Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

17/05/2008

Réponse à un sage qui se croit apolitique.

Suite aux remarques de Pierre Damiens, voici ma réponse:


Cher Monsieur, vous me présentez comme un idéologue victime de ses a priori. Sachez tout d’abord que je ne suis d’aucun parti, si ce n’est du mien et que je trouve regrettable qu’on ne puisse défendre le sort de ses contemporains (d’un point de vue disons humaniste et social) sans se voir aussitôt taxé de marxiste ou de communiste primaire. De tels reproches sont un peu faciles et tendent à prouver que les œillères ne sont pas du côté que vous dites.

Vous affirmez que vous vous situez au-delà du clivage gauche-droite et que des questions comme celles de l’identité culturelle, de la Nation ou de la souveraineté « transcendent les clivages politiques classiques. » Sans doute. Mais le fait d’insister sur ce point (revendiquer votre neutralité) tout en me reprochant d’avoir une vision de gauche (attitude qui, de votre point de vue, semble confiner à la bêtise), tend déjà à prouver que vous n’êtes pas si neutre que cela. Vos critiques répétées à l’encontre de la gauche et vos remarques mesurées envers la droite vous positionnent d’office dans un camp. Et ce n’est pas moi qui vous classe dans ce camp, c’est vous qui le faites vous-même.

Certes, en philosophant d’une manière que vous présentez comme objective, vous croyez sortir des sentiers battus. Mais cette défense systématique de l’intégrité de la Nation vous classerait au mieux du côté d’un gaullisme de bon aloi, au pire du côté d’une droite très très à droite.

Si je m’exprime de la sorte, vous allez me reprocher une nouvelle fois d’établir des catégories commodes. Permettez-moi tout simplement d’être sur mes gardes et de me méfier de ces loups qui se disent aussi blancs que les brebis qu’ils s’apprêtent à manger.

Vous dites « toujours jauger une idée en fonction de ses effets, non de ses intentions. » Attention tout de même. Il est toujours bon de connaître l’intention première, même si celle-ci ne donne pas toujours l’effet escompté. Prenons un exemple sur lequel, je crois, nous tomberons d’accord : celui de la guerre en Irak. Sous prétexte de terrorisme et d’armes de destruction massive, l’Amérique s’est engagée dans une guerre dont elle ne voit pas la fin. Fallait-il prendre pour argent comptant la version de l’administration Bush et engager la France dans un conflit qui n’était pas le sien ? Chirac aurait-il dû suivre aveuglément et attendre ensuite les effets pour les analyser ? Non, bien sûr.

Alors, lorsque vous vous targuez de penser plus librement que moi, je vous en félicite, bien entendu, mais je vous donne cependant ce conseil : ne soyez pas trop naïf et n’attendez pas toujours les conséquences d’une action pour savoir si vous deviez être d’accord ou non avec elle.

En fait, ce conseil est un peu ironique, je l’avoue, et je vois bien que lorsque vous êtes confronté à une idée émanant de ce que vous considérez comme la gauche, je vois bien, dis-je, que vous n’attendez pas longtemps avant de prendre position.


Vous me reprochez «l'hémiplégie de mon sens critique », ce qui est un peu dur à entendre. En gros, je percevrais clairement ce qui se trame dans « les officines qui mènent le monde » tout en faisant leur jeu.

Je ne vois pas en quoi je contribue à faire leur jeu en dénonçant leur action et en levant un coin du voile sur l’abrutissement des masses par les médias (voir mes propos contre Ockrent). En fait, nous tombons d’accord pour fustiger la mondialisation, qui appauvrit culturellement nos sociétés occidentales (et toutes les autres d’ailleurs), mais quand je regrette qu’elle appauvrit aussi les citoyens sur le plan économique, vous prenez vos distances en me taxant de gauchiste. Et quoi ? Vous voulez me faire porter la statue de Jeanne d’Arc avec les adeptes du Front national et m’obliger à ne parler que de la grandeur de la France ? « Travail, famille, patrie », telle est votre devise ? Non, je ne vous ferai pas cette injure. D’ailleurs vous réfuteriez mes propos aussitôt puisque vous vous dites apolitique.

Mais ce qui m’intéresse, moi, ce sont les gens, beaucoup plus que l‘idée abstraite de patrie. Je vais vous surprendre, mais un de Gaulle, dont je pourrais en fait dire autant de mal (la grandiloquence du personnage, son mépris aristocratique envers la « chienlit » de mai 68, etc.) que de bien (son rôle exemplaire pendant la guerre, qui a empêché que la France ne soit démantelée par le vainqueur : les départements du N et du N-E devaient former un nouvel état tampon avec le Benelux), peut me séduire quand il affirme qu’il faut noyer le communisme dans le bien-être de tous. Autrement dit, en faisant bénéficier tous les citoyens de la reprise économique et pas seulement quelques-uns, il se montrait digne d’être un chef d’état, beaucoup plus, en tout cas, que les tenants du néolibéralisme actuel, qui ne travaillent que pour les intérêts de quelques-uns. Donc, même si de Gaulle veut par ce moyen combattre le communisme qu’il exècre à peu près autant que vous (visée politique, donc), au moins offre-t-il aux gens une alternative intéressante (vous le voyez, je juge sur les effets, non sur les intentions).

Donc, pour revenir à la mondialisation, ce qui me dérange dans cette affaire, c’est moins le mélange des cultures (même si comme vous je suis fort attaché à la mienne) que le fait d’ériger le commerce (ce vol organisé des plus faibles) en modèle de société. Des mélanges (culturels ou raciaux) il y en a toujours eu. N’en sommes-nous pas les premiers héritiers avec la civilisation gallo-romaine ? J’en profite d’en être arrivé là pour répondre à certaines de vos remarques qui m’ont fort dérangé.

Si je vous ai parlé des « hordes germaniques abruties », ce n’est pas en fustigeant une race particulière, comme vous semblez le croire, mais un état de développement. Ces peuples germaniques, Duby, que j’ai bien lu, nous le montre fort bien, en étaient au stade du pillage organisé pour subvenir à leurs besoins. Nous avons donc affaire à des chasseurs cueilleurs évolués qui trouvent dans la rapine la réponse à leurs besoins de subsistance. Je n’ai porté sur ce point aucun jugement de valeur, me contentant de dire que l’Occident avait bien dû subir ce fléau et l’assimiler avant de se redresser.

Quant au monde arabe, je vous trouve bien prompt à le fustiger. Bien sûr que je connais Constantinople et son héritage gréco-latin. Brillante civilisation particulièrement malmenée par nos croisés, soit dit en passant (ce que vous semblez oublier). Quant aux Turcs je vous ferai remarquer qu’ils ne sont pas de race arabe. Quant à la renaissance carolingienne, elle s’appuie essentiellement sur les moines irlandais, dignes héritiers des ecclésiastiques qui avaient fui la Gaule avec leurs livres lors des invasions germaniques. Charlemagne, on le sait, voulait relever le niveau intellectuel de son clergé et il est allé puiser à la source auprès de ceux qui avaient conservé un latin digne de celui de l’Antiquité.

Clichés les inventions arabes ? Même si ces peuples ont emprunté à d’autres les découvertes dont on leur attribue la paternité, au moins ont-ils servi à rassembler les connaissances et les ont-ils transmises à leur tour. Et vous ne pourrez nier que la civilisation de Al Andalûs ait atteint un haut degré de raffinement. Vous ne pourrez pas nier non plus que la philosophie et la médecine grecques aient été assimilées par le monde arabe. Voir dans la proclamation de cette vérité une stratégie manigancée par les antiracistes vous classe irrémédiablement dans une certaine catégorie de penseurs, celle de ceux qui aiment tenir des discours qui vont à l’encontre des idées reçues (ce qui n’est pas mauvais en soi, je l’ai déjà dit) dans le seul but de discréditer une nation qui ne leur est pas sympathique. Je ne vous accuse pas de racisme, loin de là, mais on dirait que votre acharnement à valoriser l’Occident et la France vous pousse à nier l’évidence, à savoir que d’autres peuples ont pu, à certaines époques, détenir eux aussi une culture enviable et non négligeable. Vous ne citez d’ailleurs jamais Averroès, dont les commentaires sur l’œuvre d’Aristote ont eu une influence majeure tant en Andalousie que dans le reste de l’Europe. En effet, par sa synthèse de la philosophie aristotélicienne et de la foi musulmane, il a tenté non seulement de concilier le domaine de la foi et celui de la raison, mais il a aussi contribué à répandre les cultures grecques et arabes en Occident. Mal vu dans son propre camp, c’est à ses traducteurs juifs qu’il doit d’avoir influencé le scolastique occidentale. Il a été traduit notamment par Michael Scot (à ne pas confondre avec Scot Erigène) Vous ne citez pas davantage Avicenne, dont acte.

Mais revenons à une période plus récente. Vous dites que selon moi «il y avait de bons motifs pour être communiste jusqu’en 1956, tandis qu’il n’y avait que de mauvaises raisons pour être fasciste ». D’abord je répondrai qu’il n’y jamais aucune bonne raison pour devenir fasciste. Ensuite, je préciserai qu’il y avait chez beaucoup une aspiration à une justice sociale qui croyait avoir trouvé dans le communisme une voie royale. Hélas, l’espoir se transforma vite en dictature. Les plus intelligents le virent à temps. Lisez ou relisez « Faux Passeports » de l’avocat wallon Charles Plisnier (prix Goncourt 1937) et vous aurez tout compris. Par ailleurs, c’est un peu lassant de toujours s’entendre dire qu’il ne faut pas avoir d’idées sociales puisque de toute façon celles-ci sont toujours récupérées par des personnes malintentionnées. Vaut-il mieux avoir des idées réactionnaires ?

Où avez-vous lu que je prône la dictature du prolétariat ? C’est votre seule peur qui vous fait parler ainsi, mais ce faisant vous vous trahissez. Vous n’êtes ni de droite ni de gauche ? En tout cas on a compris que vous n’étiez pas à gauche.

Personnellement, je ne colporte pas « des bobards visant à disculper les compagnons de route du PCF, ce temple légal de l’idéologie la plus criminelle à ce jour ! » Il y aurait beaucoup à dire sur le PCF, y compris dans son action en Espagne, où sa présence visait moins à combattre le fascisme qu’à éliminer les anarchistes présents sur le terrain (lire Michel Ragon, « La gloire des vaincus »)..

Pour la « grotte de Nouméa » il fallait évidemment lire « grotte d’Ouvéa », merci de le faire remarquer. Mais je ne sais pas où vous en déduisez que j’approuve plus le rôle de Mitterrand que celui de Chirac. D’abord il est évident qu’ils étaient d’accord tous les deux pour donner l’assaut, mais disons que Mitterrand a fait porter le chapeau à son rival politique. Dans cette affaire, je dis simplement que celui qui a opté pour le dialogue a obtenu de meilleurs résultats, peu importe son appartenance politique. Les Russes ont bien donné l’assaut d’un théâtre moscovite occupé par des Tchétchènes et ce fut une boucherie sans nom. Je ne vais quand même pas les approuver pour cela. Vous par contre, vous devriez, puisque vous vous félicitez par ailleurs de l’action « brutale mais néanmoins efficace des forces de l’ordre » à Ouvéa.


« Je pourrai rectifier ainsi toutes vos erreurs », dites-vous ailleurs. Vous me faites peur, on dirait un commissaire du peuple qui parle.

Par ailleurs, vous ne vous sentez pas coupable de l’esclavagisme, du colonialisme et des guerres qui ont émaillé notre Histoire. Mais moi non plus, à vrai dire. D’ailleurs mes ancêtres n’ont tiré aucun profit de ces événements dont ils ont été les victimes (guerre 40). Cela ne m’empêche pas de fustiger le colonialisme tout en sachant le remettre dans le contexte de l’époque car il est trop facile de condamner sans chercher à comprendre.

Quant à cette culture reçue en héritage et que vous défendez, votre attitude vous honore, certes et je vous suis dans cette voie, contrairement à ce que vous pourriez croire. Je suis même peut-être plus réactionnaire que vous sur ce sujet, allant jusqu’à défendre l’apprentissage de la culture classique (latine et grecque). Que voulez-vous, nul n’est parfait. Je précise tout ceci pour vous montrer qu’on peut défendre le peuple et la démocratie sans pour cela approuver la culture de masse qu’on nous impose de plus en plus. Je suis au contraire d’une grande exigence en matière d’enseignement et je déplore que les gouvernements de gauche n’ont fait que de la démagogie en abaissant le niveau des études sous prétexte de les démocratiser. Il eût fallu continuer à être exigeant tout en permettant à chacun de fréquenter l’école.

Voilà une opinion peu démocratique, que vous allez évidemment me reprocher, puisque seuls les bons élèves des classes défavorisées auront la chance d’obtenir un diplôme. Sans doute, mais en abaissant le niveau de l’enseignement, aucun jeune issu d’un milieu culturellement modeste n’aura la moindre chance de progresser. Notez en passant qu’un marxiste verrait dans mon point de vue une position scandaleuse : permettre aux enfants du peuple d’accéder à la culture bourgeoise et les encourager à le faire. Vous voyez que je suis moins irrécupérable que vous ne croyez.

Cependant je reste démocrate et votre postulat selon lequel le métissage « devient un mode politiquement correct d’ethnocide lorsqu’il est organisé sur une grande échelle » me choque profondément, je ne le cache pas. Est-il vraiment organisé, d’ailleurs ? Qu’est-ce qui pousse tous ces gens à débarquer chez nous si ce n’est la misère endémique qui règne chez eux ? Le système économique que nos sociétés occidentales ont mis en place a encore renforcé leur précarité (et c’est là, assurément, un des points noirs du colonialisme que d’avoir éradiquer des modes de productions indigènes pour mettre en place un système agricole dont nous sommes les seuls bénéficiaires). Aujourd’hui, la mondialisation économique porte le coup de grâce à ces peuples que l’on pousse à s’endetter outre mesure dans le but soit disant de se développer (alors que ceux qui y arrivent sont immédiatement mis à la raison, par les armes s’il le faut).

Je ne me sens pas coupable de cet état de fait, mais permettez-moi au moins de le condamner violemment puisque c’est ma propre civilisation (du moins sa part diabolique) qui l’a produit. Accepter cette injustice, ce serait se faire honte à soi-même.

Mais revenons à votre problème d’immigration de masse, lié effectivement à la criminalité et à la névrose sécuritaire qui l’accompagne. Ce n’est pas une question de race qui est ici en cause mais une question de milieu social, économique et culturel et vous le savez bien. Le problème, le seul en fait, c’est que ces populations immigrées arrivent en trop grand nombre, ce qui provoque leur cantonnement dans des espèces de ghettos lesquels génèrent à leur tour la violence. Il faudrait donc limiter l’accès au territoire mais accueillir dignement ceux qui y sont entrés. Je vois par contre que le sieur Sarkozy qui s’est fait élire en grande partie sur des questions sécuritaires continue à approuver l’arrivée de nombreux réfugiés (avec l’approbation du patronat qui voit d’un bon œil l’arrivée de cette main d ‘œuvre bon marché) tout en reconduisant aux frontières d’une manière arbitraire ceux qui se sont déjà implantés en France.

La concurrence interethnique dites-vous ? N’est-ce pas plutôt d’une concurrence économique dont on nous rabat les oreilles sans arrêt ? N’est-ce pas celle-ci qui fragilise des pans entiers de la population, y compris autochtone, les poussant petit à petit en dessous du seuil de pauvreté ?

De votre côté vous semblez rejeter la solidarité individuelle pour ne pas cautionner le système même de l’immigration. Désolé, mais vous trompez de cible. Attaquez-vous plutôt à ceux qui cautionnent un tel système. Il est vrai que nos politiciens ont fait leur carrière la-dessus. La gauche y voit une réserve d’électeurs et se donne bonne conscience tandis que la droite joue sur la peur de l’étranger pour se faire élire et renforcer la répression, en premier lieu contre les Français de souche (selon l’expression consacrée).

Vous voyez la solution dans « la communion entre les générations d’un même lignage. » Hélas, mais n’est-ce pas notre mode de vie urbanisé qui a fait se dissoudre ce tissu familial ?La gauche y a contribué, préférant développer la solidarité de type syndical, la droite n’a pas fait mieux en imposant des normes économiques qui détruisaient les petites exploitations familiales au profit des grands ensembles.

Le consommateur ultime est un individu seul, en effet, qui tente d’échapper à sa solitude en achetant de plus en plus de produits par ailleurs complètement inefficaces pour résoudre son problème.

« Préserver son identité culturelle, non par peur, non par égoïsme, non par frilosité, mais par amour des siens » Pourquoi pas ? Mais cela implique-t-il le rejet d’autrui ? Vous prônez la biodiversité humaine. J’espère que ce n’est pas pour rester bien à l’abri dans votre culture occidentale et conserver quelques peuplades bien typées aux quatre coins de la planète pour vous offrir un peu d’exotisme de temps à autre ? Non, je ne vous sens pas de cette trempe-là. Je vous vois en réel voyageur et je veux bien croire que vous avez essayé de comprendre les coutumes d’autrui sans vouloir à tout prix les incorporer. Si vous respectez ces différences, c’est déjà beaucoup.

« Ce qui m’a toujours ouvert les portes, jusque dans les recoins les plus improbables de notre vaste monde, c’est d’avoir toujours assumé mes origines, de n’avoir jamais singé les coutumes locales que je ne comprenais pas. » Cela ne me surprend pas et je vous crois sur parole. Mais ne peut-on être aussi « citoyen du monde » car l’homme est partout pareil, un drôle d’animal, en fait : homo homini lupus est.

« Ce n’est qu’en cultivant ses propres racines que l’on peut s’élever et peut-être parvenir, dans ses plus hautes aspirations, à rejoindre l’universel » Tout à fait. Comment pourrait-il en être autrement ? Mais à la condition, cependant, de ne jamais mépriser les autres civilisations en se croyant supérieurs.

Ceci dit, il reste le problème de certaines coutumes qu’il nous est difficile d’absoudre (mutilations sexuelles, lapidations, etc.) Lévi-Strauss lui-même se demandait parfois s’il avait le droit de porter le regard neutre du scientifique sur certaines des coutumes qu’il étudiait.

Voilà, ce fut un plaisir de dialoguer avec vous. Dommage que vous ayez tendance à porter le débat sur le plan personnel plutôt que d’en rester au plan théorique des idées. Nous échangeons des concepts auxquels nous croyons. Une chose est de tenter de prouver que ceux de l’adversaire sont faux, une autre est de critiquer l’adversaire lui-même. Cela aussi s’appelle le respect et devrait être une attitude universelle.

En réponse à ceux que l'altérité répugne (par Pierre Damiens)

Suite à l'article qui précède, Pierre Damiens a donné sa réponse (dans les commentaires et par courriel). Je la redonne ici, pour ceux qui ne l'auraient pas lue. J'ai juste modifié mon nom en le remplaçant par mon pseudo, comme il est de coutume sur ce blogue qui est le mien.

En réponse à ceux que l'altérité répugne (texte adressé au Stalker le 7 mai 2008, en réponse à l'article http://stalker.hautetfort.com/archive/2008/05/03/de-la-peur-que-certains-eprouvent-face-a-une-societe-reponse.html.)

J’apprécie la persévérance avec laquelle vous avez cherché à me répondre. Pascal, dans ses Provinciales, disait « J’ai été long parce que je n’ai pas eu le temps de faire court ». Je vais donc essayer de répliquer sans trop me disperser.

Il me faut tout d’abord préciser que vous déformez trop souvent mes propos, usant d’approximations (« colonialisme » pour « esclavagisme », « immigration » pour « métissage »…) et que vous cherchez par là à caricaturer mes idées afin de les faire entrer de force dans vos gabarits idéologiques. Vous vous référez en permanence aux notions de « droite » et de « gauche ». Convenez que je n’utilise que rarement ces termes, fourretouts commodes mais dépourvus de toute pertinence pour les sujets qui nous intéressent ici. En effet, les questions d’identité culturelle, de Nation, de souveraineté, et de submersion de ces notions dans le maelstrom de la mondialisation, transcendent les clivages politiques classiques. Il y a des nationalistes et des souverainistes de gauche, des mondialistes de droite (ils sont légion !), ou des racistes socialistes (l’essence même du fascisme). Il y a surtout des opportunistes et des idéalistes. Et si Césaire est un métis, c'est bien de ces deux dernières espèces qu'il tire sa filiation. Mais puisque le vieux pape du ressentiment n'était qu'un prétexte à notre échange, poursuivons sans lui.

Vous ne me verrez jamais prendre une position partisane lorsqu’il s’agit de juger un fait, un évènement ou un homme. En revanche, j’applique fidèlement la règle suivante : toujours jauger une idée en fonction de ses effets, non de ses intentions, et considérer un homme à l’aune de la cohérence entre sa pensée, ses paroles et ses actes. C’est en cela que nous divergeons fondamentalement, et c’est pour cela que je peux penser plus librement que vous. A titre d’exemple, j’utilise le terme de « bourgeois » pour son acception littérale, tandis que vous y entendez immanquablement une connotation marxiste.

Mon premier regret, quand je lis votre prose, c’est l'hémiplégie de votre sens critique. A quoi bon, monsieur Feuilly, étaler votre connaissance des officines qui mènent aujourd’hui réellement le monde, tandis que les gouvernements démocratiques ne sont plus qu’un théâtre de marionnettes, si c’est pour rabâcher les poncifs avec lesquels l’intelligentsia mondialiste étend subrepticement son pouvoir ???

A quoi bon vous « insurger » contre ma prétendue lecture ethno-raciale du monde si vous nous resservez l’antienne des hordes germaniques abruties, que la lumière arabe aurait extirpées de la barbarie ??? Avez-vous entendu parler de Constantinople, monsieur Feuilly ? Vous savez, l’empire romain d’Orient, celui qui a préservé l’héritage gréco-latin jusqu’à son anéantissement par… les Turcs !!! Savez-vous, monsieur Feuilly, que les moines de Gaule, puis de France, ont reçu des monastères byzantins les écrits des philosophes grecs ? Relisez donc Georges Duby et Pierre Riché… Allez au musée du Moyen-âge, dans l’Hôtel de Cluny… vous y verrez les vestiges, bien peu mis en valeur (la mode est à l’exposition de valises en carton…), de ce qu’il faut bien appeler la renaissance carolingienne. Les clichés sur les inventions arabes, le zéro (découverte indienne), la boussole (trouvaille chinoise, comme les cartes), les étriers (les musées d’antiquités romaines en regorgent), l’astronomie (pratiquée par tous les peuples antiques), la médecine (Hippocrate était-il arabe ???) sont des sornettes. Sans parler des philosophes chrétiens syriaques, un peu vite convertis à l’Islam par nos champions de l’antiracisme !

Vous prenez encore de drôles de libertés avec l’Histoire lorsque vous nous narrez par le menu l’épopée du totalitarisme rouge. Ainsi, selon vous, il y avait de bons motifs pour être communiste jusqu’en 1956, tandis qu’il n’y avait que de mauvaises raisons pour être fasciste. «Les purges staliniennes et le goulag n’étaient pas connus comme ils l’ont été par la suite… », dites-vous pour toute justification ! Ainsi, faudrait-il reprocher aux collaborationnistes d’avoir sous-estimé l’ampleur du phénomène concentrationnaire national-socialiste, mais cependant absoudre les communistes d’avoir ignoré les crimes du stalinisme ! Pourtant, les « purges » staliniennes ont débuté dès 1924… et elles ont fait au bas mot vingt millions de victimes ! Et tout cela avait été dit, écrit, dès les années trente... Les invités de l’Intourist eux-mêmes avaient tenté de percer le silence, mais ils n’ont récolté que l’opprobre et la censure (voyez Gide et son Retour d’URSS). Vous nous expliquez que, s’il est condamnable de coopérer avec les allemands en 1944 (sous la contrainte d’une armée d’occupation et sous la menace du sort réservé à 1 million et demi de prisonniers…), il est en revanche acceptable de continuer à prôner la dictature du prolétariat, alors que même l’URSS se déstalinise !!! Mais si les crimes du communisme ont été jusqu’ici méconnus, monsieur Feuilly, ce n’est que parce que leurs complices régnaient jusque dans les années 70 sur la sphère intellectuelle française, et que leurs héritiers sévissent encore ! Alors de grâce, ne vous dites pas humaniste si vous continuez à colporter des bobards visant à disculper les compagnons de route du PCF, ce temple légal de l’idéologie la plus criminelle à ce jour ! La vision du monde national-socialiste hiérarchisait les hommes en fonction de leur race ; le communisme les oppose en fonction de leur classe. Quand les fascistes dénonçaient leurs voisins juifs, les komsomols dénonçaient leurs propres parents ! Je ne vois pas en quoi il s’agirait d’un moindre mal… Votre humanité est-elle à géométrie variable ?

A propos d’un passé plus proche, vos œillères idéologiques vous masquent encore la complexité des problèmes que vous évoquez. Ainsi, lorsque vous faites allusion à la « grotte de Nouméa » pour dire en substance que « Chirac = tueur de kanaks » et « Mitterrand = retour à la paix », vous sombrez dans l’erreur mensongère. Tout d’abord, il n’y a pas de grotte à Nouméa, ville que je connais bien. Il en a une à Lourdes, mais votre cas n’est pas si désespéré, et une autre à Ouvéa, une des Iles Loyautés. C’est cette dernière qui a été le théâtre de l’opération Victor le 5 mai 1988. Cette action des commandos français a été menée contre les preneurs d’otages indépendantistes, lesquels détenaient 22 prisonniers (dont un procureur de la République). Auparavant, ils avaient tué quatre gendarmes à coups de machette à Fayaoué, sous les yeux de leurs épouses qui ont ensuite été violées. Or, l’intervention brutale (mais néanmoins efficace) des forces de l’ordre a été décidée, en pleine cohabitation, conjointement par François Mitterrand (constitutionnellement le chef des armées) et son premier ministre (responsable de la politique de défense), après l’échec des tentatives de négociations (lesquelles se sont soldées par la capture des six émissaires du gouvernement). Ce que vous ne discernez pas, dans cette triste affaire, c’est qu’encore une fois les hommes de terrain et la population ont fait les frais d’une conduite politique calamiteuse. La Nouvelle-Calédonie a été la victime des manipulations politiciennes sur fond de campagne présidentielle : le PS instrumentalisait le FLNKS (Front de Libération National Kanak Socialiste) pour faire échouer la politique de Bernard Pons (ministre RPR), tandis que Chirac manigançait avec Lafleur pour conserver une majorité gaulliste sur le « Cailloux ». Au bilan, des dizaines de vies ont été sacrifiées pour de petits calculs électoraux. Les Kanaks n’en sont d’ailleurs pas dupes, et ont célébré leur réconciliation avec les gendarmes il a maintenant dix ans, loin des regards des criminels en col blanc.

Je pourrai rectifier ainsi toutes vos « erreurs », mais allons à l’essentiel. Vous lâchez le morceau en disant : « On sent précisément que vous n’êtes pas disposé à vous sentir coupable » ! Hé bien non, en effet ! Pour une fois vous ne vous égarez pas ! N’étant coupable de rien, en tout cas pas des crimes que vous m’imputez héréditairement, je ne me sens pas condamnable le moins du monde. Mais à la différence de madame Dufoix, je ne suis pas coupable parce que pas responsable, sauf à prétendre qu’une communauté puisse collectivement avoir à répondre des méfaits d’une partie infiniment minoritaire de ses ancêtres. Si cela était votre avis, monsieur Feuilly, vous seriez le digne disciple d’Alfred Rosenberg et de Martin Bormann ! Hé oui, monsieur Feuilly, je me sens parfaitement dédouané de ce qui m’est ici sournoisement reproché : l’esclavagisme, le colonialisme (positif ou non !), les guerres qui ont émaillé notre Histoire… La logique d’une procédure inquisitoire est de toujours chercher à qui profite le crime… Elémentaire mon cher Feuilly… Or, si crime il y a, je n’en ai pas touché le moindre dividende. A l’heure où Aimé Césaire pavanait sous les lambris de la république, mes aïeux trimaient à la mine, aux champs, ou dans les futaies de notre beau pays. Des générations qui m’ont précédé, je n’ai hérité d’aucune rente, d’aucun privilège, d’aucune richesse, si ce n’est d’une culture et d’un patrimoine national. Celui-là même que l’on prétend aujourd’hui diviser, démembrer, partager avec la terre entière… Or, monsieur Feuilly, ce bien là ne nous appartient pas, nous ne pouvons pas en disposer comme bon nous semble, car les générations à venir en sont autant que nous les légitimes bénéficiaires.

Ma conception du monde, que vous toisez du haut de vos bons sentiments, postule que chaque peuple participe à sa façon à l’aventure humaine, et que, si le métissage n’a rien d’aberrant à l’échelle individuelle, il devient un mode politiquement correct d’ethnocide lorsqu’il est organisé sur une grande échelle, comme c’est le cas aujourd’hui. Je vous mets d’ailleurs au défi de me citer un seul exemple de société multiraciale qui ne soit pas en proie à une criminalité de masse et à la névrose sécuritaire qui l’accompagne toujours. Le Brésil, l’Afrique du Sud, les Etats-Unis d’Amérique battent tous les records en ce domaine. Et nous ne tarderons pas à les rattraper. Cela non pas parce que telle ou telle race est plus criminogène que telle autre, mais parce que le déracinement, le regroupement communautaire, la concurrence interethnique vouent immanquablement les utopies multiculturelles aux échecs les plus sanglants. Les billevesées sur « tous des immigrés, tous nomades » sont les slogans d’une propagande odieuse que vous reprenez sans même en comprendre la portée. Un individu isolé n’est qu’un modèle théorique, et les solidarités naturelles, celles du sang, de la filiation, de la communion entre les générations d’un même lignage, sont des ciments sociaux irremplaçables. L’individu déraciné, déculturé, est par définition fragile, malléable, vulnérable, c’est à cet égard qu’il est devenu l’homme idéal que les magnats de la finance rêvent d’élever en batterie. Il est, en effet, le consommateur ultime, l’homo consumens absolu : sans patrie, sans racines, sans famille, il est contraint de tout acheter, même l’amour.

L’Amour, voilà le mot juste. Etes-vous capable, monsieur Feuilly, de concevoir qu’on veuille préserver son identité culturelle, non par peur, non par égoïsme, non par frilosité, mais par amour des siens, lequel n’est pas exclusif. J’ai déjà pas mal bourlingué savez-vous… et ce qui a constitué l’attrait de mes périples, plutôt que de beaux paysages, c’est de découvrir un véritable « ailleurs », lequel n’est que le parèdre d’un véritable « ici ». La biodiversité que nos écolos sacralisent lorsqu’il s’agit de plantes ou de batraciens, j’en étends l’impérieuse nécessité à l’homme. L’espoir de l’humanité réside non pas dans un modèle unique et standardisé de bipède, mais dans une infinie diversité. Cette altérité que j’ai rencontrée, loin de me faire peur, elle me renforce. Ce n’est qu’au contact des autres peuples que j’ai commencé à comprendre ce que c’est que d’être français et européen. Je n’ai pas la prétention d’avoir percé les secrets des cultures et des civilisations que j’ai côtoyées. Loin de là. La cérémonie du kava des mélanésiens, le bwiti d’Afrique équatoriale, les prières psalmodiées du bouddhisme sud-asiatique me resteront à jamais hermétiques. Mais j’ai toujours respecté ces pratiques lorsqu’elles étaient l’affirmation d’une tradition authentique, originale. Elles deviennent en revanche ridicules et méprisables lorsque le modernisme de bas étage les transforme en folklore pour touristes ou en survivances communautaristes pour ghettos. Et, cela va sans doute vous surprendre, ce qui m’a toujours ouvert les portes, jusque dans les recoins les plus improbables de notre vaste monde, c’est d’avoir toujours assumé mes origines, de n’avoir jamais singé les coutumes locales que je ne comprenais pas, de n’avoir jamais joué au « citoyen du monde ».

C’est en étant soi-même que l’on est respecté des autres, et qu’en définitive, on se respecte aussi. C’est en assumant ses responsabilités envers son prochain, avant d’imaginer des solidarités lointaines, que l’on est un homme digne de ce nom. Cela, tous les peuples que l’individualisme n’a pas encore contaminés le savent. Ce n’est qu’en cultivant ses propres racines que l’on peut s’élever et peut-être parvenir, dans ses plus hautes aspirations, à rejoindre l’universel.

Ecrit par : Pierre Damiens | 13.05.2008