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15/04/2007

La France et son roman

En fait, de ce que nous avons dit ici, dans différents commentaires, sur les faiblesses du roman, il ressort que c’est surtout le roman français contemporain qui est visé.

A mon avis, plusieurs facteurs entrent en ligne de compte. 

Tout d’abord, dans chaque pays, il a des périodes littéraires fastes et des périodes moins fastes, sans qu’on sache, d’ailleurs, si celles-ci sont liées ou non à la bonne santé économique du moment. Les époques dites classiques, par exemple (époque de Louis XIV, siècle d’or espagnol, etc.) sont souvent l’aboutissement d’un long mûrissement intellectuel qui trouve à s’exprimer au moment où les conditions économiques et politiques sont devenues particulièrement favorables. D’un autre côté, on dit que ce sont les périodes de crise qui offrent les ferments les plus riches, car elles obligeraient à dépasser une situation bloquée pour ouvrir de nouvelles voies.

Il est difficile de trancher. Certes, on n’imagine pas une France moyenâgeuse débutante, soumise aux invasions normandes, ravagée, pillée et par ailleurs dirigée par des roitelets sans grand pouvoir, donner des oeuvres impérissables. Que la paix revienne, que le roi retrouve sa puissance et voilà la littérature qui refait surface (poésie courtoise des troubadours dans le Midi, Chanson de geste dans le Nord, etc.) Il faut donc un minimum de stabilité. Ainsi, c’est au moment où Rome était rayonnante qu’elle a produit de grandes œuvres. Mais ce n’est pas, pourtant, au moment où l’empire est arrivé au maximum de son expansion que sa littérature a été la plus remarquable, car on entre alors dans l’époque post-classique puis décadente. Il semblerait donc que l’équilibre soit surtout trouvé après une longue phase continue de croissance, dont il exprime l’aboutissement. Il faut aussi que la langue elle-même trouve à ce moment son équilibre. Ce n’est pas un hasard si c’est au moment où le latin atteint sa stabilité que les grandes oeuvres sont produites. Il en va de même en français. Quand les langues romanes se dégagent lentement du latin, il faut un certain temps pour qu’elles retrouvent une cohésion interne (abandon du système casuel pour l’emploi des prépositions par exemple). On sent, dans un premier temps, les écrivains tâtonner, avouer eux-mêmes qu’ils ne savent trop comment exprimer telle ou telle notion. Ils tentent des calques à partir du latin ou s’essayent à des tournures étranges. Un ou deux siècles plus tard, l’ancien français a trouvé un équilibre provisoire qui lui permet de produire de grandes œuvres.

L’essoufflement actuel de l’Europe, sa perte d’hégémonie mondiale au profit des Etats-Unis expliqueraient-il la décadence actuelle ? On pourra dire qu’une expérience comme le nouveau roman n’a pas été salutaire dans la mesure où au lieu d’exprimer quelque chose par des histoires celui-ci s’est plutôt attaché à réfléchir sur le code. Autrement dit, n’ayant plus rien à exprimer, plus rien à raconter, il s’est replié dans une réflexion sur les moyens (la langue et le genre romanesque) au détriment du but (ce que l’on a à exprimer). Très bien. Mais dire cela, c’est oublier de se demander pourquoi, précisément, l’expérience du nouveau roman apparaît en France à cette époque. Le pays avait perdu la guerre, il avait été sauvé de justesse du démantèlement (voir les projets anglo-saxons de rattacher les départements frontaliers du Nord et de l’Est à la Belgique et à la Hollande) et il perdait ses colonies les unes après les autres. La confiance n’y était plus. Après 1958 (expédition franco-anglaise de Suez) c’en est définitivement fini de l’hégémonie européenne dans le monde. On assiste alors à un repli sur soi dont nous ne sommes sans doute pas encore sortis.

Que retrouve-t-on, d’ailleurs, dans le roman français aujourd’hui ? Un retour perpétuel sur la période de l’occupation (comme si on n’en finissait pas d’exorciser la défaite de quarante et la mauvaise conscience que l’on a d’avoir mis Pétain au pouvoir et d’avoir laissé déporter les populations juives), quelques fables écologiques (perte des zones naturelles au profit des entrepreneurs et des financiers) et surtout des réflexions dans lesquelles l’auteur se demande pourquoi il écrit (sa vie n’a pas de sens, il n’a rien à dire, mais l’écriture sera peut-être un moyen de trouver ce sens), autrement dit, de nouveau, une réflexion sur le code employé plutôt qu’un message à exprimer. 

Nous tenterons un autre jour de voir que cette situation n’existe pas forcément ailleurs.

11:52 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : litterature

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