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28/09/2012

De la récupération du "Printemps arabe" (3)

Pourquoi donc favoriser l’arrivée des intégristes religieux au pouvoir ?

Plaçons-nous tout d’abord du point de vue musulman.  Pour faire simple, nous dirons qu’il y a deux grands groupes, dans ce monde musulman, les Chiites et les Sunnites. Les Chiites sont majoritaires en Iran (90-95 %), en Azerbaïdjan (75 %) en Irak (65-70 %) et à Bahrein (65-75 %). Ils représentent aussi 45 à 55% de la population libanaise, laquelle comprend 60% de musulmans.  Dans tous les autres pays, les Chiites sont minoritaires et ils représentent environ 15% de la population (Turquie, Syrie, Arabie, etc. )

Dans le contexte actuel, l’Iran est diabolisé par Israël car ce pays serait sur le point de se doter de l’arme nucléaire. Israël redoute aussi la Syrie, qui possède une armée importante et soutient le Hezbollah libanais. Dès lors, comme d’habitude, ce qui s’est dit à Jérusalem a trouvé un écho favorable à Washington et indirectement en Europe. Voyant les puissances occidentales s’en prendre à l’Iran, pays majoritairement chiite, ou à la Syrie (certes majoritairement sunnite, mais où dominent en fait politiquement les Alaouites) les pays de religion sunnite se frottent les mains. D’autant plus que le plus puissant d’entre eux, l’Arabie saoudite, est un allié privilégie de l’Amérique. En faisant condamner la Syrie par la Ligue arabe et en soutenant massivement l’opposition syrienne (comprenez : en armant des djihadistes venant de divers pays musulmans pour abattre le régime d’Assad), l’Arabie fait donc à la fois  plaisir à son allié américain et elle  affirme encore un peu plus son rôle personnel dans la région.

Il faut savoir aussi que si l’Arabie est sunnite, elle est surtout wahhabite. Qu’est-ce donc que le wahhabisme me direz-vous ? C’est un mouvement politico-religieux propre à l’Arabie et qui voudrait ramener l’islam à sa forme originelle. On pourrait donc dire que c’est une secte à l’intérieur du monde sunnite, une secte d’un rigorisme radical, ultra-orthodoxe et extrémiste. Cette doctrine a été instaurée par Mohammed ben Abdelwahhab (1703 – 1792) Cet érudit et prédicateur avait conclu une alliance avec le prince Mohammed Ibn Saoud, alliance par laquelle ils se promettaient une aide mutuelle. En d’autres termes, le politique et le religieux se venaient en aide mutuellement pour s’implanter en Arabie. Chacun y trouvait son compte puisque l’un pouvait ainsi répandre sa doctrine tandis que l’autre étendait son territoire. C’est donc l’'idéologie de ben Abdelwahhab qui a permis la domination des Al Saoud sur les autres tribus d’Arabie car le fait de s’appuyer sur la religion donne toujours une sorte de légitimité au pouvoir politique. En d’autres termes, l’Arabie d’aujourd’hui n’existerait pas sans cette alliance étroite entre le religieux et le politique.

Les princes qui dirigent aujourd’hui l’Arabie doivent se dire que ce qui a fait ses preuves au XVIII° siècle doit toujours bien fonctionner aujourd’hui. S’ils veulent étendre leur domination politique sur tout le Moyen Orient, ils doivent s’appuyer sur le wahhabisme, comme leurs ancêtres l’avaient fait pour s’imposer en Arabie. Quant aux religieux de tendance wahhabite, étant intransigeants par nature, ils n’hésitent pas à prêcher la violence s’il s’agit d’imposer leur doctrine rigoriste aux autres musulmans.

Rien d’étonnant, donc, à ce que l’Arabie (et le petit Qatar qui a les moyens de jouer dans la cour des grands) finance et arme les « rebelles » syriens. Il s’agit de faire tomber un régime laïc dont la population majoritairement sunnite est dominée par les Alaouites. Tous les moyens sont donc bons, y compris le recours à des mercenaires étrangers (non syriens donc). Or ceux-ci ne manquent pas. Voilà des années qu’on se bat en Afghanistan ou en Irak et les combattants sont légion. Formés militairement à repousser l’envahisseur américain, ces djihadistes fous de Dieu vont se trouver sans emploi suite au départ programmé des troupes occidentales. Autant les employer pour asseoir l’autorité desAl Saoud (et accessoirement pour tenter d’imposer le wahhabisme). Tout cela avec la bénédiction de Washington, que rêver de mieux ? Ce n’est donc pas seulement comme valet de l’Occident que l’Arabie se déclare contre le régime syrien, mais aussi pour asseoir ses propres intérêts (politiques et religieux).

A côté de l’Arabie, il y a un deuxième grand pays qui veut jouer un rôle dans la région, c’est la Turquie. Etat autrefois réputé laïc, la Turquie d’Erdogan ne cache pas qu’elle est musulmane. Ayant une frontière commune avec la Syrie, elle déteste ce voisin puissant qui lui fait de l’ombre (et qui n’hésite pas à soutenir les partisans kurdes pour l’affaiblir). Il n’y a donc aucune raison pour qu’elle n’apporte pas son aide au renversement du régime d’El Assad (et elle s’y active bien). D’autant plus que ruiner la Syrie, c’est déjà affaiblir l’autre grand rival, l’Iran chiite. Quant à la Syrie, on sait qu’El Assad est issu de la communauté alaouite, sur laquelle il s’appuie, au détriment des sunnites syriens. Ces Alaouites sont plutôt des Chiites (Coran, Ramadan, Aid al-saghîr, etc.) mais ils croient à la métempsycose et n’ont pas de mosquées. Certains Imams sunnites doutent même que les Alaouites soient vraiment des musulmans, mais c’est un autre débat.

Avant d’en terminer avec le point de vue musulman sur la crise syrienne, il nous faut encore dire un mot du Salafisme. Ce mouvement rigoriste se confond souvent avec le Wahhabisme, dont il est proche.  A la différence de ce dernier, qui se limite souvent à la prédication, le Salafisme prône le djihad comme moyen légitime pour chasser les occupants occidentaux, colonisateurs et non  musulmans. Ils ont commencé à combattre les Russes lorsque ceux-ci ont envahi l’Afghanistan et n’ont pas chômé depuis. Fondamentalistes intégristes, ils se verraient bien dans la foulée renverser certains régimes des pays musulmans qu'ils trouvent trop éloignés de l’enseignement du Coran. A la place, ils veulent mettre sur pied des États  islamiques purs et durs.

Nous essaierons de comprendre la prochaine fois le point de vue occidental et ce qui amène cet Occident à mettre au pouvoir ou à laisser accéder au pouvoir des partis politiques religieux qu’ils ont toujours combattus.

Panarabisme (d'après Wikipedia)

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Commentaires

Tu fais ici œuvre pédagogique et c'est très intéressant.
Et pour que ce soit clair, il est logique de traiter les critères les uns après les autres.

Prenons tout de même garde de réduire le "jeu politique" aux termes de communautés confessionnelles, en oubliant le soubassement socio-économique des luttes intercommunautaires (comme s'il n'y avait pas de classes sociales au Moyen Orient).

Demandons-nous aussi si les critères avancés de "communautés confessionnelles" sont aussi nets dans la conscience des populations en question. C'est pratique à utiliser "de l'extérieur" pour essayer de comprendre mais le risque est de faire croire à des "guerres de Religion", comme ça en arrangerait bien certains.


Je suis en colère après l'intervention du président français François Hollande à la tribune des Nations Unies.
Avec, entre autres, cette déclaration : "J'ai pris la décision au nom de la France de reconnaître le gouvernement provisoire, représentatif de la nouvelle Syrie, dès lors qu'il sera formé."
Un blanc-seing donné aux forces les plus influentes et donc les plus financées par l'extérieur, le Qatar et l'Arabie saoudite.

"Sans attendre, je demande que les Nations Unies accordent dès maintenant au peuple syrien toute l'aide, tout le soutien qu'il demande, notamment que soient protégées les zones libérées et que soit assurée une aide humanitaire aux réfugiés" a-t-il aussi déclaré.

Une telle option signifie la sécurisation par des forces militaires étrangères de ces zones dites "libérées", le corollaire étant une zone d'interdiction aérienne.

Rien moins qu'une intervention à la libyenne. Même si ce n'est pas dit.

L'émir du Qatar a, quant à lui, proposé aux pays arabes de prendre en mains le sort de la Syrie.

Écrit par : Michèle | 28/09/2012

@ Michèle : bien sûr, c'est un peu caricatural, tout ce que je dis là. Mais il faut essayer de comprendre cette situation géo-politique complexe en réduisant à l'essentiel. Bien sûr qu'il y a des classes sociales et quand je dis "l'Arabie veut ceci ou cela", il s'agit évidemment de ses dirigeants, pas du peuple qui ne connait même pas ce qu'est la démocratie. Les décisions de Sarkozy n'étaient pas non plus celles de tous les Français...

Mais c'est vrai qu'à réduire des populations entières à leur croyance religieuse, c'est fort réducteur. C'est pourtant une bonne clef de lecture pour comprendre ce qui se passe. Il existe d'autres clefs,évidemment (l'argent, le goût du pouvoir, les inimitiés personnelles, les tendances politiques, etc.)

Le risque est de faire croire à des "guerres de Religion", dis-tu. C'est vrai. On a l'impression aujourd'hui que l'appartenance à une religion est de nouveau un critère déterminant. Ne serait-ce pas ce que certains voulaient, ceux-là même qui parlaient de choc des civilisations ? N’excite-t-on pas toutes ces populations et ne souhaite-t-on pas les voir s'affronter et se détruire ? Cela nous éviterait d'aller faire la guerre nous-même, comme en Afghanistan. Ils la feraient donc entre eux à notre place. Et il n'existe pas de meilleure pomme de discorde que les particularismes religieux...

Quant à F Hollande, rien de nouveau. il l'avait annoncé dans sa campagne électorale : faire tomber Assad et signer tous les traités européens. Autrement dit appauvrir le Français moyen pour renforcer le Capital. Cette gauche-là ressemble furieusement à la droite.

Écrit par : Feuilly | 28/09/2012

Ne vous disais-je pas, sous votre texte précédent :
"Dans le monde arabe, effectivement, on ne parle quasiment plus de discours politique, de révolte populaire, mais d'appartenance à une religion comme si cette appartenance n'était pas sous-tendue par des intérêts politiques et nationalistes."
Ce sont ces intérêts, souvent occultes et manipulés par l'Occident capitaliste, qui bouleversent la donne.

Je suis assez effaré d'entendre, en France et ailleurs, les politiques discourir comme marchent les chats sur des œufs dès qu'ils abordent le thème des différentes communautés religieuses, comme si c'était là, et seulement là, qu'étaient posées les bombes à retardement, comme si c'était là que se définissaient les hommes, leurs antagonismes et leurs fraternités !

Jusqu'au ministre de l'intérieur, qui doit avoir réglé sa lorgnette sur un avenir à moyen terme, qui déclare qu'il est lié à la communauté juive par sa femme.

A-t-on déjà entendu pareilles conneries et est-on désormais lié à une communauté uniquement parce que sa femme, ou son homme, ou son beau-frère, ou le copain du beau-frère à la sœur de sa cousine germaine y appartient ?

Il y a là une véritable trahison sémantique de la République.
D'autant que se dire lié à telle ou telle communauté, quand on est le premier flic de France, n'est quand même pas très anodin.

Écrit par : Barnabé | 01/10/2012

@ Barnabé : oui, c'est curieux en effet, cette importance prise aujourd'hui par la religion. Je me souviens lorsque j'avais 25 ans et que dans une de nos grandes cités occidentales je croisais une famille arabe, j'avais l'impression que ce poids de la tradition et du religieux allait s'estomper. La grand-mère portait encore une djellaba, la mère de 40 ans avait juste un foulard discret sur la tête et la jeune de 20 ans (celle que je regardais, j'avoue) était habillée avec un jeans et un tee-shirt.
Aujourd'hui, dans le métro, de toutes ces jeunes filles on ne distingue plus que les yeux.

Écrit par : Feuilly | 01/10/2012

Très juste. J'avais moi même la quasi conviction d'assister aux derniers soubresauts d'un obscurantisme d'un autre âge. L'heure était à la passion de vivre...
Grosse, dramatique erreur d'appréciation ! Et tout ça parce que les antagonismes véritables - dont celui de la question d'un juste partage des richesses - n'ont pas été résolus et que les réflexes identitaires sont alors revenus en force.

Écrit par : Bertrand | 02/10/2012

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