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05/01/2014

De l'art oratoire

Au fil de mes lectures, je tombe sur le dialogue suivant (les protagonistes parlent des discours tenus par les politiciens de leur ville) :

 S*

Bon. Mais la rhétorique qui s’adresse au peuple (…), c’est-à-dire à des hommes libres, quelle idée faut-il en prendre ? Te paraît-il que les orateurs parlent toujours en vue du plus grand bien et se proposent pour but de rendre par leurs discours les citoyens aussi vertueux que possible, ou crois-tu que, cherchant à plaire aux citoyens et négligeant l’intérêt public pour s’occuper de leur intérêt personnel, ils se conduisent avec les peuples comme avec des enfants, essayant seulement de leur plaire, sans s’inquiéter aucunement si par ces procédés ils les rendent meilleurs ou pires ?

 

C*

Cette question n’est plus aussi simple. Il y a des orateurs qui parlent dans l’intérêt des citoyens ; il y en a d’autres qui sont tels que tu dis.

S*

Il suffit. S’il y a deux manières de parler au peuple, l’une des deux est une flatterie et une déclamation honteuse ; l’autre est l’honnête, j’entends celle qui travaille à rendre les âmes des citoyens les meilleures possible, qui s’applique à dire toujours le meilleur, que cela plaise ou déplaise à l’auditoire. Mais tu n’as jamais vu de rhétorique semblable, ou, si tu peux citer quelque orateur de ce caractère, hâte-toi de le nommer.

C*

Non (…), je ne peux t’en nommer aucun, du moins parmi les orateurs d’aujourd’hui.

 

Voilà assurément un texte qui me semble bien d’actualité. Nous vivons dans une société tronquée, où le terme démocratie ne veut plus dire grand-chose. Certes, il  y a des élections et des campagnes électorales, certes les citoyens peuvent voter pour le candidat de leur choix, mais au final, on voit bien que les politiques qui sont menées sont toujours les mêmes. Qu’on vote à droite ou à gauche, ceux qui ont accédé au pouvoir font toujours le jeu du grand Capital, car c’est l’argent en fait qui dirige le monde (il suffit pour s’en convaincre de compter le nombre de guerres coloniales que le très socialiste président Hollande a déclarées, en Afrique ou ailleurs, dépassant dans le cynisme son prédécesseur, le très haï Sarkozy).  Bref, le tout pour ces gens est d’arriver au pouvoir et de faire carrière.  Une fois bien installés sur le trône où nous les avons mis, ils ne dirigent pas le pays mais vont dans le sens de l’Histoire. Communistes si la mode est au communisme, capitalistes si la mode est à l’économie de marché. Nos intérêts à nous, ils s’en moquent bien. Le tout est de jouer le jeu et de nous endormir pour arriver au pouvoir. A ce titre, les discours politiques proférés pendant les campagnes électorales sont de toute première importance puisqu’il s’agit de gagner notre confiance pour avoir notre vote. Dans ces discours, il convient donc de flatter le bon peuple et de lui dire ce qu’il a envie d’entendre.  Non, il n’y a plus de véritable démocratie et on regrettera l’époque bénie où celle-ci avait vu le jour, dans la belle cité d’Athènes.

 

Sauf que là aussi note conception repose sur une illusion. D’abord parce qu’Athènes n’a pas toujours connu la démocratie et que celle-ci a parfois été remplacée par une dictature (je pense à l’épisode des « Trente Tyrans » par exemple). Ensuite parce que même lorsque la démocratie régnait, les orateurs les plus habiles, qui avaient suivi les leçons de rhétorique des sophistes, parvenaient à manipuler leur public pour s’emparer ensuite du pouvoir. En fait c’est de cela que traitait le texte ci-dessus. Ce que je vous ai donné à lire, c’est un extrait du « Gorgias » de Platon, qui met en scène Socrate et son interlocuteur Calliclès. Ce dernier soutient que la rhétorique est le plus important de tous les arts puisqu’elle permet à tous les coups de convaincre les interlocuteurs, même quand celui qui parle ne connaît rien au problème exposé et même quand il a tort. Socrate, lui, soutient que c’est là un art dangereux et que tout homme qui voudrait prendre les commandes de la cité devrait le faire pour le bien de celle-ci et non pour s’enrichir ou pour tromper. Comme quoi, il n’y a rien de neuf sous le soleil. Et du coup je me rends compte que j’ai vécu dans l’illusion en croyant que la démocratie athénienne était exemplaire. C’est à désespérer.

Littérature

18:47 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (24) | Tags : littérature

Commentaires

« Le pire des maux est que le pouvoir soit occupé par ceux qui l’ont voulu », Platon.

Tout a changé mais rien n'a changé. Quant à la démocratie elle n'en est toujours qu'à l'état gazeux, une idée pure, rien de solide que nous vérifierions...

Je vous souhaite une bonne année malgré tout.

Écrit par : Haley | 06/01/2014

@ Haley : Oui, le problème, c’est que ce sont toujours les mêmes personnages ambitieux qui se retrouvent à la tête des états et donc par définition on ne récolte que des arrivistes, pas des hommes d’état.

Écrit par : Feuilly | 07/01/2014

La citation de Platon que fait Haley est tout simplement merveilleuse, même si elle a a un goût des plus amers.
L'homme, à de très rares exceptions près, n'a pas encore atteint ce degré d'intelligence et d'honnêteté morale qui lui permettrait de rester intègre une fois pris le pouvoir. Politique ou autre, d'ailleurs.

Écrit par : Bertrand | 07/01/2014

Plutôt que de réduire trop la réflexion un sujet aussi sérieux et polémiques dans un espace aussi restreint, je vous renvoie à Cornélius Castoriadis

http://youtu.be/CJCq6Vy_YRM

A lire aussi "L'institution imaginaire de la société

Écrit par : cléanthe | 07/01/2014

...réflexion sur un...et polémique, mais vous aurez compris, cher Feuilly, que seule la passion du politique (et non de LA politique) puisse conduire à de tels errements orthographiques (la dysorthographie est chez moi une vieille manie, un hobby pour ainsi dire. Je mourrai avec. Faudra l'dire à mon épitaf.)

Écrit par : cléanthe | 07/01/2014

@ Bertrand : le problème c'est que pour arriver au pouvoir il faut à la fois écraser les autres et faire plein de concessions (au parti politique, à ceux qui financent la campagne électorale, etc.) Il faut donc devenir immoral.

@ Cléanthe : merci pour cette interview de Castoriadis. C'est fascinant. Il a raison, quelque part nous sommes encore sous l'Ancien Régime, avec le roi (remplacé par des politiciens professionnels) qui fait les lois et nous qui subissons.
En plus, de nos jours, ces lois favorisent les marchés, pas l'Etat (et encore moins les citoyens).

Écrit par : Feuilly | 07/01/2014

Un entretien avec Jean-Claude Michéa :

http://www.youtube.com/watch?v=5r-tlZfGPW0

Écrit par : Michèle | 08/01/2014

encore :

http://www.youtube.com/watch?v=d1Yfi9sB52M

Écrit par : Michèle | 08/01/2014

Avec mon ordi obsolète, j'entends mal lCastoriadis dans le film de Chris Marker, mais j'ai trouvé ceci (que je mets en lien) sur le Monde diplomatique et puis je vais aller m'acheter un ouvrage (ou plusieurs) de Castoriadis, que je découvre et dont la pensée est beaucoup plus dans ma sensibilité que celle de Michéa. Même s'il y a des choses justes dans ce que dit Michéa, à savoir que le libéralisme n'a su trouver comme dénominateur commun aux hommes que l'argent et la consommation infinie, laquelle ne peut s'accomplir que dans la passivité et la non-pensée.
Castoriadis, c'est autre chose, il parle d'éducation et d'apprendre à s'autolimiter. Il dit que la liberté c'est l'activité.

http://www.monde-diplomatique.fr/1998/08/CASTORIADIS/10826

Écrit par : Michèle | 08/01/2014

Pour ceux que ça intéresse, j'ai trouvé la transcription Cornélius Castoriadis/Chris Marker :

http://www.mediapart.fr/files/CastoriadisChrisMarker.pdf

Écrit par : Michèle | 08/01/2014

Bertrand,

Le pouvoir ne peut être moral. Il est, par nature, amoral, me semble-t-il (l'histoire, passée et présente) ne démontre rien d'autre.
A moins qu'il ne soit partagé - mais comment ? - et assumé - à travers une conscience citoyenne acquise (je veux dire, pensée, débattue, élaborée, formée par la dispute) par le peuple tout entier, ce qui serait déjà une avancée vers la "démocratie réelle" telle que je la conçois. Conception offerte à la controverse, cela va de soi, et loin encore de sa forme parfaite
qui, même atteinte, aurait à conserver sa dynamique permanente.

Écrit par : Haley | 08/01/2014

Ce qui est intéressant chez Michéa, entre autres, c'est la définition qu'il donne de la gauche française : était de gauche tout ce qui s'opposait à la royauté et au catholicisme, à la restauration maonarchique. Bref, les libéraux étaient considérés de gauche. Un gars comme Thiers par exemple est considéré de gauche. Mais cette gauche libérale se distinguait de la pensée socialiste, marxisante. La confusion venant d'après Michéa, de l'affaire Dreyfuss et du risque de Restauration qui agitait les paranoïas, à juste titre d'ailleurs : la gauche libérale et les socialistes se sont associés pour faire face à la réaction montante. Du coup, le socialisme s'est empêtré dans un libéralisme qu'il a cru réformé de l'intérieur. En Belgique, le Parti Ouvrier Belge s'est scindé plus ou moins à la même époque entre socialiste-socialiste et socialisme marxisant, communiste. Les uns prônant comme vous le savez la réforme et le pacte, la concertation avec le capitalisme, les autre agita,t des horizons révolutionnaires. On a vu d'un côté comme de l'autre ce que ça a donné et ce que ça continue de donner. Mais bon, difficile d'être complet.

Écrit par : cléanthe | 08/01/2014

...les autres agitant le drapeau des horizons révolutionnaires...
Difficile d'être complet, mais c'est en gros ce qu'il dit (pas ence qui concerne la Belgique) dans un de ses bouquins dont j'oublie le titre à l'instant même. Ce que j'adore par dessus tout, je dois bien l'avouer, c'est la rigueur scientifique.

Écrit par : cléanthe | 08/01/2014

Cycle de cours dans le cadre de l'Université Populaire du Théâtre Toursky (Marseille), présenté par Annick Stevens :

http://www.philosophie-en-liberte.net/universite_populaire/castoriadis_toursky_2013/castoriadis_2013.html

Écrit par : cléanthe | 08/01/2014

Castoriadis est vraiment intéressant avec cette relecture de la démocratie athénienne et la lecture partiale qu'on en a fait par la suite, notamment B. Constant qui prône la liberté individuelle que n'auraient pas eue les Grecs (alors qu'au contraire n'ayant pas de texte divin qui définit le bien et le mal, chaque Athénien devait essayer de s'accomplir au mieux, mais sans aller trop loin et sans tomber dans "l'ubris") et qui voit dans la démocratie participative la meilleure solution (les citoyens d'un pays étant trop nombreux pour qu'un individu seul puisse avoir un rôle politique significatif). Pour Constant, le commerce seul est la solution car il met fin à toutes les guerres.
Or en voit ce que dit Michéa sur le sujet et comment cette liberté individuelle poussée à l'excès finit par entrer en conflit avec celle des autres et comment le libéralisme basé sur la croissance est devenu une nouvelle religion à laquelle on nous demande de nous soumettre.

Écrit par : Feuilly | 08/01/2014

Ô Sainte Compétitivité, priez pour nous ! Et vous Libres Concurrents, bénissez les échanges !

Écrit par : cléanthe | 08/01/2014

Sans parler de ce triste adage qui affirme que "ma" liberté finit où commence celle de l'autre.
Disons plutôt qu'elle commence où commence celle de l'autre. Je ne peux être libre qu'en voulant la liberté d'autrui. Un seul être libre dans un univers de servitude annule sa liberté. Les puissants et exploitateurs ne sont pas plus libre que l'esclavage qu'ils induisent. Le Maître e'st un esclave aussi.

Écrit par : cléanthe | 09/01/2014

Dans ce que dit Castoriadis, j'aime bien ce vers qu'il cite d'Archilochos (Archilochos qui vient bien après Homère et Hésiode et qui n'écrit pas comme eux dans l'hexamètre dactylique, mais avec une liberté fantastique). Archilochos (soldat, mercenaire et poète) dit ceci :

« J’étais à la bataille l’autre jour, on allait se battre, j’ai jeté mon bouclier pour m’échapper plus rapidement : la grande affaire. Je pourrais m’en acheter un autre chez le marchand du coin. »

Il disait ça dans une société où ce qui était prisé par dessus tout était la valeur guerrière.
C'est ça la liberté du poète, la liberté dans la création artistique.

Tout comme la liberté de chacun dans une démocratie c'est de se dire : Qu'est-ce que je pense de ça ? et qu'est-ce que je vais faire en fonction de ce que je pense ?

Écrit par : Michèle | 11/01/2014

Le problème, c'est qu'il y a des moments, comme ça, où je ne sais plus ce que je pense, où je me sens comme suspendu. A cet heure-là, les opinions m'ennuient. Je m'abandonne alors dans le repos et l'arrêt.
Je pendille. -)

Écrit par : cléanthe | 11/01/2014

@ Haley : à mon sens, le pouvoir devrait être moral, mais il ne l’est jamais.

@ Cléanthe : Oui, les libéraux, par la liberté individuelle qu’ils revendiquaient, étaient opposé à la droite, plus proche de l’ancien régime monarchique.

Quant à l’adage « ma liberté commence où commence celle des autres », Miché explique bien la situation et tous les conflits sur lesquels on débouche. Quant au maître et à l’esclave, on sait bien que sans esclave, il n’y aurait pas de maître (voir Hégel).

@ Michèle : Archilochos, oui, un soldat mercenaire poète, c’est déjà troublant. Mais un soldat qui lâche son boulier aussi.

Écrit par : Feuilly | 11/01/2014

"Quant à l’adage « ma liberté commence où commence celle des autres », Miché explique bien la situation et tous les conflits sur lesquels on débouche."
je ne comprends le sens de votre remarque. Michéa fait la critique de cette maxime ?

Écrit par : cléanthe | 11/01/2014

Sur la dialectique du Maître et de l'Esclave voir "The Servant" de Joseph Losey. Mise en images quasiment didactique du mouvement dialectique.

Bon, pour moi, le Maître est aussi esclave dans le même moment qu'il est maître car il est dépendant du besoin de reconnaissance pour lequel il aurait été jusqu'à risquer sa vie. Le Maitre est esclave de lui-même. Pour être RECONNU uniquement. L'Esclave n'est pas reconnu puisqu'il n'a pas osé risquer sa vie. Ce qui n'est pas mal, un peu comme notre poète grec et son bouclier. L'esclave aurait mieux fait d'aller boire un verre, de courir la gueuse et de laisser le Maître en plan avec ses narcissiques besoins.
Mais finalement il veut aussi devenir maître. La Maître est Maître-Esclave et l'esclave est esclave en besoin de maîtrise c'est à dire en besoin de conquête de l'Ego. Bon, c''est moi qui le dit, hein, pas Hégel.

Écrit par : cléanthe | 11/01/2014

@ Cléanthe : non Michea explique que ma liberté à moi va forcément empiéter sur celle des autres. Donc la société libérale, qui mise à l'excès sur la liberté individuelle (et surtout sur la liberté d'entreprendre, de s'enrichir et de faire du commerce), provoque inévitablement des conflits entre les individus et qu'une telle liberté absolue est en soi impossible.

Écrit par : Feuilly | 11/01/2014

Ah! Alors d'accord!

Écrit par : cléanthe | 11/01/2014

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