20/04/2008
Retour au pays natal
Ainsi donc ils étaient tous là, aux obsèques d’Aimé Césaire. La gauche, bien sur, histoire de rappeler que les idées généreuses de l’homme qui a défendu la négritude sont aussi les siennes. Du moins convient-il de le faire croire. Elle ne pouvait donc pas faire moins que d’être là. Mais la droite aussi était là, ce qui n’est curieux qu’en apparence. En effet, une fois mort, on ne vous trouve que des qualités, c’est bien connu, et cet homme, ce poète, qui s’est toujours battu contre le colonialisme et donc en faveur de la dignité humaine, cet homme qui s’est donc opposé à l’état central, voilà que tout le monde aujourd’hui dit qu’il avait raison. Comment faire autrement, d’ailleurs ? Vous vous voyez, si vous êtes politicien, aller critiquer le défunt en ce moment précis où les émotions sont les plus vives ? Impensable. Electoralement suicidaire. Humainement contestable. Donc la droite était là aussi, histoire de montrer qu’elle approuvait le combat de cet homme auquel elle a pourtant bien dû s’opposer en son temps au nom de la raison d’état. Si certains en doutent, qu’on se souvienne des événements en Nouvelle–Calédonie au moment de la deuxième élection de Mitterrand. Chirac avait fait envoyer la troupe, espérant que son geste d’autorité séduirait les Français. Hélas pour lui se fut mal perçu et c’est son rival qui fut élu. Vous me direz que la Nouvelle- Calédonie, ce n’est pas la Martinique, mais bon, vu de Paris, c’est du pareil au même.
Ceci étant dit, s’il y en a bien un que je croyais tout de même ne pas voir devant le cercueil du poète, c’est bien Sarkozy. N’avait-il pas dit et répété qu’il ne fallait pas avoir honte de notre passé colonial ? N’avait-il pas prononcé à Dakar un discours enflammé dans lequel il faisait comprendre aux Africains qu’ils ne devaient pas regarder en arrière vers leurs anciennes cultures, mais qu’il était grand temps pour eux d’aller de l’avant et de tirer profit de ce que l‘Occident leur avait apporté ? N’avait-il pas fait voter une loi dans laquelle on redisait que le colonialisme avait eu du bon (qui le nierait ? Il suffirait d’ajouter qu’il a eu aussi beaucoup de mauvais et sans doute davantage). Alors que vient faire à Fort-de-France (ce nom en soi est déjà tout un symbole) ce champion de la droite capitaliste et donc néo-coloniale ?
Avait-il peur que son absence fût remarquée et qu’elle ne soit la cause d’une nouvelle dégringolade dans ses sondages ? Lui a –t-on dit qu’il ne pouvait pas faire moins que les socialistes ? Avait-il envie d’une escapade en Martinique (tiens, où est Carla ?) Ou bien tout simplement était-il un passionné des livres de Césaire et s’endormait-il tous les soirs en lisant quelques pages du « Cahier d’un retour au pays natal » ? Laissez-moi rire !
Déjà qu’il nous a fait croire lors de sa visite à Tipaza qu’il lisait Camus ( ''Au printemps, Tipasa est habitée par les dieux et les dieux parlent dans le soleil et l'odeur des absinthes… »). Il ne manquerait plus que cela maintenant, qu’il devienne un chantre de la négritude ! Et dire que certains Français avaient voté pour lui en espérant qu’il règle le problème des banlieues ! Quant aux autres, ceux qui ne voteront jamais pour lui, ils rigolent franchement, mais c’est d’un rire crispé, en fait. On n‘a jamais aimé voir le pouvoir faire des courbettes devant la dépouille d’un poète, surtout si celui-ci a consacré sa vie à lutter contre ce pouvoir qui asservit l’individu. Bref, on se serait bien passé d’une photo comme celle-ci :
22:57 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (1)
Commentaires
Pourquoi s'étonner ainsi ? L'enterrement de ce poète n'est pas un enterrement de poète : a-t-on proposé un jour d'obsèques nationales pour Julien Gracq ? Il ne s'agit que d'un enterrement politique. Que Césaire échappe à la malédiction du Panthéon qui frappa Rousseau, Hugo, Malraux (Sarko ?...), c'est encore un moindre mal !
Cordialement
Écrit par : solko2 | 21/04/2008
Les commentaires sont fermés.