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29/05/2007

Carnets du grand chemin

Dans ses Carnets du grand chemin, Julien Gracq nous invite à un voyage à travers les paysages qu’il a traversés. En une page, il parvient chaque fois à révéler l’âme d’une région, avec un sens aigu de l’intuition. Négligeant les habitations et les hommes qui les occupent, il s‘attarde essentiellement sur l’aspect géographique, passant de la sécheresse des Causses à la baie de Somme avec une facilité déconcertante. Soulevant un pan du voile, c’est en poète qu’il parvient à toucher du doigt le mystère de ces lieux. Pas en poète bucolique, certes, mais en connaisseur des réalités du terrain, auxquelles il est sensible et avec lesquelles il tente d’entrer en symbiose, nous révélant des réalités insoupçonnées.

Ce « grand chemin », dit-il, est « aussi, quelquefois, celui du rêve, et souvent celui de la mémoire, la mienne et aussi la mémoire collective, parfois la plus lointaine : l’histoire, et par-là il est aussi celui de la lecture et de l’art. »

Qu’il nous soit permis, à son exemple, de parcourir ainsi quelques lieux qui sont restés présents dans nos souvenirs.

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17/05/2007

Résistance

La première sortie de notre nouveau président aura donc été un devoir de mémoire envers la Résistance. Curieux. On savait déjà qu’il avait incorporé dans ses troupes les centristes de Bayrou et qu’il était en tain de grignoter un à un les élus du PS. On ignorait par contre qu’il lorgnait aussi sur les communistes, au point d’aller se recueillir sur les lieux de leur exécution par les fascistes.

Trêve de plaisanterie. Quel symbole peut bien cacher ce geste, si ce n’est celui de vouloir s’inscrire lui-même, Sarkozy, dans l’Histoire de France. Après avoir déposé une gerbe en souvenir de Clemenceau et de De Gaulle, le voilà qui verse une larme sur ces jeunes gens qui sont morts pour notre liberté. Manière habile de se réconcilier une partie de la gauche, toute prête à entrer précisément en résistance ? Peut-être. Ou bien s’agit-il de souligner l’importance de ces immigrés juifs qui ont fait la France au point de mourir pour elle ? De bons immigrés, donc, pas comme cette racaille qui brûle les voitures parce qu’elle conteste le vote démocratique… C’est que Nicolas a besoin de montrer qu’il aime la France lui aussi, peut-être pas au point de lui sacrifier sa vie, mais au moins tout son temps libre. D’origine hongroise par son père (un petit noble qui dut fuir la Hongrie devant l’avancée soviétique. On se demanderait bien en passant quelle avait été sa réaction quand  les Allemands envahirent sa belle terre de Bohème), juif français par sa mère, ayant épousé une jeune fille corse en premières noces, notre bon Nicolas ne semble pas à priori incarner le « Français de souche » qu’il a promis de défendre pendant sa campagne. Il lui faut donc en rajouter en usant de la symbolique. Jeanne d’Arc était déjà prise. Il s’écarte donc de la pucelle pour se tourner vers ces jeunes gens virils qui ont combattu contre les nazis. Rien à redire.

Rien à redire si ce n’est précisément qu’il en fait trop. Personne ne lui conteste le droit de représenter la France, pays d’ailleurs où il est né. La France de 1789 est trop démocratique pour venir lui reprocher ses origines hongroises ou juives. Là où le bât blesse, c’est que cette terre qui a accueilli son père, il ne veut plus qu’elle en accueille d’autres. Dehors tous ces étrangers qui ne travaillent pas et qui viennent épuiser la mère patrie. Seuls les méritants (comme lui) pourront rester. Et c’est vrai qu’il est méritant, le petit Nicolas. Toujours le premier (enfin, sauf à l’école, mais passons), il a dépassé tout le monde, ayant bien travaillé et surtout pour lui. D’où sans doute sa théorie sur le capital et sur les gens qui se lèvent tôt. Soyez méritants comme moi, nous dit-il et l’avenir vous sourira.   En attendant, il nous invite à verser une larme sur ceux qui ont fait l’Histoire de France. Il se fait même professeur en proposant de faire lire dans toutes les écoles la dernière lettre de Guy Môquet, poignante à souhait, il est vrai.  Sur le site de Champignac (http://champignac.hautetfort.com/), Dominique nous fait remarquer qu’il eût été plus subtil de proposer la lettre de Manoukian, tout aussi émouvante, mais beaucoup plus profonde.

Rappelons que tout cela déboucha sur l’Affiche rouge, de laquelle s’est inspiré Aragon pour son célèbre poème. Qu’il nous soit permis de redonner ici ce beau texte, puisque nous aussi, en quelque sorte,  nous entrons en résistance.

 

« Vous n’avez réclamé la gloire ni les larmes
Ni l’orgue ni la prière aux agonisants
Onze ans déjà que cela passe vite onze ans
Vous vous étiez servis simplement de vos armes
La mort n’éblouit pas les yeux des Partisans.

Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes
Noirs de barbes et de nuit hirsutes menaçants
L’affiche qui semblait une tache de sang
Parce qu’à prononcer vos noms sont difficiles
Y cherchait un effet de peur sur les passants.

Nul ne semblait vous voir Français de préférence
Les gens allaient sans yeux pour voir le jour durant
Mais à l’heure de couvre-feu des doigts errants
Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE
Et les mornes matins en étaient différents.

Tout avait la couleur uniforme du givre
A la fin février pour vos derniers moments
Et c’est alors que l’un de vous dit calmement

Bonheur à tous bonheur à ceux qui vont survivre
Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand.

Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses
Adieu la vie Adieu la lumière et le vent
Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent
Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses
Quand tout sera fini plus tard en Erivan.

Un grand soleil d’hiver éclaire la colline
Que la nature est belle et que le cœur me fend
La justice viendra sur nos pas triomphants
Ma Mélinée O mon amour mon orpheline
Et je te dis de vivre et d’avoir un enfant.

Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vingt et trois qui donnaient leur cœur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient la France en s’abattant.
 »

11/05/2007

L'éternité de Philippe Jaccottet

Puisque nous parlions l’autre jour de Philippe Jaccottet, voici un de ses poèmes, assez représentatif de sa manière d’écrire.

Images plus fugaces
que le passage du vent
bulles d'Iris où j'ai dormi !

Qu'est-ce qui se ferme et se rouvre
suscitant ce souffle incertain
ce bruit de papier ou de soie
et de lames de bois léger ?

Ce bruit d'outils si lointain
que l'on dirait à peine un éventail ?

Un instant la mort paraît vaine
le désir même est oublié
pour ce qui se plie et déplie
devant la bouche de l'aube


Sans avoir la prétention, ici, d’en donner une analyse, on notera tout de même le recours à des registres différents, qui s’entrecroisent. Le poète, en effet, fait référence à la vue (images fugaces), à l’ouïe (ce bruit d’outils) et éventuellement au toucher (passage du vent sur la peau). Ces images doivent être celles d’un rêve, comme le laisse suggérer les termes j’ai dormi. Fugaces, elles nous échappent aussitôt, comme le passage du vent. Cette idée d’air déplacé se retrouve dans la deuxième strophe (souffle incertain), ce qui assure une transition en douceur. On passe alors au registre sonore (bruit de papier), tout en signalant qu’il s’agit d’un bruit à peine perceptible (celui que fait un papier, de la soie, ou un bois dit léger). Du coup, on passe, dans la strophe trois, à l’idée d’éloignement. Ce bruit ténu pourrait être celui d’un outil, mais éloigné par la distance. De l’espace proche, le regard se porte donc vers le lointain. Le poète joue par petites touches impressionnistes. On est en pleine délicatesse : le bruit est SI lointain qu’on dirait A PEINE un éventail. Nous sommes dans le monde de l’indicible. Les sensations sont si ténues qu’elles sont à peine transposables dans le poème. On n’est d’ailleurs pas sûr de les avoir perçues (emploi du conditionnel dirait). Peut-être même n’ont –elles pas existé. Et pourtant si, elles existent. A l’horizon se lève l’aube, dans un instant intemporel. Alors que la première strophe était tournée vers le passé (le rêve que l’on vient de faire) et que la deuxième et la troisième se situaient au présent, on accède maintenant au monde de l’immortalité (la mort paraît vaine). Alors que le sommeil du début, s’il n’était pas une petite mort (puisqu’on y construisait des images en rêvant), était toutefois lié à l’éphémère (images fugaces), on accède maintenant à une durée hors du temps, même si on sait que cette durée est, elle aussi, provisoire (cf. l’emploi du conditionnel dans paraît vaine, qui souligne que ce n’est qu’une illusion).

Cette aube qui se lève dans cet instant unique et a-temporal est caractérisée par sa bouche. Sorte d’érotisation du phénomène qui nous renvoie sans doute au rêve de la première strophe. La bouche, comme l’éventail ou comme le store de bois léger, peut s’ouvrir ou se fermer. Son idée était donc bien annoncée précédemment. Le désir, pourtant, est oublié, nous dit-on. Quel désir ? Celui de la femme, sans doute. Il est remplacé par la contemplation de cette aube qui naît dans un instant d’éternité. On touche ici du bout du doigt le génie de Jaccottet, qui parvient à coucher sur le papier ces instants à peine perceptibles à qui ne sait pas les regarder. Avec lui, nous sommes dans le domaine de l’indicible. Remarquons encore qu’il nous guide dans la prise de conscience. Il nous tient par la main et nous amène du sommeil initial vers cette vérité, posant les questions à notre place (Qu'est-ce qui se ferme et se rouvre?) pour nous guider, à travers les images (l’éventail, le store). C’est un plaisir de cheminer en sa présence.

10/05/2007

De l'être et du monde

Je voudrais reprendre la réflexion précédente et la développer davantage. La littérature doit-elle être tournée vers le monde extérieur ou au contraire tenter d’exprimer la part indicible de l’individu ? La réponse est aussi vaine, sans doute, que celle que se posent les psychologues quand ils tentent de déterminer ce qui, de l’inné ou de l’acquis, détermine les choix des individus.

D’un côté chacun est unique, de l’autre nous vivons dans un monde dont nous subissons les aléas tout en contribuant à le modifier. Entre le monde intérieur et le monde extérieur, il y a forcément des passerelles. Un être humain ne vit pas dans une chambre close et le contexte qui l’entoure le définit à peu près autant que son caractère personnel.

Sans doute, en littérature, faut-il trouver un équilibre harmonieux entre ces deux tendances pour avoir une oeuvre de qualité. Les écrivains qui passent leur temps à s’analyser sans fin n’ont qu’un intérêt limité, surtout s’ils redoublent cette démarche psychologique de considérations interminables sur les raisons qui les poussent à écrire. Ils finissent par ne plus livrer aucun message si ce n’est précisément celui qui consiste à dire qu’ils écrivent. Ce nombrilisme viscéral n’a qu’un intérêt fort limité, on en conviendra.

A l’opposé, certains écrivains sont tellement focalisés sur ce qui les entoure qu’ils se saisissent du moindre sujet d’actualité pour en faire un roman. Malheureusement, souvent, il leur manque le recul nécessaire pour porter une vision personnelle sur ces événements. La mode des romans historiques n’échappe pas à cette tendance. Tant qu’il y a de l’action, du bruit, des armes, un peu d’amour, on va de l’avant. Le lecteur doit se contenter de faits bruts par ailleurs imaginaires, sans recevoir de celui qui écrit le moindre éclairage subjectif.

Les risques d’une littérature engagée sont précisément de cet ordre. Trop occupé à dénoncer les injustices sociales, l’auteur en oublierait de nous parler de lui. Une fois qu’il s’est fait un nom dans ce genre de discipline, il a du mal à s’en défaire. Ainsi, j’avais été frappé par ce phénomène lorsque j’avais lu La terre nous est étroite du poète palestinien Mahmoud Darwich,


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Après avoir écrit des poèmes manifestement politiques, qui lui avaient valu une grande réputation parmi ses concitoyens, Darwich disait la nécessité de revenir à l’intime. Sa Palestine à lui n’est pas qu’une terre à reconquérir (même si elle est cela aussi), elle est d’abord celle des souvenirs de son enfance. C’est un pays tout intérieur, donc, qu’il veut d’abord décrire et chanter, même si à ce moment-là il déroute ses lecteurs habituels, qui attendent de lui un engagement dans les conflits du moment. Ces conflits, il n’est pas sans les voir, lui qui habite à Ramallah depuis son retour d’exil, mais il estime qu’il fait plus pour son pays lorsqu’il tente d’en capter les parfums évanouis que lorsqu’il écrit des poèmes politiques. La lutte est une chose, la vraie poésie est ailleurs, en quelque sorte. Comme dans ce beau texte consacré aux souvenirs d’enfance, vécus dans un village aujourd’hui disparu :

A ma mère

Je me languis du pain de ma mère
du café de ma mère
des caresses de ma mère
jour après jour
l'enfance grandit en moi
j'aime mon âge
car si je meurs
j'aurai honte des larmes de ma mère

si un jour je reviens
fais de moi un pendentif à tes cils
recouvre mes os avec de l'herbe
qui se sera purifiée à l'eau bénite de tes chevilles
attache -moi avec une natte de tes cheveux
avec un fil de la traîne de ta robe
peut-être deviendrai-je un dieu
oui un dieu
si je parviens à toucher le fond de ton cœur

si je reviens
mets-moi ainsi qu'une brassée de bois dans ton four
fais de moi une corde à linge sur la terrasse de ta maison
car je ne peux plus me lever
quand tu ne fais pas ta prière du jour

j'ai vieilli
rends-moi la constellation de l'enfance
que je puisse emprunter avec les petits oiseaux
la voie du retour
au nid de ton attente
(…)

08/05/2007

La littérature, une ouverture sur le monde ou sur soi?

Les propos de Jean d’Ormesson me laissent perplexe. Je ne veux pas parler, ici, du déterminisme social qui fait que chaque individu adopte telle ou telle position politique, car c’est finalement inévitable. Non, je veux parler du rapport à l’écriture.

Ainsi, certains, dans la blogosphère, disent clairement qu’il n’y a de littérature que de droite. Autrement dit, un écrivain de gauche ne serait pas un écrivain dans la mesure où il ne ferait que parler du social et donc qu’il se contenterait de dénoncer des injustices. Je veux bien, mais cela signifierait que la littérature n’a pas à être engagée, qu’elle n’a pas à jeter un regard sur le monde, qu’elle n’a pas à dénoncer quoi que ce soit. Pourtant, tout un chacun concède habituellement aux artistes (et donc aux écrivains) un sixième sens qui leur permet de « sentir » une situation et donc prévoir avant leurs contemporains ce qui va se passer. Refuser systématiquement qu’une œuvre s’ouvre sur le monde c’est, me semble-t-il, la priver d’une grande partie de son importance.

D’un autre côté, on comprend quelque part qu’un livre se doive de faire appel à l’introspection. Raconter simplement ce qui se passe autour de soi, c’est faire œuvre de journalisme. Par contre, réfléchir, entrer en soi, écouter le silence, permet précisément d’entrer dans le monde des dieux et de tenter d’en percer le mystère. On n’imagine pas un Philippe Jaccottet écrire ses poèmes au milieu d’une manifestation. Cette « oreille intérieure » qui recherche au plus profond de l’individu ce qui y est caché est assurément aux sources même de l’inspiration et de la création. Car chacun écrit avec ses tripes et il n’a rien d’autre à dire que ce qu’il est. Ecrire serait donc un acte anatomique, visant à exprimer au grand jour notre personnalité la plus profonde.

Mais cette capacité d’introspection est le propre de tous les hommes et pas d’une classe sociale déterminée. Evidemment, plus votre éducation et votre culture vous auront exercé à cette activité, plus vous y excellerez. Et quand Marcel Proust pouvait se souvenir avec bonheur des madeleines qu’il dégustait lorsqu’il était enfant, un Jules Vallès, par exemple, nous rapportait une réalité tout autre.

13:59 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature

07/05/2007

Les écrivains et la politique

L’élection terminée, le roi assis sur son trône, revenons lentement mais sûrement au thème qui nous préoccupe avant toute chose, la littérature. Il est vrai que ces derniers jours ce blogue, comme beaucoup d’autres, s’est insensiblement transformé en tribune politique au détriment de sa première raison d’être, à savoir une réflexion sur les livres et leur contenu.

Afin d’assurer une transition douce, voici un article où Jean d’Ormesson vante les mérites de Sarkozy :

http://www.lefigaro.fr/election-presidentielle-2007/20070506.WWW000000091_un_president_pour_rassembler_par_jean_dormesson_de_lacademie_francaise.html


Vous remarquerez que l’article est extrait du Figaro, journal qu’il faut bien se mettre à lire, maintenant, si on ne veut pas se faire taxer de déviance gauchiste. Ainsi donc, d’Ormesson, qu’on voit beaucoup à la télévision mais qu’on lit peu, admire Sarkozy. Il n’y a rien d’étonnant à cela. Fils d’ambassadeur, élève brillant, libéral, haut fonctionnaire à l’Unesco, le comte d’Ormesson n’allait tout de même pas se compromettre avec la populace inculte. Habitué qu’il est aux paillettes de l’Académie, il ne pouvait que soutenir le candidat de la droite riche et aisée. Et s’il n’a pas compris que Sarkozy n’était pas un homme de culture, nous mettrons cela sur le compte de son grand âge. Qu’il soit donc pardonné.

19:01 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature

04/05/2007

Des écrivains engagés.

En tant qu’écrivain je ne m’aime pas. Le pire, c’est que je suis comme enivré, et souvent je ne comprends pas ce que j’écris… J’aime ces eaux, ces arbres, ce ciel, je sens la nature, elle éveille en moi une passion, un désir d’écrire irrésistible. Mais je ne suis pas que paysagiste, je suis aussi citoyen ; j’aime mon pays, mon peuple et je sais que mon devoir d’écrivain est de parler du peuple, de ses souffrances, de son avenir, de la science, des droits de l’homme, etc. J’en parle, mais on me presse de tous côtés, on s’irrite contre moi, et je me débats comme un renard poursuivi par des chiens. (…) En fin de compte, je sens que peindre le paysage, c’est tout ce que je sais faire, et que pour le reste je suis faux, faux jusqu’à la moelle des os.

Trigorine, dans La Mouette de Tchékhov

Cette petite citation pour rappeler, avant d'entamer l'ère sarkozienne, que la littérature a aussi pour fonction de dénoncer les injustices (on va en avoir besoin). Malheureusement bien peu d'écrivains abordent ces sujets, préférant les jeux linguistiques ou les historiettes sans importance. N’est pas Jules Vallès qui veut.

11:50 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature

01/05/2007

Un grand lecteur

Un article du journal Le Monde nous rappelle que Patrick Poivre d’Arvor, qui va diriger le débat entre les deux candidats à l’élection présidentielle, est aussi un écrivain et un grand lecteur. Comme écrivain, il aurait à son actif une quarantaine de livres, y compris des romans ("C'est un écrivain, dit son ami Erik Orsenna. Un vrai. Récompensé en l'an 2000 par le prix Interallié."). Comme lecteur, on apprend que sa bibliothèque comporte 20.000 livres. On est impressionné ! Cela signifie qu’il a lu un livre par jour depuis qu'il est né. J’ai fait beaucoup moins bien. Quant à ses qualités d’écrivain, je ne me prononcerai pas, n’ayant jamais lu une seule de ses lignes, mais si son ami Orsenna nous dit qu’il est bon, c'est que c'est vrai. Un ami ne ment jamais.
 

01:45 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : Littérature

27/04/2007

Citation

Le format d'un livre est une chose, mais sa dimension en est une autre.

Paul Gadenne

26/04/2007

Citation

L'écrivain, en se plaçant devant sa page blanche, ne se place que devant lui-même

Paul Gadenne

25/04/2007

Littérature et politique

"Vous vaincrez, parce que vous possédez plus de force brutale qu'il ne vous faut. Mais vous ne convaincrez pas. Car, pour convaincre, il faudrait que vous persuadiez."

 

« Je ferai, s’il le faut, fusiller la moitié de l’Espagne » avait dit Franco. Et tout le monde d’approuver. Tout le monde sauf un seul.  Resté à Salamanque à la tête de son université, en territoire nationaliste, le vieux philosophe Unamuno va se faire entendre.

Ce jour-là, il y avait une réception dans le grand amphithéâtre de l’Université. De nombreux  représentants du parti franquiste étaient présents. Le général Millan Astray, mutilé de guerre, décoré, prend la parole. Il critique vivement le Pays basque et la Catalogne. Ses partisans applaudissent à tout rompre et hurlent ‘Viva la muerte ». 

Alors Unamuno se lève lentement et dit : «Il y a des circonstances où se taire est mentir. Je viens d'entendre un cri morbide et dénué de sens : vive la mort ! Ce paradoxe barbare est pour moi répugnant. Le général Millan Astray est un infirme. Ce n'est pas discourtois. Cervantes l'était aussi. Malheureusement, il y a aujourd'hui, en Espagne, beaucoup trop d'infirmes. Je souffre à la pensée que le général Millan Astray pourrait fixer les bases d'une psychologie de masse. Un infirme qui n'a pas la grandeur d'âme d'un Cervantes recherche habituellement son soulagement dans les mutilations qu'il peut faire subir autour de lui.» 

Puis il ajoute sa célèbre phrase : « Vous vaincrez, parce que vous possédez plus de force brutale qu'il ne vous faut. Mais vous ne convaincrez pas. Car, pour convaincre, il faudrait que vous persuadiez. Or, pour persuader, il vous faudrait avoir ce qui vous manque : la Raison et le Droit dans la lutte. Je considère comme inutile de vous exhorter à songer à l'Espagne. J'ai terminé.»

 
Assigné à résidence dans sa maison, Unamuno mourra quelques semaines plus tard.

22/04/2007

L'Amérique et son roman.

Revenons à notre réflexion sur le roman. Certains le croient mort. Je dirais plutôt que c’est le roman français qui tourne un peu à vide, se focalisant sempiternellement sur la période de l’Occupation (voir Modiano et les autres) ou se contentant de réfléchir sur la notion d’écriture. D’un point de vue épistémologique cette dernière démarche ne manque pas d’intérêt, mais pour autant qu’elle ait lieu à coté du roman (dans un texte critique, lors d’une interviewe dans un journal, sur le blogue de l’auteur, etc.) et non dans le roman proprement dit. Ce dernier ne peut être le lieu où l’écrivain réfléchit sur les causes profondes de son acte d’écrire, sur ce que cette activité lui apporte sur le plan existentiel. Certes un petit clin d’œil de temps à autre est permis, souhaité, même, mais enfin un roman qui raconte pourquoi l’auteur écrit un roman, cela tourne un peu court. Cela fonctionne si le héros est un romancier (il pourrait tout aussi bien être un plombier ou un musicien), à qui il arrive différentes péripéties (voir le film La discrète, de Christian Vincent, où le héros, sur les conseils de son éditeur, raconte dans son manuscrit l’aventure amoureuse qu’il est en train de vivre, ou plus exactement d’élaborer pour les besoins de son roman). Par contre, cela devient lassant si l’auteur tombe dans un nombrilisme exacerbé et dans des considérations fumeuses sur la technique littéraire. 

Le roman américain me semble à l’opposé de cette démarche. Tout d’abord, il faut dire que je ne suis pas un fanatique de l’Amérique, dont s’exècre pas mal de comportements (superficialité, politique extérieure, guerre en Irak, expansion économique, capitalisme, etc.), mais il faut bien reconnaître que ce pays (continent) possède pas mal de bons romanciers (dont je ne prétends pas être un spécialiste non plus). Ce que je constate, cependant, dans tous les romans nord-américains que j’ai lus, c’est une recherche d’équilibre entre les aspirations de l’auteur (son moi intime, ses convictions existentielles) et le monde qui l’entoure. Il y a ce qu’il souhaite (le monde tel qu’il devrait être) et ce qu’il a sous les yeux (une réalité qui le blesse et qu’il désapprouve). Le thème du roman est finalement la tentative de faire coïncider ces deux univers, afin de permettre au héros (ou à l’auteur), d’exprimer ce qu’il est dans un monde qui n’était finalement pas fait pour lui. 

J’ai rencontré une telle démarche dans les oeuvres de Penn Warren (Les eaux montent, Les Fous du roi, Les rendez-vous de la clairière, etc.), de Styron (Le choix de Sophie, La proie des flammes, etc.), de Frédéric ProKosch (Les Asiatiques, Les sept fugitifs, etc.). A chaque fois le héros tente d’exprimer ce qu’il est, ce qu’il ressent. Dans un premier temps il n’y parvient pas, tant le monde qui l’entoure est cruel (le village de l’enfance qui va être détruit par la construction d’un barrage, dans Les eaux montent, l’équilibre affectif recherché qui est en opposition avec la vie politique dans Les fous du roi), puis, finalement, à la suite de différents compromis, il parvient tout de même à trouver un équilibre satisfaisant pour lui. Certes il a dû renoncer à une  partie de son rêve, mais au moins il pourra vivre en harmonie avec lui-même en s’étant construit une place qui lui convienne dans la société.

15/04/2007

La France et son roman

En fait, de ce que nous avons dit ici, dans différents commentaires, sur les faiblesses du roman, il ressort que c’est surtout le roman français contemporain qui est visé.

A mon avis, plusieurs facteurs entrent en ligne de compte. 

Tout d’abord, dans chaque pays, il a des périodes littéraires fastes et des périodes moins fastes, sans qu’on sache, d’ailleurs, si celles-ci sont liées ou non à la bonne santé économique du moment. Les époques dites classiques, par exemple (époque de Louis XIV, siècle d’or espagnol, etc.) sont souvent l’aboutissement d’un long mûrissement intellectuel qui trouve à s’exprimer au moment où les conditions économiques et politiques sont devenues particulièrement favorables. D’un autre côté, on dit que ce sont les périodes de crise qui offrent les ferments les plus riches, car elles obligeraient à dépasser une situation bloquée pour ouvrir de nouvelles voies.

Il est difficile de trancher. Certes, on n’imagine pas une France moyenâgeuse débutante, soumise aux invasions normandes, ravagée, pillée et par ailleurs dirigée par des roitelets sans grand pouvoir, donner des oeuvres impérissables. Que la paix revienne, que le roi retrouve sa puissance et voilà la littérature qui refait surface (poésie courtoise des troubadours dans le Midi, Chanson de geste dans le Nord, etc.) Il faut donc un minimum de stabilité. Ainsi, c’est au moment où Rome était rayonnante qu’elle a produit de grandes œuvres. Mais ce n’est pas, pourtant, au moment où l’empire est arrivé au maximum de son expansion que sa littérature a été la plus remarquable, car on entre alors dans l’époque post-classique puis décadente. Il semblerait donc que l’équilibre soit surtout trouvé après une longue phase continue de croissance, dont il exprime l’aboutissement. Il faut aussi que la langue elle-même trouve à ce moment son équilibre. Ce n’est pas un hasard si c’est au moment où le latin atteint sa stabilité que les grandes oeuvres sont produites. Il en va de même en français. Quand les langues romanes se dégagent lentement du latin, il faut un certain temps pour qu’elles retrouvent une cohésion interne (abandon du système casuel pour l’emploi des prépositions par exemple). On sent, dans un premier temps, les écrivains tâtonner, avouer eux-mêmes qu’ils ne savent trop comment exprimer telle ou telle notion. Ils tentent des calques à partir du latin ou s’essayent à des tournures étranges. Un ou deux siècles plus tard, l’ancien français a trouvé un équilibre provisoire qui lui permet de produire de grandes œuvres.

L’essoufflement actuel de l’Europe, sa perte d’hégémonie mondiale au profit des Etats-Unis expliqueraient-il la décadence actuelle ? On pourra dire qu’une expérience comme le nouveau roman n’a pas été salutaire dans la mesure où au lieu d’exprimer quelque chose par des histoires celui-ci s’est plutôt attaché à réfléchir sur le code. Autrement dit, n’ayant plus rien à exprimer, plus rien à raconter, il s’est replié dans une réflexion sur les moyens (la langue et le genre romanesque) au détriment du but (ce que l’on a à exprimer). Très bien. Mais dire cela, c’est oublier de se demander pourquoi, précisément, l’expérience du nouveau roman apparaît en France à cette époque. Le pays avait perdu la guerre, il avait été sauvé de justesse du démantèlement (voir les projets anglo-saxons de rattacher les départements frontaliers du Nord et de l’Est à la Belgique et à la Hollande) et il perdait ses colonies les unes après les autres. La confiance n’y était plus. Après 1958 (expédition franco-anglaise de Suez) c’en est définitivement fini de l’hégémonie européenne dans le monde. On assiste alors à un repli sur soi dont nous ne sommes sans doute pas encore sortis.

Que retrouve-t-on, d’ailleurs, dans le roman français aujourd’hui ? Un retour perpétuel sur la période de l’occupation (comme si on n’en finissait pas d’exorciser la défaite de quarante et la mauvaise conscience que l’on a d’avoir mis Pétain au pouvoir et d’avoir laissé déporter les populations juives), quelques fables écologiques (perte des zones naturelles au profit des entrepreneurs et des financiers) et surtout des réflexions dans lesquelles l’auteur se demande pourquoi il écrit (sa vie n’a pas de sens, il n’a rien à dire, mais l’écriture sera peut-être un moyen de trouver ce sens), autrement dit, de nouveau, une réflexion sur le code employé plutôt qu’un message à exprimer. 

Nous tenterons un autre jour de voir que cette situation n’existe pas forcément ailleurs.

11:52 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : litterature

11/04/2007

Roman et vérité historique

Je termine un livre de la journaliste italienne Oriana Fallaci, Un homme et je me pose quelques questions.

Ce livre n’est pas de la littérature et ne se donne pas pour tel. C’est en fait le compte-rendu de la relation qu’O. Fallaci avait entretenue avec l’anarchiste grec Alexandre Panagoulis, qui fut son compagnon pendant trois ans. Panagoulis avait tenté d’assassiner Papadopoulos qui dirigeait le junte militaire en Grèce, du temps de la dictature des colonels. Arrêté, torturé, condamné à mort puis détenu pendant cinq ans dans une cellule souterraine de 2 mètres sur 3, il fut finalement libéré quand la junte tenta de légaliser son régime en cherchant l’appui du monde démocratique. Voulant prouver que ce régime n’avait pas vraiment changé, Panagoulis mourra dans un mystérieux accident de voiture. 

medium_223808_53938_2.2.jpgDonc, Fallaci nous propose une biographie, mais une biographie subjective. Elle révèle ce que Panagoulis lui a raconté et le retranscrit à travers le filtre de sa propre subjectivité. On en apprend donc autant sur elle que sur son compagnon. Le livre se lit comme un roman. Et c’est bien là ma question. Où commence la littérature et où s’achève le compte-rendu ? L’éditeur ne lève pas l’ambiguïté, puisqu’il parle sur la quatrième de couverture  de roman-vérité, roman policier. Lettre d’amour déchirante et rageuse, qui révèle le destin exemplaire et tragique d’un poète terroriste, militant de l’impossible.

Il est vrai que Panagoulis, par toutes les actions qu’il entreprend, se rapproche des héros de romans, à qui il arrive toujours plein d’aventures. La différence, ici, c’est que ce sont des faits réels. L’écriture est assurément littéraire, bien tournée, forcément engagée et en accord avec son sujet puisque Fallaci  était amoureuse de Pangoulis. Elle a écrit ce livre testament en mémoire de son compagnon, dans un état de transe créatrice.

 

Est-ce de la littérature parce que c’est bien écrit. ? Parce que cela ressemble à un roman ? Parce que cela se rapproche de l’épopée (présence du héros confronté à son destin tragique), du récit de l’impossible (Panagoulis, par son refus des compromis, incarne véritablement la figure de Don Quichotte et se perd dans des rêves qu’il tente de concrétiser), du poème d’amour ?  

 

Si la littérature ne se limite pas au roman, le roman est pourtant de la littérature. D'un autre côté, est-ce que l'écriture, le style, suffit pour dire qu'un écrit appartient à cette catégorie? Un fait réel bien raconté est-il de  littérature ou faut-il que le contenu soit de la fiction? Non sans doute. Pour autant qu'on ne tombe pas dans le journalisme ou le journal intime. Mais Les Mémoires  du cardinal de Retz sont de la ittérture. Comme quoi rien n'est simple.