Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

24/04/2008

Le blogue : du privé au public.

Il y a tout de même un paradoxe fondamental dans le phénomène des blogues. En effet, qu’on le veuille ou non, ouvrir un blogue revient à parler de soi. Certains en font un véritable journal intime (l’écran a juste remplacé le bon vieux cahier dans lequel ils racontaient leurs impressions), d’autres, plus réservés quant à leur vie privée ou leurs états d’âme, de dévoilent cependant aussi puisqu’ils abordent des sujets qui leur tiennent à cœur. C’est finalement mon cas ici. Je ne parle pas de moi directement, mais à travers mes prises de position ou mes choix de lecture, les lecteurs arrivent, par recoupements, à se faire une idée générale assez exacte de mes opinions (peut-être mieux, d’ailleurs que les personnes qui m’entourent, qui elles ne me découvrent que par mes actes et non par l’exposé de ce que je pense).

Donc, que le blogue soit tout à fait intime ou qu’il le soit un peu moins, c’est tout de même une part de soi que l’on vient ainsi livrer en pâture au public. On pourrait donc se demander ce qui est à la base dune telle démarche. En effet, ce qui est intime ne doit-il pas justement le rester? Rappelez-vous votre adolescence : pour rien au monde vous n’auriez apprécié que quelqu’un s’empare à votre insu de votre journal personnel et le lise. Pourtant, ici, c’est volontairement qu’on s’expose devant le public, curieux, non ? De plus, ce public est tout à fait inconnu (du moins au départ, car les mois passant on finit par deviner un peu ses correspondants). On pourrait encore imaginer que l’on se confie à des personnes bien connues, mais non, ici, c’est au premier venu qu’on se livre en toute confiance. Etrange.

L’engouement que le phénomène des blogues connaît prouve assurément que ce type de démarche répond à un besoin. Il est vrai qu’autrefois, dans les petits villages de campagne, tout le monde se connaissait et qu’il était peut-être plus facile de se confier à un voisin ou à une voisine que dans nos cités tentaculaires et anonymes. J’avance cette hypothèse, mais je n’y crois pas trop moi-même, sachant aussi combien la province peut être mesquine et cancanière, ce qui fait que beaucoup doivent hésiter avant de se dévoiler devant leur entourage.

Le blogue remplacerait-il le psychologue que nous n’allons jamais consulter ? C’est peut-être vrai pour ceux qui parlent de leurs problèmes intimes, mais les autres, ceux qui se contentent d’aborder leurs passions (lecture, photographie, musique ou que sais-je) ?

Il semblerait bien, en fait, que le vrai but soit de pouvoir s’exprimer soi-même. Dans une société impersonnelle qui nous demande surtout d’être rentables, chacun éprouve manifestement le besoin de dire qui il est et ce qui lui tient à cœur. Un blogue, c’est une tribune. A partir du moment où je vis en décalage avec la version officielle donnée par la société, il me faut réagir et clamer haut et fort (c’est le cas de le dire) mes opinions. Ainsi si je n’apprécie pas que la littérature soit en train de se transformer en une vaste opération commerciale et si je n’ai pas forcément envie de lire les ouvrages que la publicité veut m’imposer, au moins, si je possède un blogue, je peux montrer ma désapprobation. Comme d’autres personnes pensent la même chose que moi, nous voilà déjà plusieurs à dialoguer et à nous remonter le moral les uns les autres. C’est une lapalissade, mais il est clair qu’on se sent moins seul quand on est plusieurs. Dite comme cela, la phrase est ridicule, mais si on y regarde d’un peu plus près, on s’apercevra qu’elle ne l’est pas. Le fait de ne plus se sentir seul de son opinion console, réconforte et aide à survivre.

Vous me direz que les personnes qui viennent laisser des commentaires ne sont pas toujours d’accord avec l’auteur du blogue. C’est exact, mais cela a peu d’importance car dans ce cas le blogue se transforme en ring ou en tatami sur lequel on vient défendre ses opinions contre l’adversaire. Ce qui compte, c’est qu’on le fasse devant un public attentif qui compte les coups et qui à l’occasion donne son avis. Ici aussi, donc, il s’agit de dire qui on est, ce que l’on pense, et finalement d’oser affirmer ses opinons les plus intimes. Le blogue a donc une vertu cathartique et l’on pourrait presque dire qu’il s’apparente à la vieille maïeutique socratique puisque par le truchement de l’écriture il nous oblige à aller dans nos derniers retranchements pour mettre clairement à l’écran (j’allais dire sur le papier) des pensées qui souvent restaient confuses pour nous-mêmes parce qu’elles étaient enfouies au plus profond de notre être.

Tenir un blogue, c’est donc écrire. Ecrire, c’est penser et ici, c’est penser devant un public.

Donc, maintenant que nous avons compris comment on est passé de l’analyse de l’intime au besoin d’un public (la sphère privée se dévoilant volontairement à l’extérieur), il reste encore un autre paradoxe à analyser.

Quand le succès d’un blogue devient trop grand, celui qui en est l’auteur se retrouve parfois coincé entre son être intime et son personnage. Certes il parle toujours de lui ou de ses passions, mais il se rend compte que son public se fait une certaine image de lui et insensiblement il aura tendance à vouloir correspondre à cette image fabriquée, ne serait-ce que pour ne pas perdre ses précieux lecteurs. Doit-il rester lui-même ou doit-il jouer un rôle ? Personnellement la réponse me semble claire. La société nous fait déjà jouer tellement de rôles que si c’est pour venir en jouer un de plus sur un blogue qui se voulait au départ recherche d’authenticité, cela n’a pas de sens.

Mais on le voit rien n’est simple. Quand la sphère intime devient publique, elle court le risque de ne plus être que publique.

Que les dieux de l’informatique nous préservent d’une telle dérive !

14:42 Publié dans Blogue | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : blogues, prive-public