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04/06/2008

A vau-l’eau

Nous avons commencé l’autre jour à nous pencher sur l’origine des expressions et nous avions parlé de « trempé comme une soupe ». Une autre expression dont on ne perçoit plus tout le sens, c’est « à vau-l’eau ». Ce mot « vau » sera mieux compris si on le remet au pluriel : vaux, que l’on retrouve dans la tournure «par monts et par vaux ». Vaux, c’est donc le pluriel de val (voir « Le dormeur du val » de Rimbaud). Dans la langue courante, on lui préfère habituellement le terme « vallée », sauf dans des dénominations comme le Val de Loire ou le Val-d’Oise. Notons aussi le mot « aval » qui désigne le côté vers lequel descend un cours d’eau (par opposition à amont). D’amont en aval, c’est donc partir d’une position élevée pour se diriger vers la vallée.

Cet « aval » n’a évidemment rien à voir avec le terme aval (de l’arabe hawâla en passant par l’italien avallo) qui désigne l’engagement par lequel une personne s’engage à payer un effet de commerce en cas de défaillance du débiteur principal. Cette personne sera donc appelée donneur d’aval.

Mais revenons à notre val (au sens premier). Aller à vau-l’eau signifie donc qu’on suit un cours d’eau vers son aval, qu’on est emporté par celui-ci et donc entraîné vers l’embouchure. C’est encore dans ce sens que Rabelais employait l’expression. De là, on est passé assez logiquement au sens figuré pour signifier qu’un projet échappe au contrôle de celui qui l’a conçu.

La tournure « Par monts et par vaux » signifie quant à elle « de tous côtés ». Elle suppose une idée de mouvement dans tous les sens, à la fois vertical (montée/descente) et horizontal (par les verbes aller ou voyager qui accompagnent généralement l’expression).

Notons encore qu’autrefois « monts et vaux » était synonyme de « monts et merveilles ». Promettre monts et merveilles, c’est promettre des avantages considérables, des choses merveilleuses. Chez Froissart, « des monts » signifiait d’ailleurs « une grande quantité, beaucoup de » (cf. des tas de). On aurait pu se contenter de dire « promettre des merveilles », mais par un procédé rhétorique d’intensification, on a préféré insister en employant deux termes plutôt qu’un (comme dans « bel et bien », « peu ou prou », « sains et sauf », etc.)


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03/06/2008

De l'édition

Qu’apprend-on de neuf, aujourd’hui, dans le monde de l’édition ? Rien qui intéresse les amoureux de littérature, malheureusement et seuls les financiers vont dresser l’oreille. Voici ce dont il s’agit :

La société Editis, qui contrôle notamment Plon, Robert Laffont, XO, First et les dictionnaires Le Robert (et qui avait été achetée en mai 2004 au groupe Lagardère pour 660 millions d'euros), vient d’être revendue avec un gain de 500 millions d'euros au groupe espagnol Planeta.
Editis, numéro deux du secteur en France derrière Hachette (Lagardère), emploie 2.600 salariés et contrôle plus de 40 maisons d'édition.
Depuis 2004, Editis avait acheté le spécialiste du best-seller (XO), les éditions First ou le Cherche Midi. Le résultat d'exploitation s'est accru, nous dit-on, de 60% pour atteindre 93 millions d'euros.

Planeta, quant à lui, souhaite développer l'enseignement à distance (e-learning) et se placer sur le marché des livres et encyclopédies numériques. Il possède déjà 40 maisons d'éditions qui publient plus de 5.000 auteurs (chiffre d'affaires de 2,5 milliards d'euros). Il possède aussi une participation dans la chaîne Antena 3. Il est aussi présent en Colombie, où il a acquis le contrôle du groupe El Tiempo.

Nous ne pouvons que rester muets devant ces chiffres, ces fusions, ces rachats et ces ventes. Quel intérêt ces gens portent-ils aux livres qu’ils vont vendre ? Aucun, bien entendu. Pour eux le livre est un produit comme un autre, qu’il s’agit de commercialiser afin d’en tirer un maximum de bénéfice.

Je suis bien sombre en ce qui concerne l’avenir de l’édition. Devant un tel déferlement, les petites maisons ne vont pas résister bien longtemps, or nous savons tous que ce sont surtout elles qui osent encore publier des auteurs inconnus. Les grands groupes, on l’aura compris, préféreront privilégier des écrivains déjà établis, dont le chiffre des ventes ne suscite aucune inquiétude. On n’édite que ce qui se vend et donc on ne publie que ce qui se lit déjà. Loin de proposer aux lecteurs des ouvrages originaux, on travaille à l’envers. On sonde d’abord le public pour repérer ses besoins et on demande ensuite aux auteurs de répondre à cette attente.

J’ai un peu honte de venir parler de tout cela ici. Ces chiffres sont tellement éloignés de nos centres d’intérêt et de notre amour pour les livres ! Aborder un tel sujet après une note sur la disparition de Dominique Autié peut sembler plus qu’incongru. Pourtant, il disait toujours qu’il croyait encore à un avenir pour l’édition. Il lui semblait percevoir comme un frémissement annonciateur d’un renouveau. Pour lui, en marge de ces grands groupes financiers qui traitent les livres comme s’il s’agissait de vulgaires boîtes de conserve, de petits éditeurs, fiers de leur métier, devraient bientôt refaire surface. Conscients du fait que le livre relève du domaine du sacré, amoureux de la littérature et des beaux ouvrages, ils devraient d’ici peu proposer une alternative intéressante à ces grands groupes dont la production est pour le moins stéréotypée. C’est du moins ce qu’il disait sur son blogue et nous avons tous eu l’occasion de dialoguer avec lui sur ce sujet. Personnellement, je reste très pessimiste, mais lui, qui était du métier, l’était beaucoup moins et je suppose qu’il savait de quoi il parlait. Puisse l’avenir lui donner raison. En attendant, il n’est plus là pour nous rassurer et nous restons bien seuls à contempler ces chiffres de ventes et ces courbes de croissance exponentielles. Bref, il nous manque déjà, lui et son authentique amour des livres.

01/06/2008

Dominique Autié

J’apprends avec tristesse la disparition, à 59 ans, de Dominique Autié (voir blogue en lien ici à droite). Homme du Nord venu s’établir à Toulouse, il aura consacré sa vie au livre. Fils et petits-fils d’ouvriers typographes, éditeur, il avait dirigé les éditions Privat avant de fonder sa propre maison (InTexte), avec sa compagne Sylvie Astorg.

Comme auteur, il avait publié des essais (Approches de Roger Caillois, Privat) puis des romans (Le clavier bien tempéré et surtout Le Bec dans l’eau aux éditions Phébus).

Personnellement, c’est comme blogueur que je l’ai connu. Son site a toujours été d’une grande qualité et s’il ne répondait pas forcément aux commentaires qu’il m’est arrivé de laisser (avec parcimonie, car je ne voulais point rompre le charme qui émanait de ses textes), il lui arrivait souvent d’envoyer un petit mot en privé, remerciant avec gentillesse qu’on ait bien voulu le lire et réfléchir à ses paroles.

Pour lui, la place de l’éditeur était sur Internet, cela ne faisait pas l’ombre d‘un doute.

Outre le livre qu’il m’avait un jour envoyé (« La ligne de Sceaux »), j’ai surtout apprécié ses commentaires sur la grotte de Gargas. C’était un amoureux des livres, non seulement de leur contenu, mais aussi de tout ce qu’ils représentent. D’un tel homme on peut dire assurément que c’était un esthète.

Il a contribué à la parution de L’Ensemble conventuel des Jacobins de Toulouse de Maurice Prin, livre qui lui tenait autant à cœur que la restauration du site lui-même. Il adorait comme moi la défunte collection zodiaque, consacrée entre autre à l’art roman. C’était un mystique dans le sens où il savait ce que le terme sacré voulait dire, en art comme dans la vie. Moi qui suis athée, il m’est arrivé de me laisser porter par ses commentaires sur la lecture de la bible, trouvant dans ses mots comme un apaisement. C’est qu’il était à la recherche de plus de vérité.

Il était aussi formateur en BTS édition et en Master à l’université de Toulouse-Le Mirail.

Dominique, je ne sais assurément pas où tu peux bien être maintenant, mais ce qui est sûr c’est que tu nous manqueras, toi et ton blogue, dans lequel on n’entrait que sur la pointe des pieds, comme dans les anciennes bibliothèques.


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30/05/2008

Mai 68

Les organisations d'extrême gauche (maoïstes, trotskistes, libertaires...) ont été les acteurs majeurs de mai 1968. Aussitôt, la droite gaulliste a eu peur, croyant à un complot communiste qui viserait à renverser le régime. Pourtant, le PCF se rangera très vite derrière de Gaulle pour réfléchir à la manière de mettre fin à l’insurrection.

De son côté, croyant également à un «complot communiste» contre l'Occident chrétien, l'extrême droite va très vite se ranger auprès des forces de l’ordre pour leur donner un coup de main.

Rien d’étonnant donc, à ce qu’aujourd’hui on tente de minimiser le phénomène de mai 68

- soit en le ramenant à une simple contestation étudiante (liée à la révolte de l’adolescence)

- soit en ironisant sur l’embourgeoisement ultérieur des principaux acteurs du mouvement.

- soit en voyant dans les manifestants des fils de bourgeois fatigués de leurs richesses. Autrement dit des héritiers ingrats, à qui les parents avaient tout donné et qui se permettent de cracher dans la soupe qu’on leur avait servie toute chaude.

- Soit en continuant d’affirmer que le mouvement a été soutenu par Moscou. On pourrait pourtant se demander, au vu de l’indépendance d’esprit de De Gaulle et de son non-alignement sur les Etats-Unis, si ce n’est pas de ce côté qu’il faudrait chercher une ingérence étrangère si jamais elle existait. En effet, tout mouvement qui mettait en péril la survie politique du général ne pouvait qu’être approuvé de l’autre côté de l’Atlantique.

Mais revenons à la position adoptée par l’extrême droite. Lorsque éclatent à Paris les premières émeutes, l'extrême droite locale est déstabilisée. D’un côté elle s’est toujours opposée à De Gaulle (celui-ci avait combattu le fascisme les armes à la main en 40-45 et il s’était opposé aux mouvements ultra nationaliste lors de la décolonisation de l'Algérie française. On peut d’ailleurs supposer que les attentats dont il a failli être la victime ont été commis par les néofascistes de l'Organisation armée secrète) et voilà qu’elle se rend compte que les insurgés pourraient bien avoir la peau du général, ce qui les concerne et les intéresse au plus haut point. D’un autre côté, par contre, la contestation émane surtout des mouvements de gauche, autrement dit elle se fait non seulement sans les nationalistes mais même contre eux. Il va falloir choisir son camp.

Ceci dit, les premiers jours, de jeunes militants d'extrême droite vont se mêler aux gauchistes « par amour du sport» (soit parce qu’ils sont jeunes et que l’insurrection en cours leur parle, soit parce qu’ils estiment que c’est leur rôle d’amplifier un mouvement qui crée du désordre).

Très vite, cependant, la vraie nature idéologique de la droite nationaliste va reprendre le dessus et elle se rangera aux côtés du pouvoir, y compris comme « police auxiliaire» quand les forces de l'ordre vont se trouver débordées. Entre deux maux (De Gaulle ou le communisme), elle a choisi le moindre. On sait par ailleurs que des hauts gradés de l'armée (anciens ou proches de l'OAS) ont pris des «contacts discrets avec certains éléments d'extrême droite» pour avoir leur appui au cas où la situation leur échapperait sur le terrain. Ainsi, un plan d'autodéfense est mis sur pied. La réalité de cette alliance objective entre l'extrême droite, la police, l'armée, la droite conservatrice et le pouvoir est peu abordée encore aujourd’hui.

L'ancien chef du Service d'action civique – le Sac (organisation para-policière du pouvoir gaulliste), Charles Pasqua, reconnaîtra les faits : «Oui, évidemment j'ai approché ces mouvements. Certains de nos compagnons étaient très proches de ces jeunes nationalistes. Dans cette atmosphère de mini-révolution, les clivages sautent : il y a ceux qui veulent agir et ceux qui sont passifs. Dès lors tous les actifs sont les bienvenus. Et dans ces mouvements, il y avait des garçons très décidés» («Les dessous de la manif du 30 mai», entretien avec Charles Pasqua, in Le Choc du Mois, dossier « Mai 68 vu de droite», n° 22, mai 2008, Paris, p. 41, cité par le site « Résistances »).

Quand les ouvriers se sont mis à leur tour à débrayer et que la France a connu les plus grandes grèves de son histoire, l’obsession du complot gauchiste a créé un vent de panique qui permet de comprendre ce ralliement de la droite pure et dure à De Gaulle.

Pourtant, dans sa propagande, cette même droite nationaliste prétend généralement combattre le système, parlant même d’un idéal «nationaliste-révolutionnaire.» Dans les faits, on la retrouve toujours du côté du pouvoir, comme ce fut le cas en 1986 lors des manifestations étudiantes contre le projet de loi Devaquet et en 2006 contre le projet de CPE. A chaque fois, des commandos d'extrême droite s’en sont pris aux manifestants à coup de battes de base-ball.

En attendant, le front anti-68 se répète. Ainsi, en 1998, un dirigeant du Front national, Bernard Antony, disait déjà que «les soixante-huitards (staliniens, trotskistes, maoïstes...) auront appliqué systématiquement les directives du communiste italien Gramsci : imprégnation culturelle, noyautage,... Aujourd'hui, ils règnent en maître aussi bien dans les médias que dans les ministères et dans les syndicats» Cette impression que la gauche possède une mainmise sur les médias et la culture est omniprésente dans leurs discours. Curieusement, j’ai personnellement l’impression inverse, à savoir que les médias sont aux mains de grands groupes industriels ou financiers et qu’ils nous abreuvent de propagande libérale. Vous me direz qu’en principe l’extrême droite est elle aussi contre le pouvoir néo-libéral et la mondialisation de l’économie. En principe, oui, puisqu’elle dit défendre les valeurs traditionnelles de la patrie, mais en pratique on constate qu’elle est bien évidemment plus proche de cette droite capitaliste et élitiste que de la gauche républicaine et populaire.

Il suffit de faire un détour par le blogue de B. Anthony, déjà cité, pour se rendre compte qu’il est un fervent adepte de la défense de l'Occident chrétien et de la langue française (on ne peut malheureusement lui donner tort sur ce dernier point). Pour lui et ses adeptes, notre monde est menacé de toutes parts : par le communisme (on croit rêver car on chercherait désespérément les derniers communistes), le mondialisme, le cosmopolitisme, l'internationalisme, l'immigration... Bref, on retrouve tous ces vieux fantasmes ont toujours été le vieux fonds de commerce des populistes nationaux-conservateurs.

Il paraît (mais je ne l’ai pas lu) que le numéro de mai-juin 2008, de La NRH (Nouvelle Revue Historique) est entièrement consacré à Mai 68. «Créée par plusieurs historiens las des interprétations partiales de l'histoire» (selon son propre encart publicitaire), cette revue, qui a pour fonction de réécrire l’Histoire dans le sens qui lui convient, se devait d’aborder le phénomène de mai 68. Les gauchistes y sont présentés comme les «enfants du gaullisme», histoire de fustiger deux ennemis à la fois. Quant à l'hebdomadaire Rivarol, dont le comité de direction est composé de nostalgiques de Pétain, il aime mettre en avant des complots qui viseraient à anéantir l’homme blanc, ce qui suppose une opposition farouche envers l’immigration (surtout arabe) et l’Internationale juive. Voici un exemple, tiré de l’édition du 2 mai 2008 : «Avec Sarkozy et Carla Bruni, avec Kouchner au Quai d'Orsay et Strauss-Kahn à la tête du Fonds monétaire international, le slogan ''Nous sommes tous des Juifs allemands'' clamé par les Enragés garde une actualité plus brûlante que jamais quatre décennies plus tard »

J’ai suffisamment critiqué ici même Sarkozy pour qu’on sache ce que je pense du bonhomme, que je déteste, (en tant que personne et en tant que politicien libéral) et je suis le premier à déplorer qu’il engagerait bien la France dans un conflit avec l’Iran rien que pour servir l’état hébreu, mais je ne puis cependant admettre que les reproches qu’on lui adresse se fondent sur une appartenance raciale. On sait où ce genre de propos commencent, on ne sait pas où ils s’arrêtent.

Pour revenir à notre sujet, notons encore que la droite nationaliste a également voulu marquer sa présence sur le terrain des commémorations. Ainsi, l'Action française (le mouvement fondé par Charles Maurras), a organisé à Paris un forum sur le thème «Sous les pavés la France... en finir avec Mai-68 !

Conclusion :

- Ce qui est inquiétant, c’est qu’on retrouve ici une série de thèmes déjà abordés dans les notes précédentes (voir les remarques autour de Césaire) :rejet de l’immigration, d’une société multiraciale, de la mondialisation et défense par contre de l’homme blanc, chrétien et cultivé, qui respecte les valeurs ancestrales et qui est fier de ses origines. On comprend pourquoi je me montrais si réservé envers un certain interlocuteur, car je retrouvais dans ses propos les thèmes chers à une certaine mouvance politique. Je n’ai pas dit qu’il appartenait à cette mouvance, j’ai dit qu’on pouvait comprendre mes réserves.

- Ce qui est dérangeant avec l’extrême droite, c’est qu’elle a le don de tirer la couverture à elle, par exemple en défendant la langue française, combat qui est aussi le nôtre. Soit vous leur donnez raison et ils vous incorporent dans leurs rangs, soit vous leur donner tort (sur le plan politique) et ils disent que vous détestez votre langue (ce qui est un sujet linguistique), soit encore ils veulent vous mettre en porte-à-faux en montrant que vous avez tort de les rejeter puisqu’en fait vous approuvez leur combat pour la pureté de la langue. En fait, ce qui est agaçant chez eux, c’est cette manière de s’approprier le patrimoine national (que vous êtes le premier à respecter) en faisant croire qu’il est leur propriété et qu’il n’y a qu’eux pour le défendre.

- La droite en général, surtout si elle est fort à droite, a l’art de présenter la gauche comme un mouvement grossier qui s’adresse à la populace inculte. Si on est cultivé, si on a des lettres, on ne peut qu’être de droite. Quel rapport entre un lecteur de Proust et un ouvrier gréviste de la CGT ? Aucun, évidemment. Rien de commun entre le raffinement de Des Essaintes, le héros de Huysmans et une marchande qui vend son poisson à la criée (c’est bien pour cela que la situation a dérapé quand Sarkozy s’est montré vulgaire devant les marins bretons : il a inversé les rôles). Mais si vous prenez le parti de défendre ces gens du peuple, on vous suspecte d’inculture. Par contre, il suffit de s’enfermer dans sa tour d’ivoire avec un livre (ce que je fais en fait le plus souvent) pour pouvoir prendre des grands airs et montrer qu’on est supérieur. A la fin, c’est un petit peu agaçant.



29/05/2008

"Il faut laisser faire les spécialistes"

Un des thèmes développés par Le Fonds monétaire international et l’Organisation mondiale du commerce est celui de l’éradication de la faim dans le monde.

Non, il ne faut pas sourire, ce problème semble tracasser au plus haut point ces organismes, d’autant plus que c’est là un bon moyen pour eux de se faire passer pour des philanthropes. La solution qu’ils préconisent est simple : faciliter le flux des marchandises. Voici donc le conseil qu’ils donnent au tiers-monde : plutôt que de produire à petite échelle des cultures vivrières que la population consomme sur place (autonomie alimentaire), il conviendrait au contraire d’abandonner l’agriculture locale et de se consacrer à l’exportation. En d’autres termes, il s’agirait de produire et de vendre ce qui intéresse l’Occident et avec l’argent ainsi gagné d’acheter les aliments nécessaires à l’alimentation (le blé de la Beauce ou du Midwest américain par exemple, qui est produit mécaniquement et en grande quantité)

Notons déjà en passant que cette méthode permettrait à l’Occident de tirer profit de la main d’œuvre sous payée du tiers-monde. Par exemple, cela coûterait moins cher d’acheter des ananas mexicains plutôt que de les produire en Floride.

Evidemment, dans cette optique, l’agriculteur du tiers-monde devra renoncer à sa petite exploitation familiale (si on produit des ananas dans son pays, se sera à grande échelle, afin que cela soit rentable). Le risque est alors qu’il n’aille grossir le nombre des sans emplois qui s’agglutinent dans les villes. Pas forcément rétorque le FMI, car il trouvera là des entreprises occidentales qui se seront délocalisées pour profiter de la main d’œuvre bon marché. Tout le monde y trouverait donc son compte. Devenu salarié, ce paysan aurait enfin un niveau de vie décent, les entreprises occidentales réduiraient leur coût de production, le blé européen ou américain se vendrait aux quatre coins de la planète et l’Occident achèterait bon marché les fruits exotiques qu’il ne peut produire lui-même. Bref, c’est le paradis organisé sur terre, une sorte de grand Soir qui, enfin, ne serait plus marxiste mais capitaliste. Par exemple, on imagine que les pays africains qui longent l’Atlantique pourraient réduire leur dette en vendant leur droit de pêche aux bateaux-usines des grosses compagnies maritimes (lesquelles savent rentabiliser ce métier ancestral qu’est la pêche). En retour, ces mêmes pays pourraient toujours acheter des boîtes de thon en conserve.

Très bien. Sauf que…

- rien ne dit que le paysan qui aura abandonné la terre qui le nourrissait (mal, il est vrai) trouvera du travail en ville

- rien ne dit qu’il pourra se payer le blé de la Beauce ou la boîte de thon

- il ne faut pas perdre de vue que le prix du pétrole augmente sans cesse et avec lui le coût du transport des marchandises

- on ne parle pas de l’épuisement rapide des réserves de poissons, qui seront mises à mal par ces bateaux-usines qui pêchent au radar et avec l’aide de filets dérivants.

- On ne dit pas quel travail trouveront encore les populations occidentales si toutes leurs entreprises sont délocalisées dans le tiers-monde. Le chômeur français pourra-t-il encore acheter la boîte d’ananas mexicains ?

- On ne dit pas davantage que ce sont surtout les intermédiaires qui vont tirer le plus grand profit de cette circulation planétaire des marchandises.

La preuve que mes remarques sont fondées et que les grands stratèges de l’OMC et du FMI se sont trompés (à moins, hypothèse fort improbable et qu’on n’oserait imaginer, qu’ils n’aient pas cherché à éradiquer la faim dans le monde mais à augmenter le profit de certains), c’est que dans de nombreux pays du tiers-monde, les manifestations contre la faim se sont multipliées. Nous en avons déjà parlé ici même. L’OMC s’alarme déjà d’un retour au protectionnisme de la part de ces pays (l’Inde, le Vietnam, l’Egypte, le Kazakhstan...) qui, les méchants, ont décidé de réduire leurs ventes à l’étranger afin de garantir l’alimentation de leur propre population. Agir de la sorte ruine évidemment les belles prévisions des spécialistes. Mieux vaut donc laisser les choses en l’état où elles sont et gérer au mieux ces manifestations (en les réprimant par la force, par exemple). Et puis on ne va tout de même pas remettre en cause l’organisation planétaire de l’économie pour quelques centaines de milliers (millions) de personnes qui mourront de faim. Qu’elles aient au moins la dignité de mourir en silence !

En attendant les états qui ont sacrifié leur agriculture vivrière sont en train d’acheter (qu’ils paient, c’est la loi du marché) les produits de première nécessité dont ils ont besoin. On dit que leur facture d’importation de céréales a augmenté de 56 % en un an. De son côté, le Programme alimentaire mondial (PAM), qui nourrit comme il peut soixante-treize millions de personnes, réclame 500 millions de dollars supplémentaires. Il n’en a obtenu que la moitié, logique. Ceci dit, ce qu’il réclamait n’était qu’une goutte d’eau par rapport au prix de la guerre en Irak, mais bon, ne mélangeons pas la chèvre et le chou. Nous savons tous que cette guerre était nécessaire pour détruire les armes de destruction massive de Sadam Hussein (on l’a sans doute exécuté pour qu’il ne puisse plus proclamer que les seules armes dangereuses qu’il possédait lui avaient été confiées par les Etats-Unis du temps de la guerre inter-arabe Iran-Irak, guerre qui enchantait par ailleurs les mêmes Etats-Unis, ceux-ci ayant toujours su appliquer l’adage « diviser pour régner »). Comme nous savons tous que le taux de terrorisme dans le monde a vertigineusement chuté depuis la destruction organisée de l’Irak.

Bon, n’allez pas croire que je suis d’un antiaméricanisme primaire. Car les citoyens américains, eux aussi, sont en train de boire le bouillon. La Réserve fédérale les avait encouragés à s’endetter et à devenir propriétaires de leur maison. Et puis ce fut le drame que l’on sait, les traites que l’on ne peut plus payer, la maison qu’il faut vendre à bas prix, etc. Les banques elles-mêmes en ressentent le contrecoup, les bourses mondiales vacillent, provoquant l’inquiétude des petits épargnants qui avaient acheté quelques actions (forcément, les taux d’intérêts sur leur compte d’épargne est si bas qu’il ne compense même plus l’inflation).

Les citoyens donc, y perdent à tous les coups, qu’ils habitent au Congo, au Mali, aux Philippines, en Egypte ou aux Etats-Unis. Les spéculateurs, eux, s’en sortent toujours. Ils abandonnent le secteur immobilier pour les marchés de céréales, achetant aujourd’hui à bas prix (et imposant d’ailleurs leur propre prix aux producteurs) du blé ou du riz pour le revendre demain beaucoup plus cher. Ce qui entraînera une hausse des prix et augmentera encore les risques de famine. Le cercle est bouclé.

27/05/2008

Trempé comme une soupe

Il est des expressions qu’on utilise tous les jours, dont on comprend parfaitement le sens, mais pour lesquelles il est parfois difficile de déterminer l’origine.

Si « prendre des mesures draconiennes » renvoie manifestement à Dracon, archonte éponyme en 621 avant JC (éponyme parce qu’il donnait son nom à l’année en cours) qui établit un code certes équitable mais particulièrement rigoureux (tout délit, même un simple vol était puni de la peine de mort), si « la fin des haricots » fait allusion aux familles pauvres pour qui la privation de ce légume, base de leur alimentation, représentait vraiment la fin de tout, une expression telle que « trempé comme une soupe » peut sembler par contre bien mystérieuse.

Pourquoi, en effet, une soupe peut-elle être qualifiée de trempée ? Tout simplement parce que « soupe », à l’origine, désignait des tranches de pain qu’on trempait dans du bouillon., du lait ou du potage. L’étymon est le bas latin « suppa », lui-même dérivé du germanique « suppa » (tranche de pain sur laquelle on verse le bouillon) ». C’est ce sens que l’on retrouve dans la chanson de geste de Renaut de Montauban, au XII° siècle déjà. On disait aussi « tailler des soupes » (Ménestrel Reims).

Par la suite, le mot soupe a désigné le potage lui-même, mais un potage auquel on ajoutait des morceaux de pain ou de légumes non passés. L’idée était donc bien celle d’un liquide contenant quelque chose de consistant. Plus tard encore, on est arrivé à l’idée d’un potage épais.

Comme on pouvait aussi remplacer le bouillon par du lait (et que celui-ci monte vite quand on le chauffe), est apparue l’expression « soupe au lait », qui désigne une personne prompte à se mettre en colère mais qui se calme tout aussi vite.

23/05/2008

Sarkozy et le monde de la chanson.

On se souvient de la haine que Léo Ferré développait à l’encontre du général De Gaulle, qui le lui rendait bien. En ce temps-là, on n’aurait jamais vu un « chanteur de variétés » recevoir les honneurs de la République. Autres temps, autres mœurs. On apprend en effet que la chanteuse Céline Dion vient de recevoir la Légion d'honneur des mains de Nicolas Sarkozy lui-même. La voilà donc chevalière puisqu’il convient de féminiser les termes qui étaient autrefois l’apanage des hommes (il est vrai que les femmes devaient s’occuper du ménage et des enfants, ce qui limitait la possibilité d’accomplir de grandes choses. Quoi de plus important, pourtant, que d’éduquer des enfants ?)

La presse nous apprend qu’elle n’était pas venue seule. Elle était accompagnée de son mari, de son fils, de sa mère, ainsi que de ses treize frères et sœurs, certains accompagnés de leur propre famille. Tout ce beau monde est arrivé à l'Elysée non pas en Jet privé ni sur un yacht remontant la Seine, mais à bord d'un bus blanc à étage. Nicolas ne s’est pas étonné outre mesure de cette présence familiale encombrante. Il faut dire qu’il a l’habitude, puisqu’il ne se déplace jamais sans sa belle-mère, son beau-père ou son épouse (il en a même déjà eu deux depuis le début de son mandat) quand il ne les envoie pas eux-mêmes en mission.

Il aurait accueilli la star en lui lançant que « la France ayant changé, ceux qui réussissent sont les bienvenus ici », phrase dont le ton correspond à celui qu’il employait lors de sa campagne électorale : valoriser la France qui travaille et qui gagne. Il pouvait se le permettre : Dion étant québécoise, elle ignorait probablement que depuis un an tout allait mal dans le royaume. Pouvoir d’achat en baisse, mouvements sociaux, grogne, découragement, morosité, les Français n’ont pas vraiment l’impression d’avoir réussi depuis qu’ils ont un nouveau président. Il faut dire que lui non plus ne semble pas faire partie de ceux qui gagnent et il suffit pour s’en convaincre de regarder la courbe de sa popularité. Avec une ligne qui n’en finit pas de descendre au point qu’on se demande où elle s’arrêtera, Nicolas ne semble pas mieux loti que les pêcheurs bretons (enfin, eux, c’est surtout leurs revenus qui sont en chute libre).

Donc, il fallait bien que Dion fût québécoise pour ne pas s’étonner des propos du président. Ceci dit, sa phrase est tout de même curieuse en soi. Qu’est-ce que c’est que cette France qui a changé ? Il est vrai qu’il nous avait bien promis des réformes, mais nous n’avons pas encore vu venir grand chose. Veut-il dire que maintenant on n’accueille plus que ceux qui réussissent ? Sans doute est-ce en effet ce qu’il a voulu suggérer. Point d’étrangers inutiles, mais des battants millionnaires, voilà ce dont la République a besoin. Manifestement, cela devait le rassurer lui-même de voir enfin des personnes qui gagnent, car s’il devait se limiter à son cas personnel, il finirait par nous faire une dépression.

Maintenant, faut-il pousser plus loin le raisonnement et comprendre que cette phrase signifie qu’autrefois la France n’accueillait que les perdants ? Je ne pense pas, car sinon comment justifierait-il l’arrivée de son propre père sur le territoire de la République ainsi que celle des parents de Carla Bruni, sa vénérable épouse (tiens, on ne la voit pas sur les photos) ?

Mais poursuivons. Il a tenu à remercier Céline Dion de « faire rayonner notre langue au-delà de nos frontières ». Ceci dit, elle n’a fait qu’employer sa langue maternelle, mais il est vrai que l’importance actuelle du français de France se calcule en fonction du nombre de locuteurs francophones dans le monde. Autrement dit, sur le plan linguistique, la métropole ne conserve un certain rayonnement international que grâce à ses anciens territoires, ceux qui sont situés en dehors de l’Hexagone. Voilà qui devrait faire réfléchir le petit président sur la nature de la colonisation. Ne disait-il pas il n’y a pas si longtemps qu’il n’y avait pas à être honteux de cette pratique et que c’était plutôt aux peuples conquis de remercier la France de leur avoir apporté la civilisation ? Sans doute, il n’empêche qu’à l’heure actuelle, c’est plutôt lui qui devrait les remercier de continuer à parler en français.

C’est d’ailleurs ce qu’il fait en félicitant Dion et en lui offrant une belle médaille. En agissant de la sorte, il reconnaît l’importance du français hors de France et en flattant le Québec il joue son petit De Gaulle (« je vous ai compris. »)

Toutefois, en bon valet de Bush et en américanophile convaincu, il ajoute aussitôt, un peu embarrassé : « Il faut comprendre que si nous sommes tellement attachés (à la langue française), ce n'est pas par opposition à l'anglais .» Et de continuer en affirmant que « le monde est plus heureux avec plusieurs langues car la diversité est une richesse.» C’est sûrement le même discours qu’il tient quand il se rend dans les banlieues de sa belle capitale et qu’il s’adresse aux Français d’origine immigrée. Cela me fait penser qu’il y a longtemps qu’il ne s’est plus déplacé dans ces quartiers. Il est vrai que ces gens ne font pas partie de ceux qui gagnent. Ils doivent donc encore appartenir à la France d’avant.

Pour terminer, il s’est lancé dans une longue tirade sur l’amour, profitant de la place que ce thème occupe dans le répertoire de la chanteuse pour faire revivre sa récente expérience personnelle : « il n'y a qu'une seule façon d'aimer: aimer totalement. L'amour, il ne doit pas y avoir d'impudeur à le partager. Ca donne une certaine fraîcheur. » C’est sans doute pour cela qu’il nous a fait partager son amour pour Carla avec une indiscrétion que nous n’avions jamais vue chez un président. Il a tellement bien réussi qu’on finit par la préférer à celui que nous nous étions choisi et pour lequel nous avions voté (elle a tout de même plus de classe). Enfin, quand je dis « nous », je ne parle pas pour moi, bien entendu.

« Avant d'être président de la République, j'ai fait deux, trois trucs, dont aller vous écouter » a-t-il également lancé à Céline Dion. Tiens donc, il serait donc prédestiné pour admirer les chanteuses ? Si ça se trouve, il aurait tout aussi bien pu épouser celle-ci (cela aurait été une manière habile de remettre la main sur le Québec, par un mariage digne des anciens rois de France et de leur politique expansionniste). Ceci dit, en bon puriste, l’emploi du mot « truc » me gêne un peu de la part du Président, mais bon, on ne peut pas tout avoir. Déjà qu’il aime la chanson française, c’est déjà beaucoup. Espérons seulement que sur sa lancée il ne va décorer la première dame et la faire chevalière à son tour. Enfin, rassurons-nous, si c’était le cas, c’est la chanteuse qu’il honorerait ainsi et non l’ex-mannequin. Heureusement, sinon on ne sait dans quelle tenue elle viendrait recevoir une décoration que son président de mari aurait bien eu du mal à accrocher…

Un inédit de Rimbaud?

Un cinéaste viendrait de mettre au jour l'existence d'un texte inédit d’Arthur Rimbaud. Oh, pas une nouvelle « Saison en Enfer », non, ni même un poème, mais un article de journal.

Patrick Taliercio, de passage à Charleville-Mézières, aurait acheté quelques exemplaires du «Progrès des Ardennes» chez un bouquiniste. Ceux-ci étaient vendus avec la mention «journal auquel Rimbaud aurait aimé collaborer». Le cinéaste y découvre un papier publié le 25 novembre 1870, signé Jean Baudry, or il sait que c’est là un des pseudonymes de Rimbaud. L’article, titré «Le Rêve de Bismarck», s’il est authentifié, fera mentir toutes les biographies, puisque personne ne mentionne que Rimbaud eût été journaliste.

On savait par contre qu’il avait envoyé des textes au «Progrès», mais on ignorait que l’un de ceux-ci avait été publié. Il est vrai qu’un mois après cette parution, la maison du journal avait été détruite dans le bombardement de Charleville de décembre 1870, ce qui n’a pas facilité le travail des chercheurs.

L’article en lui-même n’a rien de vraiment extraordinaire, mais il prouve, soit que Rimbaud ambitionnait de devenir journaliste, soit qu’il voulait s’introduire dans ce journal pour pouvoir ensuite y faire publier ses poèmes. Ce qui est sûr, c’est que Delahaye avait lui-même affirmé que Rimbaud avait envoyé des textes au directeur du Progrès des Ardennes en utilisant le pseudonyme de Jean Baudry. On possède une lettre de ce directeur (adressée à Baudry), qui lui demande de ne plus envoyer des vers qui ne paraîtront de toute façon pas. Il lui demande par contre « des articles d'actualité et ayant une utilité immédiate». Rien de neuf sous le soleil, donc.


Voici l’article en question :

le rêve de Bismarck

C'est le soir. Sous sa tente, pleine de silence et de rêve, Bismarck, un doigt sur la carte de France, médite; de son immense pipe s'échappe un filet bleu.
Bismarck médite. Son petit index crochu chemine, sur le vélin, du Rhin à la Moselle, de la Moselle à la Seine; de l'ongle il a rayé imperceptiblement le papier autour de Strasbourg ; il passe outre.
À Sarrebruck, à Wissembourg, à Woerth, à Sedan, il tressaille, le petit doigt crochu : il caresse Nancy, égratigne Bitche et Phalsbourg, raie Metz, trace sur les frontières de petites lignes brisées, - et s'arrête...
Triomphant, Bismarck a couvert de son index l'Alsace et la Lorraine! - Oh! sous son crâne jaune, quels délires d'avare! Quels délicieux nuages de fumée répand sa pipe bienheureuse!...


Bismarck médite. Tiens! un gros point noir semble arrêter l'index frétillant. C'est Paris.
Donc, le petit ongle mauvais, de rayer, de rayer le papier, de ci, de là, avec rage, - enfin, de s'arrêter... Le doigt reste là, moitié plié, immobile.
Paris! Paris! - Puis, le bonhomme a tant rêvé l'œil ouvert que, doucement, la somnolence s'empare de lui: son front se penche vers le papier; machinalement, le fourneau de sa pipe, échappée à ses lèvres, s'abat sur le vilain point noir...
Hi! povero! en abandonnant sa pauvre tête, son nez, le nez de M. Otto de Bismarck, s'est plongé dans le fourneau ardent... Hi! povero! va povero! dans le fourneau incandescent de la pipe... hi! povero! Son index était sur Paris!... Fini, le rêve glorieux!


Il était si fin, si spirituel, si heureux, ce nez de vieux premier diplomate! - Cachez, cachez ce nez!...
Eh bien! mon cher, quand, pour partager la choucroute royale, vous rentrerez au palais [mots illisibles] avec des crimes de... dame [mots illisibles] dans l'histoire, vous porterez éternellement votre nez carbonisé entre vos yeux stupides!...
Voilà! Fallait pas rêvasser!

Jean Baudry
(Article paru dans « le Progrès des Ardennes » du 25 novembre 1870)

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22/05/2008

De l'illusion démocratique

Intéressante remarque que celle qui a été écrite dans les commentaires de la note précédente et que l’on pourrait résumer ainsi :

- si vous ne votez pas, vous vous excluez vous-même du champ politique (et donc vous n’avez plus le droit à la parole)

- si vous votez pour l'opposition et si celle-ci échoue à accéder au pouvoir, vous appartenez au clan des perdants et donc vous n’avez plus qu’à obéir aux décisions qui seront prises.

- si vous avez voté pour la majorité, vous avez confié votre pouvoir décisionnel à des personnes qui vous représentent. Malheureusement, celles-ci prennent souvent des mesures qui vont à l’encontre de ce qui avait été annoncé. Vous vous rendez alors compte que vous avez été dupé.

Quelle attitude convient-il d’adopter ? On se le demanderait bien. Voter, ne pas voter, ne plus voter, tout revient au même. Sans compter que bien peu de décisions sont prises dans l’intérêt du pays ou des citoyens. La pression des grands groupes financiers ou autres est telle que les hommes au pouvoir, immanquablement, entraînent le pays dans une direction qui n’avait été voulue par personne.

Si quelqu’un a une solution à apporter, il est le bienvenu ici.


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19/05/2008

La sournoiserie des anges...

Voici la réponse que m'envoie Pierre Damiens, réponse qui semble bien être la dernière puisque chacun campe sur ses positions. Il continue à considérer que je suis aveuglé par une idéologie ce qui me semble exagéré. Par contre, le fait même qu'il affirme cela prouve aussi qu'il serait plutôt de l'idéologie contraire, même s'il s'en défend.
Il veut promouvoir la souveraineté de la France et sa culture spécifique, ce dont je ne le blâme pas. Par contre, plutôt que de tirer à boulets rouges contre tous ceux qui s'opposent à la mondialisation de style néo-libéral, il ferait mieux de s'en faire des alliés, car l'ennemi que je combats est finalement le même que le sien. Cependant, il sait qu'une fois cet ennemi vaincu (si c'était possible), nous nous opposerions alors radicalement, l'un soutenant le droit des gens et l'autre le droit de l'Etat, l'un faisant des concessions à ses ennemis par humanisme, l'autre les écrasant par le fait qu'il est certain de leur être supérieur.


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La sournoiserie des anges...

Je ne sais pas où vous avez vu que je me disais apolitique. Je suis au contraire pleinement "politique" en refusant d'être "partisan", c'est à dire en cherchant à me frayer un chemin dans le foisonnement des idées, plutôt qu'en me contentant de choisir un camp, seule posture dont vous semblez capable et que vous voudriez de toute force me voir adopter.



Alors, votre surdité me fatigue et je vous le dis, et redis, pour la dernière fois: je ne suis pas de droite! Je ne me sens pas plus proche de Devedjian que de Blanqui, de Pasqua que de Proudhon, ou de Sarkozy que de Péguy, bien au contraire. Nous parlons ici d'idées, lesquelles sont évolutives, et se transforment dans un contexte qui lui-même est changeant: mobilis in mobile. Raymond Aron expliquait que toutes les droites sont d'anciennes gauches... c'est à dire qu'un libéral d'aujourd'hui (que vous classez à droite) descend en filiation directe des tenants des lumières et du mercantilisme bourgeois (la gauche de 1789).



En outre, si les idéologies glissent, les hommes qui s'en inspirent varient plus vite encore. Qui aurait prédit que Dany le Rouge deviendrait Daniel le Vert, que le révolutionnaire de 1968 serait reçu en grandes pompes à l'Elysée??? Qui aurait prévu que les collectivistes du premier septennat Mitterrand s'enticheraient de Tony Blair? Que monsieur Strauss-Kahn qui vantait l'économie dirigée et l'assistanat serait vingt ans après l'usurier du monde??? Certainement pas vous, que vos œillères idéologiques conduisent à prendre les vessies pour des lanternes, et des aigrefins pour des amis du peuple.



Tenez-vous le pour dit. Je ne suis pas de droite, ni par tradition familiale, ni par conviction personnelle. Je ne me range pas à gauche pour autant. Mais ce que vous appelez mon « apolitisme » est en fait une certaine absence d’instinct grégaire. Le seul fait de me rallier à un troupeau idéologique me dégoûte. A tel point que je n'ai jamais appartenu à aucun parti, et que je ne vote pas. Je vous vois déjà, trépignant d'indignation ! Non, je ne vote pas, et ne voterai jamais. Le simple geste de déposer un bulletin dans une urne me débecte, puisqu'il est la caution que les moutons accordent aux loups. Ce que vous croyez être une démocratie parlementaire est en fait la plus aboutie des entreprises totalitaires. Une dictature, elle au moins, permet de s'opposer à elle, de se définir contre elle, de la combattre, fût-ce au prix de sa vie. Le soft-totalitarisme ne le permet pas. Face à la contestation, il a deux attitudes: il l'ignore, ou la digère, mais ne lui accorde jamais le duel.



La sophistique démocratique est tautologique et implacable:

- Si vous ne votez pas, on vous répond que vous n'avez pas joué le jeu de la république, que vous vous excluez vous-même du champ politique, et que vous devez donc vous taire;

- si vous avez voté pour l'opposition parlementaire, c'est à dire pour les perdants du scrutin, on vous rétorque que pour avoir voix au chapitre, il fallait gagner les élections, et que vous devez également la fermer;

- si vous avez voté pour la majorité, alors on vous démontre avec condescendance que vous avez délégué votre part de souveraineté aux dirigeants du moment, que vous étiez d'accord avec eux, que vous devez assumer votre choix et donc, finalement, plus que tout autre, garder pieusement le silence!



Au bilan, le "citoyen" se voit privé de parole, et même de représentation, car il est naïf de croire que l'on obtient le pouvoir en remportant les élections. Aujourd'hui, on remporte les élections parce qu'on détient déjà les clefs du pouvoir: l'argent, les réseaux d'influence, les médias… toutes choses inaccessibles à la majorité des citoyens, mais réservées à quelques coteries bien rodées. Et la bipolarisation idéologique dont vous êtes un bon petit soldat est le garde chiourme de l'univers carcéral intellectuel que nous connaissons aujourd'hui. Bientôt, d'un commun accord entre le PSF et l'UMP, un système bipartite se mettra en place en France. Les autres courants politiques seront réduits à l'état de croupions par l'assèchement financier, l'assimilation forcée ou achetée et la ringardisation. Ce régime, calqué sur celui des Etats-Unis, permettra de parachever le drainage économique, la standardisation intellectuelle et la mise en coupe réglée de la société.



En soixante ans, rythmés d'innombrables votations, referendums et plébiscites, la France a été intégralement chamboulée, défigurée, anesthésiée et bientôt elle sera euthanasiée. Pourtant, à aucun moment, le peuple français n'aura eu clairement son mot à dire. On s'est toujours arrangé pour ne lui demander son avis qu'après avoir façonné l'opinion. On s'est aussi généralement bien gardé de lui soumettre les questions d'importance. Et puis, quand d'aventure on avait commis la bêtise de le faire, on s'est ensuite dépêché d'effacer les résultats indésirables. Le pays le plus nataliste d'Europe est subrepticement devenu une "terre d'immigration". Le pays le plus indépendant sur la scène internationale s'est sagement converti en agneau atlantiste. La patrie de Lully, Lafontaine et Vauban est devenue la groupie de Joey Starr, Beigbeder et Rama Yade. A-t-on vraiment choisi cela? Et si oui, qui l'a réellement décidé? Ces mutations, promptement opérées, ont-elles été concoctées au hasard, dans l'obscurité des isoloirs??? Evidemment non. Les petits français, à peine sortis des siècles de servage, se sont laissé déposséder de leur terre, de leur culture et des rennes de leur destin par quelques habiles mafias.



Et encore faudrait-il que je m’enrôle dans vos milices ? Que je m’enthousiasme pour les maques du trottoir de gauche, ou les caïds de celui de droite ? Hé bien ce sera sans moi ! Je déserte vos bataillons, votre piétaille endoctrinée, et je me bats en franc-tireur... C’est cela qui vous gêne en définitive… ma persistance à échapper à votre ordre de bataille, à votre bel ordonnancement manichéen. Amis ou ennemis, tous doivent marcher au pas !!! De toutes les indisciplines, celle de vos adversaires est celle que vous supportez le moins. Ne pouvant user de vos outils habituels, la connivence entre « braves gens » ou la culpabilisation du « méchant blanc », vous perdez votre arsenal dialectique. Alors, vous troufignolisez, triturez ma prose pour en extirper des indices, des pièces à conviction, des commencements de preuves. Il faudrait, faute d’avoir voulu montrer patte blanche, faute d’avoir souscrit béatement à votre charte du bien-pensant, que je me fasse épouvantail, que je redevienne le méchant de service, le moulin à vent dont tous les chevaliers à la triste figure ont besoin. Mais vos charges héroïques donnent dans le vide. Je ne me battrai pas contre vos fantasmes.



Pour ce qui est de vos interprétations ethnomasochistes de l'Histoire, je maintiens qu'elles sont le fruit des manipulations idéologiques qui visent à nier l'originalité de l'Europe dans le concert des civilisations. J'ai bien dit originalité, et non pureté. D'après les pontes du CNRS, ces rentiers de la bien-pensance, notre culture devrait tout aux grandes invasions, aux migrations, au métissage, comme si Vinci et Mozart n'auraient pu exister sans Mahomet et Soliman, comme si les bâtisseurs de Stonehenge et du Parthénon n'avaient pas eu de descendants, comme si, après l'échec de "l'homme nouveau" socialiste, il fallait absolument construire l'orphelin universel, le nomade cosmopolite qu'Attali et consorts fabriquent en sourdine. Je vous joins en annexe un renvoi vers un texte (1) qui dit en mille mots ce que je résumais en cent.



Si vous n’avez pas la force de voir les choses en face, je vais vous déciller. Vous voudriez jouer les rebelles, mais vous êtes, avec tous les cocus des bons sentiments, les vrais piliers du nouvel ordre mondial. Vous brandissez fièrement les hochets que les multinationales vous tendent : antiracisme pour dissimuler la nouvelle traite des noirs, commerce équitable pour vendre plus cher aux occidentaux le riz qui manquera aux enfants asiatiques, antinucléaire pour garantir que le pétrole et le gaz continueront d’engraisser les margoulins texans, l’OPEP et votre ami Chavez ! L'enfer des guerres de religion, des grandes conflagrations, des génocides interethniques a toujours été pavé des bonnes intentions de gogos utopistes tant votre style. Votre angélisme multiculturel, celui des militants du droit d'asile, mais aussi celui des patrons qui emploient "ingénument" les sans-papiers, cette fausse générosité dégoulinante prépare de nouveaux Liban, de nouveaux Rwanda, de nouveaux Kosovo... ici, chez-vous, dans votre quartier, dans l'école de vos enfants, dans votre confort devenu champ de bataille. Et sur les ruines fumantes, quand les indigents se seront bien entretués, les nouveaux Kouchner, les héritiers de Glucksman et de BHL, viendront gloser sur la barbarie, avec des mines faussement contrites. Ils refourgueront leurs belles idées, aussi criminelles que lucratives, leurs entourloupes, leurs paroles aguichantes, toutes leurs facéties de maquereaux de la misère humaine.



Libre à vous de croquer à leur tapinage, si vous vivez encore. Moi, je n'en mange pas.



(1) http://stalker.hautetfort.com/archive/2008/05/17/bruler-la-sorciere-par-jean-gerard-lapacherie.html



Des milliardaires

« On ne prête qu‘aux riches » dit le proverbe. Voilà sans doute ce qui explique que le nombre des grandes fortunes a considérablement augmenté ces dernières années. Profitant du climat néo-libéral ambiant, ceux qui ont de la fortune investissent dans des secteurs rentables, non sans dédaigner au passage les aides d’état et tout en profitant des exemptions d’impôts. Résultat : en 2006, le nombre de millionnaires (en dollars) avait augmenté de 8,3 %. Quant aux milliardaires, ils sont passé de 209 en 1998 à 1 125 dix ans plus tard.

Nous sommes contents pour eux, assurément. Les chômeurs, les pensionnés, les bénéficiaires du RMI et tous les salariés qui gagnent moins de 2000 euros par mois (ce qui fait déjà pas mal de monde)regardent ces chiffres d’un air médusé. « Mais comment font-ils » ? Telle est assurément la question qu’ils se posent. La presse, de son côté, ne se fait pas prier pour relayer ces informations qui tendent à prouver que tout va bien dans le meilleur des mondes et que pour celui qui le veut vraiment, l’avenir est non seulement assuré mais même franchement radieux. Donc, amis lecteurs, si comme moi vous ne faites pas partie des heureux élus qui doivent à leur audace et à leur intelligence d’avoir réussi, c’est que vous appartenez au club des perdants, autrement dit des nuls et des fainéants. Car derrière ce discours (et c’est ce qui est finalement agaçant), le pouvoir nous fait la morale pour nous dire que si nous stagnons dans notre médiocrité, c’est bien de notre faute. Nous n’osons pas entreprendre et nous nous contentons de nos petites heures salariées (35, 36 ou 38 selon les pays).

Les vrais gagnants, eux, se sont lancés dans l’aventure en retroussant les manches et voilà le résultat : ils sont devenus milliardaires comme beaucoup d’autres. Cette manière de culpabiliser les vaincus est vieille comme le monde. Les seigneurs du Moyen Age, déjà, renforçaient leur pouvoir sur les serfs (dont en fait ils tiraient tous leurs revenus) en les méprisant pour le fait qu’ils n’osaient pas, comme eux, enfourcher un rapide destrier et pratiquer le jeu de la guerre. La noblesse a continué ce type de discours en revendiquant une supériorité intrinsèque (génétique et culturelle)et aujourd’hui, ma foi, cela continue. Comme l’Eglise catholique nous a appris pendant deux mille ans que nous étions fondamentalement coupables (le simple fait d’être né homme ou femme est déjà en soi une faute impardonnable, au point qu’on se dit qu’au aurait mieux fait de venir dans la peau d’un chien), nous sommes finalement tout disposés à croire à notre infériorité. Aujourd’hui donc, à l’ère néo-libérale, si nous ne sommes pas riches, c’est donc bien de notre faute. Il nous reste la consolation de regarder ceux qui le sont devenus et d’envier leur niveau de vie.

De plus, point de racisme chez les nouveaux riches. Dans cette nouvelle caste que constitue les « gagneurs », on ne regarde pas à la couleur de la peau, preuve supplémentaire de leur bonne moralité. Ainsi quatre des personnalités les plus riches de la planète sont indiennes. Il y a aussi des Russes, des Turcs, des Polonais et des Brésiliens, bref des étrangers qui se sont montrés plus habiles que nous. Il est loin le temps où nos grands-parents regardaient de haut les Polonais ou les Italiens qui venaient travailler dans nos mines. Aujourd’hui, en cette période démocratique, il y a égalité pour tous. Le droit de s’enrichir appartient autant à l’Africain qui se fait repêcher au large des Canaries sur une épave qu’à l’actionnaire principal du groupe Suez (même si je n’ai pas vu beaucoup d’Africains réfugiés politiques sur cette liste de milliardaires, allez savoir pourquoi). La belle époque que la nôtre.

La mode n’est plus de faire fortune dans le pétrole (cela tombe bien, je n’en ai pas trouvé dans le sous-sol de mon jardin)mais plutôt de se transformer en « barons voleurs » de la finance, des médias, de l'immobilier et des nouvelles technologies. La recette ? Fréquenter les grandes écoles, tisser une toile de relations utiles et ne pas négliger l’appui familial. Quelques relations politiques ne nuisent jamais non plus, surtout si vous êtes assez influent pour faire adopter des lois qui seront en votre faveur. Car nos politiciens sont tout disposés, semble-t-il (ceux de gauche comme ceux de droite) à solder les avoirs publics (les biens que l’Etat avait achetés autrefois avec vos impôts)pour les faire passer dans le secteur privé, lequel ne pourra que mieux les gérer, c’est bien connu (on l’a vu dans les pays où les secteurs du gaz et de l’électricité ont été privatisés : cela s’est traduit par une augmentation des factures de 30 %, preuve que l’Etat est bête puisqu’il aurait pu ainsi s’enrichir et qu’il ne l’a pas fait. Tant pis pour lui).

A côté de cela, nos dirigeants élus le plus démocratiquement du monde déréglementent la finance et se laisse convaincre par les barons du capital. On supprime les règles existantes et on s’en remet au marché, seul capable, paraît-il, d'organiser équitablement la répartition des richesses.

Evidemment, pour récompenser les nouveaux riches qui ont osé entreprendre, les tranches supérieures d'imposition sur les revenus sont divisées par deux, parfois par trois. C’est normal. A quoi bon travailler si c’est pour donner tout son argent à l’Etat ? Les ciseaux à surtaxe, comme disait Léo Ferré, c’est bon pour les salariés ordinaires, ces fainéants qui vivent dans la routine, ces idiots qui n’ont pas encore compris que pour être en haut de la hiérarchie il ne faut pas hésiter à écraser les autres.

Car le nouveau principe, c’est l’inégalité. Il aura fallu un travail de sape des intellectuels pendant des années pour faire admettre ce nouveau principe. Plus question de protection sociale, fini l’Etat providence (n’êtes-vous pas honteux de vivre comme des assistés ?), finie l’époque de la retraite paisible (Comment, vous voulez arrêter le travail à 65 ans, en pleine possession de vos moyens, alors que vous pourriez mettre votre expérience au profit des plus jeunes, qu’il faut former ?) avec une bonne pension (si vous n’avez pas pensé à vous constituer une pension privée, autrement dit à vous démunir d’un tiers de votre salaire au profit des banques, alors ne venez pas pleurer : l’Etat ne vous donnera que le strict minimum car ce n’est pas son rôle de vous entretenir). Quoi, vous voulez bénéficier de la sécurité sociale ? Mais vous n’y pensez pas. Cela suppose des impôts au préalable or il n’est pas question d’aller taxer nos entreprises, déjà si peu compétitives. Comment pouvez-vous tenir des propos aussi inciviques ?

Mais rassurez-vous, si vous n’êtes pas riches, vous pourrez au moins contempler ceux qui le sont. Regardez comme ils sont généreux : ils édifient des musées, signent des chèques aux artistes, vaccinent les enfants africains, bref, il n’y a pas plus utiles qu’eux. Grâce à quelques gestes philanthropiques, ils assoient définitivement leur position de maîtres du monde. Manière sans doute de nous faire oublier que ce sont eux qui imposent les bas salaires et le chômage, qui décident d'investir ici et de restructurer là. Eux encore qui ne font que spéculer sur le prix des produits alimentaires les jours où la Bourse rapporte moins (mais aussi, pourquoi pas, les jours où la Bourse rapporte beaucoup) Eux toujours qui développent un mode de consommation peu soucieux du respect de l’environnement. Ils s’en moquent, avec l’argent qu’ils ont économisé, ils pourront toujours trouver une petite île du Pacifique pas trop polluée et moins touchée par les friches industrielles que le Nord-pas de Calais ou la Lorraine. On se demanderait d’ailleurs bien pourquoi certaines personnes s’obstinent à vivre dans ces contrées sinistrées… Probablement parce qu’elles n’ont pas assez d’argent pour aller s’établir sous des cieux plus cléments. Mais si elles n’ont pas d’argent, on vient de l’expliquer, c’est entièrement de leur faute, n’est-ce pas ? Elles n’avaient qu’à devenir milliardaires comme tout le monde, après tout, par les temps qui courent, c’est à la portée de n’importe qui.


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17/05/2008

Réponse à un sage qui se croit apolitique.

Suite aux remarques de Pierre Damiens, voici ma réponse:


Cher Monsieur, vous me présentez comme un idéologue victime de ses a priori. Sachez tout d’abord que je ne suis d’aucun parti, si ce n’est du mien et que je trouve regrettable qu’on ne puisse défendre le sort de ses contemporains (d’un point de vue disons humaniste et social) sans se voir aussitôt taxé de marxiste ou de communiste primaire. De tels reproches sont un peu faciles et tendent à prouver que les œillères ne sont pas du côté que vous dites.

Vous affirmez que vous vous situez au-delà du clivage gauche-droite et que des questions comme celles de l’identité culturelle, de la Nation ou de la souveraineté « transcendent les clivages politiques classiques. » Sans doute. Mais le fait d’insister sur ce point (revendiquer votre neutralité) tout en me reprochant d’avoir une vision de gauche (attitude qui, de votre point de vue, semble confiner à la bêtise), tend déjà à prouver que vous n’êtes pas si neutre que cela. Vos critiques répétées à l’encontre de la gauche et vos remarques mesurées envers la droite vous positionnent d’office dans un camp. Et ce n’est pas moi qui vous classe dans ce camp, c’est vous qui le faites vous-même.

Certes, en philosophant d’une manière que vous présentez comme objective, vous croyez sortir des sentiers battus. Mais cette défense systématique de l’intégrité de la Nation vous classerait au mieux du côté d’un gaullisme de bon aloi, au pire du côté d’une droite très très à droite.

Si je m’exprime de la sorte, vous allez me reprocher une nouvelle fois d’établir des catégories commodes. Permettez-moi tout simplement d’être sur mes gardes et de me méfier de ces loups qui se disent aussi blancs que les brebis qu’ils s’apprêtent à manger.

Vous dites « toujours jauger une idée en fonction de ses effets, non de ses intentions. » Attention tout de même. Il est toujours bon de connaître l’intention première, même si celle-ci ne donne pas toujours l’effet escompté. Prenons un exemple sur lequel, je crois, nous tomberons d’accord : celui de la guerre en Irak. Sous prétexte de terrorisme et d’armes de destruction massive, l’Amérique s’est engagée dans une guerre dont elle ne voit pas la fin. Fallait-il prendre pour argent comptant la version de l’administration Bush et engager la France dans un conflit qui n’était pas le sien ? Chirac aurait-il dû suivre aveuglément et attendre ensuite les effets pour les analyser ? Non, bien sûr.

Alors, lorsque vous vous targuez de penser plus librement que moi, je vous en félicite, bien entendu, mais je vous donne cependant ce conseil : ne soyez pas trop naïf et n’attendez pas toujours les conséquences d’une action pour savoir si vous deviez être d’accord ou non avec elle.

En fait, ce conseil est un peu ironique, je l’avoue, et je vois bien que lorsque vous êtes confronté à une idée émanant de ce que vous considérez comme la gauche, je vois bien, dis-je, que vous n’attendez pas longtemps avant de prendre position.


Vous me reprochez «l'hémiplégie de mon sens critique », ce qui est un peu dur à entendre. En gros, je percevrais clairement ce qui se trame dans « les officines qui mènent le monde » tout en faisant leur jeu.

Je ne vois pas en quoi je contribue à faire leur jeu en dénonçant leur action et en levant un coin du voile sur l’abrutissement des masses par les médias (voir mes propos contre Ockrent). En fait, nous tombons d’accord pour fustiger la mondialisation, qui appauvrit culturellement nos sociétés occidentales (et toutes les autres d’ailleurs), mais quand je regrette qu’elle appauvrit aussi les citoyens sur le plan économique, vous prenez vos distances en me taxant de gauchiste. Et quoi ? Vous voulez me faire porter la statue de Jeanne d’Arc avec les adeptes du Front national et m’obliger à ne parler que de la grandeur de la France ? « Travail, famille, patrie », telle est votre devise ? Non, je ne vous ferai pas cette injure. D’ailleurs vous réfuteriez mes propos aussitôt puisque vous vous dites apolitique.

Mais ce qui m’intéresse, moi, ce sont les gens, beaucoup plus que l‘idée abstraite de patrie. Je vais vous surprendre, mais un de Gaulle, dont je pourrais en fait dire autant de mal (la grandiloquence du personnage, son mépris aristocratique envers la « chienlit » de mai 68, etc.) que de bien (son rôle exemplaire pendant la guerre, qui a empêché que la France ne soit démantelée par le vainqueur : les départements du N et du N-E devaient former un nouvel état tampon avec le Benelux), peut me séduire quand il affirme qu’il faut noyer le communisme dans le bien-être de tous. Autrement dit, en faisant bénéficier tous les citoyens de la reprise économique et pas seulement quelques-uns, il se montrait digne d’être un chef d’état, beaucoup plus, en tout cas, que les tenants du néolibéralisme actuel, qui ne travaillent que pour les intérêts de quelques-uns. Donc, même si de Gaulle veut par ce moyen combattre le communisme qu’il exècre à peu près autant que vous (visée politique, donc), au moins offre-t-il aux gens une alternative intéressante (vous le voyez, je juge sur les effets, non sur les intentions).

Donc, pour revenir à la mondialisation, ce qui me dérange dans cette affaire, c’est moins le mélange des cultures (même si comme vous je suis fort attaché à la mienne) que le fait d’ériger le commerce (ce vol organisé des plus faibles) en modèle de société. Des mélanges (culturels ou raciaux) il y en a toujours eu. N’en sommes-nous pas les premiers héritiers avec la civilisation gallo-romaine ? J’en profite d’en être arrivé là pour répondre à certaines de vos remarques qui m’ont fort dérangé.

Si je vous ai parlé des « hordes germaniques abruties », ce n’est pas en fustigeant une race particulière, comme vous semblez le croire, mais un état de développement. Ces peuples germaniques, Duby, que j’ai bien lu, nous le montre fort bien, en étaient au stade du pillage organisé pour subvenir à leurs besoins. Nous avons donc affaire à des chasseurs cueilleurs évolués qui trouvent dans la rapine la réponse à leurs besoins de subsistance. Je n’ai porté sur ce point aucun jugement de valeur, me contentant de dire que l’Occident avait bien dû subir ce fléau et l’assimiler avant de se redresser.

Quant au monde arabe, je vous trouve bien prompt à le fustiger. Bien sûr que je connais Constantinople et son héritage gréco-latin. Brillante civilisation particulièrement malmenée par nos croisés, soit dit en passant (ce que vous semblez oublier). Quant aux Turcs je vous ferai remarquer qu’ils ne sont pas de race arabe. Quant à la renaissance carolingienne, elle s’appuie essentiellement sur les moines irlandais, dignes héritiers des ecclésiastiques qui avaient fui la Gaule avec leurs livres lors des invasions germaniques. Charlemagne, on le sait, voulait relever le niveau intellectuel de son clergé et il est allé puiser à la source auprès de ceux qui avaient conservé un latin digne de celui de l’Antiquité.

Clichés les inventions arabes ? Même si ces peuples ont emprunté à d’autres les découvertes dont on leur attribue la paternité, au moins ont-ils servi à rassembler les connaissances et les ont-ils transmises à leur tour. Et vous ne pourrez nier que la civilisation de Al Andalûs ait atteint un haut degré de raffinement. Vous ne pourrez pas nier non plus que la philosophie et la médecine grecques aient été assimilées par le monde arabe. Voir dans la proclamation de cette vérité une stratégie manigancée par les antiracistes vous classe irrémédiablement dans une certaine catégorie de penseurs, celle de ceux qui aiment tenir des discours qui vont à l’encontre des idées reçues (ce qui n’est pas mauvais en soi, je l’ai déjà dit) dans le seul but de discréditer une nation qui ne leur est pas sympathique. Je ne vous accuse pas de racisme, loin de là, mais on dirait que votre acharnement à valoriser l’Occident et la France vous pousse à nier l’évidence, à savoir que d’autres peuples ont pu, à certaines époques, détenir eux aussi une culture enviable et non négligeable. Vous ne citez d’ailleurs jamais Averroès, dont les commentaires sur l’œuvre d’Aristote ont eu une influence majeure tant en Andalousie que dans le reste de l’Europe. En effet, par sa synthèse de la philosophie aristotélicienne et de la foi musulmane, il a tenté non seulement de concilier le domaine de la foi et celui de la raison, mais il a aussi contribué à répandre les cultures grecques et arabes en Occident. Mal vu dans son propre camp, c’est à ses traducteurs juifs qu’il doit d’avoir influencé le scolastique occidentale. Il a été traduit notamment par Michael Scot (à ne pas confondre avec Scot Erigène) Vous ne citez pas davantage Avicenne, dont acte.

Mais revenons à une période plus récente. Vous dites que selon moi «il y avait de bons motifs pour être communiste jusqu’en 1956, tandis qu’il n’y avait que de mauvaises raisons pour être fasciste ». D’abord je répondrai qu’il n’y jamais aucune bonne raison pour devenir fasciste. Ensuite, je préciserai qu’il y avait chez beaucoup une aspiration à une justice sociale qui croyait avoir trouvé dans le communisme une voie royale. Hélas, l’espoir se transforma vite en dictature. Les plus intelligents le virent à temps. Lisez ou relisez « Faux Passeports » de l’avocat wallon Charles Plisnier (prix Goncourt 1937) et vous aurez tout compris. Par ailleurs, c’est un peu lassant de toujours s’entendre dire qu’il ne faut pas avoir d’idées sociales puisque de toute façon celles-ci sont toujours récupérées par des personnes malintentionnées. Vaut-il mieux avoir des idées réactionnaires ?

Où avez-vous lu que je prône la dictature du prolétariat ? C’est votre seule peur qui vous fait parler ainsi, mais ce faisant vous vous trahissez. Vous n’êtes ni de droite ni de gauche ? En tout cas on a compris que vous n’étiez pas à gauche.

Personnellement, je ne colporte pas « des bobards visant à disculper les compagnons de route du PCF, ce temple légal de l’idéologie la plus criminelle à ce jour ! » Il y aurait beaucoup à dire sur le PCF, y compris dans son action en Espagne, où sa présence visait moins à combattre le fascisme qu’à éliminer les anarchistes présents sur le terrain (lire Michel Ragon, « La gloire des vaincus »)..

Pour la « grotte de Nouméa » il fallait évidemment lire « grotte d’Ouvéa », merci de le faire remarquer. Mais je ne sais pas où vous en déduisez que j’approuve plus le rôle de Mitterrand que celui de Chirac. D’abord il est évident qu’ils étaient d’accord tous les deux pour donner l’assaut, mais disons que Mitterrand a fait porter le chapeau à son rival politique. Dans cette affaire, je dis simplement que celui qui a opté pour le dialogue a obtenu de meilleurs résultats, peu importe son appartenance politique. Les Russes ont bien donné l’assaut d’un théâtre moscovite occupé par des Tchétchènes et ce fut une boucherie sans nom. Je ne vais quand même pas les approuver pour cela. Vous par contre, vous devriez, puisque vous vous félicitez par ailleurs de l’action « brutale mais néanmoins efficace des forces de l’ordre » à Ouvéa.


« Je pourrai rectifier ainsi toutes vos erreurs », dites-vous ailleurs. Vous me faites peur, on dirait un commissaire du peuple qui parle.

Par ailleurs, vous ne vous sentez pas coupable de l’esclavagisme, du colonialisme et des guerres qui ont émaillé notre Histoire. Mais moi non plus, à vrai dire. D’ailleurs mes ancêtres n’ont tiré aucun profit de ces événements dont ils ont été les victimes (guerre 40). Cela ne m’empêche pas de fustiger le colonialisme tout en sachant le remettre dans le contexte de l’époque car il est trop facile de condamner sans chercher à comprendre.

Quant à cette culture reçue en héritage et que vous défendez, votre attitude vous honore, certes et je vous suis dans cette voie, contrairement à ce que vous pourriez croire. Je suis même peut-être plus réactionnaire que vous sur ce sujet, allant jusqu’à défendre l’apprentissage de la culture classique (latine et grecque). Que voulez-vous, nul n’est parfait. Je précise tout ceci pour vous montrer qu’on peut défendre le peuple et la démocratie sans pour cela approuver la culture de masse qu’on nous impose de plus en plus. Je suis au contraire d’une grande exigence en matière d’enseignement et je déplore que les gouvernements de gauche n’ont fait que de la démagogie en abaissant le niveau des études sous prétexte de les démocratiser. Il eût fallu continuer à être exigeant tout en permettant à chacun de fréquenter l’école.

Voilà une opinion peu démocratique, que vous allez évidemment me reprocher, puisque seuls les bons élèves des classes défavorisées auront la chance d’obtenir un diplôme. Sans doute, mais en abaissant le niveau de l’enseignement, aucun jeune issu d’un milieu culturellement modeste n’aura la moindre chance de progresser. Notez en passant qu’un marxiste verrait dans mon point de vue une position scandaleuse : permettre aux enfants du peuple d’accéder à la culture bourgeoise et les encourager à le faire. Vous voyez que je suis moins irrécupérable que vous ne croyez.

Cependant je reste démocrate et votre postulat selon lequel le métissage « devient un mode politiquement correct d’ethnocide lorsqu’il est organisé sur une grande échelle » me choque profondément, je ne le cache pas. Est-il vraiment organisé, d’ailleurs ? Qu’est-ce qui pousse tous ces gens à débarquer chez nous si ce n’est la misère endémique qui règne chez eux ? Le système économique que nos sociétés occidentales ont mis en place a encore renforcé leur précarité (et c’est là, assurément, un des points noirs du colonialisme que d’avoir éradiquer des modes de productions indigènes pour mettre en place un système agricole dont nous sommes les seuls bénéficiaires). Aujourd’hui, la mondialisation économique porte le coup de grâce à ces peuples que l’on pousse à s’endetter outre mesure dans le but soit disant de se développer (alors que ceux qui y arrivent sont immédiatement mis à la raison, par les armes s’il le faut).

Je ne me sens pas coupable de cet état de fait, mais permettez-moi au moins de le condamner violemment puisque c’est ma propre civilisation (du moins sa part diabolique) qui l’a produit. Accepter cette injustice, ce serait se faire honte à soi-même.

Mais revenons à votre problème d’immigration de masse, lié effectivement à la criminalité et à la névrose sécuritaire qui l’accompagne. Ce n’est pas une question de race qui est ici en cause mais une question de milieu social, économique et culturel et vous le savez bien. Le problème, le seul en fait, c’est que ces populations immigrées arrivent en trop grand nombre, ce qui provoque leur cantonnement dans des espèces de ghettos lesquels génèrent à leur tour la violence. Il faudrait donc limiter l’accès au territoire mais accueillir dignement ceux qui y sont entrés. Je vois par contre que le sieur Sarkozy qui s’est fait élire en grande partie sur des questions sécuritaires continue à approuver l’arrivée de nombreux réfugiés (avec l’approbation du patronat qui voit d’un bon œil l’arrivée de cette main d ‘œuvre bon marché) tout en reconduisant aux frontières d’une manière arbitraire ceux qui se sont déjà implantés en France.

La concurrence interethnique dites-vous ? N’est-ce pas plutôt d’une concurrence économique dont on nous rabat les oreilles sans arrêt ? N’est-ce pas celle-ci qui fragilise des pans entiers de la population, y compris autochtone, les poussant petit à petit en dessous du seuil de pauvreté ?

De votre côté vous semblez rejeter la solidarité individuelle pour ne pas cautionner le système même de l’immigration. Désolé, mais vous trompez de cible. Attaquez-vous plutôt à ceux qui cautionnent un tel système. Il est vrai que nos politiciens ont fait leur carrière la-dessus. La gauche y voit une réserve d’électeurs et se donne bonne conscience tandis que la droite joue sur la peur de l’étranger pour se faire élire et renforcer la répression, en premier lieu contre les Français de souche (selon l’expression consacrée).

Vous voyez la solution dans « la communion entre les générations d’un même lignage. » Hélas, mais n’est-ce pas notre mode de vie urbanisé qui a fait se dissoudre ce tissu familial ?La gauche y a contribué, préférant développer la solidarité de type syndical, la droite n’a pas fait mieux en imposant des normes économiques qui détruisaient les petites exploitations familiales au profit des grands ensembles.

Le consommateur ultime est un individu seul, en effet, qui tente d’échapper à sa solitude en achetant de plus en plus de produits par ailleurs complètement inefficaces pour résoudre son problème.

« Préserver son identité culturelle, non par peur, non par égoïsme, non par frilosité, mais par amour des siens » Pourquoi pas ? Mais cela implique-t-il le rejet d’autrui ? Vous prônez la biodiversité humaine. J’espère que ce n’est pas pour rester bien à l’abri dans votre culture occidentale et conserver quelques peuplades bien typées aux quatre coins de la planète pour vous offrir un peu d’exotisme de temps à autre ? Non, je ne vous sens pas de cette trempe-là. Je vous vois en réel voyageur et je veux bien croire que vous avez essayé de comprendre les coutumes d’autrui sans vouloir à tout prix les incorporer. Si vous respectez ces différences, c’est déjà beaucoup.

« Ce qui m’a toujours ouvert les portes, jusque dans les recoins les plus improbables de notre vaste monde, c’est d’avoir toujours assumé mes origines, de n’avoir jamais singé les coutumes locales que je ne comprenais pas. » Cela ne me surprend pas et je vous crois sur parole. Mais ne peut-on être aussi « citoyen du monde » car l’homme est partout pareil, un drôle d’animal, en fait : homo homini lupus est.

« Ce n’est qu’en cultivant ses propres racines que l’on peut s’élever et peut-être parvenir, dans ses plus hautes aspirations, à rejoindre l’universel » Tout à fait. Comment pourrait-il en être autrement ? Mais à la condition, cependant, de ne jamais mépriser les autres civilisations en se croyant supérieurs.

Ceci dit, il reste le problème de certaines coutumes qu’il nous est difficile d’absoudre (mutilations sexuelles, lapidations, etc.) Lévi-Strauss lui-même se demandait parfois s’il avait le droit de porter le regard neutre du scientifique sur certaines des coutumes qu’il étudiait.

Voilà, ce fut un plaisir de dialoguer avec vous. Dommage que vous ayez tendance à porter le débat sur le plan personnel plutôt que d’en rester au plan théorique des idées. Nous échangeons des concepts auxquels nous croyons. Une chose est de tenter de prouver que ceux de l’adversaire sont faux, une autre est de critiquer l’adversaire lui-même. Cela aussi s’appelle le respect et devrait être une attitude universelle.

En réponse à ceux que l'altérité répugne (par Pierre Damiens)

Suite à l'article qui précède, Pierre Damiens a donné sa réponse (dans les commentaires et par courriel). Je la redonne ici, pour ceux qui ne l'auraient pas lue. J'ai juste modifié mon nom en le remplaçant par mon pseudo, comme il est de coutume sur ce blogue qui est le mien.

En réponse à ceux que l'altérité répugne (texte adressé au Stalker le 7 mai 2008, en réponse à l'article http://stalker.hautetfort.com/archive/2008/05/03/de-la-peur-que-certains-eprouvent-face-a-une-societe-reponse.html.)

J’apprécie la persévérance avec laquelle vous avez cherché à me répondre. Pascal, dans ses Provinciales, disait « J’ai été long parce que je n’ai pas eu le temps de faire court ». Je vais donc essayer de répliquer sans trop me disperser.

Il me faut tout d’abord préciser que vous déformez trop souvent mes propos, usant d’approximations (« colonialisme » pour « esclavagisme », « immigration » pour « métissage »…) et que vous cherchez par là à caricaturer mes idées afin de les faire entrer de force dans vos gabarits idéologiques. Vous vous référez en permanence aux notions de « droite » et de « gauche ». Convenez que je n’utilise que rarement ces termes, fourretouts commodes mais dépourvus de toute pertinence pour les sujets qui nous intéressent ici. En effet, les questions d’identité culturelle, de Nation, de souveraineté, et de submersion de ces notions dans le maelstrom de la mondialisation, transcendent les clivages politiques classiques. Il y a des nationalistes et des souverainistes de gauche, des mondialistes de droite (ils sont légion !), ou des racistes socialistes (l’essence même du fascisme). Il y a surtout des opportunistes et des idéalistes. Et si Césaire est un métis, c'est bien de ces deux dernières espèces qu'il tire sa filiation. Mais puisque le vieux pape du ressentiment n'était qu'un prétexte à notre échange, poursuivons sans lui.

Vous ne me verrez jamais prendre une position partisane lorsqu’il s’agit de juger un fait, un évènement ou un homme. En revanche, j’applique fidèlement la règle suivante : toujours jauger une idée en fonction de ses effets, non de ses intentions, et considérer un homme à l’aune de la cohérence entre sa pensée, ses paroles et ses actes. C’est en cela que nous divergeons fondamentalement, et c’est pour cela que je peux penser plus librement que vous. A titre d’exemple, j’utilise le terme de « bourgeois » pour son acception littérale, tandis que vous y entendez immanquablement une connotation marxiste.

Mon premier regret, quand je lis votre prose, c’est l'hémiplégie de votre sens critique. A quoi bon, monsieur Feuilly, étaler votre connaissance des officines qui mènent aujourd’hui réellement le monde, tandis que les gouvernements démocratiques ne sont plus qu’un théâtre de marionnettes, si c’est pour rabâcher les poncifs avec lesquels l’intelligentsia mondialiste étend subrepticement son pouvoir ???

A quoi bon vous « insurger » contre ma prétendue lecture ethno-raciale du monde si vous nous resservez l’antienne des hordes germaniques abruties, que la lumière arabe aurait extirpées de la barbarie ??? Avez-vous entendu parler de Constantinople, monsieur Feuilly ? Vous savez, l’empire romain d’Orient, celui qui a préservé l’héritage gréco-latin jusqu’à son anéantissement par… les Turcs !!! Savez-vous, monsieur Feuilly, que les moines de Gaule, puis de France, ont reçu des monastères byzantins les écrits des philosophes grecs ? Relisez donc Georges Duby et Pierre Riché… Allez au musée du Moyen-âge, dans l’Hôtel de Cluny… vous y verrez les vestiges, bien peu mis en valeur (la mode est à l’exposition de valises en carton…), de ce qu’il faut bien appeler la renaissance carolingienne. Les clichés sur les inventions arabes, le zéro (découverte indienne), la boussole (trouvaille chinoise, comme les cartes), les étriers (les musées d’antiquités romaines en regorgent), l’astronomie (pratiquée par tous les peuples antiques), la médecine (Hippocrate était-il arabe ???) sont des sornettes. Sans parler des philosophes chrétiens syriaques, un peu vite convertis à l’Islam par nos champions de l’antiracisme !

Vous prenez encore de drôles de libertés avec l’Histoire lorsque vous nous narrez par le menu l’épopée du totalitarisme rouge. Ainsi, selon vous, il y avait de bons motifs pour être communiste jusqu’en 1956, tandis qu’il n’y avait que de mauvaises raisons pour être fasciste. «Les purges staliniennes et le goulag n’étaient pas connus comme ils l’ont été par la suite… », dites-vous pour toute justification ! Ainsi, faudrait-il reprocher aux collaborationnistes d’avoir sous-estimé l’ampleur du phénomène concentrationnaire national-socialiste, mais cependant absoudre les communistes d’avoir ignoré les crimes du stalinisme ! Pourtant, les « purges » staliniennes ont débuté dès 1924… et elles ont fait au bas mot vingt millions de victimes ! Et tout cela avait été dit, écrit, dès les années trente... Les invités de l’Intourist eux-mêmes avaient tenté de percer le silence, mais ils n’ont récolté que l’opprobre et la censure (voyez Gide et son Retour d’URSS). Vous nous expliquez que, s’il est condamnable de coopérer avec les allemands en 1944 (sous la contrainte d’une armée d’occupation et sous la menace du sort réservé à 1 million et demi de prisonniers…), il est en revanche acceptable de continuer à prôner la dictature du prolétariat, alors que même l’URSS se déstalinise !!! Mais si les crimes du communisme ont été jusqu’ici méconnus, monsieur Feuilly, ce n’est que parce que leurs complices régnaient jusque dans les années 70 sur la sphère intellectuelle française, et que leurs héritiers sévissent encore ! Alors de grâce, ne vous dites pas humaniste si vous continuez à colporter des bobards visant à disculper les compagnons de route du PCF, ce temple légal de l’idéologie la plus criminelle à ce jour ! La vision du monde national-socialiste hiérarchisait les hommes en fonction de leur race ; le communisme les oppose en fonction de leur classe. Quand les fascistes dénonçaient leurs voisins juifs, les komsomols dénonçaient leurs propres parents ! Je ne vois pas en quoi il s’agirait d’un moindre mal… Votre humanité est-elle à géométrie variable ?

A propos d’un passé plus proche, vos œillères idéologiques vous masquent encore la complexité des problèmes que vous évoquez. Ainsi, lorsque vous faites allusion à la « grotte de Nouméa » pour dire en substance que « Chirac = tueur de kanaks » et « Mitterrand = retour à la paix », vous sombrez dans l’erreur mensongère. Tout d’abord, il n’y a pas de grotte à Nouméa, ville que je connais bien. Il en a une à Lourdes, mais votre cas n’est pas si désespéré, et une autre à Ouvéa, une des Iles Loyautés. C’est cette dernière qui a été le théâtre de l’opération Victor le 5 mai 1988. Cette action des commandos français a été menée contre les preneurs d’otages indépendantistes, lesquels détenaient 22 prisonniers (dont un procureur de la République). Auparavant, ils avaient tué quatre gendarmes à coups de machette à Fayaoué, sous les yeux de leurs épouses qui ont ensuite été violées. Or, l’intervention brutale (mais néanmoins efficace) des forces de l’ordre a été décidée, en pleine cohabitation, conjointement par François Mitterrand (constitutionnellement le chef des armées) et son premier ministre (responsable de la politique de défense), après l’échec des tentatives de négociations (lesquelles se sont soldées par la capture des six émissaires du gouvernement). Ce que vous ne discernez pas, dans cette triste affaire, c’est qu’encore une fois les hommes de terrain et la population ont fait les frais d’une conduite politique calamiteuse. La Nouvelle-Calédonie a été la victime des manipulations politiciennes sur fond de campagne présidentielle : le PS instrumentalisait le FLNKS (Front de Libération National Kanak Socialiste) pour faire échouer la politique de Bernard Pons (ministre RPR), tandis que Chirac manigançait avec Lafleur pour conserver une majorité gaulliste sur le « Cailloux ». Au bilan, des dizaines de vies ont été sacrifiées pour de petits calculs électoraux. Les Kanaks n’en sont d’ailleurs pas dupes, et ont célébré leur réconciliation avec les gendarmes il a maintenant dix ans, loin des regards des criminels en col blanc.

Je pourrai rectifier ainsi toutes vos « erreurs », mais allons à l’essentiel. Vous lâchez le morceau en disant : « On sent précisément que vous n’êtes pas disposé à vous sentir coupable » ! Hé bien non, en effet ! Pour une fois vous ne vous égarez pas ! N’étant coupable de rien, en tout cas pas des crimes que vous m’imputez héréditairement, je ne me sens pas condamnable le moins du monde. Mais à la différence de madame Dufoix, je ne suis pas coupable parce que pas responsable, sauf à prétendre qu’une communauté puisse collectivement avoir à répondre des méfaits d’une partie infiniment minoritaire de ses ancêtres. Si cela était votre avis, monsieur Feuilly, vous seriez le digne disciple d’Alfred Rosenberg et de Martin Bormann ! Hé oui, monsieur Feuilly, je me sens parfaitement dédouané de ce qui m’est ici sournoisement reproché : l’esclavagisme, le colonialisme (positif ou non !), les guerres qui ont émaillé notre Histoire… La logique d’une procédure inquisitoire est de toujours chercher à qui profite le crime… Elémentaire mon cher Feuilly… Or, si crime il y a, je n’en ai pas touché le moindre dividende. A l’heure où Aimé Césaire pavanait sous les lambris de la république, mes aïeux trimaient à la mine, aux champs, ou dans les futaies de notre beau pays. Des générations qui m’ont précédé, je n’ai hérité d’aucune rente, d’aucun privilège, d’aucune richesse, si ce n’est d’une culture et d’un patrimoine national. Celui-là même que l’on prétend aujourd’hui diviser, démembrer, partager avec la terre entière… Or, monsieur Feuilly, ce bien là ne nous appartient pas, nous ne pouvons pas en disposer comme bon nous semble, car les générations à venir en sont autant que nous les légitimes bénéficiaires.

Ma conception du monde, que vous toisez du haut de vos bons sentiments, postule que chaque peuple participe à sa façon à l’aventure humaine, et que, si le métissage n’a rien d’aberrant à l’échelle individuelle, il devient un mode politiquement correct d’ethnocide lorsqu’il est organisé sur une grande échelle, comme c’est le cas aujourd’hui. Je vous mets d’ailleurs au défi de me citer un seul exemple de société multiraciale qui ne soit pas en proie à une criminalité de masse et à la névrose sécuritaire qui l’accompagne toujours. Le Brésil, l’Afrique du Sud, les Etats-Unis d’Amérique battent tous les records en ce domaine. Et nous ne tarderons pas à les rattraper. Cela non pas parce que telle ou telle race est plus criminogène que telle autre, mais parce que le déracinement, le regroupement communautaire, la concurrence interethnique vouent immanquablement les utopies multiculturelles aux échecs les plus sanglants. Les billevesées sur « tous des immigrés, tous nomades » sont les slogans d’une propagande odieuse que vous reprenez sans même en comprendre la portée. Un individu isolé n’est qu’un modèle théorique, et les solidarités naturelles, celles du sang, de la filiation, de la communion entre les générations d’un même lignage, sont des ciments sociaux irremplaçables. L’individu déraciné, déculturé, est par définition fragile, malléable, vulnérable, c’est à cet égard qu’il est devenu l’homme idéal que les magnats de la finance rêvent d’élever en batterie. Il est, en effet, le consommateur ultime, l’homo consumens absolu : sans patrie, sans racines, sans famille, il est contraint de tout acheter, même l’amour.

L’Amour, voilà le mot juste. Etes-vous capable, monsieur Feuilly, de concevoir qu’on veuille préserver son identité culturelle, non par peur, non par égoïsme, non par frilosité, mais par amour des siens, lequel n’est pas exclusif. J’ai déjà pas mal bourlingué savez-vous… et ce qui a constitué l’attrait de mes périples, plutôt que de beaux paysages, c’est de découvrir un véritable « ailleurs », lequel n’est que le parèdre d’un véritable « ici ». La biodiversité que nos écolos sacralisent lorsqu’il s’agit de plantes ou de batraciens, j’en étends l’impérieuse nécessité à l’homme. L’espoir de l’humanité réside non pas dans un modèle unique et standardisé de bipède, mais dans une infinie diversité. Cette altérité que j’ai rencontrée, loin de me faire peur, elle me renforce. Ce n’est qu’au contact des autres peuples que j’ai commencé à comprendre ce que c’est que d’être français et européen. Je n’ai pas la prétention d’avoir percé les secrets des cultures et des civilisations que j’ai côtoyées. Loin de là. La cérémonie du kava des mélanésiens, le bwiti d’Afrique équatoriale, les prières psalmodiées du bouddhisme sud-asiatique me resteront à jamais hermétiques. Mais j’ai toujours respecté ces pratiques lorsqu’elles étaient l’affirmation d’une tradition authentique, originale. Elles deviennent en revanche ridicules et méprisables lorsque le modernisme de bas étage les transforme en folklore pour touristes ou en survivances communautaristes pour ghettos. Et, cela va sans doute vous surprendre, ce qui m’a toujours ouvert les portes, jusque dans les recoins les plus improbables de notre vaste monde, c’est d’avoir toujours assumé mes origines, de n’avoir jamais singé les coutumes locales que je ne comprenais pas, de n’avoir jamais joué au « citoyen du monde ».

C’est en étant soi-même que l’on est respecté des autres, et qu’en définitive, on se respecte aussi. C’est en assumant ses responsabilités envers son prochain, avant d’imaginer des solidarités lointaines, que l’on est un homme digne de ce nom. Cela, tous les peuples que l’individualisme n’a pas encore contaminés le savent. Ce n’est qu’en cultivant ses propres racines que l’on peut s’élever et peut-être parvenir, dans ses plus hautes aspirations, à rejoindre l’universel.

Ecrit par : Pierre Damiens | 13.05.2008

16/05/2008

De la peur que certains éprouvent face à une société mutiraciale

Pour ceux que cela intéresse, je rappelle que tout a commencé ici, par un article que Pierre Damiens avait écrit sur le recyclage de la négritude lors du décès d'Aimé Césaire.
Moi qui avais déjà écrit quelques billets sur Césaire, (ici, ici et ici), j'avais réagi à ses propos, ce qui a donné lieu à quelques échanges de commentaires. Ensuite, à la demande de l'intéressé, j'ai répondu sur le site-même où son article avait été publié.

Pour ceux qui ne l'auraient pas lu, je le redonne ici:

Tout d’abord, en lisant l’article que vous consacrez à Césaire, je me suis dit que vous dénigriez un peu vite le combat mené par ce poète martiniquais. En fait, non seulement vous lui reprochez de n’avoir pas été très original là où il a tenté de faire quelque chose, mais surtout vous regrettez qu’il n’ait pas eu l’audace de pousser son combat jusqu’au bout. Surtout, vous vous servez du consensus actuel sur la mort de Césaire pour ramer à contre courant, ce qui n’est pas forcément une mauvaise chose en soi, pour autant cependant que le but ultime de votre raisonnement ne soit pas de revendiquer une société où les races ne se mélangeraient pas, ce qu’idéologiquement on ne pourrait tolérer.


Pourtant, derrière vos mots, on sent que le principal grief que vous portez à l’encontre de Césaire, c’est moins sa négritude que le fait qu’il ait revendiqué une double culture. Vous l’auriez préféré noir et sans complexe dans sa Martinique indépendante et vous de l’autre, blanc et cultivé, dans votre Hexagone. Mais l’idée qu’une zone intermédiaire puisse exister, où se mélangeraient les apports des uns et des autres, semble vous déranger au plus haut point. Cependant, pour y voir plus clair, reprenons au commencement.
Selon vous, Césaire, en revendiquant sa négritude, n’aurait fait que suivre l’air du temps, en l’occurrence la théorie nazie sur l’importance de la race. S’exprimer de la sorte, c’est déjà laisser planer un doute sur l’intégrité morale du personnage. En fait, il convient déjà de nuancer. Revenant de France où il a fait ses études, Césaire renoue avec son pays natal, qu’il redécouvre avec des yeux neufs. Il se rend compte alors que les postes importants dans l’île sont systématiquement occupés par les descendants des colons et jamais par la population de couleur. Le clivage est en fait surtout économique beaucoup plus que racial. D’un côté les descendants des maîtres et de l’autre les descendants des esclaves. D’un côté des exploitants et de l’autre des exploités. En bon dialecticien, il se dit qu’il y a là une injustice fondamentale et il va donc s’employer à prouver que cette population locale (qui est effectivement essentiellement de race noire) ne vaut pas moins que l’autre, qui la domine. Il va donc, en effet, revendiquer sa «négritude» dans ce contexte. S’il l’a fait, ce n’est certes pas pour ériger la supériorité de sa race sur une autre mais parce que dans le contexte colonial de l’époque on en était encore à devoir prouver que l’on n’était pas moins homme si l’on était noir. D’ailleurs, prudemment, vous parlez de «théoricien racialiste» pour qualifier son action.
Il n’en reste pas moins que selon vous il aurait été opportuniste et qu’il aurait profité de la décolonisation qui a suivi la guerre pour afficher son nationalisme. Evidemment. Il est clair que s’il était né cent ans plus tôt, il n’aurait pas pu dire ce qu’il a dit. Et s’il était né au dix-septième ou au dix-huitième siècle, au lieu d’être un diplômé des grandes écoles il aurait été un simple esclave portant sa chaîne. Va-t-on lui reprocher le contexte historique dans lequel il a vécu ? C’est un peu facile.
Mais vous ne vous arrêtez pas là, attaquant l’écrivain et dénonçant «la lourdeur de sa plume, la pauvreté de son inspiration et la redondance de ses thématiques». Ces propos n’engagent que vous. On peut être d’accord ou pas. Personnellement, je peux aimer Proust et vous, de votre côté, vous pouvez le détester ou l’inverse. J’avancerai mille arguments pour étayer mon point de vue et vous en aurez mille autres pour prouver que j’ai tort. C’est le genre de polémique un peu vaine dans laquelle il vaut mieux ne pas s’enfoncer. Je retiens simplement à ce stade que vous vous montrez très critique non seulement envers l’idéologue Césaire mais aussi envers l’écrivain. Quand on n’a pas la plus petite sympathie pour le sujet que l’on traite, on en arrive souvent à vouloir imposer ses idées envers et contre tout et sans tenir compte des faits.
Les faits, venons-y, justement. Vous signalez que sa révolte est bien modeste si on la compare à l’action menée par Fidel Castro. Cette dernière remarque politique n’est pas entièrement dénuée de fondement, Césaire n’ayant pas proclamé l’indépendance de son île. Mais c’était un poète, pas un homme d’action. Un homme de livres, qu’on imaginerait mal, comme Castro, débarquant les armes à la main. D’autres auraient pu le faire, cela n’a pas été le cas. Doit-on le reprocher à Césaire, qui a cependant ouvert la route ? En Nouvelle-Calédonie, par contre, il y a eu des actions plus dures qui ont été menées dans les années 1987-1988. C’était l’époque où Chirac et Mitterrand se présentaient à la présidentielle. Chirac a d’abord réprimé durement ces actions (massacre des Kanaks dans la grotte de Nouméa) puis ensuite Mitterrand, reconduit au pouvoir, a dédramatisé la situation en accordant plus d’autonomie. La révolte vers l’indépendance n’a donc pas abouti. Faut-il le regretter ou pas ? Dans votre logique, il le faudrait, si on tient compte des reproches que vous faites à Césaire sur la timidité de son action.
Vous signalez par ailleurs une chose très juste, mais que tout le monde savait déjà, à savoir que ce sont les deux vainqueurs de la guerre 40-45 qui ont plus ou moins obligé les puissances européennes à liquider leurs colonies dans le but, soit d’ouvrir de nouveaux marchés à leurs propres produits (USA), soit d’agrandir leur espace idéologique (Russie). C’est dans ce contexte de dépeçage des anciens empires coloniaux européens, dites-vous, que Césaire est approché par les communistes et qu’il devient membre du PCF. Sans doute. Mais c’est un peu facile de le présenter comme une simple marionnette dans les mains de Moscou. Une nouvelle fois, il faut savoir se remettre dans le contexte de l’époque et se rappeler l’importance que le PC avait prise aux yeux de la population dans le cadre de la lutte contre l’occupant fasciste. Vous me répondrez que la volonté de résistance du PCF a été un peu tardive et qu’il a fallu la rupture du pacte germano-soviétique pour qu’il se range résolument du côté de la Résistance. Je sais tout cela. Mais pour la population qui devait subir l’occupation et alors que le gouvernement légal de Vichy collaborait de manière honteuse, le PCF est apparu comme une des seules voies de salut, l’autre étant De Gaulle bien entendu. De plus, à l’époque, beaucoup mettaient encore tout leur espoir dans ce parti, qui disait travailler pour les pauvres, et les purges staliniennes et le goulag n’étaient pas connus comme ils l’ont été par la suite. Tout cela pour dire que pour tous ceux qui voulaient lutter contre l’oppression du fascisme, le PC représentait une solution crédible. Donc, pour revenir à Césaire, il se pourrait bien que les communistes l’aient approché, mais il n’avait pas besoin de cela pour pencher de ce côté. S’il voulait s’opposer aux colons qui dirigeaient l’île, il n’avait pas d’autre alternative. Laissez-lui au moins la possibilité de faire des choix par lui-même plutôt que de le représenter comme une simple marionnette sans consistance.
La preuve qu’il était bien autre chose que cela, c’est qu’il a rompu avec le PCF quand celui-ci a refusé de voir les crimes commis par Staline. Ainsi, dans une lettre qu’il adresse à Maurice Thorez le 24.10.56, il écrit :
«Quant au Parti Communiste Français, on n'a pas pu ne pas être frappé par sa répugnance à s'engager dans les voies de la déstalinisation; sa mauvaise volonté à condamner Staline et les méthodes qui l'ont conduit au crime; son inaltérable satisfaction de soi […]; bref par tout cela qui nous autorise à parler d'un stalinisme français qui a la vie plus dure que Staline lui-même et qui, on peut le conjecturer, aurait produit en France les mêmes catastrophiques effets qu'en Russie, si le hasard avait permis qu'en France il s'installât au pouvoir.»
Je vous ferai remarquer que des personnes comme Sartre ou Aragon se sont montrées beaucoup moins clairvoyantes sur le sujet et beaucoup plus dociles envers le parti. Alors venir dire que Césaire n’a été qu’un instrument dans les mains des communistes, c’est un peu simpliste et il faut savoir remettre les choses dans leur contexte historique.
Puisque nous parlons d’Histoire, profitons-en pour rappeler certains éléments. S’il est exact que le parti communiste, soutenu par Moscou, a tenté de répandre son idéologie jusque dans les colonies, il ne faut pas perdre de vue qu’il y a trouvé des oreilles disposées à l’écouter. Je veux dire par-là que la population indigène elle-même avait pris conscience, pendant la guerre, de la fragilité de la métropole. La perte de prestige de cette dernière, vaincue par les Allemands, a certainement amené les Martiniquais à voir la France sous un autre jour et à réfléchir à une possible émancipation. Le parti communiste n’est pas responsable de tout et c’est lui faire trop d’honneur que d’exposer les faits ainsi. Tout est toujours complexe en fait. Ce qui est certain, c’est que le fruit était mûr et que les populations indigènes n’étaient plus disposées à se soumettre aveuglément. Laissez-leur au moins cela, à savoir d’avoir tenté de prendre leur destin en main.
Mais revenons encore une fois à Césaire. Vous le présentez comme «un bourgeois qui n’était pas prêt à sacrifier son train de vie à son idéal d’indépendance». C’est bien possible, mais je m’étonne tout de même, sous votre plume, de l’emploi de ce terme «bourgeois», qui est habituellement employé dans la dialectique marxiste. J’avais cru comprendre l’instant d’avant que vous fustigiez le rôle du PCF. Il faut savoir. D’un côté vous reprochez à Césaire de s’être laissé influencer par les communistes et de l’autre vous lui reprochez de n’avoir pas développé ces idées communistes jusqu’au bout. Il me semble que nous sommes là dans un type de raisonnement qui commence à ressembler à un sophisme.
«Profitant des subsides de l’État français, il détournera pendant plus d’un demi-siècle cette manne financière contre le pays qui l’a élevé, éduqué et nourri.» On croit rêver. Même au temps du colonialisme le plus dur on a rarement vu des propos aussi outranciers et haineux. Cela se passe de commentaires. Quant au fait que l’Etat français a ouvert ses écoles aux indigènes et a permis précisément cette prise de conscience nationaliste parmi les diplômés, je crois surtout qu’il faut s’en réjouir et y voir un bienfait de l’égalité républicaine plutôt que de venir fustiger ceux qui se sont révoltés. De plus, s’agissant de Césaire, on ne peut pas dire qu’on avait affaire à un terroriste sanguinaire mais plutôt à un homme de grande culture et de grande modération, qui a compris, précisément, ce que son pays avait à gagner à rester français tout en affichant fièrement sa singularité. Et quoi ? Césaire aurait dû prendre les armes et proclamer l’indépendance de son île ? Celle-ci serait aujourd’hui sous la coupe des Etats-Unis et je ne vois pas ce que l’on y aurait gagné. Il faut savoir ce que l’on veut. Césaire était un homme modéré, c’est tout. De plus, vous perdez de vue qu’il idéalise quelque part la France dans son subconscient, comme un Senghor a pu le faire également. Pour les personnes de cette génération, la culture du pays colonisateur représente un idéal auquel il convient d’accéder. Une fois ce but atteint, elles ont beau revendiquer leur particularisme indigène, elles restent profondément biculturelles. Difficile, dans ces conditions, de rompre unilatéralement avec vos anciens rêves de culture qui constituent une partie de vous-même.
Vous terminez votre article en affirmant que «Césaire et sa négritude ont été récupérés à d’autres fins. Ce n’est pas un hasard si, de la gauche affairiste à la droite mercantile, l’hommage à Césaire rivalise de grandiloquence avec le culte stalinien de la personnalité.» Là, il faudrait voir s’il n’y a pas un fond de vérité. Moi-même je m’étais montré ironique, sur mon propre site, quant à la présence, aux obsèques, de la gauche et de la droite pour une fois réunies dans une fausse fraternité de façade. La gauche, on la comprend, voulait récupérer à son profit tout ce message d’humanisme et de liberté symbolisé par Césaire. Elle ne pouvait donc pas ne pas être là. Mais la droite ? C’est plus étonnant, en effet. Avait-elle peur de perdre des électeurs ? Voulait-elle se donner bonne conscience en se recueillant quelques minutes devant la dépouille du poète et faire oublier des siècles d’exploitation et de colonialisme ? Peut-être. Votre version est différente. Vous dites «La négritude est, pour les hommes liges de la mondialisation et du cosmopolitisme, un instrument de culpabilisation de l’indigène de France, de condamnation de l’identité française et de mise en œuvre du diktat du métissage de l’Europe.» Il se pourrait bien, en effet, que le grand capital mondial continue son combat contre le colonialisme (et les protectorats qu’il a créés) en rappelant quand il faut aux Martiniquais qu’ils auraient pu être indépendants et aux Français qu’ils ont été d’affreux colonisateurs, le but de tout ceci étant de casser les échanges économiques privilégiés qui se font classiquement entre l’ancienne colonie et sa métropole. Ceci dit, vu l’exiguïté du territoire martiniquais, on pourrait se demander si le jeu en vaut la chandelle.
Mais peu importe. Admettons que vous ayez raison et qu’on continue à vouloir nous culpabiliser pour la politique menée par nos ancêtres. Il y a cependant quelque chose qui me chagrine dans vos propos. On sent précisément que vous n’êtes pas disposé à vous sentir coupable, sans que l’on sache si vous êtes déjà plus loin et que vous avez tourné la page (un peu comme les jeunes Allemands qui ont décidé de vivre malgré la culpabilité certaine de leurs parents) ou si au contraire vous revendiquez ce passé colonial. Dans ce dernier cas, vous en seriez à dire que le colonialisme avait aussi des côtés positifs et qu’après tout la France a apporté la culture et la civilisation (mais à qui ? Aux esclaves qu’elle a elle-même fait venir ?). Comme vous ne tranchiez pas dans votre article, j’ignorais de quel côté vous vous situiez et je vous ai peut-être fait un procès d’intention sur mon propre site. Cependant, avouez que la phrase citée plus haut («le pays qui l’a élevé, éduqué et nourri») sonne comme un reproche et laisse planer un doute. Ce doute, vous l’avez éclairci en déposant un long commentaire. De ce que vous écrivez alors, il apparaît clairement que vous n’approuvez pas le passé colonial, ce dont je me félicite. Cela nous permettra peut-être de trouver un terrain d’entente. Ce qui vous tracasse, en fait, c’est cette mixité raciale qui est en train de se répandre sur la planète et vous dites qu’elle est voulue, dans un but de grande unification, par le capital mondial qui cherche à imposer à tous un mode de comportement unique.
Tout ceci n’est sans doute pas dénué de fondement, j’en conviens. Mais ce qui me dérange cependant, c’est qu’au lieu de fustiger directement ce néocapitalisme mondial (lequel, selon vous, voudrait entretenir en nous ce sentiment de culpabilité envers nos colonies), vous ne déplorez finalement que la volonté de «métissage de l’Europe.» Par là, vous vous trompez de cible et renouez sans vous en rendre compte avec une notion d’identité raciale qu’il convient de condamner fermement ! Qu’auriez-vous voulu, en fait ? Que les colonies prennent leur envol une fois pour toutes et que nous restions entre bons Français de France, dans nos maisons bien calfeutrées ?
Peut-être cela serait-il bien, mais est-ce possible ? Une nouvelle fois, c’est oublier l’Histoire. La France était présente en Martinique, elle y a amené des esclaves dont les descendants vivent là-bas aujourd’hui. Ceux-ci, qu’on le veuille ou non, ont réalisé une synthèse entre leur culture africaine et la culture française. Il me semble bien difficile de vouloir maintenant établir une séparation aussi arbitraire qu’impossible. Regardez les autres pays coloniaux. En Belgique vous trouverez de nombreux Congolais (Zaïrois), en Angleterre de nombreux Indous et Pakistanais. On n’y peut rien, c’est comme cela et vous aurez beau le regretter, on ne renversera pas la tendance. Césaire l’avait bien compris, qui demandait juste un peu de dignité pour les plus pauvres de l’île et qui n’imaginait pas vraiment une indépendance totale. L’aurait-il revendiquée et obtenue, que les liens économiques et affectifs entre la Martinique et la France auraient probablement continué à perdurer un certain temps car on ne raie pas d’un coup de plume des siècles d’histoire. Après, évidemment, l’île serait tombée dans la zone d’influence américaine.
Ne vaut-il donc pas mieux conserver des liens étroits avec nos anciennes colonies et avoir là-bas une certaine influence plutôt que de se replier sur soi et laisser le terrain libre à l’ennemi ? Car finalement, c’est cela que vous reprochez à Césaire : de s’être complu dans le rôle de la victime (et donc d’avoir entraîné ses compatriotes dans cette voie) plutôt d’avoir revendiqué fièrement l’indépendance. Mais, dans votre logique, je ne vois pas ce qu’y aurait gagné la France et encore moins la Martinique (qui aurait trouvé un autre maître plus tyrannique encore, celui du capitalisme pur et dur et cela sans contrepartie d’aucune sorte comme c’est le cas pour le moment).
Vous dites que les thèses du métissage (étape ultime de la négritude qui se vit comme victime et reste attachée à la France) sont soutenues par ceux qui veulent casser les particularismes des nations et promouvoir une uniformisation culturelle générale de la planète. Mais cela, je l’avais compris dès le début, comme j’avais compris que ces réflexions sur Césaire ne sont finalement qu’un épiphénomène par rapport à ce qui vous tracasse réellement. Et c’est là en fait que nos routes divergent. Ce qui m’inquiète, moi, c’est ce capitalisme mondial sans visage humain et quant à la mixité raciale, elle ne me dérange pas plus que cela. Vous, au contraire, vous voyez dans cette mixité un danger car elle représenterait un moyen pour cette société mondialisée et uniformisée d’accéder à ses fins. Puisque le fond de nos divergences est là, laissons donc définitivement Césaire de côté et essayons de raisonner sur ce point de rupture qui nous oppose.
Vous redoutez une société métissée. D’abord, je vous ferai remarquer que ce métissage ne s’accompagne pas toujours d’une perte d’identité pour la société qui accueille. Au contraire, la production culturelle locale est souvent enrichie par ces nouveaux arrivants. Combien de nos écrivains et de nos artistes ne sont-ils pas d’origine étrangère ? Voyez Picasso, Dali, Chagall, Tzara, Ionesco et tant d’autres. Vous le direz qu’il n’y a pas eu là de métissage mais bien une assimilation à la culture française. Certes et je dois reconnaître que vous avez raison. Mais l’Histoire, elle, n’est constituée que de ces mélanges. Que durent penser nos ancêtres les Gaulois quand ils durent assimiler la culture romaine ? Vécurent-ils cet événement comme une perte ou comme un enrichissement ? Toujours est-il que cela a donné lieu a la civilisation gallo-romaine qui nous semble aller de soi aujourd’hui. Ensuite, celle-ci s’est trouvée menacée par les invasions germaniques dont on se serait bien passé, assurément, et qui ont fait reculer la connaissance (comparez le haut Moyen Âge chez nous avec le monde arabe à la même époque). Mais finalement, une synthèse s’est produite, qui a donné lieu à un mode de pensée original. Et c’est l’époque de la suprématie de la langue d’oïl, des tournois, des cathédrales gothiques et des croisades. Par après, ce sont des architectes et des peintres italiens, qui sont venus insuffler chez nous l’esprit de la Renaissance. Tout n’est donc que mélanges de cultures et c’est souvent de ces mélanges, qu’après une période de transition, sont nés de nouveaux équilibres. Tout cela pour dire que du métissage racial que vous semblez redouter pourrait naître aussi une civilisation originale, même si dans un premier chaque peuple déplorera sans doute une perte d’identité et une perte de ses valeurs propres.
Et puis de toute façon c’est souvent le pays d’accueil qui l’emporte, ne serait-ce que par sa suprématie économique, culturelle et démographique. Ainsi, plus récemment dans l’Histoire de France, au XXe siècle, vous avez eu l’arrivée des travailleurs polonais et italiens. Qui, aujourd’hui, mettrait en doute l’appartenance française de ces gens ? Ne se sont-ils assimilés et n’est-ce point nos valeurs qu’ils transmettent à leur tour, même s’ils conservent des particularités propres ? Ils ont été suivis par les populations maghrébines qui apparemment posent problème. Mais c’est que ce dernier arrivage est récent. Il est certain qu’avec le temps des personnes issues de cette immigration vont percer dans la société française. On le voit déjà avec les ministres du gouvernement, même s’il ne s’agit ici évidemment que d’une façade, une sorte de vitrine voulue par Sarkozy.
Le mot clef est la culture. Ces populations sont en rupture de culture (elles ont perdu la leur et n’ont pas acquis la nôtre). Il y aurait donc beaucoup à dire sur ce problème. Mais Césaire ? Pourquoi vous en prendre à lui alors ? Ah, oui, j’avais dit que nous le laissions de côté... Mais parlons alors de nos anciennes colonies. Les populations qui les composent, qui s’expriment en français, pourraient bien un jour nous surprendre par la richesse de leur approche. Voyez l’Amérique du Sud. Ce sous-continent possède tout de même des écrivains de grand talent dont l’Espagne n’aurait pas à rougir. Aussi, avant de rejeter ces peuples auxquels l’Histoire nous a attachés, voyons s’ils ne nous proposent pas quelque chose de plus dynamique que ce qui se fait chez nous.
Certes, dites-vous en substance, mais le grand mélange mondial auquel on assiste est le pilier de la stratégie capitaliste. Et vous ajoutez : «Le brassage forcé des populations à l'échelle planétaire permet de faire sauter les verrous identitaires, de supprimer toute capacité de résistance à l'ordre mondial, de standardiser les mœurs, les besoins et les modes de consommation pour le plus grand profit des magnats de la finance ?» Autrement dit, en approuvant le métissage, je me ferais le complice involontaire des multinationales. Mais il n’a jamais été dans mes intentions de soutenir ces multinationales, bien au contraire ! Je défends les individus et je veux un monde à visage humain, pas une planète où les lois du marché et du profit sont devenues la règle. Et vous, plutôt que de m’inciter à lutter contre cette marchandisation systématique de nos valeurs, que vous désapprouvez autant que moi, vous me poussez à combattre les immigrés, qui sont en fait les premières victimes de la paupérisation qui se répand à l’échelle mondiale.
Qui se trompe de cible ? En croyant couper l’herbe sous le pied à cette société capitaliste mondiale, vous vous en prenez au métissage et réclamez que chacun reste chez soi, fier de sa culture et de ses valeurs. Mais même si chacun reste chez soi, ce capitalisme arrivera bien à imposer un mode de vie commun. Il n’y a plus, aujourd’hui, de peuple qui soit à l’abri. Dans les régions les plus reculées du monde vous trouverez une pompe Esso et un Mac Donald. Votre repli identitaire entre Français de souche est une illusion et n’empêchera rien du tout.
Bien au contraire, nous ferions mieux, nous, citoyens du monde, de nous unir pour réclamer qu’on nous traite avec dignité (droit au travail, à l’instruction, à une certaine sécurité matérielle, etc.) et non comme de vulgaires consommateurs qu’il convient d’exploiter, non comme de vulgaires moutons qu’il convient de tondre.
Avez-vous songé aussi que le danger ne réside peut-être pas à l’extérieur, mais à l’intérieur de notre belle France et que le loup en fait est déjà à l’œuvre dans la bergerie ? Comment cela ? Par une double perte de la puissance publique de l’états d’un côté au profit de l’Union européenne, de l’autre par des régionalisations imposées. Prenez le cas des universités. Autrefois l’État répartissait ses richesses de manière égalitaire ente les différentes parties de son territoire. Maintenant on veut que chaque région soit plus autonome et qu’elle gère ses universités. Selon que vous vivrez dans une région riche (Rhône-Alpes) ou pauvre (Nord-Pas-de-Calais), vous n’aurez plus la même qualité d’enseignement, ce qui renforcera encore les inégalités et ouvrira la porte aux privatisations (pour survivre, les universités devront se vendre et donc travailler pour le patronat). Le même raisonnement peut être tenu avec le patrimoine culturel et architectural. Plus on le fera passer sous la coupe des régions, moins il sera entretenu et plus notre histoire aura tendance à disparaître (à moins que le secteur privé ne rachète les châteaux, dans un grand geste généreux. En Italie, Berlusconi n’avait-il pas imaginé de vendre le Colisée ?)
Votre argumentation, par contre, commence sérieusement à m’intéresser quand vous citez certaines officines comme la French American Foundation et vous n’avez pas tort quand vous affirmez que «la plupart des idées prétendument généreuses et révolutionnaires finissent dans l'arsenal de la machine à décérébrer les peuples.» Je le regrette aussi. Mais j’espère que vous ne prenez pas prétexte de cette carence des idées généreuses (la défense du peuple qui finit en dictature stalinienne, Cohn-Bendit qui finit en député grassement rémunéré, etc.) pour renoncer à cet idéal. Moi je serais plutôt pour une révolution permanente, pour éviter précisément cet endormissement des quelques personnalités qui ont osé s’opposer au système. Si au contraire vous prenez prétexte de cet échec systématique pour dire qu’il ne faut rien tenter, alors nous sommes de nouveau en opposition, sinon nous sommes d’accord.

Quant à toutes ces institutions (semi-secrètes et demi-mondaines) que vous citez, j’en connais un certain nombre et ce n’est pas joli joli. Bien sûr que Strauss-Kahn fricote avec David Rockefeller. Quant à la French American Foundation, c’est une horreur, dont le but est de faire basculer la France dans le réseau atlantiste (donc, guerre possible en Iran, etc.). Lisez à ce sujet l’article du réseau Voltaire (vous n‘aimez peut-être pas Meyssan, mais au moins il lève un côté du voile) : http://www.voltairenet.org/article146888.html

On retrouve dans cette association des noms comme Nicolas Dupont-Aignan (2001, député UMP, Debout la République), Alain Juppé (1981, député UMP), Valérie Pécresse (2002, député UMP), Jacques Toubon (1983, député UMP), François Hollande (1996, député socialiste), Arnaud Montebourg (2000, député socialiste), Henri de Castries (1994, Directeur général du groupe AXA assurances), Emmanuel Chain (1999, journaliste), Jérôme Clément (1982, Président d’Arte), Annick Cojean (2000, journaliste au Monde), Jean-Marie Colombani (1983, Directeur de la publication du Monde), Matthieu Croissandeau (2002, rédacteur en chef adjoint du Nouvel Observateur), Jean-Louis Gergorin (1994), Bernard Guetta (1981, journaliste à France Inter), François Léotard (1981, ancien ministre de la Défense), Alain Minc (1981), Laurent Cohen-Tanugi (1996, Sanofi-Synthélabo et membre du conseil d’administration du think tank «Notre Europe» créé par l’ancien président de la Commission Jacques Delors [23]), Christine Ockrent (1983), Olivier Nora (1995, président des Éditions Grasset), Denis Olivennes (1996, président de la FNAC).
Rien que du beau monde, donc : des politiciens (ceux de droite mais aussi ceux qui se disent de gauche), des journalistes (histoire de bien nous influencer), des gens du monde de la culture (Grasset, etc.).
Remarquez la place stratégique d’Ockrent, incontournable en tant que journaliste et par ailleurs compagne du ministre des Affaires étrangères.

Vous citez aussi le Council on Foreign Relations «où la politique américaine est définie en comité restreint par les pontes de la finance et de l'industrie» et puis Lagarde, issue du Center for Strategic and International Studies.

Ce qui nous différencie, cependant, c’est que je m’oppose à cette société marchande pour des raisons essentiellement sociales (pour simplifier : on démantèle les structures sociales mises en place par les états pour que quelques personnes puissent s’enrichir), tandis que vous, vous me semblez vous y opposer au nom de la dignité de l’État (on est plus proche de la phrase de De Gaulle : «la France, c’est moi»).
À partir du moment où j’ai reconnu que des personnalités de gauche étaient impliquées dans ce trafic d’influence, je vous suis devenu plus sympathique. Ne vous y méprenez pas, cependant. Si je m’exprime de la sorte, c’est pour signifier qu’à mes yeux le parti socialiste n’est plus un parti de gauche (il appartiendrait plutôt à la droite modérée, si on regarde ses actions). C’est donc d’un observatoire situé beaucoup plus à gauche que je fustige cela, tandis que vous me semblez vous délecter de cette trahison socialiste en ayant le regard de la droite dure. Tout comme je continuerai à me battre pour une certaine justice, même si ce combat est utopique, pendant que vous poursuivrez le vôtre contre la société multiraciale. Si nous tombons d’accord parce que notre ennemi est le même, nous nous opposons pourtant, sur le plan politique. Je vous sens plus proche de la devise «travail, famille, patrie » que de la solidarité syndicale par exemple. Et je ne puis accepter des phrases comme la suivante : «Les immigrationnistes qui se présentent sous des atours humanistes sont en fait la version modernisée et policée des négriers. Voyez nos vaillants «patrons de bistrots» militer pour la régularisation de leur «bois d’ébène». Ces gens ne vous dégoûtent-ils pas ?»
Bien sûr que tout ce qui unifiera les hommes et vaincra les particularismes contribuera à établir une société unique avec des besoins uniques, pour le plus grand profit des marchands. Mais ce sont des hommes, que vous avez devant vous, des êtres humains et plutôt que de s’en prendre à eux, attaquez le mal à la source. Ce n’est pas en restant dans votre tour d’ivoire que vous échapperez à ce capitalisme qui se moque de la culture et qui est parvenu à faire des échanges commerciaux le socle idéologique de nos sociétés, via la Constitution européenne que cet homme de droite qu’est Sarkozy va imposer aux Français contre leur gré (allez, je vous l’accorde, dans les pays où la gauche est au pouvoir, ce fameux Traité de Lisbonne est accepté aussi).

Al Andalûs

Avec un peu de retard, rappelons que c’est le 15 mai 756 que fut fondé l’émirat de Cordoue, faisant de l'Espagne le premier état musulman indépendant (non soumis à l'autorité directe du calife de Bagdad).

Après la mort de Mahomet (632), les califes Omeyyades règnent à Damas, en Syrie. En 750, eut lieu le massacre du calife régnant et de toute sa famille. Une nouvelle dynastie, les Abbassides, prennent le pouvoir et s’installent à Bagdad.

Un Omeyyade, cependant, avait survécu au massacre : Abd er-Rahman el-Dachil (ou Abd al-Rahman al-Daklil). Celui-ci se réfugie en Espagne, terre qui avait été conquise un demi-siècle plus tôt par les berbères (renversement de la dynastie wisigothe). Il s'empare du pouvoir dans la capitale, Cordoue, où il se fait nommer émir d'al-Andalous (nom arabe de l'Espagne).

Abd er-Rahman 1er

- va doter le pays d'une administration exemplaire.
- va unir l'islam andalou et apaiser les tensions entre les musulmans d'origine arabe et ceux d'origine berbère
- ne parviendra pas à soumettre les régions montagneuses du Nord, qui resteront chrétiennes
- repoussera cependant efficacement les offensives de Charlemagne (voir la Chanson de Roland, qui nous donne le point de vue chrétien).

Rappelons que la domination arabe ne cessera définitivement qu’en 1492 (prise de Grenade).

Le mot Andalousie vient des Vandales, ce peuple conquérant germanique (mais d’origine scandinave) qui après avoir traversé toute la Gaule s’était emparé de l’Espagne. Battus par les Wisigoths, ils s’étaient réfugiés dans le Sud de l’Espagne et de là avaient même conquis l’Afrique du Nord (prise de Carthage en 439. Il exista donc un royaume vandale (aussi appelé royaume de Carthage) de 429 à 533. Celui-ci sera finalement détruit par une arme byzantine.

Les Vandales, lors de leur conquête, avaient bien entendu mis l’Europe à feu et à sang, mais pas plus, finalement, que les autres peuples germaniques. Si on a gardé d’eux un aussi mauvais souvenir, ce serait dû en grande partie au rôle de l’Eglise. En effet, les Vandales s’étaient convertis à l’arianisme (hérésie issue du catholicisme) sous l’influence des Wisigoths. A ce titre, ils ne pouvaient qu’être mal vus par l’Eglise, d’autant plus que saint Augustin est mort pendant le siège qu’ils firent de la ville de Genséric en 430. De plus, après avoir persécutéa les Catholiques, ils s’en prirent aux richesses de l’Eglise et du pape (prise de Rome).

Mais revenons à El Andalûs, qui devint la zone la plus dynamique du monde connu, attirant grand nombre de savants et d'intellectuels occidentaux tandis que son rayonnement dépassait ses frontières. A peine au pouvoir, Abd er-Rahman doit lutter à la fois contre les Berbères et contre les autres chefs arabes. ( n’oublions pas que ce sont les gouverneurs de Barcelone et de Saragosse qui avaient demandé de l’aide à Charlemagne). Il parvient à vaincre tout le monde et à sa mort, la grande mosquée de Cordoue et en partie construite.
Par la suite, l’émirat est si florissant qu’il prendra son indépendance par rapport Bagdad. On dit que Al-Hakam II (962-976) a eu la plus grande bibliothèque de son temps (400.000 volumes) et qu’il a encouragé les arts et les lettres. Il a envoyé des émissaires partout dans le monde à la recherche d’ouvrages rares. C’est par l’intermédiaire de son travail que l’héritage gréco-romain nous parviendra en grande partie.

Durant toute cette période musulmane, les systèmes d’irrigations ont été améliorés, ce qui a permis de développer l’agriculture traditionnelle (céréales, oliviers, vignes) ainsi que la canne à sucre, le figuier le citronnier et le bananier, sans parler du safran. L’Espagne de cette époque produit du minerai et fabrique des armes. Elle s’approvisionne en esclaves au célèbre marché de Verdun (dans la Meuse). Cordoue est à cette époque une des plus grandes villes du monde, avec Bagdad et Constantinople. Une fois les époques de conquêtes passées, les rapports avec les chrétiens et les Juifs sont bons. Ainsi, le médecin de Abd al Rahman III est le Juif séfarade Hasdaï ben Shatprut, philosophe et poète, qui traduit en arabe le « De materia medica » du médecin grec Dioscoride (40-90 après JC), ouvrage manuscrit qui avait été envoyé par l’empereur byzantin.

Tout cela pour dire que cette époque musulmane a été particulièrement riche pour l’Espagne, même si on en parle peu dans les livres d’histoire qui sont enseignés dans les écoles. Si on compare la richesse et le raffinement des édifices arabes de Cordoue ou Grenade avec le côté frustre de nos châteaux moyenâgeux, on devra bien reconnaître que la civilisation la plus poussée à l’époque n’était pas forcément la nôtre.


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11/05/2008

Quand le poète parle de la mort

"On voudrait, pour ce pas qu’il doit franchir
-si l’on peut parler de franchir
là où la passerelle semble interrompue
et l’autre rive prise dans la brume
ou elle-même brume, ou pire : abîme-
dans ce vent barbelé,
l’envelopper, meurtri comme il est, de musique…"


Jaccottet, Plaintes sur un compagnon mort.

Belle description de la mort qui approche (« pas qu’il doit franchir »). Obligation inéluctable, donc, à laquelle on ne peut se soustraire. L’idée est celle, classique d’un passage (passerelle), mais cette idée-même est aussitôt mise en doute : il n’y a qu’une demi passerelle et de l’autre rive, on ne distingue rien car elle est dans la brume. Le poète insiste donc bien sur l’incertitude de ce qu’il y a « au-delà ». C’est un pays dont nous ne connaissons rien, puisque nous n’en distinguons aucun détail. Il nous faut portant y aller. De la rencontre de cette obligation et de cette absence de connaissance, naît l’angoisse.

Loin de nous rassurer, Jaccottet poursuit la logique de son raisonnement. Non seulement nous ne distinguons rien de cette rive, mais en plus elle est peut-être elle-même brume. Autrement dit, elle ne serait même pas un pays inconnu qu’on ne parvient pas à discerner, mais serait en fait elle-même néant. Rien de rassurant, donc, pour le voyageur qui se trouve engagé sur la passerelle…
Comme si cela ne suffisait pas, le poète continue : non pas brume, mais abîme. De l’inconsistant nous passons au gouffre sans fond qui s’ouvre sous nos pas. Du néant, nous passons à l’abîme qui nous engloutit, nous précipitant dans une chute sans fin.
S’il y a éternité, elle est dans ce plongeon qui n’en finit pas de nous anéantir.

La seule solution, le seul remède, c’est la musique. De même que le jour éclaire finalement les vallées les plus profondes, la musique, cet « écho de l’inouï », finit par nous faire oublier notre malheur d’être mortels en nous enveloppant dans un monde de sons mélodieux. Illusion sans doute, mais peut-être pas :

"Vous, lentes voix qui nouez et dénouez
Dans le ciel intérieur,
Si vous ne mentez pas, enlevez-le dans vos mailles
Plus limpides que celles de la lumière sur les eaux.
"

Jaccottet parle-t-il du chant funèbre qui accompagne le défunt ou de la musique intérieure qui a accompagné l’agonisant actuel tout au long de sa vie ? Je pencherais pour la deuxième solution. Cette musique intérieure qui est tout notre être devrait continuer à nous porter jusqu’à l’ultime souffle, niant du même coup la mort ou nous la faisant aborder avec une certaine sérénité puisque seul compte notre être que nous continuons d’affirmer au seuil même du néant.

10/05/2008

De ce qu'a pu dire le poète.

« Un homme qui vieillit est un homme plein d’images » dit le poète. Mais en même temps il se rend compte de l’inutilité de ce qu’il a accompli. Ce qu’il a vu (ou cru voir) et qu’il a traduit en poèmes, il ne le voit plus aujourd’hui. Tel un religieux qui aurait perdu la foi, il se retrouve devant une réalité dont il ne déchiffre plus le sens. Tout a-il été illusion et donc mensonge ? Ou bien est-ce la vieillesse qui lui a ôté son ancien regard, ce regard qui lui permettait de deviner une réalité « autre » ? Il lui reste, certes, la parole, mais que vaut celle-ci si elle n’évoque plus le mystère du monde, si ce mystère ne se laisse plus déchiffrer ? Le poème, alors, ne sera plus qu’une parole vide (déjà qu’il n’était pas facile d’exprimer l’indicible), tandis que passe le temps, que les yeux se fatiguent et que la mort attend au bout du chemin.

Toutefois on dirait
que cette espèce-là de parole, brève ou prolixe
toujours autoritaire, sombre, comme aveugle,
n’atteint plus son objet, aucun objet, tournant
sans fin sur elle-même, de plus en plus vide,
alors qu’ailleurs, plus loin qu’elle ou simplement
à côté, demeure ce qu’elle a longtemps cherché.
Les mots devraient-ils donc faire sentir
Ce qu’ils n’atteignent pas, qui leur échappe,
Dont ils ne sont pas maîtres, leur envers,

De nouveau je m’égare en eux,
De nouveau ils font écran, je n’en ai plus
Le juste usage,
Quand toujours plus loin
Se dérobe le reste inconnu, la clef dorée
Et déjà le jour baisse, le jour de mes yeux…

Jaccottet, A la lumière d’hiver.

02:38 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : poésie, jaccottet

09/05/2008

Des réformes présidentielles

L’expérience montre que c’est surtout au cours de leur première année de mandat que les Présidents en exercice ont réalisé les réformes qu’ils avaient promis de faire lors de leur campagne électorale.

Ainsi, de Gaulle, revenu au pouvoir à la faveur d'un coup de force le 13 mai 1958, est élu président le 21 décembre 1958. A son actif, on retiendra :
- le référendum du 28 septembre 1958 sur la nouvelle Constitution
- à partir du 5 octobre 1958, le général gouverne par ordonnances (70 textes notamment sur le mode de scrutin et les réformes de structure (hôpitaux, défense....)
- le plan Pinay-Rueff (30 septembre 1958). L’économiste Jacques Rueff avait réuni des personnalités du monde des affaires (président de Péchiney, de la Société générale....), sous le patronage du ministre des Finances Antoine Pinay, pour décider des mesures à prendre en matière économique. Cela se traduira par une cure d'amaigrissement de l'administration), la suppression des indexations (notamment sur le blé) et la libération des échanges extérieurs.
-le 28 décembre 1958, dévaluation du franc de 17% et création du «nouveau franc»
- le 6 janvier 1959, une ordonnance prolonge la scolarité obligatoire jusqu'à 16 ans.
- autodétermination des Algériens (16 septembre 1959)

Georges Pompidou (élu le 15 juin 1969)

Après avoir surmonté avec sang-froid les événements de mai 68, il succède au général. Fils d'instituteur, normalien d'une immense culture, c'est à ce jour le seul président de la Ve République issu d'un milieu populaire.

- modernisation industrielle de la France
- premiers investissements dans le programme ferroviaire à grande vitesse (TGV)
- modernisation du téléphone et la construction d'autoroutes.
- création du Centre Pompidou (inauguré en 1977)

Valéry Giscard d'Estaing (élu le 19 mai 1974)

- ministère de la Condition féminine
-arrêt de l'immigration (3 juillet 1974) dans le but d’enrayer la montée du chômage
- majorité à 18 ans (5 juillet 1974). Erreur tactique puisque les 2,5 millions de jeunes qui pourront désormais voter donneront leur voix à Mitterrand en 1981.
- fin du monopole audiovisuel (7 août 1974). C’est le début du démantèlement de l’ORTF.
- indemnisation des chômeurs à 90% du dernier salaire pendant un an (14 octobre 1974)
- saisine du Conseil constitutionnel (21 octobre 1974). possibilité pour 60 députés ou 60 sénateurs de saisir le Conseil constitutionnel
- gratuité de la contraception (26 octobre 1974)
- légalisation de l'avortement (28 novembre 1974)

François Mitterrand (élu le 10 mai 1981)

Sous le gouvernement de Pierre Mauroy, il concrétise de nombreuses promesses de campagne :
- augmentation de 20 ou 25% des allocations handicapés, familiales (+25%) et logement (1er juillet 1981)
- suppression de la Cour de sûreté de l'État (4 août 1981)
- autorisation des radios locales sans publicité (2 octobre 1981)
- blocage des prix pendant six mois (8 octobre 1981),
- abrogation de la loi «anticasseurs» (15 décembre 1981).
- abolition de la peine de mort (9 octobre 1981)
- impôt sur les grandes fortunes (30 décembre 1981)
- 39 heures et 5e semaine de congés payés (14 janvier 1982)
- nationalisations des grandes entreprises (13 février 1982)
- décentralisation administrative (3 mars 1982)
- retraite à 60 ans (25 mars 1982)

Mais le 11 juin 1982 survient un premier plan de rigueur...

Jacques Chirac (élu le 7 mai 1995)

- engagement en Bosnie (3 juin 1995)
- reprise des essais nucléaires (13 juin 1995)
- fin du service militaire obligatoire (22 février 1996)

A partir d’octobre 1995, Jacques Chirac annonce une politique de rigueur (en vue de la création de l’euro). De son côté, Alain Juppé tente une réforme du système de retraites (il renonce finalement suite aux grèves des cheminots).

Manifestement donc, après une première année de pouvoir durant laquelle les Présidents successifs ont pu concrétiser une bonne partie de leurs projets de campagne électorale, le rythme se ralentit considérablement. A la fin, certains finissent même par prendre des décisions contraires, lesquelles constituent un véritable retour en arrière.

Au vu de cette expérience, on est en droit de se demander si le système Sarkozy a encore un avenir devant lui. Une année vient en effet de se terminer, on a vu beaucoup d’agitation dans tous les sens, mais finalement rien de bien probant. La tactique a été d’éviter de mener une réforme à fond avant de passer à la suivante (par crainte de l’opposition des citoyens sans doute). On a préféré attaquer de tous côtés et en ordre dispersé, afin de brouiller les pistes et de dérouter l’adversaire. Comment en effet s’opposer à des mesures partielles ou à des propos qui ne manifestent qu’une intention de réformes sans les réaliser vraiment ?

Sarkozy, en hyperactif né, s’est beaucoup agité, a touché un peu à tout, mais n’a encore rien terminé. De ce point de vue, il devient donc le Président le plus inefficace que la France ait jamais eu. Je ne discute pas ici de la pertinence de ses réformes (et à tout prendre je préfère qu’il laisse les choses en l’état où elles sont plutôt que de tout démanteler sans rien reconstruire ou en ne reconstruisant que pour le plus grand profit de quelques-uns). Non, ce dont je parle, c’est de l’incohérence du personnage, qui avait annoncé de nombreux changements et qui n’a pas tenu ses promesses ou alors fort partiellement. Le point le plus délicat, c’est évidemment celui du pouvoir d’achat.

Bien sûr, il n’est pas responsable de la mauvaise situation économique, ni de la hausse du prix du pétrole. Le problème, c’est qu’il s’est fait élire sur cela. On se souvient de ses propos sur les gens qui se lèvent tôt et qui méritent un salaire décent. Les gens se lèvent toujours aussi tôt, mais si leur salaire n’a pas diminué, cela a bien été le cas de leur pouvoir d’achat. D’où le mécontentement et la grogne. Ajoutez à cela quelques incohérences (les vacances sur un yacht, l’étalage de sa relation avec Carla, etc.), qui ont donné l’image d’un président profiteur et jouisseur qui se désintéressait du sort de ses électeurs, et vous comprendrez que l’état de grâce est passé en lisant les sondages qui plongent vertigineusement vers le bas.

Que peut-il bien faire pour redresse la barre ? Plus grand chose, il est trop tard. Ses réformes de fond ne sont pas encore entamées et déjà il n’a plus aucune popularité. Quand il passe à la télévision, on ne le regarde même plus, on admire la jolie frimousse de Carla en se disant qu’elle est finalement mieux que lui, plus distinguée, plus digne, plus intelligente aussi probablement. Ceux qui veulent aller plus loin peuvent même voir sur Internet les photos de la première dame en petite tenue ou sans tenue du tout. Triste manière de se consoler. Ceux qui avaient voté pour un président fort, qui allait rencontrer leurs problèmes quotidiens, en sont à se consoler avec de telles photos. Et quand les réformes vont enfin arriver, ce ne sera pas celles qu’ils attendaient. Ce sera pour voir l’âge de la retraite reculer, la pension diminuer, le droits sociaux régresser et le porte-monnaie s’alléger.

Dépassé, le pauvre Président essaie de se disculper en s’en prenant aux autres, à tous les autres : Chirac, Mitterrand, De Gaulle, tous y passent. Il n’y a que le Roi Soleil et Philippe le Bel qui n’ont pas été inquiétés. Et ne parlons pas de la presse ! Ah, les méchants journalistes qu’on a là, qui n’encensent pas assez le Président et qui ne parlent pas assez des déboires de l’opposition. Des goujats, vraiment. Et des ingrats, surtout, lui qui leur avait offert de si beaux postes !

08/05/2008

Ecrire comme un chat

Autrement dit d’une manière illisible et en caractères très petits. Cette expression est à rapprocher de « pattes de mouche », d’où la formule que l’on rencontre parfois : « pattes de chat ».
Mais si la trace des pattes de mouche peut en effet évoquer certaines écritures, on comprend mal en quoi les chats auraient l’apanage de l’illisibilité.

Certains pensent qu’il faut en rechercher la cause dans l’homonymie entre « griffer » et « greffer » (écrire). Autrement dit, griffonner aurait à a fois le sens de « donner des coups de griffes » et de « donner des coups de greffes» (stylet pour écrire)

On retrouve ce terme « greffe » dans le mot greffier, qui désigne le fonctionnaire chargé des écritures dans un tribunal.
Notons que le mot greffe vient du latin graphium qui désignait le stylet, lui-même provenant du grec grrafeion). Il avait anciennement le sens de stylet et maintenant celui de bureau où l’on garde les minutes des actes du tribunal.

On ne confondra pas ce terme avec le mot greffe (pousse d’une plante que l’on incère dans une autre plante pour que celle-ci produise les fruits de la première) dont l’étymon est pourtant le même puisqu’il s’agit d’une dérivation métaphorique (comparaison entre la forme du stylet et celle de la branche que l’on incère).

Enfin, cela nous éloigne des chats. Pauvres bêtes. Il est vrai qu’avec l’arrivée de l’ordinateur et du traitement de texte, les problèmes de calligraphie semblent définitivement résolus et on peut espérer pour ces nobles félins que l’expression désobligeante ici relevée va tomber en désuétude.

Ne vaut-il pas mieux, à leur sujet, se souvenir du poème de Baudelaire ?


Les amoureux fervents et les savants austères
Aiment également, dans leur mûre saison,
Les chats puissants et doux, orgueil de la maison,
Qui comme eux sont frileux et comme eux sédentaires.

Amis de la science et de la volupté,
Ils cherchent le silence et l’horreur des ténèbres ;
L’Erèbe les eût pris pour ses coursiers funèbres,
S’ils pouvaient au servage incliner leur fierté.

Ils prennent en songeant les nobles attitudes
Des grands sphinx allongés au fond des solitudes,
Qui semblent s’endormir dans un rêve sans fin ;

Leurs reins féconds sont pleins d’étincelles magiques,
Et des parcelles d’or, ainsi qu’un sable fin,
Etoilent vaguement leurs prunelles mystiques



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07/05/2008

Ecrire?

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Parler est facile, et tracer des mots sur la page,
en règle générale, est risquer peu de choses :
un ouvrage de dentellière, calfeutré,
paisible
(…)
Aussi arrive-t-il qu’on prenne ce jeu en horreur
qu’on ne comprenne plus ce qu’on a voulu faire
en y jouant, au lieu de se risquer dehors
et de faire meilleur usage de ses mains.

Cela,
c’est quand on ne peut plus se dérober à la douleur ,
qu’elle ressemble à quelqu’un qui approche (…)

Parler alors semble mensonge , ou pire : lâche
insulte à la douleur, et gaspillage
du peu de temps et de forces qui nous reste


Philippe Jaccottet, « Chants d’en bas », Parler.

02/05/2008

Alvaro Mutis

Alvaro Mutis, écrivain colombien né à Bogota en 1923, est d’abord un poète et ce n’est qu’à partir de 1985 qu’il s'affirme comme romancier, avec une série de romans autour d'un même personnage, Maqroll le Gabier (el Gaviero).

Celui-ci, aventurier toujours au bord de la misère, est un marin que l’on retrouve aux quatre coins de la planète et finalement autant sur terre que sur mer. Marginal, il vit d’expédients et s’embarque toujours dans des expéditions qui sont à la limite de la légalité (trafic d’armes, exploitation d’une mine d’or, etc.). Grasset, dans sa collection « Bibliothèque Grasset » a eu la bonne idée de reprendre l’ensemble des romans consacrés à Maqroll. Ceux-ci, pleins d’aventures et de péripéties, se lisent comme on peut lire Jules Verne à l’adolescence, c’est-à-dire d’un bout à l’autre et sans répit. Pourtant, ce n’est pas tant les aventures qui nous passionnent que la recherche du sens de la vie. Car ce gabier (un gabier était celui qui, perché au sommet du plus haut mât d’un voilier, observait l’horizon et donnait des indications au capitaine) ne peut se contenter de l’existence routinière que nous menons tous plus ou moins. S’il se lance dans des aventures cent fois recommencées, c’est avec le secret espoir de trouver enfin une raison de vivre. C’est pour cela aussi qu’il sort des sentiers battus en ne respectant pas les règles sociales. Il cherche un ailleurs qu’il ne découvre évidemment jamais. Cette quête perpétuelle, qui l’amène dans des situations périlleuses où il frôle la mort (mais n’est-ce pas cela qu’il recherche, en fin de compte ?) est aussi vaine qu’inutile, mais cela ne l’empêche pas de recommencer sans cesse. Profondément humain sous ses airs bourrus, il s’entoure de quelques amis aussi marginaux que lui, comme les membres de la famille Bashur. Armateurs et négociants libanais, ceux-ci évoluent dans le monde des affaires maritimes troubles (pavillons de complaisance, cargaisons douteuses etc.)

L’œuvre de Mutis pose des questions sur la précarité de la condition humaine, sur l’écoulement inexorable du temps et sur le désespoir (puisque toute tentative pour parvenir à « faire » quelque chose est vouée à l’échec)

"Suis les navires. Suis les routes que sillonnent les embarcations vieilles et tristes. Ne t'arrête pas. Evite jusqu'au plus humble des mouillages. Remonte les fleuves. Descends-les. Confonds-toi avec les pluies qui inondent les savanes. Refuse tout rivage."

Les sept romans repris chez Grasset sont :

1) La neige de l’Amiral
2) Ilona vient avec la pluie
3) Un bel morir
4) La dernière escale du Tramp Steamer
5) Ecoute-moi, Amirbar
6) Abdul Bashur, le rêveur de navires
7) Le rendez-vous de Bergen

Dans « La neige de l’Amiral », avec l’esprit d’un Rimbaud qui « descendait des fleuves impassibles », Maqroll remonte, lui, un fleuve tropical à la recherche de scieries qui évidemment n’existent pas ou en tout cas dont l’accès lui sera refusé. Cette remontée à contre-courant, aux prises avec les exactions de l’armée, la nature aveugle et la méchanceté des hommes, est un véritable voyage initiatique.
Le thème du fleuve revient très souvent chez Mutis. Symbole de l’écoulement du temps et de la vie qui fuit entre nos doigts, il est logique de vouloir le remonter, même si au bout de la course on ne trouve que le néant.

« Ilona vient avec la pluie » est l’histoire d’une maison de passe à Panama, tandis qu’un « bel morir » retrace l’affrontement entre la guérilla et l’armée qui se livre à la répression, le héros se retrouvant évidemment coincé entre les deux belligérants. «Ecoute-moi Amirbar » retrace la tentative d’extraire de l’or du creux de la terre, autre rêve illusoire qui se terminera par un échec car il est effectivement à peu près impossible d’arracher quoi que ce soit à la vie. « Le rêveur de navire » porte bien son titre puisqu’il s’agit ici de trouver le plus beau bateau qui soit (celui qui pourrait enfin nous emporter vers un autre monde, sans doute). Malheureusement ou bien le protagoniste ne le trouve pas ou s’il le trouve, il n’a pas les moyens de l’acquérir (quand il ne risque pas carrément sa vie).Enfin, « Le rendez-vous de Bergen » retrace le suicide d’un ami, usé par la vie qui ne lui a apporté que des déconvenues.
On voit donc que si ces romans tiennent le lecteur en haleine par leur trame narrative incomparable, il s’agit avant tout d’une réflexion sur la vie et la mort, ce qui les range assurément du côté de la philosophie du désespoir.

En France, Mutis a reçu, en 1989, le prix Médicis étranger pour son roman "La neige de l'Amiral."

En Espagne, il est lauréat du Prix Cervantes 2001.

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29/04/2008

TV 5-Monde

Nous avons déjà parlé de ce dossier. On sait que Nicolas Sarkozy voulait réorganiser l’audiovisuel extérieur français, ce qui n’avait pas manqué d’inquiéter les partenaires francophones (Belgique, Suisse et Québec), lesquels craignaient que la chaîne ne se transforme en outil de rayonnement franco-français (ou tout simplement en outil de rayonnement sarkozien).

Il existe maintenant un accord de principe sur le fait que la chaîne sera présidée par le Français Alain de Pouzilhac, lequel sera épaulé par un directeur général. Distinct du poste de président, le directeur général de la chaîne devrait jouir d'une véritable autonomie.

Reste à savoir qui sera ce directeur. Des propositions devraient bientôt être faites par M. de Pouzilhac.

»Sa nationalité n'a pas encore été décidée. L'important, c'est que ce soit le meilleur candidat possible, qui puisse faire la part des choses entre la volonté de rationaliser de Paris et le désir de maintenir l'autonomie et le côté multilatéral de TV5 des partenaires francophones », a expliqué le porte-parole de la Belgique et celui-ci a ajouté: « "Ce n'est plus un tabou que ce soit un Français».

M. de Pouzilhac a d’ailleurs précisé qu'il était « totalement faux » de croire que TV5Monde « perdrait son indépendance et deviendrait la voix de la France ».

Les partenaires francophones non français présideraient deux des quatre comités stratégiques de la chaîne francophone. Pour le directeur de la télévision suisse romande. « L'heure est à l'apaisement, on a l'impression que les partenaires français nous ont entendus. »

Tant mieux. Reste à savoir qui sera nommé. Tout dépendra à mon avis de la personnalité de ce directeur. Si par malheur c’est un des proches de Sarkozy, les partenaires francophones se seront fait avoir en signant cet accord de principe.

27/04/2008

Mémoire

Grand beau temps aujourd’hui, en ce 26 avril, au Royaume de France et de Navarre. C’était l’occasion de faire comme le Candide de Voltaire : cultiver son jardin.
Par contre, il n’en fut pas toujours ainsi et il convient de se souvenir que

Le 26 avril 1937, par un après-midi de marché, la petite ville de Guernica (Pays basque espagnol) fut bombardée pendant trois heures par l'aviation allemande et il y eut plus de 1.600 victimes. Hitler, ne l’oublions pas, était l’allié du général Franco dans la guerre civile d'Espagne. Il avait voulu à la fois terroriser la population civile et en même temps tester les capacités de son armée. Pablo Picasso peindra cette année-là son célèbre tableau, sûrement le plus dramatique de sa carrière.

Le 26 avril 1986, c’est le réacteur de la centrale nucléaire de Tchernobyl en URSS qui explose. Discret, le régime soviétique rend difficile l'évaluation des dégâts et les taux de radiation à venir. En France, l'Etat se fait rassurant, en Belgique aussi, comme si le nuage radioactif s’était mystérieusement arrêté aux frontières. La vérité c'est que le bilan est impossible à établir. Comment prouver que des cancers qui apparaissent aujourd’hui remontent bien à l’incident de Tchernobyl ?

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00:59 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : guernica, tchernobyl

26/04/2008

Citation

"Les hommes naissent égaux, dès le lendemain, ils ne le sont plus."

Jules Renard

20:14 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : jules renard

24/04/2008

Le blogue : du privé au public.

Il y a tout de même un paradoxe fondamental dans le phénomène des blogues. En effet, qu’on le veuille ou non, ouvrir un blogue revient à parler de soi. Certains en font un véritable journal intime (l’écran a juste remplacé le bon vieux cahier dans lequel ils racontaient leurs impressions), d’autres, plus réservés quant à leur vie privée ou leurs états d’âme, de dévoilent cependant aussi puisqu’ils abordent des sujets qui leur tiennent à cœur. C’est finalement mon cas ici. Je ne parle pas de moi directement, mais à travers mes prises de position ou mes choix de lecture, les lecteurs arrivent, par recoupements, à se faire une idée générale assez exacte de mes opinions (peut-être mieux, d’ailleurs que les personnes qui m’entourent, qui elles ne me découvrent que par mes actes et non par l’exposé de ce que je pense).

Donc, que le blogue soit tout à fait intime ou qu’il le soit un peu moins, c’est tout de même une part de soi que l’on vient ainsi livrer en pâture au public. On pourrait donc se demander ce qui est à la base dune telle démarche. En effet, ce qui est intime ne doit-il pas justement le rester? Rappelez-vous votre adolescence : pour rien au monde vous n’auriez apprécié que quelqu’un s’empare à votre insu de votre journal personnel et le lise. Pourtant, ici, c’est volontairement qu’on s’expose devant le public, curieux, non ? De plus, ce public est tout à fait inconnu (du moins au départ, car les mois passant on finit par deviner un peu ses correspondants). On pourrait encore imaginer que l’on se confie à des personnes bien connues, mais non, ici, c’est au premier venu qu’on se livre en toute confiance. Etrange.

L’engouement que le phénomène des blogues connaît prouve assurément que ce type de démarche répond à un besoin. Il est vrai qu’autrefois, dans les petits villages de campagne, tout le monde se connaissait et qu’il était peut-être plus facile de se confier à un voisin ou à une voisine que dans nos cités tentaculaires et anonymes. J’avance cette hypothèse, mais je n’y crois pas trop moi-même, sachant aussi combien la province peut être mesquine et cancanière, ce qui fait que beaucoup doivent hésiter avant de se dévoiler devant leur entourage.

Le blogue remplacerait-il le psychologue que nous n’allons jamais consulter ? C’est peut-être vrai pour ceux qui parlent de leurs problèmes intimes, mais les autres, ceux qui se contentent d’aborder leurs passions (lecture, photographie, musique ou que sais-je) ?

Il semblerait bien, en fait, que le vrai but soit de pouvoir s’exprimer soi-même. Dans une société impersonnelle qui nous demande surtout d’être rentables, chacun éprouve manifestement le besoin de dire qui il est et ce qui lui tient à cœur. Un blogue, c’est une tribune. A partir du moment où je vis en décalage avec la version officielle donnée par la société, il me faut réagir et clamer haut et fort (c’est le cas de le dire) mes opinions. Ainsi si je n’apprécie pas que la littérature soit en train de se transformer en une vaste opération commerciale et si je n’ai pas forcément envie de lire les ouvrages que la publicité veut m’imposer, au moins, si je possède un blogue, je peux montrer ma désapprobation. Comme d’autres personnes pensent la même chose que moi, nous voilà déjà plusieurs à dialoguer et à nous remonter le moral les uns les autres. C’est une lapalissade, mais il est clair qu’on se sent moins seul quand on est plusieurs. Dite comme cela, la phrase est ridicule, mais si on y regarde d’un peu plus près, on s’apercevra qu’elle ne l’est pas. Le fait de ne plus se sentir seul de son opinion console, réconforte et aide à survivre.

Vous me direz que les personnes qui viennent laisser des commentaires ne sont pas toujours d’accord avec l’auteur du blogue. C’est exact, mais cela a peu d’importance car dans ce cas le blogue se transforme en ring ou en tatami sur lequel on vient défendre ses opinions contre l’adversaire. Ce qui compte, c’est qu’on le fasse devant un public attentif qui compte les coups et qui à l’occasion donne son avis. Ici aussi, donc, il s’agit de dire qui on est, ce que l’on pense, et finalement d’oser affirmer ses opinons les plus intimes. Le blogue a donc une vertu cathartique et l’on pourrait presque dire qu’il s’apparente à la vieille maïeutique socratique puisque par le truchement de l’écriture il nous oblige à aller dans nos derniers retranchements pour mettre clairement à l’écran (j’allais dire sur le papier) des pensées qui souvent restaient confuses pour nous-mêmes parce qu’elles étaient enfouies au plus profond de notre être.

Tenir un blogue, c’est donc écrire. Ecrire, c’est penser et ici, c’est penser devant un public.

Donc, maintenant que nous avons compris comment on est passé de l’analyse de l’intime au besoin d’un public (la sphère privée se dévoilant volontairement à l’extérieur), il reste encore un autre paradoxe à analyser.

Quand le succès d’un blogue devient trop grand, celui qui en est l’auteur se retrouve parfois coincé entre son être intime et son personnage. Certes il parle toujours de lui ou de ses passions, mais il se rend compte que son public se fait une certaine image de lui et insensiblement il aura tendance à vouloir correspondre à cette image fabriquée, ne serait-ce que pour ne pas perdre ses précieux lecteurs. Doit-il rester lui-même ou doit-il jouer un rôle ? Personnellement la réponse me semble claire. La société nous fait déjà jouer tellement de rôles que si c’est pour venir en jouer un de plus sur un blogue qui se voulait au départ recherche d’authenticité, cela n’a pas de sens.

Mais on le voit rien n’est simple. Quand la sphère intime devient publique, elle court le risque de ne plus être que publique.

Que les dieux de l’informatique nous préservent d’une telle dérive !

14:42 Publié dans Blogue | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : blogues, prive-public

23/04/2008

Défense de Césaire

Nous avons déjà parlé longuement de Césaire et je ne croyais plus y revenir. Cependant, en lisant le texte qui lui est consacré sur le blogue littéraire le plus lu de Hautetfort, je ne puis m’empêcher de réagir, tant il semblerait que le combat mené par le poète martiniquais est loin d'avoir porté tous les fruits qu'on escomptait et que lui-même comme ses idées doivent encore être défendus.

Selon cet article, Césaire, en revendiquant sa négritude, n’aurait fait que suivre l’air du temps, en l’occurrence la théorie nazie sur l’importance de la race. En bon opportuniste, il aurait profité de la décolonisation qui a suivi la guerre pour afficher son nationalisme. On parle de « la lourdeur de sa plume, la pauvreté de son inspiration et la redondance de ses thématiques » tout en signalant que sa révolte est bien modeste si on la compare à l’action menée par Fidel Castro. Cette dernière remarque politique n’est pas entièrement dénuée de fondement, Césaire n’ayant pas proclamé l’indépendance de son île (ceci dit, il état maire d’une commune, pas dirigeant suprême) mais elle fait sourire quand on sait que le site littéraire en question a généralement pour habitude de fustiger la révolution castriste qu’il prend ici comme modèle.

Plus loin, on nous redit ce que l’on savait déjà, à savoir que ce sont les deux vainqueurs de la guerre 40-45 qui ont plus ou moins obligé les puissances européennes à liquider leurs colonies dans le but, soit d’ouvrir de nouveaux marchés à leurs propres produits (USA), soit d’agrandir leur espace idéologique (Russie). Ceci étant dit, on ne comprend pas :

- pourquoi ce même site littéraire voue habituellement une admiration sans bornes aux Etats-Unis alors qu’il est le premier à reconnaître que ce pays a une bien curieuse conception de l’amitié en faisant passer ses intérêts économiques avant toute chose. Il est vrai que c’est surtout Moscou qui est ici accusé d’aller inciter nos anciennes colonies à la révolte. Il faut bien, dans cette histoire, qu’il y ait un méchant et un bouc émissaire et je me réjouis que l’auteur de l’article ait lu René Girard.

- Pourquoi on passe sous silence le rôle des populations indigènes elles-mêmes, qui ont cependant largement contribué à leur émancipation. Que je sache, ce n’est pas pour rien qu’on a parlé de guerre en Algérie et je ne sais pas ce que diraient les Algériens si on leur disait qu’ils n’ont pris aucune part à leur indépendance.


Poursuivons. Nous apprenons ensuite que Césaire ne fut qu’un bourgeois qui n’était pas prêt à sacrifier son train de vie à son idéal d’indépendance (c’est curieux, je croyais que ce terme de « bourgeois » était habituellement employé dans la dialectique marxiste et voilà que nos « amis » de droite se l’approprient)

« Profitant des subsides de l’État français, il détournera pendant plus d’un demi-siècle cette manne financière contre le pays qui l’a élevé, éduqué et nourri »
On croit rêver. Même au temps du colonialisme le plus dur on a rarement vu des propos aussi outranciers et haineux. Cela se passe de commentaires. Quant au fait que l’Etat français a ouvert ses écoles aux indigènes et a permis précisément cette prise de conscience nationaliste parmi les diplômés, je crois surtout qu’il faut s’en réjouir et y voir un bienfait de l’égalité républicaine plutôt que de venir fustiger ceux qui se sont révoltés. De plus, s’agissant de Césaire, on ne peut pas dire qu’on avait affaire à un terroriste sanguinaire mais plutôt à un homme de grande culture et de grande modération, qui a compris, précisément, ce que son pays avait à gagner à rester français tout en affichant fièrement sa singularité. Et quoi ? Césaire aurait dû prendre les armes et proclamer l’indépendance de son île ? Celle-ci serait aujourd’hui sous la coupe des Etats-Unis et je ne vois pas ce que l’on y aurait gagné.

L’article se termine en affirmant que « Césaire et sa négritude ont été récupérés à d’autres fins. Ce n’est pas un hasard si, de la gauche affairiste à la droite mercantile, l’hommage à Césaire rivalise de grandiloquence avec le culte stalinien de la personnalité. » Là, il faudrait voir s’il n’y a pas un fond de vérité. Moi-même j’ai ironisé sur la présence, aux obsèques, de la gauche et de la droite pour une fois réunies dans une fausse fraternité de façade.

Il se pourrait bien que le grand capital mondial continue son combat contre le colonialisme (et les protectorats qu’il a créés) en rappelant quand il faut aux Martiniquais qu’ils auraient pu être indépendants et aux Français qu’ils ont été d’affreux colonisateurs, le but de tout ceci étant de casser les échanges économiques privilégiés qui se font classiquement entre l’ancienne colonie et sa métropole. Mais au lieu de fustiger ce néocapitalisme, l’article déplore une volonté de « métissage de l’Europe », renouant sans s’en rendre compte avec une identité raciale qu’il convient de condamner fermement et reproduisant inconsciemment les thèses qu’il reprochait lui-même (à tort) à Césaire dix lignes plus haut. Bref, quand un Martiniquais revendique sa négritude, c’est un nazi, mais quand un Français accepte le métissage, c’est un traître qui renonce au prestige de sa race. Il faut savoir ! En attendant, on se croirait revenu dans la période d’avant la guerre, et si je ne me trompe c’est bien comme cela que l’on a commencé avant d’imposer l’Etoile jaune à certains.

Ce que l’on regrette, dans cet article, c’est que Césaire ne soit point resté un noir inculte et soumis, baissant la tête devant le prestige de ces hommes blancs venus de France qui ont daigné lui apporter au compte-gouttes les bienfaits leur civilisation. Comme théorie réactionnaire on ne fait pas mieux. La seule chose qu’il y a à espérer, c’est que ces horreurs ont été écrites dans le seul but de se singulariser et de se faire remarquer en choquant la galerie. Par contre si les vérités ici exposées reflètent l’opinion de leur auteur, il n’y a plus grand chose à espérer de l’humanité.

Pour conclure, je voudrais faire parler Césaire lui-même en reprenant quelques extraits de son Discours sur le colonialisme, publié en 1950 :

« Il faudrait d'abord étudier comment la colonisation travaille à déciviliser le colonisateur, à l'abrutir au sens propre du mot, à le dégrader, à le réveiller aux instincts enfouis, à la convoitise, à la violence, à la haine raciale, au relativisme moral, et montrer que, chaque fois qu'il y a eu au Viêt-nam une tête coupée et un oeil crevé et qu'en France on accepte, une fillette violée et qu'en France on accepte, un Malgache supplicié et qu'en France on accepte, il y a un acquis de la civilisation qui pèse de son poids mort, une régression universelle qui s'opère, une gangrène qui s'installe, un foyer d'infection qui s'étend et qu'au bout de tous ces traités violés, de tous ces mensonges propagés, de toutes ces expéditions punitives tolérées, de tous ces prisonniers ficelés et "interrogés", de tous ces patriotes torturés, au bout de cet orgueil racial encouragé, de cette lactance étalée, il y a le poison instillé dans les veines de l'Europe, et le progrès lent, mais sûr, de l'ensauvagement du continent.

Et alors un beau jour, la bourgeoisie est réveillée par un formidable choc en retour : les gestapos s'affairent, les prisons s'emplissent, les tortionnaires inventent, raffinent, discutent autour des chevalets. »

(…)


« Entre colonisateur et colonisé, il n'y a de place que pour la corvée, l'intimidation, la pression, la police, le vol, le viol, les cultures obligatoires, le mépris, la méfiance, la morgue, la suffisance, la muflerie, des élites décérébrées, des masses avilies.

Aucun contact humain, mais des rapports de domination et de soumission qui transforment l'homme colonisateur en pion, en adjudant, en garde-chiourne, en chicote et l'homme indigène en instrument de production.

A mon tour de poser une équation : colonisation = chosification.

J'entends la tempête. On me parle de progrès, de "réalisations", de maladies guéries, de niveaux de vie élevés au-dessus d'eux-mêmes.

Moi, je parle de sociétés vidées d'elles-mêmes, des cultures piétinées, d'institutions minées, de terres confisquées, de religions assassinées, de magnificences artistiques anéanties, d'extraordinaires possibilités supprimées.

On me lance à la tête des faits, des statistiques, des kilométrages de routes, de canaux, de chemin de fer.

Moi, je parle de milliers d'hommes sacrifiés au Congo-Océan. Je parle de ceux qui, à l'heure où j'écris, sont en train de creuser à la main le port d'Abidjan. Je parle de millions d'hommes arrachés à leurs dieux, à leur terre, à leurs habitudes, à leur vie, à la danse, à la sagesse.

Je parle de millions d'hommes à qui on a inculqué savamment la peur, le complexe d'infériorité, le tremblement, l'agenouillement, le désespoir, le larbinisme.

On m'en donne plein la vue de tonnage de coton ou de cacao exporté, d'hectares d'oliviers ou de vignes plantés.

Moi, je parle d'économies naturelles, d'économies harmonieuses et viables, d'économies à la mesure de l'homme indigène désorganisées, de cultures vivrières détruites, de sous-alimentation installée, de développement agricole orienté selon le seul bénéfice des métropoles, de rafles de produits, de rafles de matières premières. »


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22/04/2008

Littérature et Internet

Dans la dernière note sur les blogues, sont apparues quelques remarques intéressantes sur la littérature et les rapports que celle-ci pourrait entretenir à l’avenir avec Internet. Ainsi, Cigale s’est demandée si la littérature ne serait pas "obligée", avec le temps, d'user de l'outil informatique et cela ne serait-ce que parce que les jeunes utiliseront de plus en plus ce moyen pour lire.

En fait, à l’heure actuelle, il faut bien reconnaître que personne ne peut prévoir l’évolution future de ce nouvel outil de communication. Ceci dit, nous pouvons essayer de poser quelques jalons :

· Il est possible que le public finisse par se familiariser de plus en plus avec la lecture sur écran, ce qui risque d’avoir des conséquences à moyen terme. Nous tous, via nos blogues, nous ne faisons pas autre chose que d’avoir le nez collé sur notre ordinateur. Personnellement, je constate que j’ai tendance à lire les informations (site du journal Le Monde, etc.) plutôt que de les écouter à la télévision. En effet, je peux le faire quand je le désire et cibler les sujets qui m’intéressent.

· Le risque, c’est que les éditeurs y verront une opportunité de réduire leurs coups de fabrication. Avec des livres à la demande, ils n’auront plus de gestion de stocks ni de pilons. De plus, si on améliore encore ces petits écrans portables qui permettent de lire des romans entiers avec un maximum de confort, l’édition papier pourrait bien disparaître. En effet, il suffirait d’acheter un mini CD ou même de télécharger le livre directement sur Internet. Si une telle tendance devait se généraliser, cela signifierait la disparition des bibliothèques personnelles. Celles-ci se réduiraient à la mémoire de votre machine. Cela voudrait dire aussi, la technique évoluant sans arrêt, qu’il vous faudrait racheter périodiquement une « liseuse » plus performante, en espérant que les livres stockés en mémoire sur l’ancienne puissent toujours être lus par la nouvelle. On n’ose non plus imaginer ce qui se passerait en cas de panne du disque dur…

· D’un autre côté, la Littérature étant devenue une grande affaire commerciale et le milieu de l’édition privilégiant ce qui se vend au détriment de la qualité, on pourrait imaginer que des auteurs authentiques se tournent vers Internet pour s’assurer un lectorat qui finalement ne sera pas moindre que le public confidentiel auquel leur œuvre était destinée.

· Le problème, pour le profane, c’est de savoir reconnaître sur le Net les œuvres de qualité car la Toile est ouverte à tous et tout le monde peut y écrire. Plus rien ne sera gravé dans le marbre et tout appartiendra au domaine de l’éphémère. On pourrait d’ailleurs se demander si une société qui efface ainsi toutes les valeurs et qui ne distingue plus l’œuvre d’art authentique des balbutiements de la concierge (ceci dit sans aucune animosité de ma part envers les concierges) n’est pas en pleine décadence. Tout ne serait plus qu’un immense discours, une logorrhée sans fin, une sorte de « bruit et de fureur » n’ayant d’autre but que d’exister par lui-même. S’il n’y a plus de message à transmettre, s’il n’y a plus une hiérarchie des valeurs (même si celle-ci est contestable), on risque bien de se retrouver devant un fond sonore sans signification.

· Le gros avantage d’Internet, c’est l’échange immédiat avec des personnes ayant les mêmes centres d’intérêt que vous. Pour un auteur, c’est donc aussi une manière de dialoguer avec des lecteurs qu’il n’aurait jamais eu l’occasion de rencontrer. Vous me direz qu’il y a les Salons du livre, mais que peut-on raconter en deux minutes au milieu du brouhaha de la foule ? Rien du tout. Rien en tout cas qui soit comparable au type d’échange que l’on peut avoir sur un blogue ou via un courriel privé avec un(une) lecteur (trice).

· Pour être édité, c’est le parcours du combattant, tout le monde le sait et des relations ou un nom déjà connu peuvent seuls vous ouvrir les portes. Au contraire, avec Internet la littérature se démocratise puisque tout un chacun peut venir déposer des textes. Il suffirait donc de modifier l’idée qu’on se fait d’un auteur pour avoir de la littérature une autre conception. Je pourrais très bien avoir un métier ordinaire et rédiger des textes de qualité qui seraient alors appréciés sans pour cela avoir comme seule occupation l’écriture (car c’est tout de même comme cela qu’on voit encore l’écrivain, même si en fait une grande partie de son temps est consacrée à une écriture alimentaire : articles de presse, compte-rendus, etc.)

· Il resterait le problème de la diffusion, qui est finalement le même que dans l’édition classique. Pour être lu, il faut être vu. A la publicité traditionnelle se substituerait donc l’art d’être repéré par les moteurs de recherche, ce qui est aussi une manière de s’imposer.

· Si le texte enligne devait remplacer la littérature sur papier, il resterait le problème de la mouvance du texte, qui ne serait jamais figé. Un auteur traditionnel a en effet tendance à améliorer son texte jusqu’au moment de la publication qui le fixe alors définitivement. Sur écran, il n’en va pas ainsi. Déjà que les versions antérieures sont souvent impitoyablement écrasées, le risque est grand de se retrouver devant un texte mouvant, en perpétuel devenir et qui évoluera sans cesse au gré de son auteur. Mais qu’est-ce qu’une société qui ne sait plus fixer les choses mais les présente dans un ordre aléatoire et arbitraire ? Si rien ne vaut rien et si tout vaut tout, j’ai bien peur que la décadence ne soit proche.

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20/04/2008

Retour au pays natal

Ainsi donc ils étaient tous là, aux obsèques d’Aimé Césaire. La gauche, bien sur, histoire de rappeler que les idées généreuses de l’homme qui a défendu la négritude sont aussi les siennes. Du moins convient-il de le faire croire. Elle ne pouvait donc pas faire moins que d’être là. Mais la droite aussi était là, ce qui n’est curieux qu’en apparence. En effet, une fois mort, on ne vous trouve que des qualités, c’est bien connu, et cet homme, ce poète, qui s’est toujours battu contre le colonialisme et donc en faveur de la dignité humaine, cet homme qui s’est donc opposé à l’état central, voilà que tout le monde aujourd’hui dit qu’il avait raison. Comment faire autrement, d’ailleurs ? Vous vous voyez, si vous êtes politicien, aller critiquer le défunt en ce moment précis où les émotions sont les plus vives ? Impensable. Electoralement suicidaire. Humainement contestable. Donc la droite était là aussi, histoire de montrer qu’elle approuvait le combat de cet homme auquel elle a pourtant bien dû s’opposer en son temps au nom de la raison d’état. Si certains en doutent, qu’on se souvienne des événements en Nouvelle–Calédonie au moment de la deuxième élection de Mitterrand. Chirac avait fait envoyer la troupe, espérant que son geste d’autorité séduirait les Français. Hélas pour lui se fut mal perçu et c’est son rival qui fut élu. Vous me direz que la Nouvelle- Calédonie, ce n’est pas la Martinique, mais bon, vu de Paris, c’est du pareil au même.

Ceci étant dit, s’il y en a bien un que je croyais tout de même ne pas voir devant le cercueil du poète, c’est bien Sarkozy. N’avait-il pas dit et répété qu’il ne fallait pas avoir honte de notre passé colonial ? N’avait-il pas prononcé à Dakar un discours enflammé dans lequel il faisait comprendre aux Africains qu’ils ne devaient pas regarder en arrière vers leurs anciennes cultures, mais qu’il était grand temps pour eux d’aller de l’avant et de tirer profit de ce que l‘Occident leur avait apporté ? N’avait-il pas fait voter une loi dans laquelle on redisait que le colonialisme avait eu du bon (qui le nierait ? Il suffirait d’ajouter qu’il a eu aussi beaucoup de mauvais et sans doute davantage). Alors que vient faire à Fort-de-France (ce nom en soi est déjà tout un symbole) ce champion de la droite capitaliste et donc néo-coloniale ?

Avait-il peur que son absence fût remarquée et qu’elle ne soit la cause d’une nouvelle dégringolade dans ses sondages ? Lui a –t-on dit qu’il ne pouvait pas faire moins que les socialistes ? Avait-il envie d’une escapade en Martinique (tiens, où est Carla ?) Ou bien tout simplement était-il un passionné des livres de Césaire et s’endormait-il tous les soirs en lisant quelques pages du « Cahier d’un retour au pays natal » ? Laissez-moi rire !

Déjà qu’il nous a fait croire lors de sa visite à Tipaza qu’il lisait Camus ( ''Au printemps, Tipasa est habitée par les dieux et les dieux parlent dans le soleil et l'odeur des absinthes… »). Il ne manquerait plus que cela maintenant, qu’il devienne un chantre de la négritude ! Et dire que certains Français avaient voté pour lui en espérant qu’il règle le problème des banlieues ! Quant aux autres, ceux qui ne voteront jamais pour lui, ils rigolent franchement, mais c’est d’un rire crispé, en fait. On n‘a jamais aimé voir le pouvoir faire des courbettes devant la dépouille d’un poète, surtout si celui-ci a consacré sa vie à lutter contre ce pouvoir qui asservit l’individu. Bref, on se serait bien passé d’une photo comme celle-ci :

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18/04/2008

Il faut rendre à Césaire ce qui appartient à Césaire.

Pour revenir un instant encore à Césaire, il convient de souligner l’importance de ces cultures autres, situées en dehors de l’Hexagone et qui ont adopté la langue française comme moyen d’expression. Le paradoxe est double ou même triple.

- D’une part ces peuples des Antilles durent subir la colonisation, mais c’est aussi par cette colonisation qu’ils eurent accès à une grande langue universelle et de culture.

- C’est en adoptant la langue du colonisateur et en écrivant en français que des hommes comme Césaire vont s’opposer à la colonisation elle-même. Juste retour des choses, mais qui suppose jusqu’à un certain point l’abandon d’une partie de leur propre culture. On retrouve ce problème en Amérique du Sud. Quand celle-ci se souleva contre l’Espagne au XIX° siècle, c’est en espagnol que les courants intellectuels et littéraires s’exprimèrent, non sans souligner le paradoxe. Des gens comme le Cubain Marti, si je ne me trompe, ont dû écrire la-dessus. Devant l’impossibilité d’unifier ces territoires immenses, aux langues indigènes multiples, il n’y avait qu’une solution : adopter définitivement la langue de celui qui vous avait oppressé, d’autant plus que c’était aussi une grande langue qui convenait bien pour manier les idées et les concepts abstraits. Mais en s’exprimant en espagnol, les écrivains de cette génération précisent bien qu’ils n’ont pas l’intention de trahir leurs origines. Pas question, donc, de jouer au singe savant en imitant ces Espagnols qu’on vient de vaincre, mais plutôt se servir de leur propre langue pour les battre sur leur propre terrain. Aimé Césaire, c’est cela aussi, mais pour la France.

- Alors que la France, l’ancienne métropole, est en perte de vitesse économique et que sa puissance politique s’effrite dans le cadre de la mondialisation, alors que la langue française, par contrecoup, perd de son importance tous les jours, nous sommes bien heureux de pouvoir citer des chiffres rassurants quant au nombre de locuteurs francophones de par le monde. Si, numériquement, le français conserve encore un certain poids, c’est bien à ces populations qui vivent dans les anciennes colonies qu’on le doit. Inversement, il faut bien avouer que nous connaissons mal cette littérature exotique. A part précisément ces figures historiques que sont Senghor et Césaire, on lit peu de littérature africaine ou antillaise écrite en français. Il faut dire aussi qu’on n’en trouve pour ainsi dire pas dans les rayons des librairies.

Evidemment, les Senghor et les Césaire avaient complètement intériorisé la culture française et l’avaient superposée à la leur. En cela ils offrent un bel exemple de mixité culturelle (en quoi ils sont sans doute précurseurs. Il suffit de regarder le nombre de personnes de couleurs que vous croisez dans le métro pour vous rendre compte que demain notre propre culture sera le fruit de ce brassage et de cette mixité. Le fait que la planète est devenue un village va encore accentuer le phénomène). Par contre, il est certain qu’en ce qui concerne les pays qui ont acquis leur indépendance depuis longtemps déjà (Sénégal, etc.), les spécificités locales vont se marquer beaucoup plus que chez des hommes comme Césaire ou Senghor. Le risque est donc grand de voir l’écart se creuser chaque jour davantage avec la France. Cette littérature, même si elle est écrite en français, pourrait finir par aborder des problèmes qui ne nous concerneraient plus (survivance des traditions tribales, excision, sécheresse, famines, etc.). Ce serait dommage. D’un autre côté, il est certain que l’analyse du cœur humain donnera toujours une littérature classique universelle et à ce titre les ouvrages de ces pays nous parleront toujours. Profitons du fait qu’ils sont écrits en français pour les lire sans passer par le truchement de la traduction.

16/04/2008

Aimé Césaire

On apprend qu’Aimé Césaire, né en juin 1913, a été hospitalisé pour des problèmes cardiaques jugés très sérieux. A 95 ans, il ne faut plus espérer grand chose. Ce grand classique, en fait, appartient déjà au monde immortel de la littérature. Il aura tout connu : la colonisation mais aussi la possibilité de faire des études en France. C’est à cette époque qu’il se liera d’amitié avec Léopold Sédar Senghor, avec qui il inventera le mot « négritude », donnant ainsi naissance à un courant littéraire original hors de France. Maire de Fort-de-France, il a ensuite forgé le mot « départementalisation », pour remplacer le mot ambigu d'« assimilation ».

Le paradoxe, évidemment, c’est qu’il a assimilé mieux que d’autres la civilisation française, de par ses études, mais une fois son diplôme en poche, il utilise son instruction à promouvoir la culture de son peuple : tous ces anciens esclaves venus d’Afrique et oubliés par l’Histoire. On ne peut que se réjouir de cette réaction, qui visait d’une part à lutter contre la colonisation (surtout l’action culturelle beaucoup plus que politique) et d’autre part à redonner une dignité humaine à ses concitoyens. Il est parvenu à dépasser une vision raciale du monde (risque dans lequel il aurait pu tomber : voir la Serbie et les Balkans en général) et a toujours clamé qu’il était « de la race de ceux qu’on opprime ». Voilà qui est joli et qui nous prouve que la culture et la littérature ont manifestement un rôle à jouer dans notre univers qui ressemble à une jungle.

Quand il rentre en Martinique en 1930, il n’y a pas de littérature martiniquaise ou alors elle intériorise le regard exotique que le colonisateur peut porter sue l’île. Aussi, quand il publie en 1939 Cahier d'un retour au pays natal , l’œuvre est remarquée parce que remarquable :

« Au bout du petit matin, une autre petite maison qui sent très mauvais dans une rue très étroite, une maison minuscule qui abrite en ses entrailles de bois pourri des dizaines de rats et la turbulence de mes six frères et soeurs, une petite maison cruelle dont l'intransigeance affole nos fins de mois et mon père fantasque grignoté d'une seule misère, je n'ai jamais su laquelle, qu'une imprévisible sorcellerie assoupit en mélancolique tendresse ou exalte en hautes flammes de colère; et ma mère dont les jambes pour notre faim inlassable pédalent, pédalent de jour, de nuit, je suis même réveillé la nuit par ces jambes inlassables qui pédalent la nuit et la morsure âpre dans la chair molle de la nuit d'une Singer que ma mère pédale, pédale pour notre faim et de jour et de nuit. »

Plus tard il rencontrera Breton et certaines de ses œuvres seront préfacées par Sartre. Lui, il œuvre pour que son île soit dirigée par les Antillais et non d’office par les descendants des colons. Ceci dit, il ne réclame pas encore l’indépendance comme le fait le Viêt-Nam ou l’Algérie à cette époque, ce qui lui vaudra la réserve des partis de gauche indépendantistes (lui qui était pourtant sur les listes communistes). Plus tard il prendra ses distances avec le PCF et créera son propre parti, revendiquant alors l’autonomie.

Il a encore fait parler de lui récemment, en s’opposant à la Loi du 23 février 2005, laquelle consacrait le côté positif de la colonisation. Il avait aussi refusé de recevoir Nicolas Sarkozy, ce qui nous le rend bien évidemment sympathique. Ceci dit, il l’a fait l’année suivante, estimant qu’il faudrait attendre et juger le Président sur son oeuvre.

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