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17/05/2008

En réponse à ceux que l'altérité répugne (par Pierre Damiens)

Suite à l'article qui précède, Pierre Damiens a donné sa réponse (dans les commentaires et par courriel). Je la redonne ici, pour ceux qui ne l'auraient pas lue. J'ai juste modifié mon nom en le remplaçant par mon pseudo, comme il est de coutume sur ce blogue qui est le mien.

En réponse à ceux que l'altérité répugne (texte adressé au Stalker le 7 mai 2008, en réponse à l'article http://stalker.hautetfort.com/archive/2008/05/03/de-la-peur-que-certains-eprouvent-face-a-une-societe-reponse.html.)

J’apprécie la persévérance avec laquelle vous avez cherché à me répondre. Pascal, dans ses Provinciales, disait « J’ai été long parce que je n’ai pas eu le temps de faire court ». Je vais donc essayer de répliquer sans trop me disperser.

Il me faut tout d’abord préciser que vous déformez trop souvent mes propos, usant d’approximations (« colonialisme » pour « esclavagisme », « immigration » pour « métissage »…) et que vous cherchez par là à caricaturer mes idées afin de les faire entrer de force dans vos gabarits idéologiques. Vous vous référez en permanence aux notions de « droite » et de « gauche ». Convenez que je n’utilise que rarement ces termes, fourretouts commodes mais dépourvus de toute pertinence pour les sujets qui nous intéressent ici. En effet, les questions d’identité culturelle, de Nation, de souveraineté, et de submersion de ces notions dans le maelstrom de la mondialisation, transcendent les clivages politiques classiques. Il y a des nationalistes et des souverainistes de gauche, des mondialistes de droite (ils sont légion !), ou des racistes socialistes (l’essence même du fascisme). Il y a surtout des opportunistes et des idéalistes. Et si Césaire est un métis, c'est bien de ces deux dernières espèces qu'il tire sa filiation. Mais puisque le vieux pape du ressentiment n'était qu'un prétexte à notre échange, poursuivons sans lui.

Vous ne me verrez jamais prendre une position partisane lorsqu’il s’agit de juger un fait, un évènement ou un homme. En revanche, j’applique fidèlement la règle suivante : toujours jauger une idée en fonction de ses effets, non de ses intentions, et considérer un homme à l’aune de la cohérence entre sa pensée, ses paroles et ses actes. C’est en cela que nous divergeons fondamentalement, et c’est pour cela que je peux penser plus librement que vous. A titre d’exemple, j’utilise le terme de « bourgeois » pour son acception littérale, tandis que vous y entendez immanquablement une connotation marxiste.

Mon premier regret, quand je lis votre prose, c’est l'hémiplégie de votre sens critique. A quoi bon, monsieur Feuilly, étaler votre connaissance des officines qui mènent aujourd’hui réellement le monde, tandis que les gouvernements démocratiques ne sont plus qu’un théâtre de marionnettes, si c’est pour rabâcher les poncifs avec lesquels l’intelligentsia mondialiste étend subrepticement son pouvoir ???

A quoi bon vous « insurger » contre ma prétendue lecture ethno-raciale du monde si vous nous resservez l’antienne des hordes germaniques abruties, que la lumière arabe aurait extirpées de la barbarie ??? Avez-vous entendu parler de Constantinople, monsieur Feuilly ? Vous savez, l’empire romain d’Orient, celui qui a préservé l’héritage gréco-latin jusqu’à son anéantissement par… les Turcs !!! Savez-vous, monsieur Feuilly, que les moines de Gaule, puis de France, ont reçu des monastères byzantins les écrits des philosophes grecs ? Relisez donc Georges Duby et Pierre Riché… Allez au musée du Moyen-âge, dans l’Hôtel de Cluny… vous y verrez les vestiges, bien peu mis en valeur (la mode est à l’exposition de valises en carton…), de ce qu’il faut bien appeler la renaissance carolingienne. Les clichés sur les inventions arabes, le zéro (découverte indienne), la boussole (trouvaille chinoise, comme les cartes), les étriers (les musées d’antiquités romaines en regorgent), l’astronomie (pratiquée par tous les peuples antiques), la médecine (Hippocrate était-il arabe ???) sont des sornettes. Sans parler des philosophes chrétiens syriaques, un peu vite convertis à l’Islam par nos champions de l’antiracisme !

Vous prenez encore de drôles de libertés avec l’Histoire lorsque vous nous narrez par le menu l’épopée du totalitarisme rouge. Ainsi, selon vous, il y avait de bons motifs pour être communiste jusqu’en 1956, tandis qu’il n’y avait que de mauvaises raisons pour être fasciste. «Les purges staliniennes et le goulag n’étaient pas connus comme ils l’ont été par la suite… », dites-vous pour toute justification ! Ainsi, faudrait-il reprocher aux collaborationnistes d’avoir sous-estimé l’ampleur du phénomène concentrationnaire national-socialiste, mais cependant absoudre les communistes d’avoir ignoré les crimes du stalinisme ! Pourtant, les « purges » staliniennes ont débuté dès 1924… et elles ont fait au bas mot vingt millions de victimes ! Et tout cela avait été dit, écrit, dès les années trente... Les invités de l’Intourist eux-mêmes avaient tenté de percer le silence, mais ils n’ont récolté que l’opprobre et la censure (voyez Gide et son Retour d’URSS). Vous nous expliquez que, s’il est condamnable de coopérer avec les allemands en 1944 (sous la contrainte d’une armée d’occupation et sous la menace du sort réservé à 1 million et demi de prisonniers…), il est en revanche acceptable de continuer à prôner la dictature du prolétariat, alors que même l’URSS se déstalinise !!! Mais si les crimes du communisme ont été jusqu’ici méconnus, monsieur Feuilly, ce n’est que parce que leurs complices régnaient jusque dans les années 70 sur la sphère intellectuelle française, et que leurs héritiers sévissent encore ! Alors de grâce, ne vous dites pas humaniste si vous continuez à colporter des bobards visant à disculper les compagnons de route du PCF, ce temple légal de l’idéologie la plus criminelle à ce jour ! La vision du monde national-socialiste hiérarchisait les hommes en fonction de leur race ; le communisme les oppose en fonction de leur classe. Quand les fascistes dénonçaient leurs voisins juifs, les komsomols dénonçaient leurs propres parents ! Je ne vois pas en quoi il s’agirait d’un moindre mal… Votre humanité est-elle à géométrie variable ?

A propos d’un passé plus proche, vos œillères idéologiques vous masquent encore la complexité des problèmes que vous évoquez. Ainsi, lorsque vous faites allusion à la « grotte de Nouméa » pour dire en substance que « Chirac = tueur de kanaks » et « Mitterrand = retour à la paix », vous sombrez dans l’erreur mensongère. Tout d’abord, il n’y a pas de grotte à Nouméa, ville que je connais bien. Il en a une à Lourdes, mais votre cas n’est pas si désespéré, et une autre à Ouvéa, une des Iles Loyautés. C’est cette dernière qui a été le théâtre de l’opération Victor le 5 mai 1988. Cette action des commandos français a été menée contre les preneurs d’otages indépendantistes, lesquels détenaient 22 prisonniers (dont un procureur de la République). Auparavant, ils avaient tué quatre gendarmes à coups de machette à Fayaoué, sous les yeux de leurs épouses qui ont ensuite été violées. Or, l’intervention brutale (mais néanmoins efficace) des forces de l’ordre a été décidée, en pleine cohabitation, conjointement par François Mitterrand (constitutionnellement le chef des armées) et son premier ministre (responsable de la politique de défense), après l’échec des tentatives de négociations (lesquelles se sont soldées par la capture des six émissaires du gouvernement). Ce que vous ne discernez pas, dans cette triste affaire, c’est qu’encore une fois les hommes de terrain et la population ont fait les frais d’une conduite politique calamiteuse. La Nouvelle-Calédonie a été la victime des manipulations politiciennes sur fond de campagne présidentielle : le PS instrumentalisait le FLNKS (Front de Libération National Kanak Socialiste) pour faire échouer la politique de Bernard Pons (ministre RPR), tandis que Chirac manigançait avec Lafleur pour conserver une majorité gaulliste sur le « Cailloux ». Au bilan, des dizaines de vies ont été sacrifiées pour de petits calculs électoraux. Les Kanaks n’en sont d’ailleurs pas dupes, et ont célébré leur réconciliation avec les gendarmes il a maintenant dix ans, loin des regards des criminels en col blanc.

Je pourrai rectifier ainsi toutes vos « erreurs », mais allons à l’essentiel. Vous lâchez le morceau en disant : « On sent précisément que vous n’êtes pas disposé à vous sentir coupable » ! Hé bien non, en effet ! Pour une fois vous ne vous égarez pas ! N’étant coupable de rien, en tout cas pas des crimes que vous m’imputez héréditairement, je ne me sens pas condamnable le moins du monde. Mais à la différence de madame Dufoix, je ne suis pas coupable parce que pas responsable, sauf à prétendre qu’une communauté puisse collectivement avoir à répondre des méfaits d’une partie infiniment minoritaire de ses ancêtres. Si cela était votre avis, monsieur Feuilly, vous seriez le digne disciple d’Alfred Rosenberg et de Martin Bormann ! Hé oui, monsieur Feuilly, je me sens parfaitement dédouané de ce qui m’est ici sournoisement reproché : l’esclavagisme, le colonialisme (positif ou non !), les guerres qui ont émaillé notre Histoire… La logique d’une procédure inquisitoire est de toujours chercher à qui profite le crime… Elémentaire mon cher Feuilly… Or, si crime il y a, je n’en ai pas touché le moindre dividende. A l’heure où Aimé Césaire pavanait sous les lambris de la république, mes aïeux trimaient à la mine, aux champs, ou dans les futaies de notre beau pays. Des générations qui m’ont précédé, je n’ai hérité d’aucune rente, d’aucun privilège, d’aucune richesse, si ce n’est d’une culture et d’un patrimoine national. Celui-là même que l’on prétend aujourd’hui diviser, démembrer, partager avec la terre entière… Or, monsieur Feuilly, ce bien là ne nous appartient pas, nous ne pouvons pas en disposer comme bon nous semble, car les générations à venir en sont autant que nous les légitimes bénéficiaires.

Ma conception du monde, que vous toisez du haut de vos bons sentiments, postule que chaque peuple participe à sa façon à l’aventure humaine, et que, si le métissage n’a rien d’aberrant à l’échelle individuelle, il devient un mode politiquement correct d’ethnocide lorsqu’il est organisé sur une grande échelle, comme c’est le cas aujourd’hui. Je vous mets d’ailleurs au défi de me citer un seul exemple de société multiraciale qui ne soit pas en proie à une criminalité de masse et à la névrose sécuritaire qui l’accompagne toujours. Le Brésil, l’Afrique du Sud, les Etats-Unis d’Amérique battent tous les records en ce domaine. Et nous ne tarderons pas à les rattraper. Cela non pas parce que telle ou telle race est plus criminogène que telle autre, mais parce que le déracinement, le regroupement communautaire, la concurrence interethnique vouent immanquablement les utopies multiculturelles aux échecs les plus sanglants. Les billevesées sur « tous des immigrés, tous nomades » sont les slogans d’une propagande odieuse que vous reprenez sans même en comprendre la portée. Un individu isolé n’est qu’un modèle théorique, et les solidarités naturelles, celles du sang, de la filiation, de la communion entre les générations d’un même lignage, sont des ciments sociaux irremplaçables. L’individu déraciné, déculturé, est par définition fragile, malléable, vulnérable, c’est à cet égard qu’il est devenu l’homme idéal que les magnats de la finance rêvent d’élever en batterie. Il est, en effet, le consommateur ultime, l’homo consumens absolu : sans patrie, sans racines, sans famille, il est contraint de tout acheter, même l’amour.

L’Amour, voilà le mot juste. Etes-vous capable, monsieur Feuilly, de concevoir qu’on veuille préserver son identité culturelle, non par peur, non par égoïsme, non par frilosité, mais par amour des siens, lequel n’est pas exclusif. J’ai déjà pas mal bourlingué savez-vous… et ce qui a constitué l’attrait de mes périples, plutôt que de beaux paysages, c’est de découvrir un véritable « ailleurs », lequel n’est que le parèdre d’un véritable « ici ». La biodiversité que nos écolos sacralisent lorsqu’il s’agit de plantes ou de batraciens, j’en étends l’impérieuse nécessité à l’homme. L’espoir de l’humanité réside non pas dans un modèle unique et standardisé de bipède, mais dans une infinie diversité. Cette altérité que j’ai rencontrée, loin de me faire peur, elle me renforce. Ce n’est qu’au contact des autres peuples que j’ai commencé à comprendre ce que c’est que d’être français et européen. Je n’ai pas la prétention d’avoir percé les secrets des cultures et des civilisations que j’ai côtoyées. Loin de là. La cérémonie du kava des mélanésiens, le bwiti d’Afrique équatoriale, les prières psalmodiées du bouddhisme sud-asiatique me resteront à jamais hermétiques. Mais j’ai toujours respecté ces pratiques lorsqu’elles étaient l’affirmation d’une tradition authentique, originale. Elles deviennent en revanche ridicules et méprisables lorsque le modernisme de bas étage les transforme en folklore pour touristes ou en survivances communautaristes pour ghettos. Et, cela va sans doute vous surprendre, ce qui m’a toujours ouvert les portes, jusque dans les recoins les plus improbables de notre vaste monde, c’est d’avoir toujours assumé mes origines, de n’avoir jamais singé les coutumes locales que je ne comprenais pas, de n’avoir jamais joué au « citoyen du monde ».

C’est en étant soi-même que l’on est respecté des autres, et qu’en définitive, on se respecte aussi. C’est en assumant ses responsabilités envers son prochain, avant d’imaginer des solidarités lointaines, que l’on est un homme digne de ce nom. Cela, tous les peuples que l’individualisme n’a pas encore contaminés le savent. Ce n’est qu’en cultivant ses propres racines que l’on peut s’élever et peut-être parvenir, dans ses plus hautes aspirations, à rejoindre l’universel.

Ecrit par : Pierre Damiens | 13.05.2008

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