanceté. En outre, il suffit de regarder le gigot de mouton qui est dans l’assiette pour se rendre compte que les hommes n’agissent pas autrement. Le Chaperon l’écoute attentivement, son verre à la main, l’esprit un peu troublé par l’alcool. Elle regarde ce loup et se dit que c’est vraiment un bel animal. Quelle prestance que la sienne ! Il y a de la noblesse dans la manière dont il se tient. Et comme il parle bien ! Son regard s’attarde sur le large poitrail poilu et elle se dit qu’elle a envie de le caresser, puis de se blottir tout contre lui, bien au chaud et de ne plus penser à rien.

« Je suis un peu fatiguée, je vais m’étendre quelques instants sur le lit » dit-elle subitement. Et la voilà qui enlève sa cape écarlate, puis sa robe rouge et finalement ses sous-vêtements bordeaux. Elle a un petit sourire en coin et son regard croise un instant celui du loup, qui reste complètement abasourdi devant autant d’audace et de candeur. Mais déjà elle s’est glissée dans les couvertures en pouffant de rire et la belle peau blanche et jeune, appétissante à souhait, n’est déjà plus qu’un souvenir, mais un souvenir qui restera gravé à jamais dans la mémoire du loup.

« Tu as de grands yeux » lui dit-il, alors qu’elle le regarde, songeuse. « C’est pour bien te voir », répond-elle. « Mais tu as aussi de grandes oreilles », lui lance-t-il par blague. « C’est pour bien écouter tes histoires », murmure-t-elle tendrement. « Comme tu as de belles dents blanches ! » fait-il remarquer. « C’est pour mieux te charmer par mon sourire » susurre-t-elle. Alors, ils restent là à se regarder, pendant un instant d’éternité, sans rien dire.

On ne saura jamais ce qui se serait passé ensuite, car à ce moment précis un chasseur fit irruption dans la maison. Il avait ouvert la porte d’un coup de pied et se tenait là debout, son fusil à la main, tempêtant contre ce satané loup qu’il n’était pas parvenu à tuer. Mais quand il voit que ce n’est pas la grand-mère, qu’il connaît bien, qui est dans le lit, mais une enfant ou plutôt une jeune fille, en fait presque une femme, il se tait et pose son fusil. Il avance vers le lit sans avoir vu le loup, qui se tient dans l’ombre derrière lui. La petite, terrorisée, pousse un cri perçant. Alors l’homme lui plaque une main sur la bouche et sort son couteau de chasse. « Tais-toi », hurle-t-il, « si tu cries encore, c’en est fini de toi. Et si plus tard tu parles, je ne donne pas cher de ta peau… » Là-dessus il tend la main pour arracher les couvertures mais il n’a même pas le temps de finir son geste que déjà le loup est sur lui et l’instant d’après il gît sur le plancher, dans une mare de sang, mort.

Voilà nos deux protagonistes dans une bien mauvaise posture, avec ce cadavre entre eux deux au milieu de la pièce. D’un côté, il est vrai que le méchant, dans cette histoire, a été puni, ce qui fait que la morale est sauve, comme dans tous les contes, mais que dirait la mère–grand si elle entrait  à ce moment précis ? Tout ce qu’elle verrait c’est d’abord un loup assassin, sa victime encore chaude à ses pieds et ensuite elle constaterait que sa petite-fille est couchée dans son propre lit, aussi nue qu’Eve pouvait l’être au paradis, ce qui laisse supposer que quelqu’un pensait atteindre le septième ciel et l’a pour cela obligée à se déshabiller. Bref, il n’y aurait pour elle qu’un seul coupable, messire le loup, l’ennemi héréditaire, la bête immonde, celle qui hante nos cauchemars depuis la nuit des temps. Tout cela, le Chaperon et le pauvre loup s’en rendent parfaitement compte. Ils connaissent leurs classiques, tous les deux et ils savent que dans le conte initial, c’est le Chaperon rouge qui s’est montré bien naïf en faisant confiance au loup sanguinaire et lubrique et donc qu’il lui appartiendra, à l’avenir, de se montrer plus prudent avec les inconnus. Ici, par contre, le gros naïf, c’est le loup, évidemment, qui se retrouve maintenant dans une situation inextricable. Il ne lui reste plus qu’à partir et à disparaître et c’est ce qu’il fait, non sans s’être auparavant perdu dans le regard de la jeune fille.

Il était une fois un pauvre loup qui était pourchassé par des chasseurs…

 Littérature

   

00:05 Publié dans Prose | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : littérature

Commentaires

Bien vu cette scène de déshabillage, scène d'exhibition et de voyeurisme (présente dès le début de la rencontre :), et qui rejoint les versions bien antérieures à celle de Perrault : érotisme équivoque, étrange audace de "l'enfant", le conte rencontre les pulsions enfantines de séduction, qui prescrivent à tout adulte la plus grande réserve, et servent si souvent d'alibi pervers au pédophile...

"Ainsi dans le conte le sens hésite-t-il entre fiancée du Loup ou sa prostituée, entre innocence ou lubricité de la scène."

Écrit par : Michèle | 08/10/2012

" Et la voilà qui enlève sa cape écarlate, puis sa robe rouge et finalement ses sous-vêtements bordeaux " :

A mesure que l'enfant chaperon dévêt son rouge corps femelle inachevé, en passe seulement de le devenir, les couleurs perdent de leur éclat, s'éteignent, comme pour dire le continent noir du féminin...

Écrit par : Michèle | 08/10/2012

La vieille expression " avoir vu le loup", du XVIIIe siècle, je crois, et quelque peu inusitée de nos jours, reprend ici tout son sens.

Écrit par : Barnabé | 09/10/2012

@ Michèle : oui, les versions antérieures à Perrault loup veut manger le chaperon, c'est bien au sens sexuel qu'il faut l'entendre. Ici, dans ma version, les rôles sont inversés. Le loup est plutôt débonnaire et c’est la jeune fille qui se montre entreprenante, poussée par son désir d’accéder aux mystères de la sexualité.

@ Barnabé : oui, l’image du loup prédateur a pris dans cette expression le sens que l’on devine.

Écrit par : Feuilly | 09/10/2012

Définition du dictionnaire Avoir vu le loup. Avoir affronté des dangers; en partic., fam., avoir perdu sa virginité. Elle (...) a déjà vu le loup (...), elle couchait à seize ans avec le garçon du marchand de vin (Zola,Fécondité,1899, p. 64).

http://www.cnrtl.fr/definition/loup

Écrit par : Feuilly | 09/10/2012

Il me semble, oui, (mais il faudrait vérifier) que cette expression, n'a pris sa conation sexuelle qu'à partir du XVIIIe.
Sémantique du prédateur, certes, mais surtout du mystère fantasmé qui entoure le loup, à la fois objet de peur ancestrale, atavique, et d'attirance, de beauté.

Écrit par : Barnabé | 10/10/2012

"connotation", bien sûr... Amusant lapsus sur le sujet !

Écrit par : Barnabé | 10/10/2012

Il y a un livre absolument remarquable écrit par Anne-Marie Garat : "Une faim de loup", lecture du Petit Chaperon Rouge (Babel n° 929, 7.50 €).

La nourriture qu'apporte le Chaperon à sa mère-grand (la mère de sa mère, la plus-que-mère), est faite, est cuite par la mère.
Cuire et faire, affaire de femmes (dès la caverne).

Couleur, odeur, blondeur (de la gaufre, du rôti au four), rendent folle de présence corporelle.
La nourriture apportée a force hallucination sensuelle et amoureuse (c'est pourquoi le Chaperon la donne au Loup, court-circuitant ainsi la mère).

Prenez et mangez, ceci est mon corps de mère.

Et cette mère qui envoie sa fille apporter victuailles dans la forêt, où a-t-elle la tête ?
A quoi pensent les mères ?
A leur propre mère, pas à leur enfant, c'est flagrant (dans cette histoire).

Multiples "allées et venues", fais-tu dire à la petite (cf le lapsus-scriptus de Barnabé :)

Écrit par : Michèle | 10/10/2012

Il y a du plaisir à entendre la formule, "Tire la chevillette et la bobinette cherra", à cause de son autonomie sonore et de sa tournure rituelle.

Parenthèse : Aucun de tes lecteurs n'a oublié la serrure et la clef de ton récit écrit en 2010, "Obscurité".

Je ne résiste pas au plaisir de décrire le système de la bobinette et la chevillette, tel que nous le rappelle Anne-Marie Garat dans "Une faim de loup".
Je la cite donc :

« C'est un dispositif de serrure à bascule assez sommaire, utilisant une petite cheville, mot du bas latin 'clavicula', petite clé... Même étymologie que clavicule, l'os qui assujettit, dit-on, l'aile des anges, ou celles d'Hermès ; pièce de mécanique ou de charpente qui a pour fonction de joindre deux pièces sans les sceller entre elles... L'histoire de la serrurerie nous apprend que ce système rudimentaire équipe les portes des maisons pauvres, masures de campagne, et non les huis des châteaux ou belles demeures, coffres et riches armoires, munis de mécanismes ingénieux, bien plus sophistiqués, dès le Moyen Âge.

Le système en est simple : à l'intérieur de la porte, une pièce cylindrique (la bobinette) est fixée par une de ses extrémités, de sorte à pouvoir pivoter. Son autre extrémité dépasse assez le battant pour pouvoir s'engager, en position de fermeture, dans une gorge verticale du chambranle ou du mur. Par un trou, ménagé dans la porte et sous la bobinette, on enfonce une tige (la chevillette), qui maintient celle-ci à l'horizontale. En position de fermeture, la bobine, coincée par la gorge et soutenue par la cheville, tient la porte close. Si on retire cette clé, la bobinette se dégage de la gorge, et choit (tombe en pivotant), ce n'est pas sorcier.

Ce n'est pas sorcier mais quand même bizarre. La chevillette du conte traverse la porte de part en part puisque, pour faire tomber la bobinette, on peut la tirer aussi bien du dedans... que du dehors, comme le fait ici la fillette (ton loup aujourd'hui ne fait rien sinon obéir à la petite).
Ce système ne garantit donc (dans le conte) aucune protection extérieure. Au mieux il maintient la porte close, une protection contre le froid et les animaux errants... Mais quiconque peut entrer dans cette maison... comme dans un moulin, voilà la réalité.
Mère-grand laisse la clé dépasser dehors pour s'éviter de se lever en cas de visite.
Au propre comme au figuré, cette ouverture est un jeu d'enfant.

L'explication technique ne désamorce en rien l'énigme de cette serrure qui n'en est pas une, de cette porte si peu fermée, mais qui fait barrage et ne s'ouvre que par le pouvoir des mots.
Les mots valent comme cheville ouvrière du verrou narratif. (...) Tout dialogue ritualise l'échange humain. »



Je remarque que la grand-mère est donc, dans ta version, davantage en sécurité dans la cabane où l'a enfermée la petite que dans sa maison :).

Écrit par : Michèle | 11/10/2012

Oui, dans tout ce qui est dit là, notamment avec "les allées et venues", il semblerait que le subconscient de l'auteur de cette version ait pris possession d'une part de l'écriture.
Et c'est ce qui fait, d'un récit, d'un conte, d'un texte de fiction, la qualité souvent.
Dire ce qui n'est pas dit, que les mots glissent dans l'imaginaire et nourrissent quelque chose qui s'appelle littérature

Écrit par : Barnabé | 11/10/2012

Toute écriture est prise de risque, bien sûr.

Je précise ce qu'est ma lecture des "allées et venues" :
C'est le Chaperon qui fait les allées et venues sur désir de sa mère.
Je pense que les enfants sont les phallus des mères :)

Écrit par : Michèle | 11/10/2012

L’expression « Tire la chevillette et la bobinette cherra » a résisté à l’usure du temps car on la retrouve dans toutes les versions du conte. C’est paradoxal car elle est devenue quasi incompréhensible sans explication annexe (voir le commentaire de Michèle). C’est bien la force de ces mots, leurs sonorité (au-delà de leur sens donc) qui explique cette permanence. Voilà une belle manière de dire que le conte est fait de mots (et est donc une pure fiction) et que ce sont ces mots qui nous ouvrent le monde de l’imaginaire.

Ici, l’image de cette porte close qu’on peut ouvrir de l’extérieur (mais en principe avec l’accord de la grand-mère qui est à l’intérieur dans la version classique) a une connotation érotique. Cette maison privée dans laquelle on entre avec l’accord de sa propriétaire, renvoie à l’acte sexuel, la maison devenant une métaphore de la femme. Je m’aperçois que dans mon conte « inversé », c’est le Chaperon qui, d’autorité, tire sur la chevillette. C’est finalement logique puisqu’ici c’est elle qui convoite le loup et qui laisse parler ses pulsion sexuelles. Je n’avais pas pris conscience de ce détail en écrivant le texte. Donc, comme dit Barnabé, un texte littéraire « tient » par la logique interne qui lui est propre, les éléments qui le constituent provenant de l’inconscient de l’auteur et ayant été déposés là sans volonté délibérée et consciente de sa part. Voilà qui doit nous imposer beaucoup de modestie quand nous prenons la plume.

Écrit par : Feuilly | 11/10/2012

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