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02/09/2013

Le Charroi de Nîmes

On se rend quand même compte, en abordant  une œuvre ancienne comme « Le Charroi de Nîmes », qu’il est parfois difficile d’en saisir le sens exact. Ainsi, dans le cas présent, j’en suis à me demander si cette chanson de geste, comme toutes les autres de la même veine,  vise à glorifier un héros ou si au contraire elle doit être lue au second degré, remettant justement en cause, par l’ironie, les chansons de geste classiques.

Je m’explique.

L’histoire raconte que Guillaume, à qui le roi de France devait tout, est le seul vassal à n’avoir reçu aucun fief en récompense de ses exploits. Furieux, il va s’expliquer avec le roi. Ce dernier tergiverse, puis lui propose de reprendre un fief dont le tenancier est mort. Guillaume refuse pour ne pas déshériter le fils (encore enfant) du chevalier décédé. Alors le roi lui propose d’épouser une veuve qui se trouve à la tête d’un fief. Guillaume refuse pour la même raison (ne pas léser l’enfant issu du premier lit). Finalement, Guillaume se montrant de plus en plus pressant et le roi ne sachant plus que faire, il lui propose un quart de son royaume. Le noble Guillaume refuse de nouveau, tout en rappelant que si Louis est roi, c’est grâce à lui (autrefois, il l’avait fait couronner de force et avait occis les nobles qui s’opposaient à ce couronnement). A la fin, Guillaume trouve lui-même une solution. Puisqu’il n’y a plus de fiefs à distribuer, il ira en conquérir un au détriment des Sarrasins (augmentant du même coup le territoire du roi et celui de la Chrétienté).

Guillaume peut donc être vu comme le vassal idéal. Noble et généreux, il lutte sans arrêt pour son roi et quand ce dernier ne se montre pas à la hauteur de son rôle, loin de le destituer, il s’arrange encore pour accroître son territoire. La chanson de geste pourrait donc être vue comme une apologie de la noblesse, qui doit se montrer respectueuse de l’institution féodale en dépit des faiblesses du suzerain (le roi). En outre, Guillaume n’est pas seulement fort et courageux, il est aussi intelligent puisque c’est par une ruse qu’il parvient à prendre la ville de Nîmes (en appliquant la technique du cheval de Troie)

Mais on pourrait comprendre cette œuvre tout autrement. En effet, elle est pleine d’ironie et doit faire rire les spectateurs qui en écoutent le récit. Ainsi on voit Guillaume entrer dans une colère noire quand il apprend qu’il est le seul à n’avoir reçu aucun fief. Il monte en courant les escaliers du palais et apostrophe le roi qui, à sa vue, se lève (en quoi il sort de son rôle de suzerain, ce qui doit provoquer le rire). A chaque proposition du roi, Guillaume refuse et quitte le palais. Mais à chaque fois il revient et la même scène se reproduit (le roi se lève à son arrivée). Les termes employés sont d’ailleurs identiques :

Voit le li rois, encontre s’est levez,

Puis li a dit : « Guillelmes, quar seez.

-Non ferai, sire dit  Guillelmes le ber,

Mes un petit vorrai a vos parler. »

Dist Looÿs : « Si com vos commandez.

Mien escient, bien serez escoutez

 

Traduction :

L’apercevant, le roi s’est levé à sa rencontre,

puis lui a dit : « Guillaume, asseyez-vous donc.

Non, sire, répond Guillaume le vaillant,

je veux seulement vous dire quelques mots.

A vos ordres, déclare Louis,

à mon avis, vous serez bien écouté.

 

On remarque donc le ridicule de la situation (le roi se lève et obéit aux injonctions de Guillaume). Comme la scène se répète plusieurs fois, elle est franchement comique.  Le roi de France est un personnage ridicule et c’est encore Guillaume qui trouve la solution finale (prendre une nouvelle terre aux sarrasins).

Ce comique de situation, nous le retrouvons plus loin dans le récit. Par exemple, les chevaliers rencontrent un paysan qui revient de Nîmes et ils lui demandent si la cité est bien tenue. Ils veulent savoir si beaucoup de soldats sarrasins en assurent la défense, mais le paysan comprend le terme « tenue » à sa façon et il répond qu’il y a plein de marchandises bon marché à acheter.

Une fois que les chevaliers se sont cachés dans des tonneaux, un des leurs, déguisé en paysan, veut faire avancer les bœufs qui tirent le charriot, mais il n’y arrive pas. Quand enfin ceux-ci se décident à bouger, il les conduit maladroitement dans le fossé.

Enfin, quand les chevaliers français se sont introduits dans la ville de Nîmes, Guillaume, déguisé en marchand, a une conversation des plus comique avec le roi sarrasin, celui-ci faisant allusion à sa propre personne sans savoir qui il a devant lui.

 

Bref, on le voit, le « Charroi de Nîmes » est une œuvre amusante, qui rompt un peu avec le style grandiloquent auquel nous ont habitués des chansons de geste comme la Chanson de Roland. Faut-il donc comprendre qu’elle a été écrite dans le but de se moquer des œuvres antérieures ? Voilà en fait une question à laquelle il est difficile de répondre avec certitude.   

00:01 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : littérature

Commentaires

En restant très près du "Charroi", on voit un roi assez faible, qui non seulement oublie de récompenser son vassal, mais propose des solutions plus mauvaises les unes que les autres pour rattraper son oubli. Et on voit un vassal tout à fait soucieux des intérêts de son roi dont l'autorité ou la légitimité ne sont pas remises en cause.
Le comique de situation est-il destiné à rendre les choses légères ou à moquer le roi et la chevalerie...

Écrit par : Michèle | 02/09/2013

Difficile à dire, justement, car le contexte de l'époque nous échappe un peu.

Écrit par : Feuilly | 02/09/2013

Excellents, Feuilly, ces deux articles sur le Charroi de Nîmes. Le fait est que j'ignorais presque tout de cette incrustation mauresque. Aussi me demandé-je si cette occupation est le fait d'un repli des Omeyyades après leur raclée à Toulouse, Poitiers et la Berre, ou à des incursions barbaresques plus poussées un peu façon Normands avec installation + durable ci et là (Normandie, Sicile, Pouilles, Angleterre), telles que toutes les côtes d'Europe méridionale en subirent durant 8 à 9 siècles.

Ce qui m'a aussi intrigué, c'est le nom de Guillaume d'Orange, que j'étais plus habitué à trouver du Moyen-Âge tardif juqu'au 21e siècle aux Pays-Bas, lorsque cet Orange-ci serait ( Wikipedia) "... un personnage de la littérature médiévale (chansons de geste) inspiré principalement par Guillaume de Gellone (755-vers 812), personnage en partie légendaire de la cour de Charlemagne, qui défit les Sarrasins à Orange.

Écrit par : giulio | 03/09/2013

@ Giulio : cette période est mal connue (et l'enseignement de l'Histoire dans les écoles n'a pas vraiment insisté sur une éventuelle présence arabe persistante dans le sud du pays). Il y a eu des incursions (la plus connue est Poitiers). Narbonne et Nîmes ont bien été occupées (une vingtaine d’années ?). En fait, c’est surtout dans le massif des Maures que la présence arabe a été plus importante.
Plus tard, il y a encore eu les incursions des pirates sur les côtes (avec des jeunes filles qui se faisaient enlever et étaient emmenées dans les sérails d’Orient. )

Pour Guillaume d'Orange, oui, c'est même un des trois grands cycles de chansons de geste, avec la geste du roi (les histoires de Charlemagne), celle de Doon de Mayence (la révolte des barons) et celle de Garin de Monglane (dans laquelle le personnage de Guillaume d’Orange est prédominant)

Écrit par : Feuilly | 04/09/2013

L'école... Oui, tu as raison, Feuilly. Grosses lacunes. On avait pourtant "étudié" le roman courtois et la chanson de geste, etc... Mais pas un mot sur le Charroi de Nîmes ou autre geste de Guillaume d'Orange. Pas assez sérieux peut-être? Étrange, car mes deux profs de français (de la 3e jusqu'au bac) étaient plutôt (malgré l'institut catho) du genre plutôt rabelaisien, pas bégueules ni constipés pour un sou. Leur commune passion pour Villon en est la preuve. C'est de cette époque que j'ai encore une bio poéticienne de Villon par ce génial mécréant et défroqué de Las Vergnas, (dédicacée - par Las Vergnas, non par Villon). Dommage d'avoir à mon âge encore trop d'urgences aiguës à combler pour pouvoir rattraper ce que j'ai raté à l'époque. Alors, ça fait plaisir quand ci et là des Feuilly ou Jalel el Gharbi me permettent quelques « glimpses » sur ces petits paradis perdus.

Écrit par : giulio | 04/09/2013

La geste du roi (les histoires de Charlemagne), celle de Doon de Mayence (la révolte des barons) et celle de Garin de Monglane (dite aussi de Guillaume d’Orange) constituent la matière de France. A côté, on trouve la matière de Bretagne (avec Merlin l'enchanteur, la fée Morgane, le roi Arthur, la forêt de Brocéliande, etc.) et la matière antique (Alexandre le Grand, Guerre de Troie, etc.)

Sinon, Villon et Rutebeuf sont un peu revenus à la mode grâce à Léo Ferré.

Écrit par : Feuilly | 06/09/2013

Concernant la Matière de Bretagne, version XXe-XXIe siècles, je signale les remarquables romans de Michel Rio :

Merlin (1989)
Morgane (1999)
Arthur (2001)
La Terre Gaste (2003)
Merlin, le faiseur de rois (2006)

Écrit par : Michèle | 07/09/2013

Je n'ai jamais lu Michel Rio. Il prendra place dans l'interminable liste des livres à lire, liste qui s'allonge sans arrêt avec les années (tandis que le temps qu'il nous reste à lire diminue, lui, peu à peu).

Écrit par : Feuilly | 08/09/2013

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