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12/02/2016

"Obscurité"

Ci-dessous, une lecture de mon roman "Obscurité" par Christine Brunet :

 

Un père violent, une mère battue dominée, un fils maltraité... Lorsque le monstre s'en prend à la petite sœur, la mère trouve le courage de s'enfuir pour les mettre tous les trois à l'abri.

Fuir... Ne pas se retourner. Quel qu'en puisse être le prix : voici le fil de ce roman.

Jean-François nous propose avec "Obscurité" une sorte de road book à trois sur lequel plane l'ombre implacable du père dépossédé de ses souffre-douleur.

Trois personnages, ballottés au gré d'événements que la mère ne peut surmonter mais qui, peu à peu se découvrent une envie commune de liberté.

Un voyage vécu au travers des yeux du fils qui observe, juge, décide, évolue et va découvrir l'amour.

Des régions, des paysages, des villes émaillent un trajet chaotique, de simples prétextes pour des épisodes jamais très heureux, toujours négatifs au final.

Des rencontres certes fortes mais souvent vécues comme autant de violences : la figure du chasseur violeur, violent, effrayant, ponctue le récit un peu comme ce notaire inhumain, ces gendarmes trop rigides, ces gens qui pourraient les aider mais qui préfèrent les dénoncer.

Une mère et son fil déshumanisés par l'auteur qui leur refuse un prénom comme si les coups du père leur avaient enlevé cette simple existence que donne une identité formelle. La petite n'a pas encore été pervertie tout à fait et s'appelle Pauline : la seule candide de l'aventure, trop petite pour tout comprendre.

La mère inconsistante ne serait pas allée bien loin sans son fils de 12 ans, trop mûr pour son âge, trop lucide. Ce déséquilibre met le lecteur mal à l'aise et participe à ce sentiment lancinant que l'aventure ne peut durer et que cette fuite en avant se terminera mal.

Ce roman porte bien son nom... Obscurité... Celle de l'ombre pesante du père maltraitant, d'une justice aveugle, ou d'un destin inéluctable ? Peut-être celle de l'âme humaine, tout simplement.

Christine Brunet

www.christine-brunet.com

 

A lire aussi ici 

 

Littérature, Obscurité

08/02/2016

Les contes de Perrault

Je me disais, en lisant les contes de Perrault, que la forêt y tient décidément un rôle important. On connaît la forêt du petit Poucet, où le père va perdre ses enfants. Cette forêt est immense et impénétrable ou plus exactement si on y pénètre, on ne peut plus en ressortir. Par ses petits cailloux et ses morceaux de pain (nourriture cuite, qui symbolise la culture par opposition à la nature, nous aurait dit Lévi-Strauss), le jeune garçon tente d’échapper à cette nature sauvage et hostile qu’est la forêt, véritable labyrinthe végétal. On sait que son stratagème ne réussit pas : « les voilà donc bien affligés, car plus ils marchaient, plus ils s’égaraient et s’enfonçaient dans la Forêt. (…) Ils croyaient n’entendre de tous côtés que des hurlements de loups qui venaient à eux pour les manger ».

Mourant de faim, abandonnés par leurs parents  à cause du manque de nourriture qui sévissait au logis familial, le Petit Poucet et ses frères risquent donc bien d’être dévorés tout crus par les loups de la forêt. Quand ils arrivent chez l’ogre, la femme de celui-ci les exhorte à fuir, mais les enfants préfèrent être mangés par l’ogre plutôt que dévorés par les loups.

A l’intérieur, on notera qu’un mouton entier est en train de cuire à la broche (on retrouve donc le thème de la nourriture, cette dernière ne faisant pas défaut chez l’ogre comme c’était le cas chez les parents des enfants). Malheureusement ils n’auront pas l’occasion de se restaurer car ils devront se cacher. L’ogre, lui, malgré tout ce qu’il a mangé, voudra quand même dévorer les garçons. Il ne dévorera en fait que ses sept filles, le Petit Poucet leur ayant enlevé leurs couronnes et les ayant remplacées par les bonnets de ses frères, ce qui induira l’ogre en erreur. Finalement, c’est avec l’aide des bottes de sept lieues qu’ils parviendront à regagner leur logis (par magie, donc), non sans s’être emparés du trésor de l’ogre.

On ne peut que rester admiratif par la piété filiale de ces enfants car alors que leurs parents les avaient abandonnés, non seulement ils reviennent vers eux, mais en plus ce sont eux qui vont subvenir à leurs besoins. Les rôles sont donc inversés, ce qui est une caractéristique des contes. Ainsi c’est Cendrillon, reléguée comme domestique, qui sera choisie par le prince. On retrouve le même thème dans Grisélidis, où le jeune roi refuse toutes les demoiselles de la Cour avant de s’éprendre d’une bergère. Notons qu’ici aussi la forêt a un rôle prédominant puisque c’est au cœur des bois qu’il découvre celle qu’il va aimer. Après s’être perdu lors d’une partie de chasse, il aperçoit la bergère avec ses moutons au milieu d’une clairière. La forêt est si grande et si touffue, que la jeune fille (qui ignore la condition du bel étranger) doit le raccompagner jusqu’à la sortie de la forêt, afin qu’il ne s’égare pas davantage. La forêt est donc bien un lieu hostile, mais comme les contes aiment inverser les valeurs, c’est au cœur de cette forêt que le prince va trouver la seule femme qui soit digne de lui. Certes elle est pauvre, mais elle n’a pas été corrompue par les moeurs de la Cour et son cœur est pur.

Dans Peau d’âne, la fille du roi échappe de justesse aux amours incestueuses de son père en se sauvant, recouverte d’une horrible peau d’âne. Elle survivra en devenant domestique mais là aussi, comme Cendrillon, elle sera remarquée par un beau prince (ce n’est pas par un soulier de verre qu’elle sera reconnue, mais par son anneau, que seul son doigt fin peut porter)

La Belle au bois dormant repose dans un château dissimulé parmi les arbres que les bonnes fées ont fait pousser pour l’abriter du regard des humains durant les cent ans que doit durer son sommeil. Comme par magie, seule le prince charmant parvient à passer entre ces arbres et à réveiller la belle endormie, qu’il épouse aussitôt.

Dans le Chaperon rouge, la forêt n’est jamais loin, non seulement parce que la petite fille rencontre un loup, mais aussi parce que celui-ci hésite à manger l’enfant « à cause de quelques bûcherons qui étaient dans la forêt ». Il préfère donc attendre et l’attirer dans un piège. Elle qui porte de la nourriture cuite (une galette) ou du moins travaillée (un pot de beurre) finira par être mangée toute crue après avoir traversé la nature sauvage qui sépare son village de celui de sa mère-grand.

« Promenons-nous dans le bois, pendant que le loup n’y est pas » chantions-nous quand nous étions enfants…Symbolisant la nature à l’état sauvage, la forêt est donc un lieu d’épreuve où l’individu (le Chaperon est fondamentalement seul, tout comme le Petit Poucet, à qui les frères ne sont d’aucune utilité) va être confronté à de grandes difficultés. Il en sortira généralement vainqueur, mais aura changé. En un mot, il sera devenu plus adulte (le Petit Poucet va nourrir ses parents, la Belle au bois dormant va sortir de l’adolescence pour devenir une femme à marier et bientôt une mère, et Grisélidis, non seulement devient femme, mais aussi reine, elle qui n’était que bergère).

Cependant, pour sortir victorieux de l’épreuve, il faut d’abord accepter de se perdre dans le labyrinthe végétal qu’est la forêt. Certes des sentiers la traversent, mais ceux-ci s’entrecroisent et ne font que perdre davantage le héros. Point d’Ariane ici, pour indiquer la sortie à nos jeunes Thésée. On notera d’ailleurs que les héros sont souvent des garçons et s’il y a des filles, elles ont un rôle plus passif puisqu’elles sont arrachées à la forêt pour devenir reines et mères.

Pénétrer dans la forêt, c’est accepter d’être confronté à son destin. Il n’y aura pas de retour possible dans le sens où on ne ressortira pas comme on y était entré. Dans ce monde végétal, tout est identique (les arbres se ressemblent) et on n‘a aucune vision. Ainsi, le Petit Poucet doit grimper à un arbre pour s’orienter et c’est grâce à une lumière qu’il découvrira la maison de l‘ogre. Tout ce qu’il connaissait n’a plus d’utilité (les morceaux de pain, dernière nourriture qui le rattachait au foyer familial, ont disparu, mangés par les oiseaux sauvages) et il doit affronter son destin seul, en ne comptant que sur lui-même pour échapper au danger. Confronté à un être extraordinaire (l’ogre) le héros devra faire preuve de courage et d’imagination pour s’en sortir (intervertir les couronnes des filles avec les bonnets des garçons ou s’emparer du trésor de l’ogre en faisant croire à sa femme qu’il faut payer une rançon pour son mari qui aurait été attaqué par des brigands).

La forêt n’est donc pas un but en soi, c’est un lieu hostile qu’on ne fait que traverser et qu’il faut parvenir à quitter. A la sortie, le héros est devenu libre, libre d’être lui-même et d’exploiter tous ses talents. Mais avant, il faut accepter de mourir à celui que l’on était, c’est-à-dire un enfant. La Belle au bois dormant meurt d’ailleurs symboliquement lors de son sommeil qui dure cent ans. Autour d’elle tous les domestiques sont eux aussi endormis et quand le prince charmant parvient enfin en ce lieu, il est saisi par la présence de la mort : « C’était un silence affreux : l’image de la mort s’y présentait partout (= dans la forêt), et ce n’étaient que des corps étendus d’hommes et d’animaux qui paraissaient morts ». Le Petit Poucet risque la mort en présence de l’ogre tandis que le Chaperon rouge sera finalement mangé. Mais cette mort préfigure le passage obligé vers un autre état, l‘état adulte et donc le retour dans la communauté des hommes. Ayant vaincu sa peur, le héros a maintenant un rôle à jouer dans la société (les jeunes filles se marient et deviennent des femmes, les jeunes garçons sont devenus des hommes). On notera d’ailleurs avec quelle rapidité les mariages sont conclus, preuve que la finalité du conte est de dire qu’une jeune fille doit devenir une femme et une mère (« et ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants »). L’histoire du Chaperon rouge ne dit pas autre chose car la faim que le loup a de cette fille doit se comprendre comme une faim sexuelle. D’ailleurs il la dévore au sens propre après l’avoir invitée à le rejoindre dans le lit de la mère-grand.

Etant donné le rôle différent assigné aux hommes et aux femmes, on ne s’étonnera pas que là où le jeune garçon traverse la forêt afin d’en sortir, la jeune fille s’y réfugie plutôt provisoirement (voir la forêt qui protège la belle endormie dans la Belle au bois dormant ou Grisélidis qui conserve sa virginité et sa naïveté au beau milieu de la forêt profonde). Notons quand même que c’est rarement de leur propre initiative que les garçons pénètrent dans la forêt (c’est le père du petit Poucet qui décide de perdre ses enfants dans les bois). Faut-il y voir un rite initiatique, la société (les parents) rejetant leurs enfants loin d’eux afin de les obliger à s’assumer seuls et à devenir adultes ? Faut-il même y voir une initiation sexuelle ? Après tout c’est en pénétrant dans la forêt que le roi trouve Grisélidis et que le  prince va réveiller une jeune fille qui l’attendait dans son sommeil depuis cent ans, laquelle va devenir sa femme. L’acte charnel étant tout de suite consommé (après un mariage vite expédié), on pourrait dire que pénétrer dans la forêt est un préliminaire obligé pour posséder une femme et finalement pour pouvoir la pénétrer.

Cette femme n’est jamais victime (pas de viol ici) et est au contraire fort consentante. En trouvant l’amour, elle acquiert aussi un statut social enviable : non seulement elle devient une mère respectable (ce qui, selon la morale du conte, semble être ce pour quoi elle est faite) mais aussi souvent une reine. Réalisation personnelle et réalisation sociale sont pourtant parfois remises en question. Ainsi, si Grisélidis la bergère connaît d’abord le parfait amour avec le roi son mari, celui-ci se montre par la suite si méchant avec elle (il l’humilie, il lui fait croire que leur petite fille est morte ou encore il veut éprouver sa docilité en la répudiant, ce qu’elle accepte humblement) qu’elle perdra provisoirement son statut social de reine en retournant en hardes vivre dans sa forêt (dans une version antérieure à celle de Perrault, on lui hôte même ses vêtements devant toute la Cour et c’est complètement nue qu’elle est reconduite dans les bois). Comme elle croit que son enfant est mort, elle n’est donc plus mère non plus et a tout perdu. L’histoire cependant se terminera bien (ce n’est pas un conte pour rien) et le roi viendra la rechercher, non sans avoir au préalable éprouvé la soumission de sa femme une dernière fois. En effet, il lui demande de devenir la servante de sa future épouse (qui n’est autre que leur fille qui a grandi, thème incestueux s’il en est) ce qu’elle accepte encore. Emu par son bon caractère, il la reprend pour femme et reine et marie sa fille à un noble jeune homme dont elle est amoureuse.

Le destin de la femme semble donc moins enviable que celui des hommes dans les contes. Certes leur passivité et leur soumission leur permettent de devenir reines (pensez à Cendrillon qui accepte son rôle de domestique sans rechigner et qui va même jusqu’à repasser les vêtements de ses soeurs qui vont au bal), mais ce statut social peut donc toujours être remis en question puisque finalement elles dépendent du bon vouloir de leur mari.

Les hommes, eux, quittent l’enfance et trouvent le courage et la liberté d’agir en affrontant la forêt ou bien ils sont déjà au départ rois ou princes. On peut donc dire que le rôle attribué à chacun des deux sexes est très conventionnel.

Il existe finalement beaucoup de cruautés dans ces contes qu’on dit « pour enfants » : le Chaperon rouge dévoré par le loup, le Petit Poucet abandonné dans la forêt et qui a failli se faire manger par un ogre, l’inceste dans Peau d’âne, le dur destin de Grisélidis, etc.. Quant à la forêt profonde, symbole de la nature sauvage, lieu non-culturel par excellence, elle représente le chaos originel qu’il faudra vaincre pour parvenir à un nouveau mode de vie plus harmonieux.

 

Littérature

00:05 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature

01/02/2016

Le chaperon rouge, étymologie

Revenons encore une fois au conte du Petit Chaperon rouge.

Mais avant d’aller plus loin, il conviendrait de s’interroger sur le sens de ce « chaperon ». Ce terme désigne une coiffure à bourrelet terminée par une queue que portaient les hommes et les femmes du Moyen Âge. Selon Furetière, cette coiffure serait restée en usage pour les hommes jusque sous le règne de Charles VII. Pour les femmes, le chaperon était plutôt « une bande de velours qu’elles portaient sur leur bonnet ; et c’était marque de bourgeoisie ». Le terme a désigné également un grand voile dont les veuves se couvraient la tête et le «bourrelet à pendant d'étoffe, garni d'hermine, fixé sur l'épaule gauche de la robe des magistrats, docteurs, professeurs ».

L’idée de base est donc bien celle d’une étoffe qui recouvre. Chaperon est en fait un diminutif de chape.

Le Robert historique nous apprend que « cape », puis « chape » est issu du bas latin « cappa », désignant un capuchon et manteau à capuchon. Notre mot « cape » actuel est de formation savante.

La « chape de plomb » était le nom d’un ancien instrument de torture qui est passé dans l’usage avec une valeur figurée. Sinon, le terme a pris une valeur technique en maçonnerie : la chape qui recouvre un mur.

Le chaperon, quant à lui, est comme je l’ai dit un diminutif de chape et désignait donc une coiffure à bourrelet terminée par une queue. Dans le conte de Perrault, c’est par métonymie que le terme a désigné la petite fille qui portait le chaperon. A mon avis la couleur rouge choisie n’est pas innocente puisqu’elle préfigure le carnage perpétré par le loup. Si on veut bien accepter la théorie qui veut voir dans le conte l’éveil d’une jeune fille à la sexualité (cf. aussi l’expression « voir le loup », « avoir déjà vu le loup ») cette couleur rouge pourrait faire référence aux premières règles de la puberté. Quant à voir une autre allusion sexuelle dans la queue du bonnet, il y a un pas que je ne franchirai pas.

Revenons plutôt à l’histoire de la langue.

Par extension et au figuré, le chaperon a fini par désigner « une personne respectable, généralement d'un certain âge à qui l'on confiait naguère (parfois encore aujourd'hui) pour des raisons de convenance et notamment pour les sorties, la surveillance d'une jeune fille ou d'une jeune femme. » (Dictionnaire de l’Académie, 1932).

Furetière parle de « grand Chaperon » pour désigner ces dames respectables qui accompagnent les jeunes filles. Le Dictionnaire de l’Académie (1694) reprend la même définition : « on appelle figurément grand chaperon les femmes d’âge qui accompagnent les jeunes filles dans les compagnies, par bienséance et comme pour répondre de leurs conduites ».

L’idée de protection que contenait le mot chaperon est donc passée dans le sens moral.

Notons aussi que ce sens du mot « chaperon » renvoyait donc bien une personne et dès lors Perrault n’a eu aucune difficulté à nommer la petite fille de son conte par sa coiffe.

Quant au verbe « chaperonner », utilisé surtout au participe passé, il signifiait à l’origine « coiffé d’un chaperon », mais le sens strict s’est limité au domaine de la fauconnerie (« Petit casque de cuir dont on recouvre le crâne et les yeux des rapaces »).  Au sens dérivé, chaperonner veut dire « accompagner une jeune personne pour la protéger et la surveiller ».

Pour revenir à notre conte de Perrault, on remarquera donc toute l’ambiguïté du terme « chaperon » puisque la petite fille ainsi habillée était supposée être protégée (contre les intempéries, mais aussi moralement) alors qu’en réalité elle est livrée à elle-même sur les routes où rode le loup. C’est d’ailleurs sur les conseils du loup qu’elle prend le chemin le plus long (tandis que le loup prend le plus court). De plus, tandis que le loup se met à courir, la petite fille prend le temps de cueillir des fleurs (reflet de ses états d’âme romantique, préfiguration de l’amour ?)

La couleur rouge, celle du sang, accolée au chaperon supposé la protéger est donc une sorte de contradiction ou si vous aimez les figures de style, un oxymore.

 

Littérature

28/01/2016

De Charles Perrault et de ses contes

Je viens de terminer la lecture des « Contes » de Charles Perrault. Les lecteurs fidèles de Marche romane se souviendront sans doute que le conte du Petit Chaperon rouge a déjà fait l’objet de plusieurs notes (ici, ici et même ici où je m'amusais à réécrire le conte). J’avais fait remarquer à l’époque que les versions populaires primitives de ce conte étaient beaucoup moins policées que celle de Perrault. Pour le dire autrement, leur côté direct et même carrément cru rendait la signification cachée du conte (le désir sexuel) beaucoup plus explicite. Finalement, j’en étais venu à accuser Perrault d’avoir falsifié une histoire qui appartenait depuis toujours au génie des peuples. Maintenant que je l’ai lu et que j’ai lu l’excellente introduction de JP Collinet (Université de Dijon), je me rends compte que les choses sont un peu plus complexes. En effet, le pauvre Perrault a dû affronter le vent de la critique à partir du moment où il a voulu faire imprimer des contes. Ces histoires que les grands-mères racontent aux petits enfants ne peuvent pas relever d’un genre littéraire ! D’autant plus que les partisans des Anciens, dans la fameuse querelle des Anciens et des Modernes, ont beau chercher, ils ne trouvent pas vraiment d’équivalent dans l’Antiquité. Point de lettres de noblesse pour les contes, donc, qui ne sont qu’un divertissement populaire et encore, uniquement destiné aux enfants. Fontenelle avait bien remarqué que le conte (comme l’opéra ou la lettre galante) était propre à son époque et n’avait pas d’équivalent antique, mais en plus il avait estimé que La Fontaine en avait définitivement fixé la formule. Ceci explique pourquoi les premiers contes de Perrault sont en vers (Grisélidis et Peau d’Ane). Pour nous, lecteurs modernes, cela nous semble un peu curieux et artificiel, mais c’était en fait le seul moyen trouvé par Perrault pour imposer le conte dans le domaine littéraire. Il a tenu aussi à lui donner une morale exemplaire, afin d’échapper à la critique habituelle, qui disait que ce genre était licencieux. L’héroïne Grisélidis, par exemple, en épouse soumise, accepte toutes les lubies méchantes de son mari avec résignation. Le conte ne peut donc être accusé de pervertir les femmes, comme certains avaient tendance à le croire.

Cet aspect moral et bienséant que j’avais donc tendance à reprocher à Perrault s’explique finalement pour des raisons historiques et de mentalité. Il n’y avait pas d’autre moyen pour l’auteur de s’exprimer s’il voulait écrire un conte. La Fontaine lui-même avait eu des ennuis avec ses « Nouveaux contes » et il avait dû renier « cet ouvrage infâme ». Il fallait donc être prudent. Mais il est clair que Perrault n’est pas La Fontaine et il n’excelle pas dans cet exercice versifié, qui n’a pas le côté pétillant de son illustre prédécesseur.

Il faudra donc attendre les contes suivants, en prose cette fois, pour que le talent de Perrault puisse vraiment s’exprimer. Cela n’empêchera pas la critique de se déchaîner. Il est vrai que le dictionnaire de l’Académie lui-même donnait du conte cette définition : « le vulgaire appelle conte au vieux loup, conte de vieille, conte de ma mère l’oie, conte de la cigogne, à la cigogne, conte de peau d’âne, conte à dormir debout, conte, jaune, bleu, violet, conte borgne, des fables ridicules telles que sont celles dont les vieilles gens entretiennent ou amusent les enfants ». Dans un tel contexte, oser écrire des contes et les faire imprimer, surtout quand on est membre de l’Académie française, demande un certain courage, on en conviendra.

Perrault répondra à ses détracteurs dans la préface de l’édition suivante. Il reprendra les passages qu’on lui reproche et arrivera à la conclusion que chacun critique un passage différent et que s’il écoutait tout le monde il ne resterait rien de son conte. Il en conclut qu’il y aura toujours quelqu’un pour critiquer quelque chose et qu’il vaut donc mieux ne pas tenir compte de ces avis divergents.

Petit à petit, cependant, les contes que Perrault publie sont appréciés par certains. L’abbé Dubos apprend ainsi à Pierre Bayle que « Chez le libraire Barbin s’impriment les contes de ma mère l’oie par M. Perrault » Il se croit cependant obligé d’ajouter, comme pour se justifier lui-même : « Ce sont là « bagatelles auxquelles il s’est amusé autrefois pour réjouir ses enfants. » En effet, à cette époque Perrault était veuf. De plus, un peu tombé en disgrâce, il avait perdu la quasi-totalité de ses charges. Il s’était donc replié sur la vie de famille et sur l’éducation de ses enfants. Comme quoi, on tient peut-être à cette circonstance personnelle le fait que Perrault soit allé puiser dans les contes enfantins pour en faire une œuvre littéraire de qualité. Quelque part, sans le savoir, il a peut-être sauvé de l’oubli tous ces contes populaires de la tradition orale, en les fixant définitivement dans une belle langue classique. Car si ces contes étaient encore bien présents dans la tradition orale du XVIIème siècle, qui dit qu’ils existeraient encore aujourd’hui, à l’ère d’Internet, des SMS et du téléphone portable ? De même que Lévi-Strauss a sauvé les mythes des populations amérindiennes en les transcrivant et en les analysant (voir les quatre tomes remarquables des « Mythologiques »), Perrault a sans doute sauvé les contes de notre tradition populaire.

Dès 1699, l’abbé de Villiers admirait le style naturel que Perrault avait su donner à ses contes, comparable « au style et à la simplicité des nourrices. » Or, comme il le remarque, les nourrices sont ignorantes. « Il faut (donc) être habile pour bien imiter la simplicité de leur ignorance ».

Certes, il y avait déjà du merveilleux dans d’autres œuvres du XVIIème siècle (le Grand Cyrus de Madeleine et George de Scudéry comporte paraît-il des éléments surnaturels et légendaires, mais je ne l’ai pas lu. Il est vrai qu’il comporte 7.485 pages…), mais il a fallu Perrault pour concentrer dans les contes ce merveilleux et lui donner ses lettres de noblesse. Evidemment, pour que cela fût possible, il a bien dû se plier aux exigences de la morale de son temps. Plutôt que le critiquer pour cela, soyons-lui reconnaissants de ces belles histoires qu’il nous a laissées.

 

Charles Perrault, contes

08/01/2016

De l'édition

 

Chaque année, la quantité de livres publiés augmente. Je ne sais plus où j’ai lu que lors des vingt-cinq dernières années le nombre de livres sur le marché avait doublé mais que dans le même temps le nombre de lecteurs avait diminué de moitié. Soit un rapport de un à quatre. A côté de cela, l’impression numérique se renforce. Ainsi, j’ai reçu hier dans ma boîte mail une publicité d’Amazone qui propose à n’importe qui de publier en ligne et gratuitement tout manuscrit qui traînerait dans un tiroir. En gros, cela signifie qu’après la disparition des libraires, celle des éditeurs est déjà programmée. Quant au contenu qui sera alors proposé au public, on ne peut que rester perplexe quant à sa qualité. Le meilleur côtoiera le pire. Déjà que certains éditeurs publient un peu n’importe quoi, préférant miser sur des auteurs qui leur rapporteront de l’argent plutôt que de sélectionner des textes vraiment littéraires.

On peut comprendre une telle démarche de la part d’un petit éditeur, qui chaque mois risque de devoir mettre la clef sous le  paillasson. Il est bien obligé, de temps à autre, de publier des textes qui plairont au grand public afin d’assurer l’équilibre de ses comptes. Le problème, c’est que les grandes maisons, qui ont pourtant les reins plus solides, ont tendance à faire la même chose, surtout depuis qu’elles ont été rachetées par de grands groupes et qu’elles ont perdu leur pouvoir de décision.

Et c’est là sans doute que se situe le nœud du problème. On avait autrefois des éditeurs (petits ou grands) qui se faisaient un honneur de publier des textes de qualité. Aujourd’hui, à partir du moment où ce sont les actionnaires qui décident, il est clair que l’aspect littéraire d’une œuvre devient tout à fait secondaire et que seul compte le profit. Bref, on vend des livres comme on vend du savon ou des boîtes de conserve. Du coup, on comprend mieux pourquoi on publie autant de livres ces dernières années. Cette profusion n’est pas liée à un besoin du grand public, qui subitement s’intéresserait à la littérature. Non, elle est simplement liée à la volonté de faire de l’argent. Ne nous y trompons donc pas. S’il y a plus de livres sur le marché, ce n’est pas qu’il y ait plus d’auteurs désireux de faire passer un message, mais simplement que le monde de l’édition est maintenant aux mains de grands financiers.

Notre société a la littérature qu’elle mérite. Les idéologies et les idéaux ont été bannis au profit d’un matérialisme marchand. Dieu sait que je ne suis pas religieux dans l’âme, mais alors que j’éprouve du respect pour la grandeur et la beauté des cathédrales (et même pour l’apologie du sacré que ces constructions de pierres nous livrent), je n’en ai aucun devant le consumérisme qu’on nous impose pour le plus grand profit de quelques privilégiés.

Pour se convaincre de cette mainmise de l’argent sur la littérature, il suffit de feuilleter la presse, qui nous offre régulièrement le classement des meilleures ventes. On ne nous dit plus pourquoi, sur le fond, telle œuvre est excellente, on nous dit qu’elle est bonne parce qu’elle s’est bien vendue. Curieux raisonnement, mais raisonnement particulièrement vicieux car outre le fait qu’on ne sacralise que ce qui se vend bien, on en profite pour influencer les lecteurs potentiels qui n’auraient pas encore acheté le dernier roman à succès. « Comment, vous ne l’avez pas encore lu ? Mais il s’est vendu à 300.000 exemplaires ! » On joue donc sur le côté moutonnier du public pour lui dire ce qu’il doit lire et le critère, on l’a vu, est purement commercial. Est forcément bon un livre qui se vend bien. En d’autres termes, l’excellence se mesure à l’échelle du profit et le succès prime sur le talent.

Quelle est triste cette société où les mots se sont effacés devant les chiffres !

Vous me direz que ce n’est pas parce qu’un livre se vend bien qu’il est forcément mauvais. Non bien sûr et heureusement, d’ailleurs. Il n’empêche que cette course effrénée au profit fausse le jeu puisqu’elle intervient dans le contenu des livres. On édite à condition que le sujet du livre risque d’intéresser le plus grand nombre. Point de recherche philosophique pointue donc, ni de réflexion par trop existentielle. Point non plus de livre qui remettrait en cause les « valeurs fondamentales» de notre société ou qui dénoncerait le système lui-même (la toute-puissance de l’argent au détriment de l’humain, par exemple). Non, on recherchera des sujets consensuels, un peu choquants à la limite, mais qui se vendront bien.

Le cinéma n’échappe évidemment pas à cette dérive. Outre le fait que les films américains (violence et sexe) ont la cote auprès du grand public (il est vrai que dès 1945, dans le cadre du fameux plan Marshall, les USA avaient imposé qu’un certain nombre de films américains soient projetés dans nos salles et que les chansons américaines atteignent un certain quota à la radio) il est clair que les commentateurs ne parlent plus que du sujet traité. On a rarement une réflexion poussée sur les qualités artistiques du film en lui-même (prises de vue, qualité des images, jeu des acteurs, déroulement de l’intrigue, manière dont elle est traitée, etc.) mais plutôt des commentaires sur le sujet traité (thèmes du divorce, du viol, de la fidélité dans le couple, de la maladie, etc.).

Un roman, à son tour, aura plus de chance d’être édité s’il aborde des faits de société ou une tranche de vie. A la limite, si un citoyen ordinaire a vécu une expérience traumatisante, on ira le trouver pour lui demander de raconter son histoire. Qu’il ne sache pas écrire et qu’il ne l’ait jamais fait n’a pas beaucoup d’importance. On lui trouvera bien un « nègre » pour rédiger à sa place. Cela nous fera un best-seller (je déteste ce mot et pas seulement parce qu’il est anglais) qui sera vendu à 100.000 exemplaires en une semaine et dont la durée de vie n’ira pas au-delà, mais qui aura rapporté beaucoup d’argent à ses commanditaires.

L’argent, toujours l’argent, donc. A titre d’exemple, voici le titre d’un article concernant le film « Star Wars » que je me garderai bien d’aller voir : « Star Wars en passe de devenir le film le plus rentable de tous les temps ». Le plus rentable ? Sans doute, mais qu’est-ce qu’on s’en moque ! J’invite d’ailleurs les plus courageux d’entre vous à lire l’article en entier. Ils verront à quoi se réduit la critique cinématographique dans certains journaux grand public : http://www.7sur7.be/7s7/fr/1526/Showbiz/article/detail/25...

L’argent, toujours lui, était d’ailleurs au centre de la publicité d’Amazone dont je parlais plus haut. Non seulement n’importe qui pouvait proposer n’importe quel texte pour une publication en ligne, mais on assurait que ceux qui avaient franchi le pas ne l’avaient pas regretté et que certains avaient même renoncé à leur travail, pourtant bien  payé, pour s’adonner entièrement à l’écriture, plus lucrative. J’en suis resté tout pantois. 

Roman de chevalerie écrit entre 1500 et 1503 par le médecin Nicolas de Houssemaine, docteur régent de la faculté de médecine d’Angers,

Littérature

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02/12/2015

Un nouveau livre !

Vous aurez tous remarqué que j’étais peu présent sur mon site ces derniers temps. Tout d’abord, il y a eu le massacre du 13 novembre à Paris, qui rendait toute prise de parole un peu vaine. Et puis, à côté de cela,  il y a eu l’écriture, ce merveilleux refuge. Non point une écriture en direct, pour un blogue, mais une écriture plus réfléchie, en retrait. Pour le dire plus simplement et plus clairement, je relisais un manuscrit dans le but de l’envoyer à un éditeur. Voilà qui est fait et il me faut maintenant attendre une bonne année pour avoir une réponse. En espérant qu’elle soit positive.

Ce qui ne m’empêche pas de vous annoncer une bonne nouvelle, à savoir la parution imminente d’un deuxième livre (dont le manuscrit avait été envoyé, lui, fin décembre 2014 et qui vient d’être accepté). J’ai déjà des exemplaires en main, mais il faudra patienter jusqu’en février 2016, à mon avis, pour pouvoir se le procurer via le site de l’éditeur ou pour le commander en librairie.

Il s’agit d’un recueil de poésie, objet invendable s’il en est, mais dont l’existence me réjouit. En effet, comme disait le Cyrano de Rostand : « C'est bien plus beau lorsque c'est inutile ! » ou, pour reprendre la théorie de l’art pour l’art si chère à Théophile Gautier, « Il n'y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien ».

 

le temps de l'errance,poésie

02/09/2015

Jeanne R. "A l'ombre des désirs"

Jeanne R. est le nom d'auteure d'une dame lyonnaise publiée chez Chloé des Lys (qui, pour rappel, est aussi mon éditeur). Elle m'avait fait l'honneur de lire mon roman "Obscurité" et en avait donné une critique que j'avais appréciée. Je ne pouvais faire moins que de lire son propre livre, un peu embêté, cependant, à l'idée de rentrer dans un système de copinage. En effet, l'avantage des blogues, c'est qu'ils sont souvent plus honnêtes que la presse officielle (y compris les pages littéraires) et je n'aurais pas voulu déroger à cette règle. Heureusement, je n'ai pas eu à me forcer. Son livre m'a plu d'emblée et c'est donc sans me sentir obligé que j'ai rédigé les quelques lignes qui suivent, que Jeanne R lira ou pas, selon qu'elle fréquente ou non ce site.

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En-dessous du titre, l’auteur annonce d’emblée la couleur en précisant que son livre est un « récit romanesque ». Comme le souligne bien le professeur d’université qui a rédigé la préface, la distinction a son importance car on ne trouvera pas dans ce récit  une succession chronologique et logique des faits. Cela ne veut pas dire non plus qu’il ne se passe rien, bien au contraire, mais disons que les faits ont moins d’importance que le cheminement intérieur de l’héroïne (Louise) qui se pose pas mal de questions. Car le centre de ce livre est là : une suite de questionnements sur la vie, la mort, le hasard et surtout l’amour. Qu’est-ce que vivre, en effet ? Là où Sartre disait que l’existence précède l’essence, Jeanne R. nous dit plutôt qu’on ne vit pas sans aimer et que sans grand amour la vie ne mériterait sans doute pas d’être vécue. Mais ce postulat engendre à son tour d’autres questions : ne peut-on aimer qu’un seul être ? Est-on infidèle si on aime deux hommes à la fois ? Pas forcément, si ce que l’on donne au second n’enlève rien au premier. L’héroïne tâtonne, hésite, puis trouve que son accomplissement personnel passe par cette voie, que la morale chrétienne réprouverait sans doute, mais qui lui permet de poursuivre son chemin et de profiter pleinement de la vie. On ne trouvera cependant pas ici d’épicurisme de bas étage. Ce n’est pas le plaisir pour le plaisir qui est recherché, mais celui-ci doit être compris comme l’aboutissement de l’amour et donc comme la concrétisation de cet amour. Or cet amour éclaire sa vie de femme et sa vie tout court. Elle se donne donc le droit de s’y abandonner au nom de sa morale personnelle (mais en prenant bien soin, toujours, de ne pas blesser le premier homme, ce compagnon avec qui elle vit par intermittence et qu’elle adore lui aussi. En effet, « plurielle dans ses amours (…) elle était foncièrement fidèle »). 

 

Comme elle est de nature questionneuse, Louise poursuit sa réflexion : si je suis heureuse dans les bras d’un homme, est-ce à dire que mon bonheur dépend d’autrui ? Elle prend du coup conscience de la fragilité de l’équilibre atteint et quand son amant se montrera soudainement moins présent (soit par manque de temps, soit parce qu’il se pose des questions lui aussi sur la pertinence de cette relation extra-conjugale), elle se mettra à souffrir. Elle a besoin de lui mais sent qu’il s’éloigne. Comment faire pour le faire revenir ? Impossible de lui ordonner de l’aimer. Ne rien faire, le laisser partir, c’est faire son propre malheur. Alors, subtilement, elle parlera du « nous » que constituait le couple d’amants et dira à l’être aimé combien ce « nous » était important pour elle et sans doute pour lui aussi. Il reviendra, attiré irrésistiblement par cette Louise peu commune, qui n’arrête pas de se poser mille questions, mais qui ne pourrait pas vivre sans se les poser. Mais que faire quand une question ne trouve pas de réponse ou que la réponse provisoirement trouvée est remise en doute le lendemain ? Peu importe, finalement, car vivre, c’est s’interroger sans fin. Et toujours, l’amour reste la meilleure grille de lecture pour définir sa propre vie. « Jusqu’où puis-je aller sans me perdre quand je suis amoureuse ? » se demande cependant l’héroïne. Car aimer, c’est se donner complètement à l’autre et donc se perdre soi-même. Or sans amour la vie n’a pas de sens. Curieux paradoxe, donc.

Notons que notre Louise est une artiste peintre et qu’elle cherche par ses toiles à capter (ou même à capturer) la beauté du monde. Là aussi, il s’agit donc d’une recherche d’équilibre, car son pinceau en main, elle tourne le dos au côté sordide de la vie pour n’en conserver que la quintessence absolue, la beauté première, celle qui nous fonde. C’est pour cela aussi qu’elle a besoin de l’amour des hommes, pour trouver cet équilibre existentiel qui lui permet d’avoir ensuite un regard positif sur ce monde qui l’entoure et qu’elle semble parfois seule à voir. Privilège des artistes s’il en est. Ou privilège d’une femme amoureuse, tout simplement.  

Ce livre qui traite si bien de l’amour devrait plaire d’office à toutes les femmes. Quant aux hommes qui aimeraient être aimés (ce qui fait déjà pas mal de monde), il ne les laissera pas indifférents. Personnellement, j’ai adoré, sans compter que l’écriture est limpide et agréable à lire.

 

Littérature

16:30 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : littérature

24/06/2015

Obscurité (suite et fin)

Un petit texte à lire ici :

 

Editions Chloé des Lys

 

21/06/2015

Une critique de mon roman "Obscurité" par Jeanne R., romancière.

Je remets ici la belle analyse qu'une lectrice attentive et romancière par ailleurs vient de déposer en commentaire suite à mon article du 12.06.15 (sur mon roman Obscurité) car elle mérite d'être lue. Je suis heureux que ce roman puisse plaire, comme je suis heureux d'avoir des lecteurs(trices) de ce niveau. Merci à vous, Jeanne. Comme quoi Lyon reste un lieu où les femmes aiment la littérature et cela depuis Louise Labé et Pernette du Guillet.  

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Jean-François Foulon, en conducteur attentif, nous balade avec des mots dans un parcours initiatique, lequel fait agir les héros du roman afin de se libérer du réel. Après le temps perdu, perdu à s'aimer mal, c'est le temps retrouvé que ce petit monde cherche durant des jours et des jours en pays de France pour réparer les bleus à l’âme.

 

 

Dès les premières images du livre, dans le noir profond d'une cachette qui voit l’obscurité dessiner les ombres de la nuit, comment ne pas penser à "La caverne de Platon" ? Mais, chez J.F. Foulon, le noir est profond et les ombres sont des fantômes d'où émerge la réalité d'un no man's land tandis que nous, lecteurs/lectrices, restons sur le seuil de cette caverne en attendant que l'histoire se déroule...

 

Il s'agit bien d'un huis-clos avec quatre personnages en partance pour un voyage au bout de soi-même : "la mère", ses deux enfants et une voiture, cette dernière a un rôle à part entière, assurément celui du refuge utérin.

 

Par un jeu intéressant, J.F. Foulon choisit de ne pas s'encombrer de noms ou de prénoms - seule - la petite fille est prénommée (Pauline), vu que c’est elle la lueur d’espoir, semble-t-il, et elle n’aura de cesse d’être protégée par les siens proches. 

Dans cette grande aventure faite de petites aventures, tout le monde tente de se reconstruire, du plus petit au plus grand, et l'autorité se trouve transposée comme un passeur de témoin. L'unique garçon de l'histoire, appelé simplement "L'enfant", se présente ici sous un schéma œdipien, sauf que le regard de cet enfant en devenir n'est rien d'autre que notre regard, celui que nous posons sur un monde moderne cabossé qui va à vive allure comme la voiture, la voiture de l'histoire, la même qui se doit d'éviter d'autres écueils...

 

Il sera donc dit que le féminin s’avère très important dans ce beau roman triste au titre bien porté : "Obscurité".

 

Entre parenthèses, si l'un des lieux le plus récurrent du récit se trouve être "le camping", nous pourrions définir l’intériorité rêvée de chacun des protagonistes, grâce à l'épisode situé au frontière de l'Espagne, ainsi : Château de sable pour "l'enfant" / Château de contes de fées pour "Pauline" / Château de cartes pour "la mère".

 

Ce drame de la solitude à trois met surtout en lumière la question des règles de vie, celles édictées par la Société. Mais si une loi est mal faite, peut-on la transgresser ? Auquel cas, ce n’est pas sans risque…

 

 

Je salue bien bas Jean-François parce que dans ce "road movie", à la française, on sent très fort l'amour de la France que porte l'auteur en son cœur.

 

 

Littérairement vôtre,

Jeanne R.

(Lyon, le 21/06/2015)

http://jeannerromanciere.hautetfort.com/

 

Littérature, Obscurité

12/06/2015

Mon roman "Obscurité" (promotion-suite)

J'étais supposé me présenter sur le blogue des éditions Chloé des Lys. En pratique, j'ai plutôt parlé de mon rapport à l'écriture.

Voir ici


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00:48 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature

21/04/2015

Citations

 

"Il est aussi dans l’intérêt d’un tyran de garder son peuple pauvre, pour qu’il ne puisse pas se protéger par les armes, et qu’il soit si occupé à ses tâches quotidiennes qu’il n’ait pas le temps pour la rébellion » 

Aristote

 

« Lorsqu’un gouvernement est dépendant des banquiers pour l’argent, ce sont ces derniers, et non les dirigeants du gouvernement qui contrôlent la situation, puisque la main qui donne est au dessus de la main qui reçoit. […] L’argent n’a pas de patrie ; les financiers n’ont pas de patriotisme et n’ont pas de décence ; leur unique objectif est le gain. »

Napoléon Bonaparte .

 

« Le pouvoir des financiers tyrannise la nation en temps de paix et conspire contre elle dans les temps d’adversité. Il est plus despotique qu’une monarchie, plus insolent qu’une dictature, plus égoïste qu’une bureaucratie.»

Abraham Lincoln.

 

« Ils ne sont grands que parce que nous sommes à genoux. »

Etienne de La Boétie

 

Littérature

 

22:12 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : littérature

15/04/2015

In memoriam

Triste journée pour la littérature et pour la pensée de gauche, hier.

 

Outre le décès de Günter Grass, dont on a un peu parlé puisqu’il avait reçu le prix Nobel de littérature, il faut aussi déplorer la mort d’Eduardo Galeano, dont on a beaucoup moins parlé. Galeano est l’auteur de « Las Venas abiertas de America latina » (les veines ouvertes de l’Amérique latine), livre que j’avais lu à 22 ans et dont je n’étais certes pas sorti indemne, puisqu’il a été à la base de toutes mes convictions politiques.  Dans cet ouvrage, l’auteur démontre que le continent Sud-américain, après s’être péniblement soustrait au colonialisme espagnol lors des guerres d’indépendance, n’est jamais parvenu à atteindre la moindre autonomie politique ou économique. En effet, ses richesses ont continué à être exploitées par l’Europe puis par les Etats-Unis, tandis que le peuple, soumis aux pires dictatures à la solde de l’Occident, continuait à vivre dans la misère.   

 

http://www.lemonde.fr/disparitions/article/2015/04/13/l-e...

 

http://www.lemonde.fr/disparitions/article/2015/04/13/mor...

 

Littérature

 

 

 Littérature

00:05 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature

27/03/2015

Mon roman "Obscurité" vient de paraître.

J’avais promis de vous en reparler et je vous en reparle donc. A vrai dire et pour être tout à fait honnête,  j’attendais même ce moment avec impatience. Mon livre « Obscurité » est enfin référencé. On peut donc se le procurer soit via les librairies, soit directement via le site de l’éditeur. C’est cette dernière solution que je vous conseille vivement puisqu’on vous fera alors une remise de trente pour cent. Certes vous devrez payer les frais de port (1,5 euros), mais vous l’obtiendrez à 26, 50 euros au lieu de 37,90. Ce dernier prix est assurément prohibitif et croyez que je suis le premier à le regretter. En tant que lecteurs potentiels, vous êtes en droit de savoir ce qui explique ce prix.

Les petits éditeurs qui éditent à leurs frais n’ont que deux solutions :

La première, c’est de faire imprimer beaucoup d’exemplaires (par exemple 1.000 ou 2.000) et de les diffuser à travers la France via un intermédiaire. Mais là, soit ce « diffuseur » réclame sa part de bénéfice qui n’est pas mince (et l’éditeur ne gagne presque plus rien), soit il refuse carrément de prendre en charge les livres d’une petite maison. Dans ce dernier cas, l’éditeur essaie alors de diffuser lui-même ses exemplaires auprès d’un certain nombre de librairies (sorte de réseau qu’il s’est constitué lui-même au fil du temps). Cela signifie qu’il doit supporter l’envoi de colis par la poste, ce qui vient déjà grignoter dangereusement sa marge bénéficiaire. Mais un malheur n’arrive jamais seul et après quelque temps, les libraires lui renvoient à peu près l’entièreté des 2.000 exemplaires imprimés, car peu de lecteurs se sont laissé séduire par un auteur totalement inconnu. Bref, il se retrouve avec 1.900 exemplaires qui sont bons pour le pilon. Autant dire qu’après avoir renouveler l’expérience trois ou quatre fois, il peut mettre la clef sous le paillasson.

La deuxième méthode (et c’est celle qu’a adoptée mon éditeur Chloé des Lys) consiste à imprimer au fur et à mesure des commandes. L’avantage, c’est qu’il n’y a aucun stock,  aucun invendu et donc aucune perte. Cela permet à l‘éditeur de survivre. L’inconvénient c’est que l’imprimeur demande évidemment beaucoup plus cher par exemplaire (d’une part parce qu’il  ne sait jamais combien d’exemplaires il aura l’occasion d’imprimer et d’autre part parce que cela lui prend pratiquement autant de temps de fabriquer deux livres que d’en fabriquer deux cents). Les seuls perdants, dans cette affaire, ce sont les lecteurs (qui se ruinent) et l’auteur (qui regrette que son livre ne soit pas beaucoup lu).

La solution de Chloé des Lys pour que tout le monde y trouve son compte c’est donc de faire une remise importante sur le prix du livre. Il y clair que si un prix de 37,90 euros est tout à fait prohibitif, le fait de vendre finalement l’exemplaire à 26, 5. Est déjà beaucoup mieux. Même si cela reste cher, j’en ai bien conscience. Soyons honnêtes, pour le même prix vous pourriez acheter quatre livres de poche. Mais bon, Obscurité fait quand même 491 pages (avec une police de caractère que j’ai voulue assez grande, par égard aux lecteurs de plus de cinquante ans aux yeux fatigués) ce qui n’est pas rien non plus.

 Bref, trêve de discussion, voici le lien vers le site de mon éditeur :

http://www.editionschloedeslys.be/catalogue/870-obscurite.html

 

 

Littérature, Obscurité, roman 

25/03/2015

De la première mondialisation

Au fil de mes lectures, je suis tombé sur ce passage qui m’a paru d’une singulière modernité puisqu’on y évoque déjà le recul des frontières et la mondialisation que nous connaissons aujourd’hui. Une fois que les navires ont cessé de longer les côtes et qu’ils se sont élancés sur la pleine mer, d’autres rivages ont été découverts et on a connu d’autres peuples. Les échanges commerciaux ont fait le reste.

 

Nos ancêtres ont connu des siècles d’innocence,

 ignorant toute perfidie.

Chacun demeurait tranquillement sur son rivage

et vieillissait sur la terre de ses aïeux.

Le peu qu’il possédait suffisait à faire sa richesse ;

C’est de sa terre natale qu’il  tirait tous ses biens.

Les frontières heureusement établies ont été effacées

Et le monde a été unifié

Par le vaisseau de pin construit en Thessalie.

Il a forcé la mer, l’a battue de ses rames,

Et cette mer dont on ne se souciait pas,

Il nous l’a imposée – nouveau sujet de crainte.

(…)

N’importe quel navire peut parcourir la haute mer.

Toutes les limites ont été repoussées

Et des villes ont édifié leurs murs

Sur de nouvelles terres.

Le Monde, désormais totalement accessible,

Na rien laissé à sa place d’origine :

L’Indien boit l’eau glacée de l’Arax,

Les Perses se désaltèrent à celle de l’Elbe et du Rhin.

Dans de longues années viendra un temps

Où Océan relâchera son emprise sur le monde,

Où la terre s’ouvrira dans son immensité,

Où Téthys révélera de nouveaux continents,

Où Thulé ne sera plus l’ultime terre connue.

 

 

De quand date ce texte ? Du XVIème et du XVIIème siècle, quand les galions espagnols ramenaient de l’or d’Amérique ? De l’époque de Christophe Colomb ? Non, ce texte est extrait de la pièce de théâtre « Médée » du philosophe Sénèque (-4 av. J-C ;  65 après J-C). Comme quoi il n’y a rien de neuf sous le soleil.

 

Littérature

00:22 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature

08/03/2015

Roland Thévenet, La Queue.

Je termine le livre « La Queue » de Roland Thévenet (mieux connu sur Internet sous le pseudonyme de Solko), le deuxième livre paru aux Editions du Bug.

Pour être tout à fait honnête, la première partie ne m’a attiré que moyennement, sans pour autant me déplaire. Mais une fois franchi ce cap, plus j’ai avancé dans la lecture, plus je suis devenu attentif et intéressé. Après coup, j’ai essayé de comprendre ce qui m’avait dérangé dans cette première partie et j’ai dû reconnaître que mes réticences ne provenaient ni de l’auteur ni de son style, mais tout simplement de ce qui y était raconté, à savoir notre monde moderne d’aujourd’hui, fade, insipide, sans autre valeur que celle de la recherche du profit. Le héros est un milliardaire mondialement reconnu et admiré tandis que sa belle-fille est Commissaire européen, ce qui vous situe un peu la problématique évoquée. On nous explique sur quelle idée farfelue, relayée par un marketing efficace, s’est constituée la fortune familiale. Car toujours il s’agit de vendre ce qui ne sert à rien, un objet ridicule en soi et sans aucune utilité pratique, mais qui va finir par apparaître aux yeux des gens comme une marque de reconnaissance qu’on ne peut pas ne pas acquérir et porter, afin de montrer qu’on n’est pas moins que les autres. Cet objet si convoité, c’est une queue d’étoffe, que le génial futur milliardaire a eu l’idée de coudre à l’arrière du pantalon. Plutôt que d’en rire, voilà toute la population mondiale qui se jette sur cette queue, avec l’illusion de renouer avec ses origines animales et l’intention d’être originale. En réalité il s’agit d’un produit commercial uniforme qui symbolise bien notre société mercantile, où on vend n’importe quoi, surtout si c’est dans le vent. L’auteur en fait  dénonce notre mode  de fonctionnement moutonnier où tout est axé sur l’apparence extérieure.

Après ce début « un medias res », les chapitres suivants replongent le lecteur en arrière, au début de la guerre 40, quand Félix, le futur milliardaire, n’a que quelques semaines. Orphelin (ses parents ont été tués dans des circonstances tragiques mal éclaircies), il est recueilli par un curé, qui se met à l’élever, ce qui nous donne quelques pages très humaines sur ambiguïté de ce prêtre qui sans s’en rendre compte se met à tenir le rôle paternel qu’il avait toujours dû refuser de par sa fonction sacerdotale mais auquel il aspirait au fond de lui-même. Il éduque le jeune enfant et lui donne des valeurs.

Le récit n’est pas linéaire et on retrouve le héros dans différents endroits : chez sa grand-mère après avoir été exclu d’un pensionnat ou apprenti jardinier dans un château, où il découvre l’amour auprès d’une jeune fille orpheline comme lui. Les parents de cette dernière ont été tués lorsqu’une voiture est entrée dans la foule aux Vingt-quatre heures du Mans. Comme les parents de Félix, victimes de la guerre, ils ont été victimes de la folie des hommes (les courses de voiture, la modernité, la vitesse).

Le héros s’en va encore et on le retrouve sur les trottoirs de Paris où il fait la connaissance de l’écrivain américain Kerouac. On sent là–derrière une pointe d’autobiographie de la part de R. Thévenet, qui a dû pas mal voyager dans sa jeunesse, comme l’auteur de « La Route » et qui a dû errer lui aussi dans le grand Paris.

Kerouac tente de donner un sens à sa vie en partant sur les chemins et en recherchant l’aventure, tout comme le prêtre (auquel il ressemble physiquement) cherchait une voie spirituelle pour vaincre l’absurde du monde. Mais ce sera une fausse piste pour Félix. Il aura beau suivre l’écrivain en Amérique, il se rendra vite compte que celui-ci est dans une impasse, alcoolique, sans illusion et victime de son succès. Finalement, mieux valait écouter le prêtre, qui était plus perspicace : « Ils éclataient du même feu, mais ne le jetaient pas dans la même direction » (page 190).  La voiture décapotable avec laquelle il traverse l’Amérique aux côté du célèbre auteur lui fait penser à « la furieuse Mercedes de Levegh, sur le circuit du Mans » (page 192). La vitesse, la modernité et la fuite en avant ne semblent pas des solutions existentielles valables.

Reste l’amour. Félix mettra tout en œuvre pour retrouver Lisa, la jeune fille orpheline rencontrée lors de son adolescence. Il y parviendra et l’épousera. Celle-ci travaille comme journaliste au journal France-Soir du célèbre Lazareff. Riche et ne logeant que dans des palaces, mondain au possible, il est le contraire de Kerouac. Pourtant, comme ce dernier avait la passion de la route et le prêtre celle de l’Eglise, Lazareff a celle du journalisme. Mais quel journalisme ? Il recherche moins la vérité des faits que de pouvoir vendre  des illusions à la multitude.

Décidemment, plus on avance dans la lecture, plus on se prend d’affection pour ce livre de B. Thévenet qui pose des questions existentielles et qui offre des réponses provisoires, très vite  dépassées et sans cesse remises en cause. Et puis il y a le destin, qui frappe toujours sans prévenir. Lisa, l’épouse du héros, est victime d’une balle perdue lors d’un reportage en Irlande du Nord et elle reste paralysée. « Les éclats de tôle qui l’avaient épargnée, petite fille, sur le circuit du Mans, venaient de nouveau de rejoindre Lisa pour frapper dans le dos, alors qu’elle fuyait les soldats anglais » (page 231) Quel est le sens de ce destin ? Pourquoi tant d’injustice ? Même le prêtre qui avait autrefois élevé le héros n’aurait sans doute pas pu répondre et sa foi serait restée impuissante. Il n’avait d’ailleurs jamais pu donner de réponse sur la mort injuste des parents de Félix et avait préféré lui cacher la vérité. C’est pour cela, pour ce mensonge, que l’enfant était parti, on le découvre à la fin du récit.

Devenu vieillard et riche, il revient pourtant au terme de sa vie dans cette église de son enfance pour tenter encore une fois de trouver des réponses à toutes ses questions. Il n’arrive pas à croire, sa raison l’en empêche. Mais il semble entendre le prêtre lui murmurer que « le discernement entre le vrai et le faux, si estimable soit-il de la raison, n’aura jamais la limpidité, le charme, le Grâce d’un Pardon ni la légitimité d’un sacrement ! C’est en poète que je crois, moi (…). Je sais que ces mystères, dans leur ingénuité profonde, sont les derniers remparts contre la folie destructrice du monde et de l’ultra-libéralisme qui n’est, en terme religieux, que la ruse la plus aboutie du diable.» (page261).

Et moi, lecteur qui n’ai pas non plus la foi, je me dis que cette poésie du sacré, si irrationnelle soit-elle, vaut bien mieux, finalement, que ce monde mercantile du grand village global que l’on nous impose chaque jour un peu plus et où je ne trouve finalement aucune valeur humaine.   

 

 

Littérature

19:04 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : littérature

17/02/2015

Bertrand Redonnet, le Silence des Chrysanthèmes

Un beau livre que celui-là, assurément, un livre comme je les aime, qui sent bon la campagne d’autrefois et les souvenirs d’enfance. On retrouve les thèmes favoris de l’auteur, ceux que l’on a déjà rencontrés dans ses autres ouvrages, comme la fuite du temps, la difficulté de donner un sens à sa vie, mais aussi le rythme des saisons et ce passage des campagnes de l’ère néolithique au progrès motorisé. Ses souvenirs d’enfance à lui, qu’il retrace à petits coups de pinceau, le renvoie justement à une époque qui n’existe plus, celle des chevaux de labour et des fenaisons qu’on faisait à la main. On sent du regret derrière les mots employés, de la nostalgie sincère, mais toujours aussi une quête du sens de la vie, de cette vie qui s’est écoulée si vite et qui l’a conduit, lui l’auteur, à l’autre bout du continent, dans cette Pologne à la frontière biélorusse où il a réappris à dire son pays. Car il a fallu cette cassure, cet « exil volontaire » pour qu’il prenne conscience de ce qu’il avait perdu, à la fois la France et sa langue et ses propres origines, celle de sa tribu, frères et sœurs groupé autour d’une mère atypique qui, en l’absence de mari, dirigeait tout d’une main de fer.

Dans cette Pologne où il vit maintenant, Bertrand a découvert les hivers de neige dont il rêvait enfant. Le réel a rejoint l’imaginaire en quelque sorte et il était donc normal qu’il se mît à écrire sur son passé, d’autant plus que sa maison de bois ensevelie sous la neige ne pouvait que le conduire à devenir écrivain :

« Longtemps, très longtemps, trop longtemps, la première pensée que m‘inspirait une masure isolée au milieu d’une aimable campagne, surtout si c’était l’hiver et si toute chose y était muette, c’est qu’elle était un lieu idéal pour s’y retirer et pour y écrire. » (page 62)

Il nous parle aussi de sa seconde passion, la musique et nous raconte comment un frère bricoleur avait confectionné tant bien que mal une guitare, sur laquelle il s’était mis, lui, à dire sa mélancolie, avant de rencontrer l’œuvre de Brassens, ce poète qui a su mettre les mots en chanson.

Il nous parle de son instituteur et des cartes de géographie que celui-ci expliquait, ouvrant à l’enfant médusé des univers infinis et fantastiques. Ou bien c’étaient les cours d’Histoire, où on parlait de la grande Guerre, celle que le grand-père avait faite, mais dont il ne disait jamais rien, ayant noyé sa blessure dans le vin. Plus tard, ce sera le collège et l’internat, cette prison qui privera le jeune adolescent de ses promenades dans les bois et les prés ou encore de ses randonnées le long des rivières. Ce sera l’époque des premières contestations et des premiers affrontements avec l’autorité (surveillant, directeur, etc.) mais ce sera aussi cette école qui fera qu’il deviendra petit à petit différent de ses frères et sœurs, lesquels étaient plutôt manuels et avaient développés des dons certains pour le bricolage. Il aura fallu ce livre pour réconcilier des points de vue si différents :

« Hélas, il était bien tard quand j’ai su lire ce besoin que vous aviez de vouloir en découdre avec la matière, ce besoin de dessiner son âme sur les choses, moi qui voulus toute ma vie en découdre avec les mots, avec les gammes, les contraindre à faire du monde, mon monde. Vous ne cherchiez pas autre chose au bout de vos pointes rouillées et votre poésie était aussi auguste que prétendait être la mienne. (page 134).

Hommage à la fratrie, à l’enfance perdue, à l’époque où les choses avaient un sens  et les fruits une saveur, ce livre est une quête, une manière de remonter le chemin à l’envers pour tenter de trouver un sens à une vie qui fut finalement fort décousue et éparpillée entre mille activités. Reste l’écriture pour dire tout cela, une belle écriture classique, qui permet de figer un instant tous ces souvenirs d’autrefois et de leur donner une cohérence. L’écrivain d’aujourd’hui n’existerait pas si l’enfant d’autrefois n’avait pas vécu ce qu’il a vécu. Mais d’un autre côté, cet enfant ne survit que grâce à l’écriture et maintenant, par la magie des mots, il appartient un peu aussi  à notre imaginaire à nous lecteurs, qui nous sommes laissé guider par les phrases de l’auteur. 

 

Littérature

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12/02/2015

"Obscurité"

Ceux qui se souviennent avoir lu ici autrefois un roman qui s’intitulait « Obscurité » seront ravis car ils pourront bientôt se le procurer en version papier. En effet, « Obscurité » a trouvé un éditeur ! Le plus heureux de tous, c’est moi, évidemment, je ne le cache pas. S’agissant d’une édition à compte d’éditeur, avec une sélection des manuscrits reçus, je change du coup de statut et d’écrivant je deviens écrivain, ce à quoi j’aspirais depuis longtemps sans jamais y parvenir. En effet, alors qu’il y a des académies de peinture et des conservatoires pour consacrer les peintres et les musiciens, il n’y a pas d’écoles d’écrivains (fort heureusement d’ailleurs). Du coup, le fait d’être accepté par un éditeur reste la seule manière de se voir conféré le statut d’écrivain. Certes on me dira que certains publient n’importe quoi et c’est vrai, mais il n’en reste pas moins que c’est l’éditeur qui consacre l’écrivain, que celui-ci soit bon ou mauvais, finalement.

Je possède déjà des exemplaires chez moi, mais pour ceux qui habitent loin, il leur faudra encore attendre un ou deux mois, que le livre soit référencé dans les catalogues des libraires et surtout dans celui de l’éditeur.

Il faut savoir que pour survivre mon éditeur imprime en fonction des besoins, ce qui veut dire qu’on ne verra pas le livre dans les rayons  des librairies (où il ne serait de toute façon resté que deux semaines avant que les invendus ne soient envoyés au pilon) mais on pourra le commander. Ceci dit, je vous donne un petit conseil : quand le moment sera venu, commandez-le plutôt sur le site de l’éditeur. Vous paierez certes les frais de port, mais on vous fera une remise de trente pour cent, ce qui n’est pas négligeable.

Je ne manquerai pas d’en reparler ici plus tard, quand ce sera le bon moment. Quant aux nouveaux lecteurs de Marche romane qui ne connaîtraient pas « Obscurité », je ne peux que les inviter à se procurer le livre.

Pour terminer, je tiens à exprimer ma gratitude à mes fidèles lectrices et lecteurs. En effet, certains se souviendront que ce qui constitue aujourd’hui le premier chapitre de ce livre était en fait une simple nouvelle. Puis certains m’ont demandé de lui donner une suite. Je me suis d’abord montré réticent puis finalement j’ai accepté de jouer le jeu. Sans eux, ce roman-là n’existerait pas aujourd’hui.  

 

 

littérature,obscurité

21/01/2015

Ecrire

Pendant que le monde plonge dans la folie, que des régimes vacillent, que les armes parlent, que des hommes meurent, que la peur gagne du terrain, pendant ce temps-là, j’écris. Le clavier de mon ordinateur, éclairé par le halo de lumière de la lampe, devient mon monde à moi. Sur l’écran, les mots s’ajoutent aux mots, forment des phrases, des paragraphes… Parfois, rassemblés en petites histoires, ils prennent un sens. Ecrire, c’est tenter de retrouver un sens, quand autour de soi tout a disparu.

 

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21/07/2014

In memoriam

Me voilà de retour, mais ce premier billet sera bien triste puisqu’il vise à rendre hommage à Joseph Orban (voir lien ci-contre), dont j’ai appris le décès durant mes vacances, par un SMS sur mon téléphone portable. Que dire devant cette fatalité qu’est la mort ? Rien. Toujours, c’est la même incompréhension : ce qui a été n’est plus. Tous ces jours de joie, de souffrance, d’expérience, de révolte, de lectures, de pensées, d’écriture, tout cela disparaît en une seconde. Pourquoi ? Je n’en sais strictement rien, sauf que cette fin inéluctable donne a posteriori un sens tout relatif à notre existence. Pourquoi avoir rêvé et lutté pour en arriver là ? Pourquoi avoir vécu ? Pour rien, visiblement. Non seulement personne n’est parvenu à changer le monde où il vivait, mais notre propre existence, quelle que soit la manière dont nous la gérons, n’est finalement qu’un éclair qui disparaît bien vite dans la nuit des temps.

 

Reste en nous le souvenir de ceux qui ont vécu et dont les mots nous ont parfois touchés. Ce sera pour moi le cas de Joseph Orban, que j’avais croisé dans ma jeunesse sans oser l’aborder (car malgré son jeune âge, il était déjà revêtu du prestige de l’écrivain) mais que j’ai retrouvé des années plus tard, par hasard, sur Internet. Je me souviendrai longtemps de ses billets amers, volontiers provocateurs, où il dénonçait toutes les injustices du monde. Derrière des mots parfois durs, il cachait une sensibilité à fleur de peau, celle du poète qui n’est pas fait pour vivre sur terre. Comme l’albatros de Baudelaire, il s’est envolé vers d’autres cieux.  

 


12/06/2014

Sortie du lycée

Assis dans la voiture, j’étais venu chercher mon fils qui avait un examen au lycée. N’ayant rien d’autre à faire et n’ayant pas emporté de livre avec moi puisque le temps d’attente aurait dû être très court, je regardais distraitement toute cette jeunesse qui sortait de l’école : jeunes filles en fleur, le sourire aux lèvres et un sac en bandoulière, garçons potaches et décontractés papotant par groupes ou au contraire premiers de classe solitaires et sérieux, ayant déjà sur leur visage les traces des préoccupations que leurs responsabilités futures ne manqueraient pas d’amplifier encore.

Il faisait beau, je me sentais en paix avec moi-même et les souvenirs de mes propres années de lycée commençaient à remonter à la surface, abolissant du même coup des décennies entières, comme si le temps était resté immobile et ne s’était jamais écoulé.

C’est à ce moment-là que je l’ai vue, surgie de nulle part, fantôme énigmatique qui tranchait au milieu de la jeunesse ambiante. Une petite vieille, maigre et voutée, toute de noir vêtue et qui trottait à pas menus vers le cimetière tout proche. Sa frêle silhouette se détacha un instant contre le vert éblouissant d’un conifère, ombre incertaine qui déjà n’appartenait plus à la vie. Pendant quelques secondes, il m’a semblé qu’elle se dirigeait vers sa propre tombe, comme si elle était à elle seule son unique cortège funèbre.

Puis je me suis dit que selon toute vraisemblance elle allait rendre visite à son mari décédé avant elle. Elle avait les mains vides et cette absence de fleurs me faisait pressentir que ses visites au cimetière devaient être quotidiennes. Elle remplaçait ainsi tristement l’ancienne vie commune, se donnant l’illusion de former encore un couple. A quoi avait ressemblé son existence auprès de cet homme ? Je n’en avais aucune idée, mais je pressentais que malheur ou bonheur, cela ne changeait strictement rien pour la vieille dame. Maintenant qu’elle était seule, elle se devait de venir ici se recueillir un instant, même si ce mari avait été le pire des tyrans. Que lui restait-il à vivre ? Quelques mois ? Un an ? Deux tout au plus, si on en jugeait par la maigreur de sa noire silhouette qui semblait déjà appartenir à l’autre monde. Alors, n’ayant plus rien d’autre à faire, elle venait en ce lieu se préparer au grand saut qui ne devrait plus beaucoup tarder. En saluant les défunts, elle s’habituait, en quelque sorte, à son destin futur. Un instant, je l’imaginai en train de tenir quelques discrets conciliabules avec les habitants du cimetière. Cela aurait fait un beau thème pour une nouvelle, digne du roman de la momie de Théophile Gauthier.

Quand elle eut disparu derrière la grille ouvragée, je suis resté rêveur, entouré de cette jeunesse insouciante qui continuait de sortir du lycée, confiante en son avenir.

 

Littérature

 

 

12/05/2014

"Le Diable et le berger" de Bertrand Redonnet

Je lisais l’autre jour le dernier livre de notre ami Bertrand Redonnet et je me faisais la réflexion suivante : il est quand même curieux que cet auteur, qui revendique son exil volontaire en Pologne, à la frontière biélorusse, ancre généralement ses livres dans le terroir qui l’a vu naître, à savoir la campagne profonde du Poitou. C’était déjà le cas dans son précédent livre, Zozo, et c’est toujours le cas ici, dans « Le Diable et le berger ». Forcément, me direz-vous, puisque le héros (ou anti-héros) dont on raconte l’histoire est un protagoniste que le lecteur avait déjà rencontré dans le premier livre. Certes, certes. Il n’empêche, pourquoi toujours situer l’action dans cette région précise du Poitou ? Parce que Bertrand n’en connaitrait pas d’autres ? Bien sûr que si, car tel un marin sans amarres (lui qui n’aime pas l’océan), il a bourlingué un peu partout. Il aurait donc très bien pu situer l’action dans une autre région de France ou faire voyager son personnage ailleurs en Europe. En Espagne, par exemple (pays que le vieil anarchiste qu’il est doit apprécier par sa guerre civile de 1936 et par la lutte clandestine contre le franquisme qui a perduré dans l’ombre pendant des décennies) ou en Pologne, où il habite.

Mais non, il revient toujours dans ses romans à cette région aux confins de la Vienne et des Deux-Sèvres, probablement parce que c’est le pays de l’enfance, cette terre où il a grandi, mûri, où il est devenu homme et d’où finalement il est parti pour découvrir le monde. Cette terre restera à jamais l’endroit qui est le sien. Les paysages, les vents, les tempêtes d’hiver, les lignes des grands peupliers, la rivière, le petit village (ce microcosme qui dit à lui seul l’univers tout entier) c’est tout cela qui a fait de Bertrand ce qu’il est et c’est pour cela qu’il y retourne par l’écriture, pour remonter à la source et essayer de comprendre le sens de la vie. Et nous, lecteurs, qui sommes d’un autre région, d’un autre univers, nous comprenons parfaitement ce qu’il nous dit, car nous avons également au fond de nous une rivière,  un village ou un petit bois où nous avons vécu enfants. C’est la force de la littérature de réveiller ce qui fut et qui a fait un peu de ce que nous sommes.

Mais si le paysage est toujours sous-jacent chez Bertrand, c’est surtout les hommes (et les femmes) qu’il raconte ici, avec leurs désirs, leurs faiblesses et leurs actions qui ne sont pas toujours louables. Ce n’est pas un roman moral. On ne juge pas ici, on décrit. On décrit comment les idées et les passions de chacun vont se confronter avec celles des autres, qui sont différentes. Mais cela provoque des frictions et on frôle souvent le drame avant d’y tomber tout à fait. Stéphane Beau, dans son introduction, parle de véritable tragédie, presque au sens grec du terme. Il n’a pas tort, il y a de cela, en effet. Sauf peut-être que les héros ne sont pas des nobles comme chez Corneille ou des rois et des princes comme chez Sophocle. Ce sont de petites gens, mais par ce côté simple et ordinaire, ils sont plus proches de nous encore car les choses qu’ils vivent au quotidien sont aussi les nôtres : la vie en couple, les disputes, le désir parfois d’aller voir ailleurs si l’herbe n’est pas plus verte.

Le héros principal, Guste Bertin, est en marge de la société. D’abord il n’a pas de père officiel et cela a marqué son enfance. Ensuite, adolescent, il a quitté le village pour aller au collège, ce qui l’a rendu différent aux yeux des autochtones. Enfin, comme membre du Conseil communal, il représente évidemment l’opposition et il est toujours contre tous les projets que propose le maire. C’est l’occasion pour l’auteur de nous décrire quelques scènes épiques, où la truculence du langage est savoureuse. Cependant, derrière ces intrigues de village, c’est une nouvelle fois toute l’âme humaine qui est mise à nu, l’ensemble des conseillers municipaux préférant peureusement et servilement se rallier à l’avis de la majorité plutôt que de défendre les idées   généreuses de cet anarchiste campagnard.

Dans ce village, il y a bien entendu un curé et quand on sait tout le mal que pense Bertrand de la religion, il ne fallait pas s’attendre à ce qu’il donne à celui-ci un rôle conventionnel, bien au contraire. C’est qu’il a beau être curé, le prêtre est aussi un homme à l’âme tourmentée, comme tout un chacun, et pour lui comme pour le héros la limite entre le bien et le mal n’est pas toujours bien tracée.

Dans ce roman, il y a des femmes, aussi. La femme de Bertin en a assez de la vie quotidienne qu’elle mène avec son homme grognon et, voyant son couple se déchirer, elle  essaie de trouver ailleurs ce qu’elle ne trouve plus chez elle. Je n’en dirai pas plus, mais le noeud de l’intrigue est là, intrigue rondement menée à la lecture de laquelle on ne s’ennuie jamais. Mais je le répète, derrière toutes ces scènes truculentes, il y a toujours une réflexion sur la vie et les passions qui nous animent. Jamais l’auteur ne juge ses personnages. Il décrit leurs faiblesses, il les voit s’écarter du droit chemin, mais quelque part il les comprend et ne les blâme pas. Et si quelqu’un est puni à la fin, c’est finalement pour un meurtre dont il n’était pas directement responsable. Le destin, une nouvelle fois, est impénétrable, ce qui nous renvoie décidément à la tragédie grecque déjà évoquée.

 

 

Littérature, Bertrand Redonnet

 

22/02/2014

Souvenirs

La  vie n’est pas tendre avec nous.  Elle nous tend  cent pièges et mille chausse-trappes, dans lesquels nous tombons généralement. On n’y peut rien, c’est comme cela. Notre vigilance n’empêchera que très rarement note chute. Alors, faut-il pour cela détester la vie ? Non, il faut en retirer tout ce que nous pouvons, c’est-à-dire généralement pas grand-chose.  Mais ce « pas grand-chose », ce « presque rien » comme disait Jankélévitch,  est tout ce qui nous est donné, alors profitons-en au maximum. Conservons au fond de nous tous ces petits bonheurs éphémères, ne les négligeons pas, ils sont souvent plus importants qu’on ne le croit. Ainsi, quand on vieillit et qu’on regarde derrière soi ce que l’on a vécu, on s’aperçoit que les souvenirs que nous conservons du passé sont rarement des faits importants, mais plutôt des impressions fugaces que notre esprit et nos sens ont enregistrées : le son de la cloche d’un village, l’odeur des fleurs au printemps, le bruit de la pluie sur un toit, le souffle du vent en haut d’une falaise, le bruit éternel des vagues, le goût du gâteau que l’on mangeait enfant, etc. Notre vie est faite de ces instants fugaces,  qui nous ont marqués puisque nous croyions les avoir oubliés alors qu’ils reviennent toujours au moment où on ne les attend pas.

Conservons toutes ces impressions au fond de nous. Recueillons-les précieusement au fond d’un vase, comme un parfum précieux et quand l’existence n’est pas tendre avec nous, reprenons ce flacon et ouvrons-le précautionneusement  pour  en respirer les effluves, ils sont la quintessence de notre vie. 

(A toi, dont l’odeur  de la peau est restée sur mes lèvres). 

 

Littérature

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10/02/2014

De l'opinion du plus grand nombre.

Un petit extrait de Schopenhauer : 

Ce que l'on appelle l'opinion commune est, à y bien regarder, l'opinion de deux ou trois personnes ; et nous pourrions nous en convaincre si seulement nous observions comment naît une telle opinion. Nous verrions alors que ce sont deux ou trois personnes qui l'ont admise ou avancée ou affirmée, et qu'on a eu la bienveillance de croire qu'elles l'avaient examinée à fond ; préjugeant de la compétence suffisante de celles-ci, quelques autres se sont mises également à adopter cette opinion ; à leur tour, un grand nombre de personnes se sont fiées à ces dernières, leur paresse les incitant à croire d'emblée les choses plutôt que de se donner le mal de les examiner.

Ainsi s'est accru de jour en jour le nombre de ces adeptes paresseux et crédules ; car une fois que l'opinion eut pour elle un bon nombre de voix, les suivants ont pensé qu'elle n'avait pu les obtenir que grâce à la justesse de ses fondements.

Les autres sont alors contraints de reconnaître ce qui était communément admis pour ne pas être considérés comme des esprits inquiets s'insurgeant contre des opinions universellement admises ou comme des impertinents se croyant plus malins que tout le monde. Adhérer devint alors un devoir.

Désormais, le petit nombre de ceux qui sont capables de juger est obligé de se taire ; et ceux qui ont le droit de parler sont ceux qui sont absolument incapables de se forger une opinion et un jugement à eux, et qui ne sont donc que l'écho de l'opinion d'autrui. Ils en sont cependant des défenseurs d'autant plus ardents et plus intolérants. Car ce qu'ils détestent chez celui qui pense autrement, ce n'est pas tant l'opinion différente qu'il prône que l'outrecuidance qu'il y a à vouloir juger par soi-même — ce qu'ils ne font bien sûr jamais eux-mêmes, et dont ils ont conscience dans leur for intérieur.

Bref, très peu de gens savent réfléchir, mais tous veulent avoir des opinions ; que leur reste-t-il d'autre que de les adopter telles que les autres les leur proposent au lieu de se les forger eux-mêmes?

Puisqu'il en est ainsi, que vaut l'opinion de cent millions d'hommes? Autant que, par exemple, un fait historique attesté par cent historiens quand on prouve ensuite qu'ils ont tous copié les uns sur les autres et qu'il apparaît ainsi que tout repose sur les dires d'une seule personne.

"De l'art d'avoir toujours raison"

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13/01/2014

De la manière de conserver le pouvoir

Je poursuis mes lectures et je tombe sur cet extrait, qui me semble dans la suite logique du texte précédent, qui traitait des moyens employés par certains hommes pour arriver au pouvoir. Il s’agit ici de réfléchir à la manière dont ils s’y prennent pour conserver ce pouvoir une fois qu’ils s’en sont emparés. L’auteur n’est plus Platon, cette fois, mais Etienne de la Boétie, l’ami de Montaigne. Voici ce qu’il écrit dans le « Discours de la servitude volontaire »  :  

Pauvres gens misérables, peuples insensés, nations opiniâtres à votre mal et aveugles à votre bien ! Vous vous laissez enlever sous vos yeux le plus beau et le plus clair de votre revenu, vous laissez piller vos champs, voler et dépouiller vos maisons des vieux meubles de vos ancêtres !

Vous vivez de telle sorte que rien n’est plus à vous. Il semble que vous regarderiez désormais comme un grand bonheur qu’on vous laissât seulement la moitié de vos biens, de vos familles, de vos vies. Et tous ces dégâts, ces malheurs, cette ruine, ne vous viennent pas des ennemis, mais certes bien de l’ennemi, de celui-là même que vous avez fait ce qu’il est, de celui pour qui vous allez si courageusement à la guerre, et pour la grandeur duquel vous ne refusez pas de vous offrir vous-mêmes à la mort. Ce maître n’a pourtant que deux yeux, deux mains, un corps, et rien de plus que n’a le dernier des habitants du nombre infini de nos villes. Ce qu’il a de plus, ce sont les moyens que vous lui fournissez pour vous détruire. D’où tire-t-il tous ces yeux qui vous épient, si ce n’est de vous ? Comment a-t-il tant de mains pour vous frapper, s’il ne vous les emprunte ?

Les pieds dont il foule vos cités ne sont-ils pas aussi les vôtres ? A-t-il pouvoir sur vous, qui ne soit de vous-mêmes ? Comment oserait-il vous assaillir, s’il n’était d’intelligence avec vous ? Quel mal pourrait-il vous faire, si vous n’étiez les receleurs du larron qui vous pille, les complices du meurtrier qui vous tue et les traîtres de vous-mêmes ? Vous semez vos champs pour qu’il les dévaste, vous meublez et remplissez vos maisons pour fournir ses pilleries, vous élevez vos filles afin qu’il puisse assouvir sa luxure, vous nourrissez vos enfants pour qu’il en fasse des soldats dans le meilleur des cas, pour qu’il les mène à la guerre, à la boucherie, qu’il les rende ministres de ses convoitises et exécuteurs de ses vengeances. Vous vous usez à la peine afin qu’il puisse se mignarder dans ses délices et se vautrer dans ses sales plaisirs. Vous vous affaiblissez afin qu’il soit plus fort, et qu’il vous tienne plus rudement la bride plus courte. Et de tant d’indignités que les bêtes elles-mêmes ne supporteraient pas si elles les sentaient, vous pourriez vous délivrer si vous essayiez, même pas de vous délivrer, seulement de le vouloir.

Soyez résolus à ne plus servir, et vous voilà libres. Je ne vous demande pas de le pousser, de l’ébranler, mais seulement de ne plus le soutenir, et vous le verrez, tel un grand colosse dont on a brisé la base, fondre sous son poids et se rompre.

Sarlat, maison natale de La Boétie

littérature

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05/01/2014

De l'art oratoire

Au fil de mes lectures, je tombe sur le dialogue suivant (les protagonistes parlent des discours tenus par les politiciens de leur ville) :

 S*

Bon. Mais la rhétorique qui s’adresse au peuple (…), c’est-à-dire à des hommes libres, quelle idée faut-il en prendre ? Te paraît-il que les orateurs parlent toujours en vue du plus grand bien et se proposent pour but de rendre par leurs discours les citoyens aussi vertueux que possible, ou crois-tu que, cherchant à plaire aux citoyens et négligeant l’intérêt public pour s’occuper de leur intérêt personnel, ils se conduisent avec les peuples comme avec des enfants, essayant seulement de leur plaire, sans s’inquiéter aucunement si par ces procédés ils les rendent meilleurs ou pires ?

 

C*

Cette question n’est plus aussi simple. Il y a des orateurs qui parlent dans l’intérêt des citoyens ; il y en a d’autres qui sont tels que tu dis.

S*

Il suffit. S’il y a deux manières de parler au peuple, l’une des deux est une flatterie et une déclamation honteuse ; l’autre est l’honnête, j’entends celle qui travaille à rendre les âmes des citoyens les meilleures possible, qui s’applique à dire toujours le meilleur, que cela plaise ou déplaise à l’auditoire. Mais tu n’as jamais vu de rhétorique semblable, ou, si tu peux citer quelque orateur de ce caractère, hâte-toi de le nommer.

C*

Non (…), je ne peux t’en nommer aucun, du moins parmi les orateurs d’aujourd’hui.

 

Voilà assurément un texte qui me semble bien d’actualité. Nous vivons dans une société tronquée, où le terme démocratie ne veut plus dire grand-chose. Certes, il  y a des élections et des campagnes électorales, certes les citoyens peuvent voter pour le candidat de leur choix, mais au final, on voit bien que les politiques qui sont menées sont toujours les mêmes. Qu’on vote à droite ou à gauche, ceux qui ont accédé au pouvoir font toujours le jeu du grand Capital, car c’est l’argent en fait qui dirige le monde (il suffit pour s’en convaincre de compter le nombre de guerres coloniales que le très socialiste président Hollande a déclarées, en Afrique ou ailleurs, dépassant dans le cynisme son prédécesseur, le très haï Sarkozy).  Bref, le tout pour ces gens est d’arriver au pouvoir et de faire carrière.  Une fois bien installés sur le trône où nous les avons mis, ils ne dirigent pas le pays mais vont dans le sens de l’Histoire. Communistes si la mode est au communisme, capitalistes si la mode est à l’économie de marché. Nos intérêts à nous, ils s’en moquent bien. Le tout est de jouer le jeu et de nous endormir pour arriver au pouvoir. A ce titre, les discours politiques proférés pendant les campagnes électorales sont de toute première importance puisqu’il s’agit de gagner notre confiance pour avoir notre vote. Dans ces discours, il convient donc de flatter le bon peuple et de lui dire ce qu’il a envie d’entendre.  Non, il n’y a plus de véritable démocratie et on regrettera l’époque bénie où celle-ci avait vu le jour, dans la belle cité d’Athènes.

 

Sauf que là aussi note conception repose sur une illusion. D’abord parce qu’Athènes n’a pas toujours connu la démocratie et que celle-ci a parfois été remplacée par une dictature (je pense à l’épisode des « Trente Tyrans » par exemple). Ensuite parce que même lorsque la démocratie régnait, les orateurs les plus habiles, qui avaient suivi les leçons de rhétorique des sophistes, parvenaient à manipuler leur public pour s’emparer ensuite du pouvoir. En fait c’est de cela que traitait le texte ci-dessus. Ce que je vous ai donné à lire, c’est un extrait du « Gorgias » de Platon, qui met en scène Socrate et son interlocuteur Calliclès. Ce dernier soutient que la rhétorique est le plus important de tous les arts puisqu’elle permet à tous les coups de convaincre les interlocuteurs, même quand celui qui parle ne connaît rien au problème exposé et même quand il a tort. Socrate, lui, soutient que c’est là un art dangereux et que tout homme qui voudrait prendre les commandes de la cité devrait le faire pour le bien de celle-ci et non pour s’enrichir ou pour tromper. Comme quoi, il n’y a rien de neuf sous le soleil. Et du coup je me rends compte que j’ai vécu dans l’illusion en croyant que la démocratie athénienne était exemplaire. C’est à désespérer.

Littérature

18:47 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (24) | Tags : littérature

12/10/2013

La plus grande bibliothèque du monde

Que rêver de plus qu’un pouvoir politique, un chef d’Etat, qui déciderait de rassembler en un seul lieu le plus de livres possible ? Et pas seulement les livres de sa nation, écrits dans sa langue, mais tous les livres du monde ? Et pour que ces livres étrangers puissent être compris par tous, il prendrait l’initiative de les faire traduire par des spécialistes éminents… Le centre culturel ainsi créé, cette immense bibliothèque, servirait à la culture, mais elle servirait aussi au rayonnement intellectuel de la nation qui en aurait pris l’initiative et donc indirectement à la gloire du chef de l’Etat qui en aurait eu l’idée.

Oui, me direz-vous, mais ce n’est là qu’un rêve. On n’a jamais vu un politicien s’intéresser à ce point à la culture. Un politicien, non, mais un homme d’Etat, oui. Et vous n’allez pas le croire, mais cet homme d'Etat existe. Ou plus exactement, il a existé. Il s’appelait Ptolémée I et fut à la base, en -288 avant JC,  de la bibliothèque d’Alexandrie.

Pour rappel, Ptolémée est un des généraux d’Alexandre le Grand. A la mort de celui-ci, son empire fut partagé et Ptolémée obtint l’Egypte, où il fonda la dernière dynastie des Pharaons (qui n’étaient donc plus égyptiens, mais grecs, y compris la dernière d’entre eux, Cléopâtre, qui se suicida dans les circonstances que l’on sait). Son dessein était de faire de sa capitale, Alexandrie, le centre du monde hellénistique et donc de concurrencer Athènes.

Sous Ptolémée II, le nombre de livres aurait déjà atteint 500.000 volumes. Des savants venus de tout le monde méditerranéen se pressaient là. Certains venaient pour étudier, d’autres pour traduire. Car il avait été décidé de traduire tous les livres en grec, ce qui représentait un travail colossal. C’est notamment là que fut traduit en grec le Pentateuque hébreu, qui donna naissance à a version dite des Septante (car selon la légende, six représentants de chacune des 12 tribus juives s’étaient réunis pour ce travail).

Mais bientôt, la bibliothèque d’Alexandrie fut concurrencée par celle de Pergame, en Asie mineure (la Turquie actuelle, donc). Elle connut des heures sombres sous Ptolémée VIII Évergète, qui expulsa les savants d'Alexandrie et nomma un militaire comme bibliothécaire ! Il fallut la chute d’Athènes, conquise par les Romains en 86 avant J-C pour qu’Alexandrie retrouvât la place qui était la sienne dans le monde de la culture.

Tout cela jusqu’à ce fameux incendie qui a tout détruit. Imaginez quelle catastrophe ! Tous ces livres de l’Antiquité, venus des quatre coins du monde civilisé de l‘époque, irrémédiablement détruits ! Quelle perte pour l’humanité ! Combien d’auteurs latins et grecs ne nous sont connus que par les citations que d’autres auteurs ont faites de leurs œuvres. Et même parmi  les plus célèbres, nous n’avons souvent conservé qu’un ou deux ouvrages (parfois même incomplets) sur les dizaines qu’ils ont écrits. Tout cela serait en notre possession aujourd’hui si tout n’avait pas été ravagé par les flammes.

Bref, tout cela pour dire que cet incendie de la bibliothèque d’Alexandrie m’a toujours semblé un des événements les plus noirs de l‘histoire.

Sauf, qu’en y regardant d’un peu plus près, je me suis aperçu que la réalité était plus complexe.

D’abord, il faut savoir qu’aucune trace ni aucun vestige de cette fabuleuse bibliothèque n’ont été retrouvés, ce qui ne facilite pas les choses (les restes du phare d’Alexandrie ont par contre été découverts récemment en Méditerranée). Ensuite, force est de constater que les historiens ne sont pas d’accord entre eux quant à la date de la destruction.

Certains situent l’incendie un peu après la bataille de Pharsale (en – 48 avant JC) qui opposa César et Pompée. César avait remporté la victoire (comme toujours) et le Pharaon Ptolémée XIII, qui avait malencontreusement soutenu Pompée, mais qui était très opportuniste, avait aussitôt fait assassiner ce dernier pour plaire au vainqueur. Malheureusement pour lui, César s’éprit de sa sœur Cléopâtre VII (elle était à la fois sa sœur et son épouse et partageait le pouvoir avec lui). Dans le conflit qui opposa ensuite le frère et la soeur, César prit évidemment le parti de cette dernière. Il s’ensuivit une guerre et en – 47, César incendia la flotte d'Alexandrie, pour asseoir son autorité. Le feu se serait alors propagé aux entrepôts et aurait détruit une partie de la bibliothèque. On estime généralement la perte entre 40 000 et 70 000 rouleaux. Rien ne prouve cependant que la bibliothèque ait été détruite à ce moment-là. Certains pensent que ce sont plutôt des copies conservées dans un entrepôt, à l’extérieur de la bibliothèque, qui sont alors parties en fumée.

Plus tard, on assista à des conflits entre le pouvoir romain païen et les adeptes du christianisme. Mais une fois que Constantin eut fait de ce christianisme la religion officielle, on se mit à détruire les anciens temples païens (voir L’Edit de Théodose en 391). La bibliothèque d'Alexandrie, avec les œuvres antiques qu’elle contenait, aurait pu disparaître à ce moment-là. En effet, on n’a jamais vu une religion ne pas détruire les textes de la religion qui l’a précédée.

Enfin, plus tard vint la conquête arabe. Un historien arabe du XII° siècle prétend qu’en 642 le calife Omar aurait donné l'ordre de détruire la bibliothèque. Cela n’aurait rien d’extraordinaire non plus, mais on n’a finalement aucune preuve de ces événements. Peut-on faire confiance à quelqu’un qui écrit 500 ans après les faits et qui semble être le seul à mentionner cet incendie ? Il est vrai qu’un autre historien arabe, du XIII° siècle celui-là, parle bien de la destruction d’une bibliothèque par le calife Omar, mais il la situe en Irak...

« Que sont devenues les sciences des Perses dont les écrits, à l’époque de la conquête, furent anéantis par ordre d’Omar ? Où sont les sciences des Chaldéens, des Assyriens, des habitants de Babylone ? […] Où sont les sciences qui, plus anciennement, ont régné chez les Coptes ? »

En 868, ce sont les Turcs qui envahissent l’Égypte. Ils saccagèrent notamment Alexandrie et on peut penser que ce qui restait encore de la fameuse bibliothèque (pour autant qu’il en restât encore quelque chose) fut détruit à ce moment-là.

Bref, de tout ceci il faut retenir qu’il n’y aurait peut-être pas eu un incendie unique, qui aurait ravagé la bibliothèque en une fois, mais plusieurs destructions successives. L’histoire qui m’avait tant  épouvanté, ces millions de livres détruits en un seul jour, n’aurait donc été qu’un mythe

 

Notons qu’une bibliothèque moderne (Bibliotheca alexandrina) a été fondée en 1995 suite à un partenariat entre l’Egypte et l’Unesco. Elle est supposée, à terme, contenir cinq millions d’ouvrages. La Bibliothèque nationale de France lui a d’ailleurs donné 500 000 livres en 2010. Mais comme l’histoire se répète sans fin, en août 2013, des partisans du président Morsi, qui venait d’être destitué par l’armée, s’en sont pris à la  toute nouvelle Bibliotheca alexandrina. En février 2011, en plein cœur du Printemps arabe, elle avait déjà dû être protégée des vandales et des pillards par les membres du personnel et par de jeunes manifestants qui avaient compris que l’accession à la liberté ne passe jamais par la destruction des livres. 


Une des plus anciennes éditions de l'Odyssée

Chant X, v. 418-482. Dernier quart du IIIe siècle av. J.-C..

Rouleau de papyrus, découvert à Ghoran (Égypte) en 1900, 

bibliothèque d'alexandrie

06/09/2013

Qu'est-ce qu'un livre ?


-Est-ce vrai que tu n’as lu aucun de ces livres ?

- Les livres sont assommants.

- Les livres sont des miroirs, et l’on n’y voit que ce que l’on porte en soi-même…

 

 

Carlos Ruiz Zafon, « L’ombre du vent », Grasset, 2004, page 231.

 

Littérature

 

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02/09/2013

Le Charroi de Nîmes

On se rend quand même compte, en abordant  une œuvre ancienne comme « Le Charroi de Nîmes », qu’il est parfois difficile d’en saisir le sens exact. Ainsi, dans le cas présent, j’en suis à me demander si cette chanson de geste, comme toutes les autres de la même veine,  vise à glorifier un héros ou si au contraire elle doit être lue au second degré, remettant justement en cause, par l’ironie, les chansons de geste classiques.

Je m’explique.

L’histoire raconte que Guillaume, à qui le roi de France devait tout, est le seul vassal à n’avoir reçu aucun fief en récompense de ses exploits. Furieux, il va s’expliquer avec le roi. Ce dernier tergiverse, puis lui propose de reprendre un fief dont le tenancier est mort. Guillaume refuse pour ne pas déshériter le fils (encore enfant) du chevalier décédé. Alors le roi lui propose d’épouser une veuve qui se trouve à la tête d’un fief. Guillaume refuse pour la même raison (ne pas léser l’enfant issu du premier lit). Finalement, Guillaume se montrant de plus en plus pressant et le roi ne sachant plus que faire, il lui propose un quart de son royaume. Le noble Guillaume refuse de nouveau, tout en rappelant que si Louis est roi, c’est grâce à lui (autrefois, il l’avait fait couronner de force et avait occis les nobles qui s’opposaient à ce couronnement). A la fin, Guillaume trouve lui-même une solution. Puisqu’il n’y a plus de fiefs à distribuer, il ira en conquérir un au détriment des Sarrasins (augmentant du même coup le territoire du roi et celui de la Chrétienté).

Guillaume peut donc être vu comme le vassal idéal. Noble et généreux, il lutte sans arrêt pour son roi et quand ce dernier ne se montre pas à la hauteur de son rôle, loin de le destituer, il s’arrange encore pour accroître son territoire. La chanson de geste pourrait donc être vue comme une apologie de la noblesse, qui doit se montrer respectueuse de l’institution féodale en dépit des faiblesses du suzerain (le roi). En outre, Guillaume n’est pas seulement fort et courageux, il est aussi intelligent puisque c’est par une ruse qu’il parvient à prendre la ville de Nîmes (en appliquant la technique du cheval de Troie)

Mais on pourrait comprendre cette œuvre tout autrement. En effet, elle est pleine d’ironie et doit faire rire les spectateurs qui en écoutent le récit. Ainsi on voit Guillaume entrer dans une colère noire quand il apprend qu’il est le seul à n’avoir reçu aucun fief. Il monte en courant les escaliers du palais et apostrophe le roi qui, à sa vue, se lève (en quoi il sort de son rôle de suzerain, ce qui doit provoquer le rire). A chaque proposition du roi, Guillaume refuse et quitte le palais. Mais à chaque fois il revient et la même scène se reproduit (le roi se lève à son arrivée). Les termes employés sont d’ailleurs identiques :

Voit le li rois, encontre s’est levez,

Puis li a dit : « Guillelmes, quar seez.

-Non ferai, sire dit  Guillelmes le ber,

Mes un petit vorrai a vos parler. »

Dist Looÿs : « Si com vos commandez.

Mien escient, bien serez escoutez

 

Traduction :

L’apercevant, le roi s’est levé à sa rencontre,

puis lui a dit : « Guillaume, asseyez-vous donc.

Non, sire, répond Guillaume le vaillant,

je veux seulement vous dire quelques mots.

A vos ordres, déclare Louis,

à mon avis, vous serez bien écouté.

 

On remarque donc le ridicule de la situation (le roi se lève et obéit aux injonctions de Guillaume). Comme la scène se répète plusieurs fois, elle est franchement comique.  Le roi de France est un personnage ridicule et c’est encore Guillaume qui trouve la solution finale (prendre une nouvelle terre aux sarrasins).

Ce comique de situation, nous le retrouvons plus loin dans le récit. Par exemple, les chevaliers rencontrent un paysan qui revient de Nîmes et ils lui demandent si la cité est bien tenue. Ils veulent savoir si beaucoup de soldats sarrasins en assurent la défense, mais le paysan comprend le terme « tenue » à sa façon et il répond qu’il y a plein de marchandises bon marché à acheter.

Une fois que les chevaliers se sont cachés dans des tonneaux, un des leurs, déguisé en paysan, veut faire avancer les bœufs qui tirent le charriot, mais il n’y arrive pas. Quand enfin ceux-ci se décident à bouger, il les conduit maladroitement dans le fossé.

Enfin, quand les chevaliers français se sont introduits dans la ville de Nîmes, Guillaume, déguisé en marchand, a une conversation des plus comique avec le roi sarrasin, celui-ci faisant allusion à sa propre personne sans savoir qui il a devant lui.

 

Bref, on le voit, le « Charroi de Nîmes » est une œuvre amusante, qui rompt un peu avec le style grandiloquent auquel nous ont habitués des chansons de geste comme la Chanson de Roland. Faut-il donc comprendre qu’elle a été écrite dans le but de se moquer des œuvres antérieures ? Voilà en fait une question à laquelle il est difficile de répondre avec certitude.   

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22/08/2013

Littérature du Moyen-Age

Les peuples ont toujours fait les frais des guerres menées par les grands, cela ne date pas d’hier. Les visées politiques, économiques ou religieuses ne tiennent pas compte des destinées individuelles des gens ordinaires. Voir ici, dans « Le Charroi de Nîmes » (chanson de geste du cycle de Guillaume d’Orange datant du XII° siècle) la manière dont les paysans sont mis à contribution sans ménagement :

 

XXXVI

 

Par le conseil que li baron lor done

Li quens Guillelmes fist retorner ses homes

Par Ricordane quatorze liues longues.

Prennent les chars et les bués et les tonnes.

Li bon vilain qui les font et conjoingnent

Ferment les tonnes et les charrues doublent.

Bertran ne chaut se li vilain en grocent :
Tiex en parla qui puis en ot grant honte,

Perdi les eulz et pendi par la goule.

 

XXXVII

 

Qui dont veïst les durs vilains errer

Et doleoires et coigniees porter,

Tonneaus loier et toz renoveler,

Chars et charretes chevillier et barrer,

Dedenz les tonnes les chevaliers entrer,

De grant barnage li peüst remenbrer.

A chascun font un grant mail aporter ;

Quant il venront a Nymes la cité

Et il orront le mestre cor soner,

Nostre François se puissent aïdier.

 

Traduction de Claude Lachet :

 

 

XXXVI

 

Selon conseil donné par ses barons,

le comte Guillaume fit retourner ses hommes

par la voie Regordane, à quatorze lieues en arrière.

Ils prennent les charrettes, les bœufs et les tonneaux.

Les braves paysans qui les fabriquent et les assemblent

fixent les tonneaux et doublent les atelages.

Peu importe à Bertrand si les paysans grognent :

tel qui protesta en fut ensuite tout honteux,

il perdit la vue et fut pendu par la gorge.

 

XXXVII

 

Ah ! si vous aviez vu alors les rudes paysans se démener,

porter les doloires et les cognées,

lier les tonneaux et les remettre complètement à neuf,

garnir de chevilles et de barres chariots et charrettes,

si vous aviez vu les chevaliers entrer dans les tonneaux,

vous auriez pu vous souvenir d’un grand exploit.

On munit chacun d’un grand maillet

afin qu’à leur arrivée dans la cité de Nîmes,

au moment où ils entendront sonner le cor de leur chef, 

nos Français puissent se tirer d’affaire.


Notons que le Charroi de Nîmes est une chanson de geste particulière dans la mesure où le héros Guillaume utilise une ruse et non pas sa seule force pour s’emparer de la ville (qui dans le écit est supposée occupée par les Sarazins). Il demande à ses chevaliers de se cacher dans des tonneaux qu’il introduit ensuite dans la cité en se faisant passer pour un marchand, imitant en cela le grand Ulysse et son cheval de Troie.


littérature,le charroi de nîmes

04/07/2013

Moby Dick (lecture)

Curieux que ce roman ait souvent été présenté comme un livre d’aventures, dont la version courte a été lue par beaucoup d’adolescents.  Tout le monde connaît l’histoire de ce capitaine qui tente d’attraper une baleine.  Le thème dépasse pourtant de loin ce simple fait. Tout ici, est symbolique et l’histoire racontée a quelque chose d’épique. On peut y voir la lutte du bien contre le mal, le cétacé sortant des abimes ayant tout d’un monstre inquiétant.  L’approche de Melville est quasi mystique et la baleine tueuse incarne aussi le destin qui nous frappe, nous pauvres humains. Dès lors, la chasse que lui donne le capitaine n’est pas une simple chasse, mais une manière pour l’homme d’affronter son destin mortel et de le dépasser.

Les premiers mots du livre sont déjà révélateurs : « Appelez-moi Ismaël » dit celui qui va devenir le narrateur.  Notons que ce « Call me Ishmael » a bien ennuyé les traducteurs, chacun se demandant comment il fallait interpréter ces trois mots.

  • Mon vrai nom n’est pas Ismaël, mais vous m’appellerez  ainsi tout au long de ce récit (et le fait que dans le Bible ce soit le nom du fils d’Abraham, donne déjà un éclairage sur tout le roman. En effet, il s’agit de l’enfant qui a failli être sacrifié par son père pour obéir aux ordres de Dieu, mais qui fut finalement sauvé quand le père était à deux doigts d’exécuter l’ordre divin. Dans le roman, le futur narrateur sera le seul à échapper au naufrage du navire et à la mort)
  • Peu importe mon nom, je suis avant tout un narrateur (manière de dire qu’on est ici dans une œuvre de fiction pure et que tout est inventé, même les prénoms)
  • Appelez-moi familièrement par mon prénom, je vous y autorise. Après tout, nous sommes tous des humains, poursuivis par le même destin qui s’achèvera dans la mort

Un autre problème de traduction est celui de l’animal poursuivi. On parle souvent de baleine, de baleine blanche et même de poisson. Or la bête que le capitaine Achab poursuit est un cachalot et non une baleine au sens strict. En effet, la baleine (la baleine franche) possède des fanons qui lui permettent de filtrer le plancton dont elle se nourrit. Le cachalot, au contraire, est un prédateur muni de dents, qui plonge dans le fond des abysses pour capturer des calmars (y compris des calmars géants dont on ne connaît finalement l’existence que par les tentacules retrouvés dans l’estomac des cachalots capturés). La traduction « baleine blanche » est donc assez mauvaise car en français, la véritable baleine blanche, c’est le bélouga, qui est plutôt une sorte de dauphin et dont la taille modeste n’a rien à voir avec les grands cétacés. Oui, mais me direz-vous, le cachalot n’est pas blanc, il est noir. Certes, mais il faut donc comprendre qu’il s’agit d’un cachalot albinos, autrement dit d’un animal plus que rare, ce qui renforce encore le caractère exceptionnel et singulier de Moby Dick. Notons en passant le fait que ce monstre marin qui personnifie le mal est blanc, couleur traditionnellement associée à la pureté.

En anglais, le terme est « whale ». Dans le roman, il désigne parfois l’ensemble des grands mammifères marins, autrement dit les cétacés.  A d’autres endroits, il désigne plutôt  l’animal qui était capturé par les baleiniers (la baleine, mais aussi le cachalot). Enfin, quand Melville emploie le terme « whale », il pense en fait à « sperm whale », qui est le cachalot. Or la pêche au cachalot est évidemment beaucoup plus dangereuse que la pêche à la baleine, d’abord parce que cet animal peut atteindre vingt mètres de longueur mais surtout parce que, comme je l’ai déjà dit, il possède des dents (famille des odontocètes) et est agressif. En effet, il n’était pas rare de voir un cachalot briser les petites baleinières qu’on avait mises à l’eau pour le capturer.

Pourquoi, me direz-vous, les anglophones emploient-ils le terme « sperm whale » pour désigner le cachalot ? En effet, il existe des cachalots femelles ainsi que des  baleines mâles. En, réalité, le nom « sperm whale » a son origine dans la substance laiteuse qui se trouve dans la tête impressionnante de l’animal (laquelle représente un tiers de son corps).  Cette substance, appelée en français spermaceti  ou blanc de baleines, fournissait un excellent combustible (meilleur que l’huile de baleine).  Le terme vient du grec sperma, graine, et du latin cetus, baleine car on croyait autrefois qu'il s'agissait du liquide séminal de l'animal. En réalité, les scientifiques restent partagés sur l’utilité de cette substance. Certains pensent qu’elle pourrait assurer la flottabilité (en diminuant la température lors des plongées profondes, l’animal modifierait la densité du spermaceti, qui servirait alors de stabilisateur, ses cristaux étant devenus plus denses). D’autres pensent que ce spermaceti servirait plutôt à capter les ondes sonores, le son étant sans doute le  seul moyen de se déplacer dans les abysses sous-marins plongés dans l’obscurité.

Il n’empêche, qu’en employant le  mot baleine blanche, Giono a, à mon avis, commis une erreur lourde de conséquences.  En effet, dans cet univers de marins, on ne rencontre que des hommes (la vie sur le bateau constitue d’ailleurs un microcosme exemplaire car le bateau de pêche reste coupé du monde de longs mois, parfois plusieurs années. Melville insiste d’ailleurs sur ce point. Alors que les bateaux de commerce font des escales pour charger ou décharger leurs marchandises ou pour se ravitailler en nourriture, les baleinières, dont l’activité consiste à sillonner sans arrêt les mers, sont équipées de tout le nécessaire pour ne pas devoir perdre leur temps à mouiller dans un port). Donc, les hommes restent entre eux sur le bateau pendant un ou deux ans sans accoster et leur univers est uniquement masculin. A partir du moment où le monstre surgi des profondeurs est du genre féminin, certains lecteurs francophones pourraient en tirer des conclusions erronées sur le message transmis par Melville. Cette erreur n’existe plus à partir du moment où on dit clairement que Moby Dick est un cachalot et qui plus est un cachalot mâle, ce que révèle sa taille et le fait qu’il vive seul et pas en bande.

Notons en passant que le lecteur du XXI° siècle a un peu de mal à accepter cette chasse à la baleine (ou au cachalot). Pour nous, il s’agit là d’une espèce sympathique en voie de disparition et qu’il convient de protéger. Pour Melville, au XIX° siècle, il n’en allait pas de même et la taille de ces cétacés comme le fait qu’ils plongent à des profondeurs incroyables en faisait de véritables monstres incarnant l’esprit du mal.

Maintenant, j’ai peut-être un peu vite accusé Giono de mauvaise traduction car quelque part le mot baleine est une sorte de générique qui englobe tous les cétacés et qui renvoie à des histoires mythiques comme l’histoire de Jonas, avalé précisément par une baleine. Melville fait d’ailleurs allusion à ce récit biblique, qu’il explique. Jonas ayant refusé d’accomplir les volontés de Dieu (aller prévenir les habitants de Ninive que leur fin est proche s’ils ne se repentent pas et ne se tournent pas vers Dieu), s’enfuit sur un bateau qui se rend à Jaffa. Survient alors une tempête. Les marins estiment que Dieu veut punir Jonas et le jettent à la mer. En effet, la tempête se calme aussitôt. Quant au pauvre Jonas, il est avalé par la baleine, où il reste trois jours (chiffre symbolique) durant lesquels il a le temps de se repentir. La baleine recrache alors Jonas sur le rivage. Le thème est donc celui de la soumission à Dieu et au destin que celui-ci impose, ainsi que le pardon final.

Dans le roman de Melville, ce thème est pour ainsi dire inversé, puisque le capitaine Achab, qui a perdu précédemment une jambe à cause de Moby Dick, veut se venger (et non pardonner). Au lieu d’accepter sa destinée, il veut lutter contre elle et anéantir ce qui pour lui représente la force du mal. Il y a quelque chose de prométhéen en lui puisqu’il va à l’encontre des vérités établies (la force et la férocité naturelles du cachalot). Quelque part, il lutte donc contre les puissances de la mort. Mais pour tuer le cétacé, il est prêt à tout. Les matelots sentent bien qu’ils vont à leur perte s’ils suivent leur capitaine. Ils lui suggèrent plusieurs fois de tout abandonner et de rentrer au pays auprès de sa femme et de son fils. Il refusera systématiquement tout compromis et affrontera Moby Dick durant trois jours (encore ce chiffre symbolique). Il échouera dans sa tentative et sera puni  de son orgueil puisque le cachalot, en fonçant sur le navire, fera couler ce dernier. Le seul survivant sera le narrateur de l’histoire, qui s’accrochera à un cercueil transformé en bouée de sauvetage (tout un symbole).

Il y a quelque chose de biblique dans ce roman. Les références à Noé et à son arche y sont nombreuses. On sait que Noé avait embarqué un couple de tous les animaux pour les sauver du déluge. Seuls les poissons n’avaient pas eu besoin de ses services. Ici, le bateau du capitaine Achab est en permanence sur l’océan, loin de toute côte et peut symboliquement  être assimilé au bateau de Noé. Mais au lieu d’abriter des animaux, il emplit ses cales de l’huile des baleines (ces monstres marins) qu’il a tuées.

La scène finale du bateau qui sombre dans les flots (à l’inverse de celui de Noé) et dont les trois mâts restent un instant visibles, est impressionnante. Un aigle (qui vit haut dans le ciel, près du soleil et qui symbolise le bien, par  opposition à l’obscurité des gouffres sous-marins) est cloué sur le plus haut de ces mâts. A la différence de la colombe de Noé, qui annonçait le pardon de Dieu et l’émergence d’une terre nouvelle, l’aigle va sombrer irrémédiablement dans les abysses sans fond où règne le mal.

L’orgueil et la révolte du capitaine Achab n’auront servi qu’à faire périr son équipage.

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