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29/05/2008

"Il faut laisser faire les spécialistes"

Un des thèmes développés par Le Fonds monétaire international et l’Organisation mondiale du commerce est celui de l’éradication de la faim dans le monde.

Non, il ne faut pas sourire, ce problème semble tracasser au plus haut point ces organismes, d’autant plus que c’est là un bon moyen pour eux de se faire passer pour des philanthropes. La solution qu’ils préconisent est simple : faciliter le flux des marchandises. Voici donc le conseil qu’ils donnent au tiers-monde : plutôt que de produire à petite échelle des cultures vivrières que la population consomme sur place (autonomie alimentaire), il conviendrait au contraire d’abandonner l’agriculture locale et de se consacrer à l’exportation. En d’autres termes, il s’agirait de produire et de vendre ce qui intéresse l’Occident et avec l’argent ainsi gagné d’acheter les aliments nécessaires à l’alimentation (le blé de la Beauce ou du Midwest américain par exemple, qui est produit mécaniquement et en grande quantité)

Notons déjà en passant que cette méthode permettrait à l’Occident de tirer profit de la main d’œuvre sous payée du tiers-monde. Par exemple, cela coûterait moins cher d’acheter des ananas mexicains plutôt que de les produire en Floride.

Evidemment, dans cette optique, l’agriculteur du tiers-monde devra renoncer à sa petite exploitation familiale (si on produit des ananas dans son pays, se sera à grande échelle, afin que cela soit rentable). Le risque est alors qu’il n’aille grossir le nombre des sans emplois qui s’agglutinent dans les villes. Pas forcément rétorque le FMI, car il trouvera là des entreprises occidentales qui se seront délocalisées pour profiter de la main d’œuvre bon marché. Tout le monde y trouverait donc son compte. Devenu salarié, ce paysan aurait enfin un niveau de vie décent, les entreprises occidentales réduiraient leur coût de production, le blé européen ou américain se vendrait aux quatre coins de la planète et l’Occident achèterait bon marché les fruits exotiques qu’il ne peut produire lui-même. Bref, c’est le paradis organisé sur terre, une sorte de grand Soir qui, enfin, ne serait plus marxiste mais capitaliste. Par exemple, on imagine que les pays africains qui longent l’Atlantique pourraient réduire leur dette en vendant leur droit de pêche aux bateaux-usines des grosses compagnies maritimes (lesquelles savent rentabiliser ce métier ancestral qu’est la pêche). En retour, ces mêmes pays pourraient toujours acheter des boîtes de thon en conserve.

Très bien. Sauf que…

- rien ne dit que le paysan qui aura abandonné la terre qui le nourrissait (mal, il est vrai) trouvera du travail en ville

- rien ne dit qu’il pourra se payer le blé de la Beauce ou la boîte de thon

- il ne faut pas perdre de vue que le prix du pétrole augmente sans cesse et avec lui le coût du transport des marchandises

- on ne parle pas de l’épuisement rapide des réserves de poissons, qui seront mises à mal par ces bateaux-usines qui pêchent au radar et avec l’aide de filets dérivants.

- On ne dit pas quel travail trouveront encore les populations occidentales si toutes leurs entreprises sont délocalisées dans le tiers-monde. Le chômeur français pourra-t-il encore acheter la boîte d’ananas mexicains ?

- On ne dit pas davantage que ce sont surtout les intermédiaires qui vont tirer le plus grand profit de cette circulation planétaire des marchandises.

La preuve que mes remarques sont fondées et que les grands stratèges de l’OMC et du FMI se sont trompés (à moins, hypothèse fort improbable et qu’on n’oserait imaginer, qu’ils n’aient pas cherché à éradiquer la faim dans le monde mais à augmenter le profit de certains), c’est que dans de nombreux pays du tiers-monde, les manifestations contre la faim se sont multipliées. Nous en avons déjà parlé ici même. L’OMC s’alarme déjà d’un retour au protectionnisme de la part de ces pays (l’Inde, le Vietnam, l’Egypte, le Kazakhstan...) qui, les méchants, ont décidé de réduire leurs ventes à l’étranger afin de garantir l’alimentation de leur propre population. Agir de la sorte ruine évidemment les belles prévisions des spécialistes. Mieux vaut donc laisser les choses en l’état où elles sont et gérer au mieux ces manifestations (en les réprimant par la force, par exemple). Et puis on ne va tout de même pas remettre en cause l’organisation planétaire de l’économie pour quelques centaines de milliers (millions) de personnes qui mourront de faim. Qu’elles aient au moins la dignité de mourir en silence !

En attendant les états qui ont sacrifié leur agriculture vivrière sont en train d’acheter (qu’ils paient, c’est la loi du marché) les produits de première nécessité dont ils ont besoin. On dit que leur facture d’importation de céréales a augmenté de 56 % en un an. De son côté, le Programme alimentaire mondial (PAM), qui nourrit comme il peut soixante-treize millions de personnes, réclame 500 millions de dollars supplémentaires. Il n’en a obtenu que la moitié, logique. Ceci dit, ce qu’il réclamait n’était qu’une goutte d’eau par rapport au prix de la guerre en Irak, mais bon, ne mélangeons pas la chèvre et le chou. Nous savons tous que cette guerre était nécessaire pour détruire les armes de destruction massive de Sadam Hussein (on l’a sans doute exécuté pour qu’il ne puisse plus proclamer que les seules armes dangereuses qu’il possédait lui avaient été confiées par les Etats-Unis du temps de la guerre inter-arabe Iran-Irak, guerre qui enchantait par ailleurs les mêmes Etats-Unis, ceux-ci ayant toujours su appliquer l’adage « diviser pour régner »). Comme nous savons tous que le taux de terrorisme dans le monde a vertigineusement chuté depuis la destruction organisée de l’Irak.

Bon, n’allez pas croire que je suis d’un antiaméricanisme primaire. Car les citoyens américains, eux aussi, sont en train de boire le bouillon. La Réserve fédérale les avait encouragés à s’endetter et à devenir propriétaires de leur maison. Et puis ce fut le drame que l’on sait, les traites que l’on ne peut plus payer, la maison qu’il faut vendre à bas prix, etc. Les banques elles-mêmes en ressentent le contrecoup, les bourses mondiales vacillent, provoquant l’inquiétude des petits épargnants qui avaient acheté quelques actions (forcément, les taux d’intérêts sur leur compte d’épargne est si bas qu’il ne compense même plus l’inflation).

Les citoyens donc, y perdent à tous les coups, qu’ils habitent au Congo, au Mali, aux Philippines, en Egypte ou aux Etats-Unis. Les spéculateurs, eux, s’en sortent toujours. Ils abandonnent le secteur immobilier pour les marchés de céréales, achetant aujourd’hui à bas prix (et imposant d’ailleurs leur propre prix aux producteurs) du blé ou du riz pour le revendre demain beaucoup plus cher. Ce qui entraînera une hausse des prix et augmentera encore les risques de famine. Le cercle est bouclé.