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19/05/2008

Des milliardaires

« On ne prête qu‘aux riches » dit le proverbe. Voilà sans doute ce qui explique que le nombre des grandes fortunes a considérablement augmenté ces dernières années. Profitant du climat néo-libéral ambiant, ceux qui ont de la fortune investissent dans des secteurs rentables, non sans dédaigner au passage les aides d’état et tout en profitant des exemptions d’impôts. Résultat : en 2006, le nombre de millionnaires (en dollars) avait augmenté de 8,3 %. Quant aux milliardaires, ils sont passé de 209 en 1998 à 1 125 dix ans plus tard.

Nous sommes contents pour eux, assurément. Les chômeurs, les pensionnés, les bénéficiaires du RMI et tous les salariés qui gagnent moins de 2000 euros par mois (ce qui fait déjà pas mal de monde)regardent ces chiffres d’un air médusé. « Mais comment font-ils » ? Telle est assurément la question qu’ils se posent. La presse, de son côté, ne se fait pas prier pour relayer ces informations qui tendent à prouver que tout va bien dans le meilleur des mondes et que pour celui qui le veut vraiment, l’avenir est non seulement assuré mais même franchement radieux. Donc, amis lecteurs, si comme moi vous ne faites pas partie des heureux élus qui doivent à leur audace et à leur intelligence d’avoir réussi, c’est que vous appartenez au club des perdants, autrement dit des nuls et des fainéants. Car derrière ce discours (et c’est ce qui est finalement agaçant), le pouvoir nous fait la morale pour nous dire que si nous stagnons dans notre médiocrité, c’est bien de notre faute. Nous n’osons pas entreprendre et nous nous contentons de nos petites heures salariées (35, 36 ou 38 selon les pays).

Les vrais gagnants, eux, se sont lancés dans l’aventure en retroussant les manches et voilà le résultat : ils sont devenus milliardaires comme beaucoup d’autres. Cette manière de culpabiliser les vaincus est vieille comme le monde. Les seigneurs du Moyen Age, déjà, renforçaient leur pouvoir sur les serfs (dont en fait ils tiraient tous leurs revenus) en les méprisant pour le fait qu’ils n’osaient pas, comme eux, enfourcher un rapide destrier et pratiquer le jeu de la guerre. La noblesse a continué ce type de discours en revendiquant une supériorité intrinsèque (génétique et culturelle)et aujourd’hui, ma foi, cela continue. Comme l’Eglise catholique nous a appris pendant deux mille ans que nous étions fondamentalement coupables (le simple fait d’être né homme ou femme est déjà en soi une faute impardonnable, au point qu’on se dit qu’au aurait mieux fait de venir dans la peau d’un chien), nous sommes finalement tout disposés à croire à notre infériorité. Aujourd’hui donc, à l’ère néo-libérale, si nous ne sommes pas riches, c’est donc bien de notre faute. Il nous reste la consolation de regarder ceux qui le sont devenus et d’envier leur niveau de vie.

De plus, point de racisme chez les nouveaux riches. Dans cette nouvelle caste que constitue les « gagneurs », on ne regarde pas à la couleur de la peau, preuve supplémentaire de leur bonne moralité. Ainsi quatre des personnalités les plus riches de la planète sont indiennes. Il y a aussi des Russes, des Turcs, des Polonais et des Brésiliens, bref des étrangers qui se sont montrés plus habiles que nous. Il est loin le temps où nos grands-parents regardaient de haut les Polonais ou les Italiens qui venaient travailler dans nos mines. Aujourd’hui, en cette période démocratique, il y a égalité pour tous. Le droit de s’enrichir appartient autant à l’Africain qui se fait repêcher au large des Canaries sur une épave qu’à l’actionnaire principal du groupe Suez (même si je n’ai pas vu beaucoup d’Africains réfugiés politiques sur cette liste de milliardaires, allez savoir pourquoi). La belle époque que la nôtre.

La mode n’est plus de faire fortune dans le pétrole (cela tombe bien, je n’en ai pas trouvé dans le sous-sol de mon jardin)mais plutôt de se transformer en « barons voleurs » de la finance, des médias, de l'immobilier et des nouvelles technologies. La recette ? Fréquenter les grandes écoles, tisser une toile de relations utiles et ne pas négliger l’appui familial. Quelques relations politiques ne nuisent jamais non plus, surtout si vous êtes assez influent pour faire adopter des lois qui seront en votre faveur. Car nos politiciens sont tout disposés, semble-t-il (ceux de gauche comme ceux de droite) à solder les avoirs publics (les biens que l’Etat avait achetés autrefois avec vos impôts)pour les faire passer dans le secteur privé, lequel ne pourra que mieux les gérer, c’est bien connu (on l’a vu dans les pays où les secteurs du gaz et de l’électricité ont été privatisés : cela s’est traduit par une augmentation des factures de 30 %, preuve que l’Etat est bête puisqu’il aurait pu ainsi s’enrichir et qu’il ne l’a pas fait. Tant pis pour lui).

A côté de cela, nos dirigeants élus le plus démocratiquement du monde déréglementent la finance et se laisse convaincre par les barons du capital. On supprime les règles existantes et on s’en remet au marché, seul capable, paraît-il, d'organiser équitablement la répartition des richesses.

Evidemment, pour récompenser les nouveaux riches qui ont osé entreprendre, les tranches supérieures d'imposition sur les revenus sont divisées par deux, parfois par trois. C’est normal. A quoi bon travailler si c’est pour donner tout son argent à l’Etat ? Les ciseaux à surtaxe, comme disait Léo Ferré, c’est bon pour les salariés ordinaires, ces fainéants qui vivent dans la routine, ces idiots qui n’ont pas encore compris que pour être en haut de la hiérarchie il ne faut pas hésiter à écraser les autres.

Car le nouveau principe, c’est l’inégalité. Il aura fallu un travail de sape des intellectuels pendant des années pour faire admettre ce nouveau principe. Plus question de protection sociale, fini l’Etat providence (n’êtes-vous pas honteux de vivre comme des assistés ?), finie l’époque de la retraite paisible (Comment, vous voulez arrêter le travail à 65 ans, en pleine possession de vos moyens, alors que vous pourriez mettre votre expérience au profit des plus jeunes, qu’il faut former ?) avec une bonne pension (si vous n’avez pas pensé à vous constituer une pension privée, autrement dit à vous démunir d’un tiers de votre salaire au profit des banques, alors ne venez pas pleurer : l’Etat ne vous donnera que le strict minimum car ce n’est pas son rôle de vous entretenir). Quoi, vous voulez bénéficier de la sécurité sociale ? Mais vous n’y pensez pas. Cela suppose des impôts au préalable or il n’est pas question d’aller taxer nos entreprises, déjà si peu compétitives. Comment pouvez-vous tenir des propos aussi inciviques ?

Mais rassurez-vous, si vous n’êtes pas riches, vous pourrez au moins contempler ceux qui le sont. Regardez comme ils sont généreux : ils édifient des musées, signent des chèques aux artistes, vaccinent les enfants africains, bref, il n’y a pas plus utiles qu’eux. Grâce à quelques gestes philanthropiques, ils assoient définitivement leur position de maîtres du monde. Manière sans doute de nous faire oublier que ce sont eux qui imposent les bas salaires et le chômage, qui décident d'investir ici et de restructurer là. Eux encore qui ne font que spéculer sur le prix des produits alimentaires les jours où la Bourse rapporte moins (mais aussi, pourquoi pas, les jours où la Bourse rapporte beaucoup) Eux toujours qui développent un mode de consommation peu soucieux du respect de l’environnement. Ils s’en moquent, avec l’argent qu’ils ont économisé, ils pourront toujours trouver une petite île du Pacifique pas trop polluée et moins touchée par les friches industrielles que le Nord-pas de Calais ou la Lorraine. On se demanderait d’ailleurs bien pourquoi certaines personnes s’obstinent à vivre dans ces contrées sinistrées… Probablement parce qu’elles n’ont pas assez d’argent pour aller s’établir sous des cieux plus cléments. Mais si elles n’ont pas d’argent, on vient de l’expliquer, c’est entièrement de leur faute, n’est-ce pas ? Elles n’avaient qu’à devenir milliardaires comme tout le monde, après tout, par les temps qui courent, c’est à la portée de n’importe qui.


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