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04/10/2012

De la récupération du "Printemps arabe" (fin)

Venons-en maintenant au point-de-vue occidental. Quel pourrait-être le but poursuivi en plaçant au pouvoir des régimes religieux ? A quoi ont bien pu penser les dirigeants de Washington et leurs valets de la vieille Europe ?

  • Eh bien d’abord ils ont pensé à abattre les régimes qui ne nous sont pas favorables comme la Syrie et la Libye. Mieux vaut des islamistes en place que ces chefs d’Etat tout puissants qui travaillent contre nous. Non pas qu’on ne soutienne à l’occasion des régimes dictatoriaux (on a même été jusqu’à les favoriser, comme le 11 septembre 1973 au Chili – un autre 11 septembre dont on ne parle jamais), mais il faut alors qu’ils soient en notre faveur. Dans le cas contraire, nous nous souvenons que la démocratie doit primer partout.
  • Une fois ces régimes ennemis neutralisés, l’Iran sera isolé.
  • Supposons que le printemps arabe soit spontané. Il est difficile de résister à la fureur populaire quand celle-ci se déchaîne. Or les EU devaient être au courant, via leurs ambassades, que le feu couvait. Comme ils devaient savoir que le sentiment antiaméricain  prenait de plus en plus d’importance. Dans un tel contexte, il aurait été suicidaire de vouloir maintenir les anciens alliés qu’étaient Ben Ali ou Moubarak. Mieux valait saluer la victoire de la démocratie, se faire bien voir des peuples en colère, et tenter d’orienter leurs décisions dans l’ombre pour qu’elles ne soient pas trop désavantageuses pour l’Occident. 
  • Si le printemps arabe a été pensé à Washington avant même de se concrétiser, le raisonnement est le même : faire éclater soi-même un mouvement qui allait de toute façon jaillir un jour ou l’autre et ce afin de mieux l’orienter.
  • La guerre contre le terrorisme en Afghanistan a été un échec en plus d’avoir été une boucherie (et je ne parle ici que de nos troupes). Le résultat politique et militaire est nul. Il y aura toujours autant de terroristes de par le monde tant que la même politique expansionniste et impérialiste sera à l’œuvre dans le chef de l’Occident. Il faut apprendre à dialoguer avec les peuples d’égal à égal plutôt que de vouloir les asservir. Ce qui était une évidence pour les personnes de bon sens il y a dix ans commence peut-être à être compris par les dirigeants de Washington.
  • Dès lors, puisque les Arabes veulent être musulmans (et être musulmans cela veut dire aussi être antioccidental, autrement dit se raccrocher à la culture ancestrale de son pays et ne pas accepter cette marchandisation libérale de l’existence qui ne tient pas compte de la dignité humaine), puisque les Arabes veulent être musulmans, dis-je, eh bien qu’ils le soient. Comme cela ils ne nous reprocheront plus d’imposer notre culture. Le principal, après tout, c’est de faire du commerce avec eux et de les spolier de leur matière première.
  • Mais tant qu’à faire d’être musulmans, qu’ils le soient jusqu’au bout. Autant avoir à la tête de ces états de partis religieux purs et durs. Loin de faire progresser ces pays vers un futur économiquement et techniquement prospère, ils vont au contraire les plonger dans un Moyen-âge religieux et obscurantiste, appliquant un code civil directement inspiré d’une lecture littérale du Coran.
  • Avec un peu de chance, les partis religieux plus modérés vont s’opposer à cette politique des extrémistes. Les partis laïcs aussi. Cela fera donc des dissensions au sein de ces pays, marquées probablement par des attentats et de la violence. C’est ce qu’on appelle « diviser pour mieux régner ». Pendant que les Arabes se battront entre eux, s’affaiblissant économiquement chaque jour davantage, ils ne penseront pas à nous nuire.
  • La situation que l’on connaît dans l’Irak « libéré » (où il ne se passe pas un jour sans qu’un attentat ne fasse dix tués), se généralisera partout. Chaque attaque contre un groupe adverse entraînant automatiquement une réplique, cela nous promet de beaux combats en perspective. Pendant ce temps, l’Occident ne sera pas menacé. Il veillera simplement à fournir les armes ou mieux, il les vendra.
  • Ces guerres internes vont finalement ressembler à des guerres civiles. On commence à voir ce que cela donne en Libye, où les nouveaux dirigeants ne sont d’accord entre eux que sur un point : faire la chasse aux anciens fidèles de Kadhafi. Il faut par ailleurs entendre le terme «  fidèles » au sens large. Un contrôleur des Contributions ou un ingénieur des Ponts et Chaussées, en tant que fonctionnaires qui étaient payés par l’ancien régime, risquent fort de perdre la vie dans l’indifférence générale, les médias occidentaux se gardant bien de rendre compte de cette « chasse aux sorcières ».Mais en-dehors de cette épuration, les nouveaux maîtres des lieux ne sont d’accord sur rien et les tensions qui règnent entre eux vont finir par se manifester de façon plus violente.
  • Le but ultime est donc bien de transformer des Etats forts, à la structure politique et militaire efficace, et d’en faire des Etats affaiblis, sans envergure internationale aucune (voir l’Irak actuel). L’avantage, c’est que cela ne coûte presque rien. Les deux guerres d’Irak et la présence de nos soldats sur le terrain pendant près de dix ans se chiffrent en milliards de dollars, sans parler des pertes humaines, toujours mal acceptées par la population au  moment des élections (combien de militaires ont été tués en tout ?). Ici, on utilise des combattants arabes formés par les Arabes eux-mêmes, pour renverser d’autres Arabes.
  • Evidemment, cette politique ne s’applique pas avec les pays amis, comme ceux du Golfe. Pour comprendre, il suffit de voir avec quelle violence le soulèvement populaire à Bahreïn (pourtant issu en droite ligne du printemps arabe) a été réprimé par l’armée saoudienne. Notre presse en a peu parlé d’ailleurs, juste quelques mots au moment du grand prix de Formules Un, car c’est de l’argent occidental qui était menacé. La même presse n’a pas parlé non plus des soulèvements qui ont bel et bien eu lieu en Arabie proprement dite. Remarquons aussi la différence : Les Chiites de Bahreïn n’ont pas le droit de se soulever, tandis que les Sunnites de Syrie semblent avoir ce droit
  • Notons au passage un fait paradoxal. Les intégristes s’en prennent dans certains pays à des mausolées (en gros et pour faire simple, il s’agit des tombeaux d’anciens prophètes, vénérés par certains musulmans), dans la même logique que les Iconoclastes chez nous brisaient les statues des saints. Devant ces destructions l’Occident ne réagit pas. Les croyants qui priaient devant ces mausolées ne sont-ils pas des hommes comme les autres et ne peuvent-ils revendiquer certains droits, à commencer par le libre choix de leur culte ? Il faut croire que non, puisqu’on laisse les intégristes saccager tout. L’avantage c’est qu’on ruine ainsi une culture millénaire et qu’on éradique de vieilles traditions. Sans le savoir, les Salafistes préparent le terrain pour l’introduction d’une nouvelle culture, celle du libre-échange des marchandises (bientôt on pourra vendre des bouteilles de Coca Cola à toute cette population)

Voilà, à mon avis, les différentes raisons qui poussent l’Occident à favoriser la venue au pouvoir d’un islam radical. Est-ce une politique raisonnable ? Elle me paraît dangereuse pour plusieurs raisons :

  • Comment neutraliser les djihadistes une fois les combats terminés ?
  • Comment s’assurer que ces gens nous seront reconnaissants de les avoir mis au pouvoir ou du moins d’avoir favorisé fortement leur victoire ? Qui dit que demain ils ne vont pas se retourner contre nous ? Voir par exemple les attaques contre les ambassades américaines (attaques peut-être encouragées par Israël pour que l’Amérique se sente menacée et réagisse militairement)
  • Comment accepter que les minorités musulmanes (les Alaouites en Syrie par exemple) ou chrétiennes risquent de subir de sérieuses représailles ? En Syrie, les Kurdes redoutent l’entrée des troupes turques, les Arméniens aussi (qui se souviennent du génocide du début du XX° siècle). Les Alaouites et les Chrétiens ont peur. Qu’en est-il de la notion des droits de l’homme pour ces minorités ? Ne convient-il pas de protéger ces populations comme le régime actuel le faisait ? En d’autres termes, ne risque-t-on pas, en renversant des régimes forts et laïcs au nom de la démocratie, de contribuer à un massacre généralisé ?
  • Qui dit que ces populations musulmanes, excitées par des Imams intégristes, ne vont pas se retourner un jour contre Israël ? Or Israël a tous les droits, on le sait, et surtout celui de se défendre. En fait il a même le droit d’attaquer et d’aller bombarder l’Iran par exemple. L’Occident essaie pourtant de le calmer en prenant des mesures contre le pays des Ayatollahs, car il sait que si Israël attaque, l’Iran ripostera. Alors on sera parti pour une troisième guerre mondiale !

Bref, les cartes sont en train de se distribuer autrement et le monde que l’on a connu risque d’être fort différent demain.    

84e9fbe0300668dbe6f777ed34446cfb_L.jpgManifestation salafiste en Tunisie  

Commentaires

Merci de cette analyse parfaitement cohérente. Je rajouterais juste un détail. Les islamistes activistes qui formaient, au sein des pays occidentaux, une nébuleuse difficile à contrôler, se sont découverts et se sont regroupés spontanément dans les pays du printemps arabe devenus attractifs. Ce retour prévisible des djihadistes, suivi de leur regroupement salutaire pour les occidentaux, ne serait-il pas aussi une des raisons du soutien apporté aux régimes religieux?

Écrit par : Halagu | 06/10/2012

Du discours du Caire en juin 2009 à celui du département d’État de mai 2011, l'administration Obama est clairement consciente de l'importance de l'enjeu, à l'échelle de l'ensemble des pays arabes, de la réussite des expériences tunisienne et égyptienne. Un important accompagnement économique, commercial et financier a été annoncé en faveur de la Tunisie et de l’Égypte pour permettre une transition politique réussie dans ces deux pays.

Dans le reste du monde arabe, l'attitude de l'Amérique accentue les sentiments de défiance et de colère.

En Irak, ainsi que l'indique l'ancien journaliste Jean-Pierre Delahaye, l'armée américaine laisse derrière elle 100 000 morts et la Maison-Blanche se tait sur les exactions à répétition des marines américains ("Corans brûlés, soldats US pissant sur les cadavres, massacre de villageois à Kandahar").

Sur la répression au Bahreïn, l'Amérique reste muette.

Au nom de la lutte antiterroriste, Obama développe une politiques d'assassinats ciblés par des attaques de drones en territoire étranger.

Depuis deux ans, s'appuyant sur l'intransigeance de Téhéran, il dirige une cyber-guerre contre l'Iran dans laquelle est également impliqué Israël, et laisse planer la menace d'une intervention militaire.

Avec Israël, Obama a maintenu l'engagement de Bush de verser une aide de trente milliards de dollars sur dix ans, il a aidé au déploiement du bouclier antimissiles Iron Dome.

Washington s'est opposé à la reconnaissance d'un État palestinien à l'ONU et la colonisation se poursuit. Pourtant dans son discours du Caire, Obama avait contesté la légitimité de cette colonisation en affirmant :
"L’Amérique ne tournera pas le dos à l'aspiration légitime du peuple palestinien à la dignité, aux chances de réussir et à un État à lui."


Je veux croire que les difficultés liées à la crise sociale, économique et financière aux États-Unis, à la perte de la majorité démocrate à la chambre des représentants aux élections de mi-mandat de novembre 2010, ne sont pas pour rien dans cet amollissement de l'engagement d'Obama et j'ose espérer que ce n'est pas le populiste, milliardaire mormon Romney, soutenu par un parti républicain radicalisé à droite qui l'emportera pour la présidentielle du 6 novembre.

Écrit par : Michèle | 06/10/2012

@ Halagu : en effet, c'est un moyen habile de renvoyer chez eux tous ces fous de Dieu. Mais après, une fois qu'ils auront conquis le pouvoir, ne vont-ils pas se retourner contre nous ? Ils seront d'autant plus forts qu'ils auront des pays entiers derrière eux.

Michèle : Obama fut fort décevant. Mais celui qui le remplacerait serait bien pire encore ! Donc, on a le choix entre la peste et le choléra. Bref, c'est comme Sarkozy et Hollande. L'un s'en va soumettre la Libye, l'autre rêve de faire la même chose en Syrie, tout cela pour le plus grand profit des capitalistes (et d'Israël bien entendu). Et si on n'avait pas eu Hollande, on aurait eu DSK, qui avait bien dit qu'ayant des racines israéliennes, il userait de sa fonction de président de la France pour favoriser l'Etat d'Israël et ainsi apporter sa contribution à l'édification de cet Etat.
Et nous là-dedans ? Nous on paie des contributions et on se tait...

Écrit par : Feuilly | 08/10/2012

Les étudiants israéliens et étrangers de la faculté des sciences politiques de l'université Ben Gourion (BGU) devront aller étudier ailleurs.
"Le Conseil israélien pour l'éducation supérieure lui interdit désormais de fonctionner, considérant que l'université emploie des enseignants "antisionistes", explique le quotidien suisse "Le Temps".
Le quotidien rappelle que "l'université Ben Gourion, fondée en 1969, est l'une des huit académies publiques d'Israël. Elle est basée à Beer-Sheva, la capitale du désert du Néguev comptant 100 000 habitants, et elle accueille 20 000 étudiants."

Le quotidien suisse précise que cette attaque est motivée par la personnalité du recteur de la faculté :
"Le professeur Neve Gordon, 47 ans, (...), ancien parachutiste, devenu pacifiste après avoir été gravement blessé au combat, dénonce l'occupation de la Cisjordanie par son pays et soutient, entre autres, la campagne internationale pour le boycott universitaire, culturel et économique de son pays."

Neve Gordon, par sa position peu commune dans l'opinion israélienne, a provoqué l'ire de nombreuses organisations nationalistes et de nombreux élus, notamment du Likoud.
"Ces derniers ont focalisé leur "campagne de défense du sionisme" sur sa personne et ses assistants partageant les mêmes idées.
L'organisation Zo Artzenou ("C'est notre pays"), une structure opaque financée notamment par des prédicateurs ultraconservateurs américains, a été à la pointe de cette campagne", raconte le quotidien suisse.

Ces groupes ont d'abord tenté de faire pression en 2011 sur les donateurs - des Américains et des Britanniques -, chacun ayant reçu un courrier l'informant qu'il finançait "des activités anti-israéliennes".

Finalement la décision est venue du gouvernement durant la période des fêtes juives.

Le quotidien s'étonne du peu d'écho de cette affaire.
Pour l'heure, seuls 300 intellectuels, dont la plupart ne partagent pas les idées de Neve Gordon, ont réagi en publiant une lettre.
Ils y affirment la liberté académique et dénoncent une "tache noire" dans l'histoire universitaire d'un pays qui se flatte d'être la seule démocratie du Proche-Orient.

Écrit par : Michèle | 13/10/2012

Drôle de démocratie, en effet. Merci Michèle pour ces renseignements.

Écrit par : Feuilly | 13/10/2012

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