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10/02/2014

De l'opinion du plus grand nombre.

Un petit extrait de Schopenhauer : 

Ce que l'on appelle l'opinion commune est, à y bien regarder, l'opinion de deux ou trois personnes ; et nous pourrions nous en convaincre si seulement nous observions comment naît une telle opinion. Nous verrions alors que ce sont deux ou trois personnes qui l'ont admise ou avancée ou affirmée, et qu'on a eu la bienveillance de croire qu'elles l'avaient examinée à fond ; préjugeant de la compétence suffisante de celles-ci, quelques autres se sont mises également à adopter cette opinion ; à leur tour, un grand nombre de personnes se sont fiées à ces dernières, leur paresse les incitant à croire d'emblée les choses plutôt que de se donner le mal de les examiner.

Ainsi s'est accru de jour en jour le nombre de ces adeptes paresseux et crédules ; car une fois que l'opinion eut pour elle un bon nombre de voix, les suivants ont pensé qu'elle n'avait pu les obtenir que grâce à la justesse de ses fondements.

Les autres sont alors contraints de reconnaître ce qui était communément admis pour ne pas être considérés comme des esprits inquiets s'insurgeant contre des opinions universellement admises ou comme des impertinents se croyant plus malins que tout le monde. Adhérer devint alors un devoir.

Désormais, le petit nombre de ceux qui sont capables de juger est obligé de se taire ; et ceux qui ont le droit de parler sont ceux qui sont absolument incapables de se forger une opinion et un jugement à eux, et qui ne sont donc que l'écho de l'opinion d'autrui. Ils en sont cependant des défenseurs d'autant plus ardents et plus intolérants. Car ce qu'ils détestent chez celui qui pense autrement, ce n'est pas tant l'opinion différente qu'il prône que l'outrecuidance qu'il y a à vouloir juger par soi-même — ce qu'ils ne font bien sûr jamais eux-mêmes, et dont ils ont conscience dans leur for intérieur.

Bref, très peu de gens savent réfléchir, mais tous veulent avoir des opinions ; que leur reste-t-il d'autre que de les adopter telles que les autres les leur proposent au lieu de se les forger eux-mêmes?

Puisqu'il en est ainsi, que vaut l'opinion de cent millions d'hommes? Autant que, par exemple, un fait historique attesté par cent historiens quand on prouve ensuite qu'ils ont tous copié les uns sur les autres et qu'il apparaît ainsi que tout repose sur les dires d'une seule personne.

"De l'art d'avoir toujours raison"

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22:12 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (29) | Tags : littérature

Commentaires

Le sens commun s'accouple au bon sens dans la sagesse facile de l'évidence. L'opinion commune
est un processus d'identification et de discrimination du vrai et du faux, du bien et du mal, du beau et du laid. C'est un espace quadrillé où nous baignons tous. On ne peut "sauter au-dessus de son ombre". L'opinion, unité du sens commun et du bon sens, ne doit pas nous faire oublier qu'elle n'est qu'un bric-à-brac de suppositions et hypothèses qui doivent être soumises à expérimentation.

Au fondement de l'accord et de l'harmonie des opinions, peut-être le processus facile qui fait qu'on trouve gracieux et intéressant, voire intelligent ce avec quoi on est d'accord (et qui présuppose que sait tout de la grâce, de l'intérêt et de l'intelligence). Et puisqu'il s'agit d'intelligence, rappelons qu'elle est seconde chez Shop, asservie complètement à la volonté, spadassins parfois d'une volonté ivre d'elle-même

Écrit par : cléanthe | 11/02/2014

Hélas ! Mais ne nous leurrons pas nous-mêmes. Nous sommes souvent dépositaires d'idées bien arrêtées dont nous n'avons pas pris la peine d'examiner la justesse.
Ce sont des idées ou des opinions qui siéent à notre musique intérieure, à notre constitution profonde, notre histoire, nos désirs...
Si je dis par exemple, pour faire simple et parce que je le dis souvent : dieu n'existe pas, quelle preuve fondée, en ai-je réellement ?
L'idiotie coercitive des religions ? Certes. Mais les religions ne sont pas dieu. Hors sujet de mon interrogation.
Le malheur toujours répété des hommes ? Certes. Mais qui a dit, sinon ces mêmes religions, que dieu était forcément bon ?
C'est pourquoi, pour grand penseur qu'il fût, Shopenhaueur fait fi, dans cet extrait tout du moins, d'une donnée essentielle à l'humain qui est la conviction.

Écrit par : Bertrand | 11/02/2014

@ Cléanthe : Ah oui vous l'appelez Shop ? :)

Écrit par : Michèle | 11/02/2014

Bertrand, nos commentaires se sont croisés : je n'aurais pas ainsi interpellé Cléanthe en passant par-dessus ton commentaire :)

Bon maintenant je vais aller réfléchir à la question... :)

Écrit par : Michèle | 11/02/2014

Éviter le mimétisme demande du courage, du temps, et l'acceptation de la solitude. Trouver l'irréductible qui est en soi nécessite toujours la rupture avec autrui. Se faire sa propre opinion et s'y tenir demande souvent d'être seul(e) en face des autres.

Je suis fait(e) de tout ce que j'ai lu, de ce que j'ai vu, entendu et du travail que j'ai pu faire là-dessus. Qu'est-ce qui est à moi ? Qu'est-ce qui est aux autres ? Qu'est-ce qui est de l'en-commun ? Qu'est-ce qui m'est propre ? :)

Écrit par : Michèle | 11/02/2014

Dans ton dernier paragraphe tu poses les bonnes questions. Les questions essentielles. Les vraies questions.
C'est pourquoi ( le maître de céans ne m'en tiendra pas rigueur) je pense au fond de moi que ce texte de Schopenhauer n'est pas bon.
Car qui aurait l'outrecuidance d'affirmer que ce qu'il est, ce qu'il pense, vient de lui et de lui seul ?

Écrit par : Bertrand | 11/02/2014

Michèle
N'y voyez aucune affectation, dans ce "shop" qui serait liée à une fréquentation assidue et quotidienne des "grands hommes". Ce qui me tremperait, par capillarité, de l'eau claire de leur pensée parfois grisonnante. Comme si j'avais dit "Arthur" ou pire encore "thuthur".
Ce "shop" est simplement le raccourci pris par un esprit empressé qui ne trouve pas le temps d'écrire le nom dans sa totalité. D'abord.
Ensuite, ce "shop" je l'ai découvert relativement jeune, enfin seulement un des ses concepts, "la maya", ce voile de l'illusion qui nous empêche de saisir le monde justement comme il est, c'est à dire comme une représentation de notre volonté. Quand j'ai appris ça, du haut de mes 18 ans et demi (important encore les demi à cet âge), je me suis senti joyeux et tout ragaillardi. Frais et dispos pour entrer en guerre totale avec tout, c'est à dire copiner avec le rien.
Voilà pour ce "shop"
On pense trop. Et je suis quand même d'accord que l'opinion a pignon justement sur une rue considérablement désabusée par ces temps qui ne courent nulle part.
De vrais concierges.

Écrit par : cléanthe | 11/02/2014

Eh ben Cléanthe je suis bien contente de vous avoir posé la question :) C'était amical, un peu chafouin et je ne m'attendais pas à ce développement. Merci donc :)

Écrit par : Michèle | 11/02/2014

@ tous : Je crois que Schopenhauer veut simplement dire que trop de personnes adoptent l’opinion commune par facilité, sans réfléchir, et qu’ils croient qu’elle est juste parce que beaucoup disent la même chose. Notre presse sait se servir de cette faiblesse de jugement. On l’a bien vu avec la Syrie ou la Libye : tous les journaux donnaient la même version des faits, reproduisant non seulement les mêmes opinions, mais les mêmes phrases. Du coup la population a l’impression que la vérité se trouve là, puisque tous les journaux disaient la même chose. Or ils ne faisaient que se recopier l’un l’autre (forcément, puisqu’ils appartiennent au même groupe dominant , ils ne peuvent que tenir le même discours).

Maintenant, il serait illusoire, en effet, de croire qu’à soi tout seul on puisse se forger une opinion neutre et objective. On est forcément influencé par son époque et par ce discours ambiant, qu’on le veuille ou non. Si j’avais vécu au moyen-âge, moi qui suis aujourd’hui athée, j’aurais peut-être été moine et croyant.

Écrit par : Feuilly | 11/02/2014

L'objectivité ne serait-elle pas parfois/souvent la pointe extrême d'une subjectivité qui tait sa prétention à l'universalisme et à la pureté du "fait"? Euh...

Écrit par : cléanthe | 11/02/2014

@ Cléanthe : en tout cas la subjectivité est notre objectivité à nous, pour autant que nous soyons vraiment sincère avec nous-même. On le comprend aisément avec les sentiments (quand j'aime une femme, je ne suis sans doute pas objectif, pourtant, c'est ma vérité à moi), mais c'est finalement la même chose pour les idées.

Écrit par : Feuilly | 11/02/2014

Une vérité à soi est une sensation, un sentiment, quelque chose qui nous est propre. Je voulais (peut-être) parler de cette objectivité entendue comme visée universelle et dont le modèle par excellence est les mathématique, et bien, cette façon "objective" de voir le monde (l'eau = H2O et non une onde douce, froide, chaude, tiède, calme, violente) ou les millibars pour la pression atmosphérique (qui a renvoyé le "la nature a horreur du vide" au rancart), bref que la quantification hystérique et paranoïaque même du rien n'est que le temps second d'une volonté subjective de comprendre le monde comme séries d'objets à manipuler, surface découpée aux plans juxtaposés, organisés, quadrillés et rentabilisables sous l'égide si sérieuse de personnalités aux goûts évidents pour la sureté de soi. Un monde parfait où tout se jouxte. Un monde un peu étouffant.
Car juste à côté d'objectivité, on trouve le "réalisme". La justification suprême, le pater noster de la mauvaise foi

Écrit par : cléanthe | 11/02/2014

@ Cléanthe : vous voulez donc dire, si je comprends bien, que le "savant" qui croit avoir tout dit quand il écrit la formule H2O (pour désigner par exemple le ruisseau de mon enfance qui m'est cher) serait en fait dans une démarche purement subjective puisqu'il essaierait surtout de se rassurer en dressant le catalogue de tout ce qui existe dans la nature ?
Mais peut-être n'ai-je rien compris :))

Écrit par : Feuilly | 11/02/2014

Un texte écrit au 19è siècle et pourtant il traite d'un problème éminemment contemporain. A l'époque les moyens d'information étaient réduits, l’information était centralisée et les citoyens avaient vis-à-vis d’elle une relation passive, ils ne pouvaient pas ''se forger une opinion et un jugement à eux''. On était bien forcé d'adopter les opinions ''de ceux qui savent''... Actuellement la presse est plurielle et pourtant elle n'est pas pluraliste. La voix dominante est de plus en plus dominante, et la voix dominée de plus en plus faible et étouffée. On croyait qu'avec l’avènement des radios, télévisions et toutes sortes de médias électroniques, la voix serait plus libre et le ''consommateur'' mieux informé. Il n'en est rien ! A cela, quelques raisons: les nouvelles deviennent multiples, planétaires, et se répandent très vite. Elles sont brèves (parfois réduites à quelques signes sur internet ou sur Twitter), leur contexte est souvent absent ou secondaire, et surtout elles sont de plus en plus éphémères. Nous sommes désormais submergés d’informations et nous n'avons plus le temps de les approfondir, de les vérifier (pourtant on dispose des moyens de vérifier l’exactitude ou non des propos rapportés) , on se contente de ''l'écho de l'opinion d'autrui'', comme le dit si bien Schopenhauer. La crédulité devient une forme d'intelligence et les illusions un savoir! En fin de compte, on revient au point de départ, l’information est ''centralisée'', possédée et les citoyens ont vis-à-vis d’elle une relation passive. Les professionnels de l'information, et surtout la désinformation, et autres agitateurs à temps plein, ont vite saisi notre crédulité et notre attitude moutonnière, pour créer et diffuser toutes sortes de contre-vérités, mythes, rumeurs et impostures. De véritables organisations, officines puissantes de déstabilisation à l'échelle mondiale dominent et dirigent sans peine l'opinion, créent un peu partout de nouvelles formes de conformisme et d'irrationalité et mettent à mal des démocraties et des régions entières.
Un livre passionnant détaille tout cela de manière magistrale : La Démocratie des crédules, de Gérald Bronner.

Écrit par : Halagu | 12/02/2014

Il me semble que vous transvasez allègrement la sémantique d'un texte ( Schopenhauer est mort en 1860) dans un monde, le nôtre, ou la désinformation est un outil politique d'asservissement. Debord aurait pu écrire un tel texte dans "La société du spectacle"
Mais pourquoi pas ? C'est aussi ce qui fait qu'un texte peut être intemporel. Qu'on peut le lire avec un décalage de l'esprit de plus d'un siècle.
Mais c'est parfois dangereux : c'est ainsi qu'on a fait de Nietzsche est d'un premier théoricien du nazisme en transposant "la volonté de puissance" la notion de "surhomme" et de "déclin" à une autre époque, en la collant à un idéologie. Avec la complaisance coupable, il est vrai, de la sœur du philosophe...
Je ne pense donc pas que Schopenhauer parle ici du sujet global de la désinformation et de la manipulation. On connaît sa virulence à l'égard des philosophes post kantiens, notamment à l'égard de la dialectique hégélienne, et c'est sur le terrain du savoir philosophique, de l'opinion philosophique, de la manière d'appréhender intellectuellement le monde ( et sa représentation) qu'il situe sa polémique.
C'est a raison pour laquelle je disais - et je le redis - que son texte n'est pas, philosophiquement parlant, bon. Lui-même admettait la philosophie de Platon, de laquelle il s'était nourri, comme une des pierres angulaires de sa pensée. Son opinion avait donc des sources ( Kant en plus).
Enfin, je crois. je peux aussi me tromper.

Écrit par : Bertrand | 12/02/2014

@ Halagu : bien d'accord avec vous. Je retiens ce livre.
@ Bertrand : pour une fois je ne suis pas d'accord avec toi. Bien sûr Schopenhauer s'inspire de ses déboires de philosophe lors de ses débats avec les hégéliens,mais son texte a une portée plus générale, quasi grand public. Il détaille un tas de "trucs" utilisés dans une joute oratoire et démontre que c'est le plus habile qui l'emporte, pas forcément celui qui a le plus réfléchi.

Écrit par : Feuilly | 12/02/2014

" une joute oratoire et démontre que c'est le plus habile qui l'emporte, pas forcément celui qui a le plus réfléchi."
C'est vrai. Mais c'est là tout l'art de la rhétorique, celle des Sophistes surtout, que Platon a largement contribué à taxer de manipulateurs.
Où crois-tu dès lors que Schopenhauer prenne la source de ce qu'il démontre là ?
Ceci dit, c'est une affirmation (pour une grande part) juste.

Écrit par : Bertrand | 12/02/2014

Oui, Feuilly, c'est ça. Cette critique de l'objectivation, c'est à dire de la réduction du monde en objets manipulables et maîtrisables, on peut la trouver chez Heidegger (et chez des autres)à partir de Descartes (l'homme comme maître et possesseur de la nature). L'homme se plaçant hors de son environnement qu'il dissèque comme un objet sans âme. En soi, pourquoi pas : lorsque votre ruisseau déborde régulièrement peut-être s'agit-il à ce moment-là de faire autre chose que de prendre sa lyre et réciter des poèmes à la gloire de l'eau. Mais bon, cette pensée de l'objet entendu dans ce sens déborde largement sur tous les domaines de la vie humaine.

Pour les sophistes, n'oublions pas que Platon est lui-même un peu manipulateur dans certains de ces dialogues il nous conduit exactement où il veut aller. L'organisation des questions est loin d'être aléatoire. Et quant à sa République, elle ressemble furieusement à une politique d'expert (le philosophe-roi), une sorte d'esthétique de l'idée qui peut parfois faire penser à certains système totalitaire (je ne suis pas en train de dire que Platon, c'est débile hein, c'est juste une tension dans une pensée que de toute façon je suis vraiment loin de saisir). Avec la Vérité enfouie dans le ciel des Idées, ces splendeurs lumineuses qui attendent tranquillement le regard du sage... Distinguons chez les sophiste des gens comme Protagoras qui ouvre à l'intersubjectivité citoyenne de Calliclès qui affirme la loi du plus fort (par l'habileté technique du discours) Enfin, encore une fois, c'est un avis très ramassé, hein, pas le temps de vraiment finasser;
Quant à Hegel, son armada conceptuel consiste à déjà envisager la totalité afin de la faire entrer dans sa rigueur discursive(éblouissante d'ailleurs). Il sait déjà ce qui en est de l'histoire et surtout de cette fin de l'histoire qui recueille toutes les vérités partielles. Il y a une très belle critique de la conceptualisation hégeliennes et marxiste chez castoriadis (dans "l'institution imaginaire de la société"). En gros le réalité est pensée et organisée de façon à ce qu'elle pénètre aisément dans la liaison des concepts. Par exemple chez Marx, on sait d'avance ce dont l'être humain a déjà besoin. D'économie ? D'histoire ? De beauté ? D'amour ? de violence ? De paix ? D'amitié ? De conflits ? De travail ? de repos ? etc.
On force le réel à s'expliquer, mais c'est nous qui l'expliquons, avec nos pauvres mots pourtant si riches.

Écrit par : cleanthe | 12/02/2014

@ Bertrand : oui, les Sophistes, si bien critiqués par Platon. Et il est probable, en effet, que Schopenhauer s’en soit souvenu en écrivant ce petit opuscule.

@ Cléanthe : j’avais donc bien compris le sens de vos propos sur les scientifiques :))
Quant à Platon, il est certain que les dialogues qu’il fait tenir à Socrate ou à d’autres sont arrangés pour parvenir à démontrer sa théorie. Il est donc un peu sophiste lui-même sans s’en rendre compte. Hégel m’a toujours laissé un peu perplexe car il retombe toujours sur ses pattes avec sa dialectique (thèse, antithèse, synthèse). Mais vous citez de nouveau Castoriadis, dont j’avais écouté avec délices la vidéo que vous aviez mise en ligne ici même. Ca donne envie de lire ce livre.

Écrit par : Feuilly | 12/02/2014

On pourrait même se demander si le Socrate tel que le décrit le premier Platon dans ses premiers dialogues n'est pas aussi sophiste (ce qui est loin d'être un critique pour moi). L'aporie démontre en effet l'incapacité qu'il a de trouver des solutions aux problèmes évoqués, et même s'il se méfie de la rhétorique, la fin de ses discours couronne toujours sa démarche face à ses "adversaires". Ce n'est pas la vérité qui triomphe, mais lui-même.
Le sophisme est ambigu, sûrement plus littéraire et fabricateur que le philosophe tel que le décrit par Platon. S'il y a un côté "darwiniste verbal" chez certains d'entre eux, il n'a pas que ça. Et je vais vous dire, la rhétorique, moi, j'aime encore bien, lorsqu'elle est portée par elle-même et pour elle-même, sans une fin médiocre qui lui serait assignée de l'extérieur et pour laquelle elle se pervertirait.

Écrit par : cléanthe | 13/02/2014

@ Cléanthe :un "darwinisme verbal" ? C'est joli comme expression :))) Quant à la rhétorique, ben oui, ça peut être plaisant, le problème c'est l'usage qu'on en fait.

Écrit par : Feuilly | 13/02/2014

La rhétorique séduit infiniment plus que la rigueur et le rationalisme. Elle est la technique la plus accomplie de la manipulation et de l'endoctrinement, elle est aussi la ruine des démocraties. Je préfère la vérité au mensonge, Platon à Gorgias, Bouveresse et Chomsky à BHL et Finkielkraut . ( Il faudrait revenir au savoureux dialogue de Platon'' Gorgias'' dont un extrait - échange entre Calliclès et Socrate- est rapporté par Feuilly le 05/01/2014)

Écrit par : Halagu | 19/02/2014

Halagu. Le rationalisme n'est pas un outil de manipulation ? De quelle raison parlez-vous ? La rigueur ? La vérité au mensonge ? Et quelle est cette vérité, pardon, cette Vérité déifiée ? L'être Suprême ? La vérité ? Ethique, instrumentale ? Abstraite ? La vérité de la Raison ou les raisons de la vérité ? Et vous savez quoi ? J'aime être séduit. J'adore ça.

Platon, tout grand penseur qu'on dit qu'il est (on remet pas ça en question), invoque trop l'idéal monastique de vies soumises à l'identité, chemin languissant du même au même, avec sa Vérité, l'obligation disjonctive, le refus du trouble, le grand flip de l'obscur et des perspectives fuyantes, grand inspirateur des Pères de l'Eglise. Le Philosophe-Roi, c'est lui qui détient la vérité ? Le grand timonier de l'Agora ? Le petit Père de la boulé ? Le commandant en chef du logos ? Le gars qui sait, Platon, le mec qui descend dans la caverne pour dire aux esclaves du sensible leur méprise...Et qui sait, peut-être que son soleil, à lui, à Platon, c'est aussi une espèce de néon acheté à moitié prix sur les marchés du Pirée. Reflets de reflets.
Le vrai est-il une idée éternelle qui n'éclaire que ceux qui l'ont décidée comme telle ou n'existe-t-il que dans le sensible et son mouvement, c'est à dire dans le devenir et la contradiction, par delà le principe même la contradiction. Je ne suis pas Un, je suis divers, multiples, disant une chose, puis une autre, flirtant avec les limites.

De quoi parle-t-on quand on parle de "Rigueur", de"Raison", de "Rationalisme", de "Séduction"
Comme dirait l'autre, "la vérité se tient dans mon froc et elle n'a pas tiré la chasse. La vérité, c'est dégueulasse." Comme si la vérité, pour apparaitre, ne cachait pas en elle un mensonge constitutif. Comme si la pureté existait. Comme si la vérité ne cachait pas ses intentions dans les robes des Juges. Ô vérité souffrante, la fantaisie t'es inconnue.
La littérature, le catéchisme du Vrai.

Parler vrai...avec toujours une ombre qui vous suit dans le dos, inévitablement.. Le parler vrai...
Et ce n'est pas parce qu'il y a des BHL ou Finkel machin que je croirais à la Vérité. Plutôt mentir.

Écrit par : cléanthe | 19/02/2014

La littérature, le catéchisme du Vrai ? C'est une question, sûrement pas une affirmation comme j'aurai pu le laisser suggérer.

Écrit par : cléanthe | 19/02/2014

@ Halagu : comparer Chomsky à BHL et à Finkielkraut ? Vous n’y pensez pas ! BHL, en tant que « nouveau philosophe », s’est emparé des médias il y a pas mal d’années. Il a fini par faire croire aux foules qu’il était le seul philosophe de France. Je ne suis pourtant jamais arrivé au bout de son « Testament de Dieu » (moi qui finis pourtant tous les livres) tant il était rempli de parti-pris idéologiques.

@ Cléanthe : Platon avait pour lui d’être un des premiers philosophes importants dans la Grèce antique, ce qui lui a donné quelques privilèges. D’autant que dans l’Antiquité même son discours au sein du monde grec tranchait quand même avec ce qu’on avait pu dire dans d’autres civilisations, comme dans l’Egypte des pharaons, par exemple, pays qui restait essentiellement religieux. Il était donc logique que lorsque les Pères de l’Eglise durent asseoir le Christianisme, c’est vers Platon (et Aristote) qu’ils se tournèrent, soit pour le piller, soit pour le réfuter.

Quant au « Vrai », nous sommes bien d’accord pour dire que c’est une utopie de philosophe. La littérature me semble plus nuancée dans la mesure où elle dit tout et son contraire, montrant toutes les facettes du monde sans jamais oser dire où se trouve le « Vrai ».

Écrit par : Feuilly | 19/02/2014

On est bien d'accord sur Platon. Il tranche effectivement en refusant aux poètes l'entrée à une majorité politique. Pourquoi pas dans le fond ? La poésie n'a que faire du Vrai ou du Faux, elles ne travaillent que sur les mots. Ce qui la concerne, c'est la beauté, fût-elle, cette littérature par ailleurs engagée dans le monde.
La littérature n'est pas un art moral.

Quand à l'invention platonicienne, c'est évidemment une merveille, ces splendeurs idéelles dont les feux sont obscurcis par l'ombre des copies et pire encore des simulacres que nous appelons "réel". Toute une machinerie conceptuelle qui tourne à plein pot.
L'idée souveraine du Bien aussi. C'est une pensée politique qui nage encore parfois dans l'imaginaire pré-socratique. Il n'est pas encore vierge de toute poésie, à son corps défendant.

Écrit par : cléanthe | 19/02/2014

@Cléanthe.
Au moment où j'ai envoyé mon commentaire, Feuilly mettait en ligne ''l'état du monde'', une cascade de catastrophes réelles , qui se termine par cette conclusion: ''On nous berne donc tous en nous mentant...Je vois tellement le mensonge partout que j’en viens à me demander si je ne mens pas moi-même !'' Pendant ce temps ''le mensonge'' et la manipulation des états continuent et la cascade de catastrophes évolue aux quatre coins du monde. Pendant ce temps, on remplace un tyran par plusieurs et la voix des ''honnêtes'' gens devient de plus en plus anorexique. En dénonçant le mensonge, on ne fait certainement pas de grandes choses, c'est probablement, comme dit Chomsky, une simple ''autodéfense intellectuelle''.
La vérité ? Je ne peux qu'admettre la justesse dune bonne partie de votre analyse.
Je reste malgré tout accroché à certaines ''vérités'' (par delà le Bien et le Mal), ça m'aide à ne pas désespérer totalement et me réfugier dans le Prozac. C'est un écueil qui nous atteint avec l'âge...''Et vous savez quoi? Je continu à être séduit. J'adore ça.''
Reste une question sans réponse, comment se défendre contre la toute-puissance de la manipulation médiatique et le mensonge d’État ?

Écrit par : Halagu | 20/02/2014

Oui. Je suis d'accord. C'est difficile. Entre artifice créateur et mensonge assassin. Je comprend votre position.

Écrit par : cléanthe | 20/02/2014

@ Cléanthe : dans la démesure de Platon à glorifier son mode abstrait des idées il y a en effet quelque chose de poétique : c'est tout un univers imaginaire qu'il nous propose, en fait.
@ Halagu : notre petite vérité à nous a bien du mal à s'affirmer contre les mensonges d'Etat. Mais au-delà des faits horribles que l'Occident fomente puis soutient pour arriver à ses fins, c'est l'utilisation du mensonge qui m'irrite le plus. Hitler justifiait ses guerres au nom de la toute puissance et de la supériorité de la race allemande. Nous, nous justifions les nôtres en faisant croire que nous venons au secours de peuples injustement opprimés alors que nous les manipulons pour arriver à nos fins. Hitler envoyait son armée pour asservir les peuples étrangers. Nous, nous faisons combattre ces peuples pour notre profit. Nous n'avons même pas à aller les massacrer, ils se font tuer pour notre cause sans le savoir.

Écrit par : Feuilly | 20/02/2014

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