Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

30/10/2008

Michel Ragon, "Un si bel espoir"

Michel Ragon place l’action de ce roman dans le Paris du Second Empire, celui des grands travaux d’Haussmann, celui de l’argent et des fortunes vite faites. Je ne suis pas un fanatique des romans historiques, mais il se fait que j’aime bien la petite musique qui émane toujours de l’écriture de Ragon. Ici, il met en scène un architecte issu du peuple, rempli d’idées avant-gardistes et plein d’idéal. Tout de suite, le problème est posé, celui de l’appartenance sociale. Sortant des milieux défavorisés, c’est par son seul talent qu’il parvient à obtenir son diplôme, mais il demeure rejeté par les autres étudiants, tous bourgeois, qui ne voient pas en lui un des leurs. Dans la vie active, il en sera de même. Tous les beaux projets architecturaux qu’il avance seront refusés à tous les concours, mais réalisés aussitôt par les concurrents qui pillent ses travaux sans vergogne. Notre architecte restera pauvre et méprisé dans une société où l’argent et les relations familiales comptent davantage que le vrai talent (rien n’a changé, donc). Sa compagne et son seul ami le quitteront pour jouer le jeu, se faire appuyer politiquement et devenir scandaleusement riches.

Derrière ce faste de la haute société, se trouve le peuple, que l’on veut cacher. Haussmann rase les vieux quartiers populeux et insalubres, repousse les miséreux dans des banlieues plus éloignées et trace ses grands boulevards (ceux que nous connaissons aujourd’hui : Sébastopol, St Michel, etc.) en ligne droite, pour permettre aux charges de cavalerie d’être plus efficaces en cas d’émeutes.

Ces émeutes, qu’on sentait depuis trop longtemps contenues, elles éclatent avec la fin de l’Empire et c’est l’épisode de la Commune. On devine bien que Ragon est proche de cette colère, mais il trace des événements un tableau objectif (montrant l’illusion d’une telle démarche, le manque de préparation, l’incohérence du commandement) sans occulter non plus les tirs des Versaillais, ces soldats français que les Prussiens (qui assiégeaient Paris) ont laissés passer pour aller rétablir l’ordre dans un bain de sang.

La répression qui suivra la chute de la Commune sera terrible et notre héros, l’architecte, finira ses jours déporté en Nouvelle Calédonie.

Au-delà de l’histoire racontée, c’est donc la tendresse de Michel Ragon pour les gens simples et miséreux que l’on retrouve (tiens, n’est-il pas lui aussi issu d’un milieu modeste et n’est-il pas devenu docteur d’Etat ès lettres alors qu’il travaillait manuellement à quatorze ans ? Sans oublier qu’il fut un grand critique des mouvements architecturaux modernes). Tendresse par ailleurs doublée de révolte quand il croise le chemin des riches ou des parvenus qui méprisent et qui affament ces gens simples.

Notons aussi que Michel Ragon fut proche des milieux libertaires et anarchistes. Mais nous en reparlerons une autre fois, car ce point est trop important pour nous contenter de seulement le citer.

4546.jpg

Commentaires

Après les feuilles , les bons labours d'une "feuille" bonne à semer...

Écrit par : christiane | 30/10/2008

C'est effectivement un anarchiste autodidacte, Henri Poulaille, ami de Victor Serge, qui a initié Ragon à la littérature.
Que du beau monde et qui fait cruellement défaut dans la forêt des pédanteries actuelles...
Je ne puis cependant pardonner à ce Ragon la trahison de son amitié avec le connard, atrabilaire fascisto-chrétien, Philippe de Villiers..
Amitié

Écrit par : B.redonnet | 30/10/2008

Je m'intéresse un peu à cette période de l'histoire de France qui, pour aller très vite, mêlait la boue et l'or (Baudelaire). Je découvre ce roman. Merci

Écrit par : Gharbi | 30/10/2008

Louis Guilloux (pour Saint-Brieuc), Henri Béraud (pour Lyon) ont aussi écrit des pages magnifiques à propos de ces travaux hausmanniens et de leur signification historique. Le préfet Vaisse, à Lyon, a repensé tout le centre ville (presqu'ile) afin de repousser les eventuels soulèvements des canuts et de transformer en "petite capitale du monde moderne" la vieille ville aux envoutants parfums de Renaissance. Ce que l'UNESCO a sauvé de cette dernière, après les compléments apportés par les maires Herriot et Pradel, vaut encore cependant le détour : qu'en aurait-il été autrement ?

Écrit par : solko | 30/10/2008

Oui, l'amitié avec de Villiers, j'ai appris cela hier soir en relisant la vie de Ragon sur Google. Cela m'a beaucoup étonné. Les racines vendéennes qui parlent avant tout, le régionalisme avant l'universel. Dommage. Cela vient un peu tenrir l'image que je me faisais de l'écrivain.

Je vis un peu la même situation qu'avec Oriana Fallaci, qui nous a déçus à la fin de sa vie par des propos franchement racistes envers le monde musulman.

Écrit par : Feuilly | 30/10/2008

L'amitié avec l'autre infecte gueule de pet, pour nous gens de l'ouest, était évidente autour du spectacle le puy du fou, spectacle par ailleurs volé à d'autres artistes deux-sévriens...Plus talentueux, moins connus...
"Donc", allais-je rajouter comme un triple idiot.

Écrit par : B.redonnet | 30/10/2008

Moi aussi je suis étonnée de son amitié avec de Villiers.
J'avais lu "Les coquelicots sont revenus", plaidoyer contre l'agriculture intensive, avec en effet cette attention aux gens simples que vous signalez.

Dans les dérapages surprenants, il y avait eu aussi Roger Garaudy.
J'étais convaincue, n'ayant pas lu sa biographie, que c'était un anar.
Finalement autant relire Zola.

Écrit par : Rosa | 30/10/2008

Garaudy, là, je peux en causer..Je l'ai eu comme prof à la fac de philo de Poitiers...
Il était au PC, haut perché dans la hiérarchie bureaucrate des staliniens...
Il a viré révisionniste d'extrême droite.
Il l'a toujours été, révisionniste.
Quand on lui hurlait dans les oreilles les crimes de Staline, par exemple...

Écrit par : B.redonnet | 30/10/2008

Sur Garaudy, pour ceux qui ne seraient pas au courant:

http://fr.wikipedia.org/wiki/Roger_Garaudy

Ceci dit, il est probable que le(s) gouvernement(s) israélien(s) actuel(s) se servent de cette horreur que fut la Shoah pour justifier la nécessité de l'existence de l'état d'Israël et donc indirectement leur politique de répression envers les Palestiniens. Tout est toujours très complexe.
C'est probablement de ce point de vue que Garaudy est parti et puis après il a dérapé et a nié tout en bloc.

Écrit par : Feuilly | 30/10/2008

Bien aimé, de Bertrand :

Plus talentueux, moins connus...
"Donc", allais-je rajouter comme un triple idiot.

Écrit par : michèle pambrun | 30/10/2008

Et comme prof Garaudy il était comment ?

Écrit par : Rosa | 30/10/2008

C'est vrai que Garaudy a dérapé quand il est devenu musulman mais ce n'est pas une excuse.
Dans le même ordre d'idée certains anciens maoïstes extrémistes que j'ai connus à la Fac après 68 sont devenus pro Dalaï-Lama avec les mêmes excès et la même absence de discernement.

Écrit par : Rosa | 30/10/2008

Dans sa stricte spécialité, Garaudy était un prof qui connaissait parfaitement son sujet. Surtout le matérialisme dialectique, bien sûr.
Si mon souvenir est bon, mais je ne le jurerais pas, il faisait aussi philosophie de l'éducation.
C'est peut-être de là que vient le problème.
Il eût mieux valu, en effet et au regard de son devenir idéologique, qu'il s'occupât de l'éducation de la philosophie.

Écrit par : B.redonnet | 31/10/2008

Feuilly, hier j'ai rencontré à Lyon un libraire et éditeur très anar qui connaît Ragon comme ami.
À son avis pas de véritable amitié avec de Villiers mais des relations de courtoisie obligatoires.

Écrit par : Rosa | 19/12/2008

Tiens, tiens, voilà qui est intéressant.
A mon avis ils ont été en relation dans l'affaire du Puy du fou, où l'on donne des spectacles sur la Vendée et la guerre des Chouans.

http://www.nouvelouest.com/index.php?section=article&article=144

Écrit par : Feuilly | 19/12/2008

Évoquer les Chouans n'est peut-être pas une position réac.
Depuis que j'ai découvert le Tibet et LA RÉALITÉ très différente de ce que le politiquement correct et la désinformation nous laissent entendre, je me dis que tous les brillants penseurs qu'on rencontre dans les médias et qui font l'opinion feraient bien d'accorder leurs violons.
Soit on considère que la guerre de Vendée était nécessaire pour établir la République et une nation "moderne" et on admet la politique chinoise
soit on soutient qu'il y a ethnocide au Tibet et on fait repentance sur celui de Vendée, remettant en cause...les Lumières.
Dans les deux cas même à 200 ans de distace il y a eu modernisation forcée d'une société traditionnelle et archaïque.
Je te rassure moi je suis plutôt sur la position 1.

Écrit par : Rosa | 20/12/2008

Je viens de lire le Nouvel Ouest
"Michel Ragon donne envie de devenir anarchiste".

Écrit par : Rosa | 20/12/2008

@ Rosa: effectivement, votre réflexion sur le Tibet et les Chouans n'est pas dénuée de fondement. A la différence toutefois que la Vendée était française (et simplement archaïque dans son mode de vie et sur le plan des idées révolutionaires). Impose-t-on une révolution? Inévitablement, oui, sinon on perd le combat. Poussé à l'extrême, cela donne Staline et la famine d'Ukraine. On s'en passerait bien.

Questions difficiles que vous soulevez là.

Le Tibet a bel et bien été conquis (comme la France par l'Allemagne). Maintenant je crois que les progrès économiques viendront plus des Chinois que des moines. C'est l'Occident qui joue ce jeu tibétain (tout en étant laïque lui-même).

N'oublions pas qu'au Népal voisin le peuple a destitué le roi conservateur et que les communistes sont arrivés au pouvoir.

Écrit par : Feuilly | 20/12/2008

Non Feuilly !
Le Tibet est Chinois depuis de nombreux siècles.
Il était resté à l'écart n'intéressant pas les Han. D'autre part quand on sait qu'un train à grande vitesse met 48 heures pour faire Pékin-Lassa, imaginez ce que c'était dans le passé.
Rien à voir avec l'occupation allemande.
Autre comparaison possible : la Corse !

Mais je suis d'accord : c'est l'Occident qui joue ce jeu et c'est déplorable.

http://cybermamies.hautetfort.com/archive/2008/12/10/si-on-reparlait-du-tibet.html#c4564253

Écrit par : Rosa | 20/12/2008

En faisant quelques recherches, je trouve que:

1954.
Les États-Unis, dans une visée anticommuniste, apportent leur soutien à la guérilla tibétaine opposée au parti communiste chinois, entraînent les guerriers tibétains et invitent le dalaï-lama à s'exiler en Inde[

À partir de 1959, juste après avoir réprimé ce qu'il qualifie de révolte de l'ancienne classe privilégiée de l'ancien Tibet, le gouvernement communiste met en place au Tibet une série de réformes, notamment l'abolition du servage.

Tout se trouve dans ces deux extraits.

Écrit par : Feuilly | 20/12/2008

Exactement : rien à ajouter.
Merci d'avoir cherché, j'apprécie une fois de plus; votre rigueur intellectuelle.
Ceci dit pour ma part j'ai comme l'intuition que Obama risque de changer de politique à l'égard de la Chine, de s'en rapprocher, et de s'éloigner du Dalaï-Lama (dont deux frères sont à la CIA.)
D'où, me semble-t-il la recherche de soutien du DL auprès de la communauté européenne, mais cela n'engage que moi ! encore une fois pure intuition.

Écrit par : Rosa | 21/12/2008

Pour en revenir à Ragon, sujet de ce billet, je pense que c'est un véritable anarchiste et libertaire qui sait prendre des distances vis-à-vis du politiquement correct.
Raison de plus pour l'apprécier.

Écrit par : Rosa | 21/12/2008

Je suis anarchiste (communiste libertaire -plateformiste) et j'ai rencontré l'auteur ,à la sortie des "Mouchoirs rouges de Cholet " par le biais de M.Joyeux :l'auteur est assurément libertaire et nous ne partageons pas les mêmes opinions .J'ai aimé ces romans,cependant,notamment "La mémoire des vaincus" qu'il est dommage que Tardi n'ait pas osé mettre en image ....

Écrit par : Ambrosini | 04/10/2014

@ Ambrosini : merci pour ce témoignage. Vous ne pourriez pas nous en dire un peu plus sur ces distinctions (communisme libertaire et libertaire) ? Votre théorie, c'est celle de Bakounine ? En quoi M. Ragon est-il différent ?

Question subsidiaire : n'est pas dommage de se disputer entre libertaires alors qu'il y a tant à faire pour contrer le Capitalisme mondial ?

Écrit par : Feuilly | 04/10/2014

Les commentaires sont fermés.