11/04/2007
Roman et vérité historique
Je termine un livre de la journaliste italienne Oriana Fallaci, Un homme et je me pose quelques questions.
Ce livre n’est pas de la littérature et ne se donne pas pour tel. C’est en fait le compte-rendu de la relation qu’O. Fallaci avait entretenue avec l’anarchiste grec Alexandre Panagoulis, qui fut son compagnon pendant trois ans. Panagoulis avait tenté d’assassiner Papadopoulos qui dirigeait le junte militaire en Grèce, du temps de la dictature des colonels. Arrêté, torturé, condamné à mort puis détenu pendant cinq ans dans une cellule souterraine de 2 mètres sur 3, il fut finalement libéré quand la junte tenta de légaliser son régime en cherchant l’appui du monde démocratique. Voulant prouver que ce régime n’avait pas vraiment changé, Panagoulis mourra dans un mystérieux accident de voiture.
Donc, Fallaci nous propose une biographie, mais une biographie subjective. Elle révèle ce que Panagoulis lui a raconté et le retranscrit à travers le filtre de sa propre subjectivité. On en apprend donc autant sur elle que sur son compagnon. Le livre se lit comme un roman. Et c’est bien là ma question. Où commence la littérature et où s’achève le compte-rendu ? L’éditeur ne lève pas l’ambiguïté, puisqu’il parle sur la quatrième de couverture de roman-vérité, roman policier. Lettre d’amour déchirante et rageuse, qui révèle le destin exemplaire et tragique d’un poète terroriste, militant de l’impossible.
Il est vrai que Panagoulis, par toutes les actions qu’il entreprend, se rapproche des héros de romans, à qui il arrive toujours plein d’aventures. La différence, ici, c’est que ce sont des faits réels. L’écriture est assurément littéraire, bien tournée, forcément engagée et en accord avec son sujet puisque Fallaci était amoureuse de Pangoulis. Elle a écrit ce livre testament en mémoire de son compagnon, dans un état de transe créatrice.
Est-ce de la littérature parce que c’est bien écrit. ? Parce que cela ressemble à un roman ? Parce que cela se rapproche de l’épopée (présence du héros confronté à son destin tragique), du récit de l’impossible (Panagoulis, par son refus des compromis, incarne véritablement la figure de Don Quichotte et se perd dans des rêves qu’il tente de concrétiser), du poème d’amour ?
Si la littérature ne se limite pas au roman, le roman est pourtant de la littérature. D'un autre côté, est-ce que l'écriture, le style, suffit pour dire qu'un écrit appartient à cette catégorie? Un fait réel bien raconté est-il de littérature ou faut-il que le contenu soit de la fiction? Non sans doute. Pour autant qu'on ne tombe pas dans le journalisme ou le journal intime. Mais Les Mémoires du cardinal de Retz sont de la ittérture. Comme quoi rien n'est simple.
10:55 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (23)
Commentaires
Écrivez blogue plutôt que blog, mais n'utilisez pas – de grâce ! – un caractère à empattement sur la Toile ! La lumière qui vient de derrière la forme noire du caractère "mange" le dessin de la lettre dans ses parties les plus fines et en perturbe le tracé : le texte paraît flou.
Par ailleurs (mais je sais que cet avis peut passer pour insolite), le choix d'une justification en fin de ligne, "comme dans un livre", se heurte à l'incapacité des logiciels de mise en page dédiés à Internet à répartir harmonieusement les blancs (interlettrage bloqué, compensé par des blancs entre les mots). De sorte que la lisibilité de la prose à l'écran en est affectée.
Bon, assez joué les typographes grincheux… Longue et belle vie à votre blogue, que je vais lier de ce pas !
Écrit par : Dominique Autié | 11/04/2007
Le choix de caractères, chez Haut et Fort, est très réduit. De plus, il y a toujours cette question des navigateurs : tout le monde ne voit pas la même chose sur son écran. Chez moi ou à mon travail, je ne vois pas la même chose non plus.
Pour ce qui est de la justification, effectivement, le logiciel très très rudimentaire de Haut et Fort n'est pas à même d'équilibrer les blancs. Cela dit, je trouve cependant plus reposant pour la vue (pour ma vue, en tout cas) de voir une colonne de texte justifiée plutôt que composée en drapeau. Je crois que j'avais déjà fait ces remarques à Dominique (pas Dominique Autié, l'autre Dominique) qui a opté pour le "drapeau" pour les mêmes raisons.
Écrit par : Jacques Layani | 11/04/2007
Oui, pour la police, vous avez raison. J'avais travaillé sur un autre PC qui m'a proposé, par défaut, une police que je n'utilise jamais. Je ne l'ai remarqué qu'une fois le texte en ligne. Bon, tant pis, je ne vais plus le modifier maintenant, sinon votre remarque n'aura plus de sens.
Pour le mode justifié, je ne suis pas trop d'accord. Jacques lui-même, dans son premier commentaire, réclamait à juste titre le mode justifié. Il me semble, en effet, que le parcours de l’œil, de gauche à droite, est facilité par un alignement symétrique.
De plus, comme je ne possédais pas les barres d'outils dans Haut et Fort, c'est mon épouse, en bonne technicienne de l'Internet qu'elle est, qui m'a résolu le problème. Vous ne me voyez quand même pas lui demander aujourd'hui de modifier ce qu'elle a si bien résolu hier.
Écrit par : Feuilly | 11/04/2007
Tu recopies ton texte sur une page Word. Tu le remets ensuite dans le caractère et le corps que tu as choisi pour ton blog. Dans le formulaire H et F, tu le colles. Tu enregistres. Tu justifies ensuite, puisque H et F ne permet pas les deux opérations en même temps.
Écrit par : Jacques Layani | 11/04/2007
Feuilly m'a demandé de tout justifier, tant les notes que les commentaires. Pour ma part, je préfère un texte justifié dans le sens où je trouve que c'est plus agréable à lire mais chacun ses goûts.
De la façon dont j'ai modifié certains paramètres, tous les commentaires et notes seront d'office justifiés (y compris un texte importé de word sans l'enregistrer préalablement dans Hautetfort).
Finalement, ce qui compte, c'est plus le fond que la forme.
Écrit par : Iphigenie | 11/04/2007
Pour la justification, j'ai choisi le drapeau parce que s'il n'y a pas trop de problème avec des lignes comportant beaucoup de mots courts ou du moins une petite dose de mots courts, cela devient tout de suite ennuyeux dès qu'il y a trois ou quatre mots longs : les espacements sont fortement augmentés. J'en avais discuté autrefois avec feu Jean-Pierre Lacroux, typographe-correcteur-écrivain-maquettiste-dessinateur-bédédéiste, et c'est lui qui m'avait incité à agir ainsi...
Écrit par : Dominique | 11/04/2007
Bonjour, Iphigénie. Moi, je ne sais pas justifier les commentaires... Bravo.
L'exemple de Dominique est amusant : les cinq mots qu'il relie par des traits d'union, H et F ne sait pas les dissocier en fin de ligne et cela crée un blanc énorme qui lui donne raison. Je pense qu'il l'a fait exprès, d'ailleurs.
Enfin, c'est ce que je vois chez moi, avec mon navigateur. Je ne sais pas si les autres voient la même chose.
Écrit par : Jacques Layani | 11/04/2007
Jacques, un grand merci, si vous désirez justifier vos textes, je peux essayer de vous aider via la messagerie.
Écrit par : Iphigenie | 11/04/2007
Je reviens tout de même au contenu de la note.
On ne va pas relancer l'éternel débat, déjà eu ailleurs cinq cents fois ? Le roman n'est pas tout, il n'est même plus rien en 2007 et ce sont des cadres convenus qu'il continue d'habiter dans des cochonneries publiées à raison de 1200 à 1400 titres par an par des éditeurs qui font "de la cavalerie", comme on dit. Je tiens qu'il n'est plus possible d'écrire des romans en 2007 -- sauf très improbable génie, et j'aimerais qu'il y en eût ! On le sait en fait depuis longtemps, depuis Breton et Valéry, mais des gougnaffiers tentent de nous convaincre du contraire, et cela donne Amélie Nothomb, archétype de la honte littéraire, immondice de l'écriture.
Ce livre dont tu nous parles, Feuilly, est d'évidence de la littérature (si le mot a encore un sens et, là encore, depuis Breton intitulant Littérature sa première revue, mais le faisant... par antiphrase). C'est de la littérature parce que c'est écrit, tout simplement. Par "écrit", j'entends ce que tu entends vraisemblablement par "bien écrit". C'est l'écriture qui confère au contenu une majesté littéraire. Un statut.
Écrit par : Jacques Layani | 11/04/2007
Encore faudrait-il savoir ce qu’est « bien écrire ». S’agit-il simplement d’un langage clair et qui a de l’allure ou cela suppose-t-il, comme Céline l’entendait, un travail sur la langue ? Cette option est intéressante, mais elle a aussi ses limites. Si le style consiste à modifier le code linguistique existant en jouant par exemple sur le vocabulaire (néologismes) ou la syntaxe, ou bien encore sur les sonorités, on tombe aussi, à un certain moment, sur des clichés convenus.
Pour le reste, il est certain qu’il y a une naissance, une vie et une mort du roman, en fonction de l’évolution de la société. A chaque fois, à l’origine, on retrouve l’épopée (Iliade, Chanson de Roland, etc.) où le tragique, la mystique et l’Histoire s’allient pour glorifier un peuple naissant. Le temps passe et on se retrouve avec le roman classique (où la rupture d’un équilibre initial engendre des aventures, lesquelles vont finalement se résoudre par le retour à un nouvel ordre). A la fin, dans les sociétés décadentes, comme tout a été dit, on se met à ratiociner sur la forme ou sur la nécessité d’écrire (mais il n’y a plus aucun message véhiculé). Il semble bien que nous en soyons là. Auerbach, dans son remarquable livre Mimésis, la représentation de la réalité dans la littérature occidentale, le disait déjà il y a cinquante ans. Quand une société ne peut plus rien produire de neuf, elle est décadente. Elle ne fait alors que réutiliser les vieux codes et les vieilles recettes, mais en prenant une distanciation ironique (qui oserait, sérieusement, écrire une tragédie aujourd’hui, si ce n ‘est précisément en en riant gentiment ?).
Tout ceci étant dit, il faudrait encore m’expliquer pourquoi le roman n’est pas de la littérature (on vient de répondre en partie) et pourquoi les nouvelles en seraient ? Parce qu’elles ne visent pas le même public ? Attention, nous sommes tous d’accord ici pour dire que la production de masse a peu de chance d’être de la vraie littérature, mais en disant cela nous quittons le registre qualitatif pour entrer dans le quantitatif. Or, intrinsèquement, aucune définition ne peut reposer sur de tels critères.
Écrit par : Feuilly | 12/04/2007
Mais le roman est de la littérature ! Le problème, outre la nature même du roman, c'est de constater ce qu'on nous sert aujourd'hui sous l'appellation "roman".
Et pourquoi devrait-on sacraliser la littérature, au point de se demander, chaque fois, si ce qu'on lit ou ce qu'on désire lire, en est vraiment ?
Autre chose : la poésie -- genre que toute personne cultivée reconnaîtra comme le plus haut, avec le théâtre -- est-ce de la littérature ? La plupart des poètes, au XXe siècle en tout cas, le réfutent.
Écrit par : Jacques Layani | 12/04/2007
Ce n'est pas un hasard si l'image de la bibliothèque, en haut à gauche, ne contient que des livres de poésie...
Écrit par : Feuilly | 12/04/2007
Oui, j'avais vu... A moins que Gallimard ne te fasse une ristourne sur sa collection ? :-))
Écrit par : Jacques Layani | 12/04/2007
Bienvenue et longue vie à vos carnet, surtout sans grincheux et sans trolls (genre fou furieux Asensio, voyez l' genre) !
Comme Jacques, je préfère les textes justifiés, et je ne déteste pas les billets publiés en TimesNewRoman, qui passent bien sur la très grande majorité des navigateurs !
Contrairement à Jacques, en revanche, je suis convaincu que le roman n'est pas un genre mort et qu'il est encore d'excellents romanciers, noyés (comme naguère et même jadis) au milieu de fleuves de mauvaise soupe.
Écrit par : Guillaume Cingal | 12/04/2007
(vos carnetSSSSSSS)
Écrit par : GC | 12/04/2007
Ah, les grincheux! Ménandre, déjà, nous en avait fait une pièce de théâtre. Puissent les Dieux de l'Attique (ou de l'Ibérie) nous en préserver...
Pour ce qui est du roman, je reste persuadé qu'il peut revivre. Il suffit de voir ce qu'il peut parfois donner dans le domaine étranger pour s'en convaincre. Je crois que le problème est surtout français. Le nouveau roman et les théoriciens de la littérature l'ont mortellement blessé. Les éditions tournées vers le grand public et le profit l'ont achevé. Mais je crois que l'art de raconter des histoires et de les bien raconter fait partie de la nature humaine.
Bienvenue sur ce blogue, Guillaume, venez vous y reposer de temps à autre des infortunes rencontrées sur la Toile.
Écrit par : Feuilly | 12/04/2007
Triple non ! Le roman n'est pas une histoire, ou ne doit pas l'être, ou pas uniquement ; je m'engueule régulièrement ici et là sur internet à ce sujet. Le roman est la voix de son auteur et la manière qu'il a de nous dire qui il est et ce dont il souffre. L'histoire n'est qu'un prétexte, elle doit même devenir un post-texte. Ce qui compte, c'est la voix de l'artiste. Et des artistes, il n'y en a pas depuis belle lurette. Je veux entendre crier dans les romans, comme chez Victor Hugo, Flaubert, Stendhal ou, plus près de nous, Hemingway, Vailland, Montherlant, Gary. Je veux entendre l'auteur hurler son mal de vivre. Au dessous de ce niveau minimum, je ne veux plus entendre parler de roman. Et surtout pas d'histoire !
J'ai fait sur le blog de mon éditeur -- ce qui était risqué mais je ne pense jamais à mon intérêt, toujours à mon éthique -- une dispute de plus, il y a quelque temps, à propos de l'histoire dans les récits, justement. A propos de l'anecdote. C'est ici :
https://www2.blogger.com/comment.g?blogID=3437972286786575122&postID=2170593535036193466
Je me suis même pris de bec avec Corinne Pourtau et puis, quelque temps plus tard, j'ai appris que c'était sa femme. Ben oui... Il faut avoir le courage de ses opinions. Il y a un minimum en-deçà duquel on ne peut se cantonner sans vraiment n'être plus rien.
Il faut que des Amélie Nothomb, à l'avenir, disparaissent à tout jamais dans les putrides marais de leur inexistence graveleuse.
Écrit par : Jacques Layani | 12/04/2007
Mais bien sûr, nous sommes d'accord Jacques. L’histoire n’est qu’un prétexte et c’est bien comme cela que je l’entends. Et derrière cette histoire, il y a la personnalité entière de l’auteur qui s’exprime à travers elle. Le récit doit permettre de faire comprendre ce qui le bouleverse, comment il envisage la vie, quel cri de désespoir (ou d’espoir) il profère devant l’existence. Le récit n’est qu’un moyen, un peu comme les paraboles de la bible. Reprenons les premiers récits que nous avons entendus, à savoir les contes pour enfants. Peu importe que le Chaperon rouge porte ceci ou cela à sa mère-grand, peu importe qu’il emprunte tel ou tel chemin. Mais derrière cette histoire, il y a tous les sentiments humains, le désir de transgression, la concupiscence, la peur, etc. Le loup, l’image du loup, c’est un peu la peur de la sexualité ou la peur de la mort. Donc l’histoire n’est qu’un prétexte. Mais c’est par elle que tout enfant, nous avons abordé les grandes questions de la vie.
Comment un auteur nous dirait-il, nous ferait-il comprendre, qu’il est scandalisé d’être mortel ? Le dire comme cela ne suffit pas. Il faut un récit pour l’exprimer, avec toutes les nuances possible.
J’ai lu des romans qui m’ont marqué existentiellement parlant. Mais il n’y en a pas dans la production française contemporaine. Sollers et d’Ormesson me tombent des mains (pourtant ils écrivent correctement, par ailleurs, donc le style ne serait pas tout).
Écrit par : Feuilly | 12/04/2007
Mais non, le style n'est pas tout. D'ailleurs, d'Ormesson, c'est plat. Le style est une condition ô combien nécessaire, mais pas suffisante. Il faut une voix et cette voix, elle doit sourdre ou gueuler. Le roman est mort parce qu'il est aphone.
Note que je n'exclus pas une résurrection, un jour. Mais ça n'en prend pas le chemin ! Je ne crois pas que nous verrons l'âge nouveau du roman, pas moi, en tout cas. C'est pour cela que je dis qu'en 2007, le roman est impossible.
Écrit par : Jacques Layani | 13/04/2007
Feuilly, vous devriez peut-être essayer *L'Inauguration de la Salle des Vents* de Renaud Camus : comme il n'est pas principalement romancier, ses romans ne sont pas linéaires/simplistes "à la française".
Je suis de votre avis sur la vitalité du roman telle que la démontrent de nombreux auteurs étrangers : Vila-Matas, Nuruddin Farah, Jamal Mahjoub, Rodrigo Fresan, Don DeLillo, tout cela ne peut se balayer d'un revers de la main.
Écrit par : Guillaume Cingal | 14/04/2007
"Où commence la littérature et où s’achève le compte-rendu ?" Excellente question. "La littérature c'est ce qui reste quand on enlève l'histoire", m'a dit un jour Jean Carrière. "La littérature se niche là où elle peut", ajoute Sarah Vajda... Le sujet est inépuisable. La narration pure et dure d'un fait réel peut déboucher sur un texte littéraire, voire même créer un genre. Pour preuve, "De sang froid" de Truman Capote...
Écrit par : Joseph Vebret | 15/04/2007
Bienvenue à Joseph qui nous fait l'honneur d'une visite. Mais on le savait particulièrement intéressé par ce genre de propos, déjà développés sur son propre blogue autrefois.
Écrit par : Feuilly | 15/04/2007
En même temps, Sarah Vajda...
Écrit par : Guillaume Cingal | 16/04/2007
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