15/11/2012
Le retour
Ce jour-là, j’ai retrouvé la forêt.
Pas ce petit bois qu’on rencontre à la sortie des villes. Non, la vraie forêt, la forêt primitive, celle de mon enfance, celle de toujours. L’indomptée, l’insoumise, celle qui fut toujours forêt et que l’homme, jamais, ne parvint à évincer. Depuis le plus haut Moyen-âge, jamais bûcheron n’en vint à bout, jamais paysan ne put en conquérir la moindre parcelle pour agrandir ses champs. Toujours la forêt fut là, aussi loin qu’on remonte dans la mémoire des hommes.
Le village, j’en ai parlé. Il dort au cœur des grands bois, le long d’une boucle de la rivière. Trois maisons, un cimetière. C’est là que reposent les miens. Partout autour, c’est la forêt. Celle de Rimbaud, celle de Verlaine, celle qui traverse toutes les frontières. C’est un pays sauvage où la vie, toujours, a été dure. C’est le pays qui m’a formé, c’est mon pays.
Ce jour-là, j’ai retrouvé la forêt.
Photo personnelle, octobre2012
11:59 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : littérature
Commentaires
" celle de Rimbaud, celle de Verlaine, celle qui traverse toutes les frontières "
Tout est dit, là, je crois...
Et je vous souhaite de la retrouver le plus souvent possible :)
Écrit par : agnès | 15/11/2012
@ Agnès : tout est dit, oui. :)
Écrit par : Feuilly | 15/11/2012
Je n'habite pas dans un tel endroit grandiose où se rencontrent de tels esprits.
Après près de vingt ans, je suis revenue là où j'ai passé mon enfance et aimé vivre.
Ici aussi maintenant tout le monde a disparu ou presque mais l'âme des ancêtres est toujours présente tant qu'elle occupe nos esprits.
Cet endroit me fait rêver et je me permets de vous envoyer ce texte qui s'attache plus aux remous du coeur qu'à la physionomie des lieux. Merci pour les convergences que vos écrits ravivent !
http://saravati.skynetblogs.be/archive/2009/05/24/mon-arpent.html#comments
Écrit par : saravati | 17/11/2012
@ Saravati : merci pour ce beau texte, que j'invite mes lecteurs à lire. On y trouve en effet beaucoup de sensibilité ainsi que ces "remous du coeur" dont vous semblez bien maîtriser la description.
Il est certain que les lieux où on a passé son enfance restent à jamais gravés en nous et qu'ils nous apparaissent souvent comme des endroits de refuge, lorsqu'une crise éclate. C'est sans doute une illusion, mais ces lieux ont pour nous une réelle importance puisque c'est à leur contact que nous nous sommes formés. Ils sont une partie de nous et nous sommes une partie d'eux. Y retourner, c'est plonger dans nos racines et retrouver qui nous sommes vraiment.
Écrit par : Feuilly | 18/11/2012
Il me semble que les histoires s'écrivent depuis un lieu, le seul, celui de l'enfance, l'enfance en soi, l'enfance est ce lieu et pas forcément les quelques kilomètres carrés où il y a plus ou moins longtemps elle affecta de se passer...
Je me méfie toujours de la question du sol (comme de celle du sang :) ; cette question des racines comme si nous étions des petits arbres et la métaphore court : voyez la belle plante, la mauvaise graine, la jolie fleur, la jeune pousse, le tuteur... :)
Et peut-être que longtemps, ça reste en travers de la gorge, une enfance sans qualité dans un pays sans charme qu'on ne sait par quel bout le prendre ... :)
et que ce qui compte, c'est d'un jour le regarder ce lieu, bon lieu, mauvais lieu, non lieu, et de s'en dire quelque chose... :)
Écrit par : Michèle | 18/11/2012
@ Michèle : pas trop d'accord. Nous gardons avec certains paysages une complicité unique. En soi, le territoire n'est rien, on est bien d'accord. Mais à l'intérieur de nous, il représente le "pays de l'enfance" et c'est cela que nous cherchons quand nous y revenons, dans des moments de crise souvent, avant de prendre un nouveau départ.
Écrit par : Feuilly | 18/11/2012
Bien sûr, naître et passer son enfance au Congo ou en Islande ne produit sûrement pas le même effet...
Ce qui me gêne c'est le terme de "racines" car nous ne sommes pas des plantes :)
Et le seul vrai lieu d'où nous parlons c'est celui de la langue, de la poésie. C'est pour cela qu'elle doit être faite par tous...
Écrit par : Michèle | 18/11/2012
En fait j'aurais tendance à penser que ce sont moins les paysages que le milieu social et les soins dont on est entouré qui nous façonnent :)
Écrit par : Michèle | 18/11/2012
@ Michèle : imagine-t-on Pagnol sans son Garlaban et la Ste Victoire? Et Gionio sans la Provence et les plateaux autour de Manosque ?
Écrit par : Feuilly | 18/11/2012
... et Modiano sans Paris, et Bergounioux sans la Corrèze, et Michon sans la Creuse...
Sans doute que l'intuition de l'espace est inséparable de l'ancrage corporel et que le premier mouvement, celui de l'enfance, est d'adhésion, de confiance.
Mais je reste persuadée que l'histoire avec sa grande hache est inséparable de nos paysages, qu'elle en est l'ombre portée. Et que c'est tout cela qu'on s'avale avec nos premières lampées, nos premières goulées.
Écrit par : Michèle | 18/11/2012
Si je puis me permettre, je pense que vous ne parlez pas tout à fait de la même chose. Il y a eu une défiguration idéologique du mot « racines », une telle manipulation de sa restriction sémantique que, s’appliquant aux hommes, le mot est devenu effectivement dangereux ; un outil d’exclusion de l’autre avec toutes les aberrations qui peuvent s’ensuivre.
Ce mot « racines » est alors mal connoté et prend une dimension sociale assez nauséabonde, il est vrai.
Mais ce dont parle le poète, l’écrivant, celui qui, sous divers couverts, avance dans la recherche de lui-même et veut aussi comprendre sa rencontre - ou sa non-rencontre - avec les autres, ce n’est pas ça. Et ce mot « racines » qu’on peut appeler « point de départ » évoque la virginité des premiers bonheurs, des premières illusions, du temps où le temps qui nous était imparti semblait éternel. Du temps où le temps n’était pas encore un problème de temps.
Et c’est vers cette ligne de départ, entourée de ses paysages, de ses personnages, de ses dialectes, que se tournent souvent le regard de l’homme qui explore le temps et le chemin parcouru. C’est presque une intimité, qui n’exclut aucunement celle des autres parce que, justement, elle est intimité.
Pour un clin d’œil hyper classique, la madeleine de Proust n’était pas autre chose qu’élément de sa racine.
Écrit par : Barnabé | 19/11/2012
Merci, Barnabé, pour ces précisions. C'était bien au sens "poétique" que j'employais le mot racine. De plus, ce lieu de l'enfance, comme vous le dites, est avant tout temporel : c'est l'époque des origines, l'époque où l'on s'est construit (ce qui n'empêche pas une évolution par la suite). Et c'est pourquoi en période de doute ou de crise, on a tendance à revenir au point de départ, justement pour faire le point, se ressourcer, régresser un instant pour repartir en sachant enfin qui on est.
Écrit par : Feuilly | 19/11/2012
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