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18/12/2012

Histoire de moules...

Une lectrice fidèle a employé récemment dans un commentaire le terme « bouchot » que je ne connaissais pas, n’étant pas né au bord de la mer (elle non plus à vrai dire) mais au milieu des bois. Il s’agit des pieux non écorcés (en chêne ou en châtaignier) d’environ 6 mètres de long qu’on enfonce dans le sable et qui servent à l’élevage des moules.

Selon le Robert historique, le mot serait originaire du Poitou. On trouve le  mot « bouchaux » en ancien français, issu du latin médiéval « buccaudum ». Ce dernier serait apparenté à  un autre mot du latin médiéval  (dans la même région toujours), « buccale », lequel désignait l’endroit où l’eau s’échappait à la sortie d’un étang (latin classique « bucca », la bouche, lui-même d’origine celtique et qui avait supplanté le mot latin « os »)

Notre « bouchot » était donc employé dans le Poitou au sens de vanne d’écluse, puis il a désigné plus précisément la sortie d’un parc en clayonnage pour emprisonner le poisson, puis finalement un parc aménagé pour la culture des moules (les pieux étant souvent alignés de manière à former un V). On parla donc de « moules de bouchot » ou tout simplement de « bouchots ». Le terme « bouchot(t)eur » désigne quant à lui assez logiquement un mytiliculteur (terme savant formé à partir du grec mutilos/mytilos, coquillage)

Les peuples étant plus inventifs que les dictionnaires et plus portés vers le merveilleux, ont imaginé une légende. On dit qu’un Irlandais, un certain Patrice Waltonum (tous les Irlandais s’appellent Patrice ou Patrick, c’est bien connu) s’était échoué en 1235 dans la baie de l’Aiguillon (à la limite de la Vendée et de la Charente-Maritime, là où la Sèvre niortaise vient se jeter dans l’Atlantique, autrement dit dans le Pertuis breton, en face de l’île de Ré). Voulant s’établir là, il se mit en devoir d’attraper des oiseaux de mer pour se nourrir. Pour ce faire, il planta des pieux dans le sable, et tendit des filets entre eux.  Cependant, comme ces pieux se trouvaient en partie submergés à marée haute, les moules et les coquillages vinrent s’y fixer et le brave Irlandais dut bien constater qu’il attrapait plus de moules que d’oiseaux de mer. Il aurait ensuite perfectionné sa technique en reliant ses piquets par des claies, sur lesquelles les moules vinrent elles aussi se fixer. Cette structure, dont le nom irlandais était « bout choat » aurait donné par déformation notre « bouchot ». C’est du moins ce que dit la légende et même si rien n’est vrai, cela reste une belle histoire.

Des linguistes voient plutôt l’origine du mot « bouchot » dans le nom patois d’une forme de piège immergé pour capturer l’anguille dans le marais poitevin (avec toujours cette idée que le piège est constitué de pieux et de filets et prend la forme d’un v).  Le mot dériverait de « boucher » (obstruer le « bouchaux », terme qui désignait comme on l’a vu plus haut la sortie d’une retenue d’eau). C’est donc bien la volonté de boucher un orifice qui prédomine (soit ici le goulot étroit du piège dans lequel s’est faufilée l’anguille, soit dans d’autres cas la sortie de l’étang, afin d’empêcher l’eau de s’écouler). Notre mot « bouchon » comme notre verbe « boucher »viennent d’ailleurs de l’ancien français « bousche » (poignée de paille, faisceau de branchage), venant du latin populaire « bosca » (broussailles). Ce « bosca » est un neutre pluriel en latin, mais il existait aussi comme substantif masculin, lequel, au pluriel, donne évidemment « bosci », d’où notre terme de « bois ».

Je me demande jusqu’à quel point il n’y aurait pas eu confusion entre « bucca » (la bouche) cité plus haut et « bosca » (le bouchon de branchage servant à fermer cette bouche).

Certains pensent que la technique du piège à anguille aurait pu être utilisée sur le littoral. On aurait accroché des filets à des pieux alignés de manière à former un entonnoir en V. Les poissons qui cherchaient à gagner le large à marée basse auraient ainsi été conduits dans une nasse qui « bouchait » la sortie. Ces pieux se couvrant naturellement de moules, on aurait alors eu l’idée d’en planter pour l’élevage (en ensemençant les pieux à l’aide de cordes couvertes de larves et en enfermant les moules dans un filet). La forme en V (ou en W s’il y avait deux V) prise par les alignements de pieux est bien attestée autrefois, ce qui semble confirmer que l’origine de notre mytiliculture doit remonter à ces pièges à poissons.

moules, marais poitevin, bouchot, étymologie

Laissons maintenant l’étymologie pour faire un peu d’histoire et de géographie et nous pencher sur l’évolution de la culture des moules. Pendant très longtemps, cette technique d’élevage sur bouchots ne s’est pratiquée que sur la côte atlantique, car il n’y a que là que les larves se fixent naturellement sur les pieux. En plus, elle semblait se limiter à l’embouchure de l’aiguillon.  Rappelons à ce propos que c’est à cet endroit que se trouvait l’ancien golfe du Poitou, (encore attesté dans l’Antiquité). Composé de petites îles, il devint marécageux à cause des dépôts de l’océan et des alluvions des différents cours d’eau, comme la Sèvre Niortaise.  Au VII° siècle, des moines entreprirent des travaux d’assèchement, en construisant des canaux. Au XIII° siècle, après la Guerre de Cent ans, les rois de France encouragèrent le travail des moines. Mais il ne suffisait pas de creuser des canaux, il fallait aussi élever des digues (contre les avancées de la mer et contre les débordements des rivières). Henri IV fit venir des ingénieurs hollandais, passés maîtres dans leur pays dans ce genre de travaux. Ils étaient par ailleurs huguenots, ce qui pour l’ancien protestant qu’était le roi (« Paris vaut bien une messe ») ne gâchait rien. Bref, on parvint tant bien que mal à assécher ce golfe, qui est devenu aujourd’hui le marais Poitevin, appelé aussi la « Venise verte ».

Mais revenons à nos moules. Il faut attendre le XIX° siècle pour que la culture des moules se développe de la Vendée jusqu’à l’île d’Oléron. Dans les années 1950, ce type de culture a été implanté dans la baie du Mont St Michel et dans le Cotentin, ce qui fait qu’aujourd’hui c’est la Normandie qui est devenue la première région productrice de moules de bouchot au monde. Comme les larves ne se fixent pas naturellement aux pieux dans cette région, on tend des cordes de captage sur la côte Atlantique (Noirmoutier, etc.). Les bébés moules viennent s’y déposer et on rapporte les cordes en Normandie afin de les fixer sur nos fameux bouchots.

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Commentaires

Bel article plein d'odeurs de mer, d'embruns marins et d'air iodé.
J'avais eu la flemme de chercher le mot bouchot. J'ai bien fait. C'est une belle recherche qui (nous) tombe toute cuite dans le bec. Qui nous fait oiseau de mer :)

Ces bouchots qu'a photographiés Jean Dieuzaide (quand j'écris Dieuzaide, c'est toujours le prénom de son fils Michel, qui me vient ; qui habite non loin de chez moi et dont je connais mieux le travail de photographe -qu'il est lui aussi), ces bouchots donc, sont pris en 1965 à Mimizan, dans les Landes, soit beaucoup plus au sud de la côte atlantique. Il faudra que je voie s'il y a toujours des bouchots dans les Landes...

Écrit par : Michèle | 18/12/2012

Succulent, ce texte ! Il me ramène très loin. Fut un temps où je faisais et vendais moi-même des bouchots, de 6, 5 et 6 mètres, que je coupais dans la forêt. Les mytiliculteurs étaient exigeants : il fallait qu'ils soient droits, en chêne noir seulement, très légèrement coniques pour que la récolte des moules y soit plus aisée.
Les meilleurs bouchots étaient extraits de la forêt de Benon. A marée basse, à Charron, vous pouvez les voir dressés telle une forêt sauvage née dans l'océan.
Mais c'est, pour le myticulteur un lourd investissement et le chêne ne repousse pas vite. On a dû aller les chercher de plus en plus loin et, comme vous le dites, prendre du Châtaignier qui résiste très mal à l'eau salée.
C'est pourquoi on a commencé à tendre des cordes. On appelle ça " des moules de lignes". Plus grosses que les moules de bouchots, je ne sais pourquoi.
En tout cas moins bonnes.
D'ailleurs, dans les magasins et les restaus du bord de mer, surtout à Charron, haut lieu du Bouchot, on spécifie toujours "Moules de bouchots."

Près de Chatelaillon, il y a une petite bourgade qui s'appelle "Les Boucholeurs". Les férus de toponymie n'ont guère de recherches à faire pour plonger dans l'histoire de cette petite ville.

Écrit par : Barnabé | 19/12/2012

Ces chênes tauzin, dont parle Barnabé, je me demande s'il y en a encore de disséminés dans la forêt des Landes, tellement mise à mal par les tempêtes et les maladies.

En tout cas c'est un bonheur de vous lire, Barnabé :)

Écrit par : Michèle | 19/12/2012

@ C'est amusant de voir comment cet article interpelle chacun dans sa propre vie (Michèle avec Dieuzaide, Barnabé avec ses livraisons de bouchots). Sinon, les moules élevées sur bouchot sont plus petites mais meilleures que les grosses moules de Zélande. J’ai toujours cru qu’il s’agissait d’espèces différentes, mais le fait que les «moules de lignes », sur cordages, soient elles aussi plus grosses et moins bonnes prouve que le support sur lequel vit la moule a une incidence. N’en est-il pas de même pour les hommes, finalement ? Selon qu’on vit à Paris ou dans l’Aubrac, on est finalement différents.

Écrit par : Feuilly | 19/12/2012

C'est cela, le chêne Tauzin, qui change de nom selon les régions. Mais je n'aurais jamais imaginé qu'il habite aussi la vaste forêt des Landes.
En forêt de Benon,ce chêne donnait autrefois le meilleur charbon de bois qu'on puisse trouver. Pour le grand malheur de cette forêt. Les Rochelais en effet, les riches bourgeois surtout, ne voulaient être chauffés qu'au charbon de bois prélevé à Benon, et ils le payaient très cher. D'où une surexploitation du gisement qui a fait de cette forêt une forêt rabougrie.
Les pauvres eux, tout Rochelais qu'ils aient été, se chauffaient avec du charbon de moindre qualité.
Pour les moules, il s'agit en effet d'un naissain différent. Plus productif et à croissance plus rapide. Mais, à ce que m'en ont dit les mytiliculteurs, qui ne peut être semé sur les bouchots.
Comme les fameuses huitres de Marennes qui font tantôt faire la joie des tables de réveillon et qui n'ont souvent de Marennes que le nom. Breonnes qu'elles sont, voire portugaises.
Le commerce et la rentabilité avant toute chose !

Mais dans tout cela, ce qui est succulent aussi, c'est l'histoire des mots, ici mise en lumière. L'histoire des mots colle toujours à l'évocation géographique et historique. C'est beau, je trouve.

Écrit par : Barnabé | 19/12/2012

http://fr.wikipedia.org/wiki/Ch%C3%AAne_tauzin

Chêne Tauzin ou "Quercus pyrenaica"

Écrit par : Feuilly | 19/12/2012

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