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30/05/2008

Mai 68

Les organisations d'extrême gauche (maoïstes, trotskistes, libertaires...) ont été les acteurs majeurs de mai 1968. Aussitôt, la droite gaulliste a eu peur, croyant à un complot communiste qui viserait à renverser le régime. Pourtant, le PCF se rangera très vite derrière de Gaulle pour réfléchir à la manière de mettre fin à l’insurrection.

De son côté, croyant également à un «complot communiste» contre l'Occident chrétien, l'extrême droite va très vite se ranger auprès des forces de l’ordre pour leur donner un coup de main.

Rien d’étonnant donc, à ce qu’aujourd’hui on tente de minimiser le phénomène de mai 68

- soit en le ramenant à une simple contestation étudiante (liée à la révolte de l’adolescence)

- soit en ironisant sur l’embourgeoisement ultérieur des principaux acteurs du mouvement.

- soit en voyant dans les manifestants des fils de bourgeois fatigués de leurs richesses. Autrement dit des héritiers ingrats, à qui les parents avaient tout donné et qui se permettent de cracher dans la soupe qu’on leur avait servie toute chaude.

- Soit en continuant d’affirmer que le mouvement a été soutenu par Moscou. On pourrait pourtant se demander, au vu de l’indépendance d’esprit de De Gaulle et de son non-alignement sur les Etats-Unis, si ce n’est pas de ce côté qu’il faudrait chercher une ingérence étrangère si jamais elle existait. En effet, tout mouvement qui mettait en péril la survie politique du général ne pouvait qu’être approuvé de l’autre côté de l’Atlantique.

Mais revenons à la position adoptée par l’extrême droite. Lorsque éclatent à Paris les premières émeutes, l'extrême droite locale est déstabilisée. D’un côté elle s’est toujours opposée à De Gaulle (celui-ci avait combattu le fascisme les armes à la main en 40-45 et il s’était opposé aux mouvements ultra nationaliste lors de la décolonisation de l'Algérie française. On peut d’ailleurs supposer que les attentats dont il a failli être la victime ont été commis par les néofascistes de l'Organisation armée secrète) et voilà qu’elle se rend compte que les insurgés pourraient bien avoir la peau du général, ce qui les concerne et les intéresse au plus haut point. D’un autre côté, par contre, la contestation émane surtout des mouvements de gauche, autrement dit elle se fait non seulement sans les nationalistes mais même contre eux. Il va falloir choisir son camp.

Ceci dit, les premiers jours, de jeunes militants d'extrême droite vont se mêler aux gauchistes « par amour du sport» (soit parce qu’ils sont jeunes et que l’insurrection en cours leur parle, soit parce qu’ils estiment que c’est leur rôle d’amplifier un mouvement qui crée du désordre).

Très vite, cependant, la vraie nature idéologique de la droite nationaliste va reprendre le dessus et elle se rangera aux côtés du pouvoir, y compris comme « police auxiliaire» quand les forces de l'ordre vont se trouver débordées. Entre deux maux (De Gaulle ou le communisme), elle a choisi le moindre. On sait par ailleurs que des hauts gradés de l'armée (anciens ou proches de l'OAS) ont pris des «contacts discrets avec certains éléments d'extrême droite» pour avoir leur appui au cas où la situation leur échapperait sur le terrain. Ainsi, un plan d'autodéfense est mis sur pied. La réalité de cette alliance objective entre l'extrême droite, la police, l'armée, la droite conservatrice et le pouvoir est peu abordée encore aujourd’hui.

L'ancien chef du Service d'action civique – le Sac (organisation para-policière du pouvoir gaulliste), Charles Pasqua, reconnaîtra les faits : «Oui, évidemment j'ai approché ces mouvements. Certains de nos compagnons étaient très proches de ces jeunes nationalistes. Dans cette atmosphère de mini-révolution, les clivages sautent : il y a ceux qui veulent agir et ceux qui sont passifs. Dès lors tous les actifs sont les bienvenus. Et dans ces mouvements, il y avait des garçons très décidés» («Les dessous de la manif du 30 mai», entretien avec Charles Pasqua, in Le Choc du Mois, dossier « Mai 68 vu de droite», n° 22, mai 2008, Paris, p. 41, cité par le site « Résistances »).

Quand les ouvriers se sont mis à leur tour à débrayer et que la France a connu les plus grandes grèves de son histoire, l’obsession du complot gauchiste a créé un vent de panique qui permet de comprendre ce ralliement de la droite pure et dure à De Gaulle.

Pourtant, dans sa propagande, cette même droite nationaliste prétend généralement combattre le système, parlant même d’un idéal «nationaliste-révolutionnaire.» Dans les faits, on la retrouve toujours du côté du pouvoir, comme ce fut le cas en 1986 lors des manifestations étudiantes contre le projet de loi Devaquet et en 2006 contre le projet de CPE. A chaque fois, des commandos d'extrême droite s’en sont pris aux manifestants à coup de battes de base-ball.

En attendant, le front anti-68 se répète. Ainsi, en 1998, un dirigeant du Front national, Bernard Antony, disait déjà que «les soixante-huitards (staliniens, trotskistes, maoïstes...) auront appliqué systématiquement les directives du communiste italien Gramsci : imprégnation culturelle, noyautage,... Aujourd'hui, ils règnent en maître aussi bien dans les médias que dans les ministères et dans les syndicats» Cette impression que la gauche possède une mainmise sur les médias et la culture est omniprésente dans leurs discours. Curieusement, j’ai personnellement l’impression inverse, à savoir que les médias sont aux mains de grands groupes industriels ou financiers et qu’ils nous abreuvent de propagande libérale. Vous me direz qu’en principe l’extrême droite est elle aussi contre le pouvoir néo-libéral et la mondialisation de l’économie. En principe, oui, puisqu’elle dit défendre les valeurs traditionnelles de la patrie, mais en pratique on constate qu’elle est bien évidemment plus proche de cette droite capitaliste et élitiste que de la gauche républicaine et populaire.

Il suffit de faire un détour par le blogue de B. Anthony, déjà cité, pour se rendre compte qu’il est un fervent adepte de la défense de l'Occident chrétien et de la langue française (on ne peut malheureusement lui donner tort sur ce dernier point). Pour lui et ses adeptes, notre monde est menacé de toutes parts : par le communisme (on croit rêver car on chercherait désespérément les derniers communistes), le mondialisme, le cosmopolitisme, l'internationalisme, l'immigration... Bref, on retrouve tous ces vieux fantasmes ont toujours été le vieux fonds de commerce des populistes nationaux-conservateurs.

Il paraît (mais je ne l’ai pas lu) que le numéro de mai-juin 2008, de La NRH (Nouvelle Revue Historique) est entièrement consacré à Mai 68. «Créée par plusieurs historiens las des interprétations partiales de l'histoire» (selon son propre encart publicitaire), cette revue, qui a pour fonction de réécrire l’Histoire dans le sens qui lui convient, se devait d’aborder le phénomène de mai 68. Les gauchistes y sont présentés comme les «enfants du gaullisme», histoire de fustiger deux ennemis à la fois. Quant à l'hebdomadaire Rivarol, dont le comité de direction est composé de nostalgiques de Pétain, il aime mettre en avant des complots qui viseraient à anéantir l’homme blanc, ce qui suppose une opposition farouche envers l’immigration (surtout arabe) et l’Internationale juive. Voici un exemple, tiré de l’édition du 2 mai 2008 : «Avec Sarkozy et Carla Bruni, avec Kouchner au Quai d'Orsay et Strauss-Kahn à la tête du Fonds monétaire international, le slogan ''Nous sommes tous des Juifs allemands'' clamé par les Enragés garde une actualité plus brûlante que jamais quatre décennies plus tard »

J’ai suffisamment critiqué ici même Sarkozy pour qu’on sache ce que je pense du bonhomme, que je déteste, (en tant que personne et en tant que politicien libéral) et je suis le premier à déplorer qu’il engagerait bien la France dans un conflit avec l’Iran rien que pour servir l’état hébreu, mais je ne puis cependant admettre que les reproches qu’on lui adresse se fondent sur une appartenance raciale. On sait où ce genre de propos commencent, on ne sait pas où ils s’arrêtent.

Pour revenir à notre sujet, notons encore que la droite nationaliste a également voulu marquer sa présence sur le terrain des commémorations. Ainsi, l'Action française (le mouvement fondé par Charles Maurras), a organisé à Paris un forum sur le thème «Sous les pavés la France... en finir avec Mai-68 !

Conclusion :

- Ce qui est inquiétant, c’est qu’on retrouve ici une série de thèmes déjà abordés dans les notes précédentes (voir les remarques autour de Césaire) :rejet de l’immigration, d’une société multiraciale, de la mondialisation et défense par contre de l’homme blanc, chrétien et cultivé, qui respecte les valeurs ancestrales et qui est fier de ses origines. On comprend pourquoi je me montrais si réservé envers un certain interlocuteur, car je retrouvais dans ses propos les thèmes chers à une certaine mouvance politique. Je n’ai pas dit qu’il appartenait à cette mouvance, j’ai dit qu’on pouvait comprendre mes réserves.

- Ce qui est dérangeant avec l’extrême droite, c’est qu’elle a le don de tirer la couverture à elle, par exemple en défendant la langue française, combat qui est aussi le nôtre. Soit vous leur donnez raison et ils vous incorporent dans leurs rangs, soit vous leur donner tort (sur le plan politique) et ils disent que vous détestez votre langue (ce qui est un sujet linguistique), soit encore ils veulent vous mettre en porte-à-faux en montrant que vous avez tort de les rejeter puisqu’en fait vous approuvez leur combat pour la pureté de la langue. En fait, ce qui est agaçant chez eux, c’est cette manière de s’approprier le patrimoine national (que vous êtes le premier à respecter) en faisant croire qu’il est leur propriété et qu’il n’y a qu’eux pour le défendre.

- La droite en général, surtout si elle est fort à droite, a l’art de présenter la gauche comme un mouvement grossier qui s’adresse à la populace inculte. Si on est cultivé, si on a des lettres, on ne peut qu’être de droite. Quel rapport entre un lecteur de Proust et un ouvrier gréviste de la CGT ? Aucun, évidemment. Rien de commun entre le raffinement de Des Essaintes, le héros de Huysmans et une marchande qui vend son poisson à la criée (c’est bien pour cela que la situation a dérapé quand Sarkozy s’est montré vulgaire devant les marins bretons : il a inversé les rôles). Mais si vous prenez le parti de défendre ces gens du peuple, on vous suspecte d’inculture. Par contre, il suffit de s’enfermer dans sa tour d’ivoire avec un livre (ce que je fais en fait le plus souvent) pour pouvoir prendre des grands airs et montrer qu’on est supérieur. A la fin, c’est un petit peu agaçant.