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23/05/2008

Sarkozy et le monde de la chanson.

On se souvient de la haine que Léo Ferré développait à l’encontre du général De Gaulle, qui le lui rendait bien. En ce temps-là, on n’aurait jamais vu un « chanteur de variétés » recevoir les honneurs de la République. Autres temps, autres mœurs. On apprend en effet que la chanteuse Céline Dion vient de recevoir la Légion d'honneur des mains de Nicolas Sarkozy lui-même. La voilà donc chevalière puisqu’il convient de féminiser les termes qui étaient autrefois l’apanage des hommes (il est vrai que les femmes devaient s’occuper du ménage et des enfants, ce qui limitait la possibilité d’accomplir de grandes choses. Quoi de plus important, pourtant, que d’éduquer des enfants ?)

La presse nous apprend qu’elle n’était pas venue seule. Elle était accompagnée de son mari, de son fils, de sa mère, ainsi que de ses treize frères et sœurs, certains accompagnés de leur propre famille. Tout ce beau monde est arrivé à l'Elysée non pas en Jet privé ni sur un yacht remontant la Seine, mais à bord d'un bus blanc à étage. Nicolas ne s’est pas étonné outre mesure de cette présence familiale encombrante. Il faut dire qu’il a l’habitude, puisqu’il ne se déplace jamais sans sa belle-mère, son beau-père ou son épouse (il en a même déjà eu deux depuis le début de son mandat) quand il ne les envoie pas eux-mêmes en mission.

Il aurait accueilli la star en lui lançant que « la France ayant changé, ceux qui réussissent sont les bienvenus ici », phrase dont le ton correspond à celui qu’il employait lors de sa campagne électorale : valoriser la France qui travaille et qui gagne. Il pouvait se le permettre : Dion étant québécoise, elle ignorait probablement que depuis un an tout allait mal dans le royaume. Pouvoir d’achat en baisse, mouvements sociaux, grogne, découragement, morosité, les Français n’ont pas vraiment l’impression d’avoir réussi depuis qu’ils ont un nouveau président. Il faut dire que lui non plus ne semble pas faire partie de ceux qui gagnent et il suffit pour s’en convaincre de regarder la courbe de sa popularité. Avec une ligne qui n’en finit pas de descendre au point qu’on se demande où elle s’arrêtera, Nicolas ne semble pas mieux loti que les pêcheurs bretons (enfin, eux, c’est surtout leurs revenus qui sont en chute libre).

Donc, il fallait bien que Dion fût québécoise pour ne pas s’étonner des propos du président. Ceci dit, sa phrase est tout de même curieuse en soi. Qu’est-ce que c’est que cette France qui a changé ? Il est vrai qu’il nous avait bien promis des réformes, mais nous n’avons pas encore vu venir grand chose. Veut-il dire que maintenant on n’accueille plus que ceux qui réussissent ? Sans doute est-ce en effet ce qu’il a voulu suggérer. Point d’étrangers inutiles, mais des battants millionnaires, voilà ce dont la République a besoin. Manifestement, cela devait le rassurer lui-même de voir enfin des personnes qui gagnent, car s’il devait se limiter à son cas personnel, il finirait par nous faire une dépression.

Maintenant, faut-il pousser plus loin le raisonnement et comprendre que cette phrase signifie qu’autrefois la France n’accueillait que les perdants ? Je ne pense pas, car sinon comment justifierait-il l’arrivée de son propre père sur le territoire de la République ainsi que celle des parents de Carla Bruni, sa vénérable épouse (tiens, on ne la voit pas sur les photos) ?

Mais poursuivons. Il a tenu à remercier Céline Dion de « faire rayonner notre langue au-delà de nos frontières ». Ceci dit, elle n’a fait qu’employer sa langue maternelle, mais il est vrai que l’importance actuelle du français de France se calcule en fonction du nombre de locuteurs francophones dans le monde. Autrement dit, sur le plan linguistique, la métropole ne conserve un certain rayonnement international que grâce à ses anciens territoires, ceux qui sont situés en dehors de l’Hexagone. Voilà qui devrait faire réfléchir le petit président sur la nature de la colonisation. Ne disait-il pas il n’y a pas si longtemps qu’il n’y avait pas à être honteux de cette pratique et que c’était plutôt aux peuples conquis de remercier la France de leur avoir apporté la civilisation ? Sans doute, il n’empêche qu’à l’heure actuelle, c’est plutôt lui qui devrait les remercier de continuer à parler en français.

C’est d’ailleurs ce qu’il fait en félicitant Dion et en lui offrant une belle médaille. En agissant de la sorte, il reconnaît l’importance du français hors de France et en flattant le Québec il joue son petit De Gaulle (« je vous ai compris. »)

Toutefois, en bon valet de Bush et en américanophile convaincu, il ajoute aussitôt, un peu embarrassé : « Il faut comprendre que si nous sommes tellement attachés (à la langue française), ce n'est pas par opposition à l'anglais .» Et de continuer en affirmant que « le monde est plus heureux avec plusieurs langues car la diversité est une richesse.» C’est sûrement le même discours qu’il tient quand il se rend dans les banlieues de sa belle capitale et qu’il s’adresse aux Français d’origine immigrée. Cela me fait penser qu’il y a longtemps qu’il ne s’est plus déplacé dans ces quartiers. Il est vrai que ces gens ne font pas partie de ceux qui gagnent. Ils doivent donc encore appartenir à la France d’avant.

Pour terminer, il s’est lancé dans une longue tirade sur l’amour, profitant de la place que ce thème occupe dans le répertoire de la chanteuse pour faire revivre sa récente expérience personnelle : « il n'y a qu'une seule façon d'aimer: aimer totalement. L'amour, il ne doit pas y avoir d'impudeur à le partager. Ca donne une certaine fraîcheur. » C’est sans doute pour cela qu’il nous a fait partager son amour pour Carla avec une indiscrétion que nous n’avions jamais vue chez un président. Il a tellement bien réussi qu’on finit par la préférer à celui que nous nous étions choisi et pour lequel nous avions voté (elle a tout de même plus de classe). Enfin, quand je dis « nous », je ne parle pas pour moi, bien entendu.

« Avant d'être président de la République, j'ai fait deux, trois trucs, dont aller vous écouter » a-t-il également lancé à Céline Dion. Tiens donc, il serait donc prédestiné pour admirer les chanteuses ? Si ça se trouve, il aurait tout aussi bien pu épouser celle-ci (cela aurait été une manière habile de remettre la main sur le Québec, par un mariage digne des anciens rois de France et de leur politique expansionniste). Ceci dit, en bon puriste, l’emploi du mot « truc » me gêne un peu de la part du Président, mais bon, on ne peut pas tout avoir. Déjà qu’il aime la chanson française, c’est déjà beaucoup. Espérons seulement que sur sa lancée il ne va décorer la première dame et la faire chevalière à son tour. Enfin, rassurons-nous, si c’était le cas, c’est la chanteuse qu’il honorerait ainsi et non l’ex-mannequin. Heureusement, sinon on ne sait dans quelle tenue elle viendrait recevoir une décoration que son président de mari aurait bien eu du mal à accrocher…