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26/09/2012

De la récupération du "Printemps arabe" (2)

Reprenons nos réflexions sur le printemps arabe. Il ne peut s’agir que de réflexions, car en réalité nous n’avons aucune information fiable et tout ce qui est dit ici est de l’ordre de l’hypothèse. Cependant, mieux vaut essayer de réfléchir par soi-même que d’accepter tout ce qu’on nous dit dans la presse. Résumons-nous : soit le printemps arabe est un mouvement spontané, soit il ne l’est pas (quelle lapalissade !). Il pourrait en effet se ranger du côté de ces révolutions « colorées » comme la révolution orange d’Ukraine par exemple, qui avait bien pour but d’amputer l’URSS d’une de ses anciennes provinces. Ainsi, la rapidité avec laquelle les manifestants, tant à Tunis qu’à Benghazi, ont brandi des drapeaux royalistes laisse rêveur, surtout quand on sait que les anciens rois déchus avaient été les valets de l’Occident colonisateur.

 Mais spontané ou pas, ce printemps  a vite été récupéré par certains pour déstabiliser, au nom de la démocratie et des droits de l’homme, des pays qui n’avaient pour nous que bien peu de sympathie, en l’occurrence la Libye et la Syrie. Dans ces deux cas de figure, il est clair que l’ingérence étrangère est totale. Quelques opposants locaux sèment le trouble, puis sont vite rejoints par des centaines puis des milliers de combattants armés  jusqu’aux dents (voir tous ces « pick-up » armés de batteries anti-aériennes qu’on retrouve un peu partout). Dans un premier temps notre presse nous a fait croire qu’il ne s’agissait que d’opposants autochtones qui manifestaient les mains nues. Très vite, cependant, ces « opposants » ont commis des attentats ou se sont mis à tirer  à l’arme lourde (cherchant une réaction de la part des autorités). Il y a eu des victimes, qu’on a attribuées au régime qu’on voulait abattre. Quand il est devenu clair que ces opposants étaient tout sauf des anges et qu’ils commettaient pas mal d’exactions, notre bonne presse a trouvé la parade en disant que le conflit s’était militarisé suite à la répression sanglante. On admet donc que les deux camps sont armés, mais les opposants gardent le beau rôle puisqu’ils ne feraient que se défendre.

Personne par contre ne s’est demandé d’où pouvaient provenir ces armes détenues par les « insurgés ». Ce n’est pas en Syrie qu’ils ont pu se les procurer. Il faut donc bien admettre qu’elles viennent de l’étranger. Comme la France et les EU jurent qu’ils n’en fournissent pas, il faut chercher ailleurs et ce n’est pas bien difficile de trouver la vérité. Les armes viennent des pays arabes du golfe (Arabie et Qatar), transitent par la Turquie, et sont acheminées clandestinement en Syrie.

Imaginons la même situation en France. Prenez par exemple quelqu’un comme Mohammed Merah. Pour faire simple, acceptons pour une fois la version officielle (en réalité je ne suis sûr de rien en ce qui concerne ce Merah, qui avait eu des contacts avec les services secrets français et qui avait transité par Israël avant de commettre ses forfaits, pour autant que ce soit bien lui qui les ait bien commis car les témoignages divergent. Ces tueries en pleine campagne électorale devraient être examinées froidement, sans se laisser emporter par un sentiment d’horreur bien compréhensible par ailleurs).

Donc, supposons que Merah soit ce qu’on nous a dit qu’il était : un musulman fanatique prêt à tout pour faire gagner sa cause. Il y en a. Il y en a même beaucoup. Vous en prenez vingt (sur 66 millions de Français, cela ne doit pas être dur à trouver) et vous les amenez à Paris. Une puissance étrangère (l’Angleterre, par exemple) achemine discrètement des armes, via Le Havre ou Calais. Vous excitez d’abord les jeunes des banlieues, qui brûlent quelques voitures et agressent la police. La situation dégénère. Il y a un mort, sans qu’on sache bien qui a tiré. La presse internationale s’empare de l’affaire et crie au scandale : la police française a assassiné un jeune désarmé. Sur place, le ton monte. Toutes les banlieues sont en agitation. C’est le moment que choisissent nos vingt fanatiques pour faire exploser trois commissariats et le ministère des Affaires étrangères, ou celui qui s’occupe des question d’immigration. L’heure est grave. L’armée patrouille les rues. Des soldats sont abattus froidement par derrière. Le ministre de l’Intérieur sent qu’il doit rétablir l’ordre au plus vite (la population gronde contre l’insécurité grandissante) et il donne  l’ordre à l’armée de tirer en cas de nécessité. C’est bientôt fait et il y a des morts dans les deux camps. De new York à Moscou, en passant par Londres, la presse tire à boulets rouges sur le gouvernement français, qui cherche à réprimer dans le sang une opposition légitime (n’oublions pas que ces musulmans qui sont dans les rues ont vingt ans et qu’ils sont tous Français nés en France). Ensuite, des éléments étrangers, bien armés et bien entraînés, entrent clandestinement par Marseille ou Toulon. Ils viennent de Libye, du Koweït ou d’Irak, ont tous suivi une formation paramilitaire en Afghanistan ou en Somalie et sont financés par les Emirats du Golfe, qui ont de l’argent à revendre (puisque c’est le nôtre que nous leur avons cédé pour avoir du pétrole). Bref, la France entière s’embrase et on compte les morts par milliers, les djihadistes investissant des quartiers populaires que l’armée finit par bombarder.

Voilà exactement ce qui se passe en Syrie.

Ceci étant dit, nous n’avons toujours pas répondu à notre question initiale, à savoir : pourquoi l’Occident appuie-t-il ces mouvements extrémistes et pourquoi des musulmans en arrivent-ils à se massacrer entre eux (alors que de  leur point de vue ils feraient mieux de s’unir pour s’opposer à la politique colonialiste de cet Occident).

Bachar El-Assad accueille Erdogan à Damas le 17 Janvier 2011

erdogan assad.jpg

Commentaires

@ Michèle : on aurait préféré, en effet, que les vrais citoyens puissent manifester pacifiquement. Leur mouvement a été récupéré par d'autres, qui se soucient bien peu de la liberté d'expression du peuple ou de la démocratie. Et les victimes (tant des djihadistes armés que des bombardements de l'armée), ce sont en effet ces manifestants pacifiques de la première heure, qui auront tout perdu.

Écrit par : Feuilly | 26/09/2012

Par-delà la colère et la juste indignation que de tels états de fait peuvent inspirer, ne sommes-nous pas là devant une constante de l'histoire ?
Connaissez-vous une révolution, une mutinerie du peuple, une révolte spontanée, une indignation armée, un ras le bol violemment exprimé, un cri du ventre, qui n'ait pas été récupéré par une force politique organisée, à l'intérieur ou à l'extérieur des frontières où se déroulent les évènements ?
J'ai beau cherché, je ne trouve pas.

Écrit par : Barnabé | 26/09/2012

@ Barnabé : hélas, vous avez raison. Même 1789 n'était pas la révolte populaire qu'on nous enseignait à l'école, mais simplement la prise de pouvoir de la bourgeoisie d'argent au détriment de la noblesse.
La Commune peut-être? Mais ce fut si éphémère... Un simple rêve, vité réprimé dans le sang.

Écrit par : Feuilly | 26/09/2012

Qui se rappelle aujourd'hui qu'Egypte et Syrie formèrent la République Arabe Unie (dont les Syriens s'affranchirent très vite) ?
Dans les années 50-60, les Syriens étaient nassériens, communistes, ba'thistes ou nationalistes arabes.
Aujourd'hui ils sont sunnites, chrétiens, alaouites, druzzes ou autres...

Écrit par : Michèle | 26/09/2012

Au moment de la décolonisation, les Anglais avaient plus ou moins promis qu'on formerait une grande nation arabe. Pourtant, les accords secrets Sykes-Picot (1916) prévoyaient déjà de conserver une zone d’influence anglaise et une zone d'influence française. Quand il prend connaissance de cet accord, Hussein ibn Ali, chérif de La Mecque (autrement dit le gardien des lieux saints) est révolté et il fonde la panarabisme.

Il faut dire qu'il avait aidé les Anglais et les Français en poussant tous les Arabes à combattre l'Empire ottoman entre 1916 et 1918 et on peut comprendre son indignation quand il découvre l'existence de ces accords secrets.

Il sera destitué plus tard par Abdelaziz Al Saoud, qui conquiert La Mecque et fonde l'Arabie saoudite.

Écrit par : Feuilly | 26/09/2012

Vous avez judicieusement fait allusion à la Commune. Cette sédition populaire - et prise momentanée du pouvoir - en effet ne pouvait pas être politiquement récupérée, pour moult raisons liées aux conditions du moment historique, parmi lesquelles la chute de l'Empire, l'occupation prussienne et ses marchandages avec les Versaillais. Et c'est bien parce qu'elle ne pouvait pas être trahie politiquement que la seule solution fut de la massacrer à coups de canons et, plus tard, par une répression sauvage, femmes, enfants, vieillards.
Quand elle se sent le couteau sous la gorge la bourgeoisie d'argent ne fait pas dans la dentelle.

Dans le monde Arabe, effectivement, on ne parle quasiment plus de discours politique, de révolte populaire, mais d'appartenance à une religion comme si cette appartenance n'était pas sous-tendue par des intérêts politiques et nationalistes.
Bien malin qui déroulera l'écheveau dans lequel discours officiels, propagande religieuse et magouilles occidentales ont emmêlé la réalité !

Écrit par : Barnabé | 27/09/2012

@ Barnabé : oui, la Commune fut un espoir, qui dura le temps d'un rêve.
Voir le roman de Michel Ragon : http://feuilly.hautetfort.com/archive/2008/10/30/michel-ragon-un-si-bel-espoir.html#more

Pour les pays arabes et ce mélange de poltique et de religion, voir l'article de demain. Mais c'est vrai qu'on ne s'y retrouve plus. Par exemple, qui tire les ficelles de l'attaque salafiste contre l'ambassade des USA en Libye ? Les salafistes eux-mêmes, l'Arabie, Israël ? Qui pourrait le dire ?

Écrit par : Feuilly | 27/09/2012

J'ai bien ma petite idée là-dessus, comme vous avez la vôtre sans doute, mais...
Faudra bien un jour que les hommes se décident à supprimer ce "mais" qui, du silence, fait force de loi.

Écrit par : Barnabé | 27/09/2012

On ne saura pas ce qu'aurait pu donner une vaste communauté politique autour du noyau égyptien, puisque la continuelle agression coloniale de l'Occident a empêché cela.
("Les bouches à feu de la marine britannique ne sont pas étrangères au fait que l'expérience égyptienne ait tourné court" écrivait Michel Seurat dans "La Syrie d'aujourd'hui", Paris, éditions du CNRS, 1980).

Je découvre, en lisant Michel Seurat ("Syrie, l’État de barbarie", réédition, PUF 2012, collection Proche Orient), que s’est effacé des mémoires (en tout cas de la mienne) le succès au milieu du siècle dernier (le XXe) des idées socialistes et tiers-mondistes qui ont coloré les aspirations à l’unité arabe.


Et il me plaît de lire sous la plume de Georges Corm ("Dynamiques identitaires et géopolitiques dans les relations entre le Monde arabe et l’Europe"), ceci :

"Cette disparition (de la mémoire des idées socialistes pan-arabes) a été aidée par de nombreuses actions dites de “réislamisation” des sociétés arabes, ainsi que d’autres sociétés musulmanes du tiers-monde.
Parmi ces actions, la création de fondations religieuses finançant le port du voile des femmes ; l’impression et la distribution gratuite de livres religieux parmi les plus réactionnaires ; la création de nombreux journaux quotidiens, hebdomadaires ou mensuels traitant des questions religieuses et du nationalisme musulman ; la multiplication des émissions religieuses dans les radios et les télévisions ; la création de banques dites “islamiques”; le financement de chaires d’histoire islamiques par les riches hommes d’affaires arabes ou les princes et rois de la péninsule Arabique ; la mise en place de comités destinés à proposer des changements dans les législations pour les rendre plus conformes à la charia islamique, etc.

Toutes ces actions, largement financées par l’Arabie Saoudite, se sont inscrites dans le cadre de la dernière phase de la Guerre froide où les États-Unis ont soutenu partout des mouvements identitaires religieux, si marginaux et extrémistes soient-ils, pour contribuer à la lutte contre l’extension de l’influence soviétique et des différentes formes d’idéologie marxiste.
L’Arabie Saoudite et le Pakistan, qui ont tous deux pour
idéologie d’État l’intégrisme islamique, ont été les instruments privilégiés de cette politique.
Ils ont été à l’origine de la mise sur pied de l’organisation de la Conférence des États islamiques (1969), ont multiplié les aides financières et militaires aux États abandonnant le socialisme et le neutralisme positif et adoptant des régimes basés sur l’adoption de la loi coranique et l’interdiction des partis marxistes.
Sous leur impact, la guerre d’Afghanistan devint une guerre entre l’Islam et le marxisme athée au lieu d’être une lutte de libération nationale de caractère laïc."
(...)

Écrit par : Michèle | 27/09/2012

Absolument et, hélas, édifiant !

Écrit par : Barnabé | 27/09/2012

@ Michèle :De fait, merci pour ce texte. L'Occident préférera donc toujours un état arabe religieux et intégriste à un état arabe socialiste ou marxiste. Ceci éclaire donc ce qui se passe en ce moment. Les Etats-Unis préféreraient voir les Frères musulmans à la tête de la Syrie plutôt qu'Assad qui leur tient tête. Ces religieux offiraient en outre l'avantage de maintenir l'ensemble des populations arabes sous le joug de dictatures religieuses finalement consenties par la population.

Écrit par : Feuilly | 27/09/2012

Sans compter ( j'ai oublié) que quelque trente années plus tard, ce même Afghanistan servira de prétexte à "la croisade contre le mal" inaugurée par l'administration Bush.
L'histoire renvoie toujours son boomerang dans la figure de ses apprentis sorciers. Mais, ce faisant, la guerre, toujours la guerre, et son cortège de misères.

Écrit par : Barnabé | 27/09/2012

On a tendance à croire que les EU ont une stratégie mondiale réfléchie et calculée, alors qu'en réalité ils se sont ''plantés'' à plusieurs reprises: fiasco au Vietnam, Cuba, Afghanistan (depuis le début des années 80 à nos jours), Iran, Irak... On est en droit de se demander si leur stratégie qui consistait à aider les révolutions de certains pays arabes, n'était qu'une erreur de plus. Dans ce cas, les événements de ces dernières semaines (mort d’un ambassadeur en Libye, manifestations hostiles à Tunis…), auraient pour les EU et ses alliés,  l'effet d'un électrochoc et  ils ne tarderaient pas à réagir pour ajuster une stratégie viciée.
Mais une fois cette hypothèse avancée ,  je reste avec la question sans réponse que vous vous posez à propos de la Syrie. Décidément l'Orient est compliqué !

Écrit par : Halagu | 27/09/2012

@ Barnabé : voilà, on soutient les musulmans et Al Quaïda contre les Russes, en criant au scandale devant cette invasion d'un pays souverain. Puis 10 ans après on envahit nous-mêmes ce pays et nos anciens alliés deviennent évidemment nos ennemis, avant de redevenir nos amis quand il s'agit de faire tomber Kadhafi ou Assad.

Ce qui veut dire aussi, nous qui sommes aujourd'hui les amis de l'Amérique, qu'il faut s'attendre au pire si un jour nos intérêts divergent.

Et tout ce que je dis toujours ici contre l'Amérique, ceux qui seront à notre place derrière ce clavier dans 10 ou 15 ans le diront contre la Chine, qui ne se comportera pas autrement.

C'est à désespérer de la nature humaine.

Ca donne envie, parfois, de tout oublier et de se contenter de promenades en forêt. On pourrait aussi écrire des poèmes dans son coin.

Écrit par : Feuilly | 27/09/2012

Je suis d'accord avec vous : le monde est désespérant. Et c'est peut-être une des raisons pour laquelle l'individu doit chercher, à mon sens tout du moins, à ne pas sombrer dans le désespoir. En être victime.
La poésie, le chant, la littérature, l'intelligence du cœur, oui, sont certainement des remparts.
Puisque, de toute façon, nous sommes incapables d'influer favorablement sur le destin du monde, tâcher d'influer sur le sien propre.
Une fuite ? Oui, probablement...

Écrit par : Barnabé | 27/09/2012

@ Barnabé : une fuite, oui et non. Celui qui refuserait de voir ce qui se passe autour de lui, fuirait. Mais comprendre le monde qui nous entoure, désapprouver toutes les horreurs qu'on y voit, puis se dire avec lucidité qu'on n'y changera rien, que la vie est courte, que c'est la nôtre et qu'il ne nous sera pas donné d'en avoir une autre, tout cela c'est aussi faire preuve de clairvoyance. Alors, oui, il y a un moment où on se dit qu'on doit vivre aussi pour soi, un peu égoïstement. Lire ou écrire pour tenter de comprendre qui on est n'est donc certainement pas une fuite, mais un moyen justement d'être soi-même jusqu'au bout des ongles.

Prenons modestement exemple sur les animaux. Un chat ne changera jamais le monde (même pas le monde des chats), mais il sera pleinement lui-même et tentera d'imposer ce qu'il est.

Dire ce que nous sommes, ce qu'il y a en nous, je ne vois pas beaucoup d'autres moyens d'exister vraiment.

Écrit par : Feuilly | 27/09/2012

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