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05/10/2009

Le conte du Chaperon rouge (encore)

Si nous voulons lire le conte du Chaperon rouge selon les principes de l’anthropologie culturelle chère à Lévi Strauss, il est clair qu’on peut d’emblée établir une dichotomie entre la nature et la culture.

 

Du côté de la nature, nous avons le loup, bien sûr, mais aussi la forêt qu’il faut traverser, puis, dans la version orale,  la viande crue ainsi que l’anthropophagie (dans la version orale, le loup invite le Chaperon à manger des morceaux de sa grand-mère et à boire son sang. Seule la chatte, cet animal domestique, qui semble incarner l’âme de la maison et être une métaphore de la  grand-mère elle-même, tente de l’en dissuader).

 

Du côté de la culture nous avons d’abord la nourriture qu’apporte le Chaperon (des galettes cuites ou une bouteille de vin ou encore une bouteille de lait, autrement dit des éléments qui ont dû plus ou moins être préparés par l’homme soit par la cuisson, soit par la fermentation. Quant au lait, il suppose l’élevage des bovins et n’est donc pas une boisson qui relève de la nature, du moins au sens symbolique. Dans certaines versions on parle d’ailleurs de beurre, donc de produit travaillé). Il y a aussi le chemin (ou les chemins car il y en a deux, celui des aiguilles ou celui des épingles, mais nous y reviendrons), qui permet justement de traverser la forêt sans encombre (d’ailleurs dans une des versions la petite fille, inconsciente, quitte ce chemin et entre dans le sous-bois pour aller cueillir des fleurs – sauvages- pour sa mère-grand).

 

La maison, quant à elle, est la meilleure protection de l’humanité contre la nature menaçante. Construite patiemment par les mains de l’homme, symbole de la culture, hermétiquement close, elle garantit des bêtes sauvages ceux qui l’occupent. Ce n’est sans doute pas un hasard si le conte insiste tant sur la fameuse formule « tire la chevillette et la bobinette cherra. ». Il s’agit donc bien de mettre en avant le fait que la porte est close et donc que les habitants (ici la grand-mère qui est malade et donc particulièrement vulnérable) sont à l’abri de tout danger extérieur, surtout ceux provenant de la forêt toute proche (car on aura compris que la demeure de la mère-grand est isolée et en pleine nature). Le problème, c’est que cette porte, si elle est close, ne l’est pas hermétiquement. En effet, on peut en actionner le mécanisme de l’extérieur, comme la grand-mère demande au Chaperon de le faire. Elle a donc commis une belle imprudence en ne s’enfermant pas à double tour. Certes, un animal ordinaire n’aurait pu actionner le mécanisme, mais le loup, qui est rusé, y est bien parvenu, lui. On peut supposer que la grand-mère attendait la visite de sa petite-fille et comme elle était malade et alitée, elle a trouvé ce moyen pour ne pas devoir se lever. On remarquera que la maladie de l’aïeule est donc déterminante pour la logique du récit. En effet, c’est cette maladie qui justifie le fait que le Chaperon se soit mis en route (afin de lui apporter de la nourriture pour qu’elle retrouve force et santé) et c’est encore elle, par la porte mal barricadée, qui permet l’intrusion du loup. Il y a donc eu, de la part de la grand-mère, une grave erreur, comme il y en a peut-être eu une de la part de la mère du Chaperon en envoyant sa fille sur les chemins.

 

Mais il s’agit avant tout d’un conte initiatique et il est donc normal que l’héroïne soit confrontée à certains dangers. Dans les versions policées de Perrault et Grimm, la fillette ne respecte pas vraiment les règles qu’elle aurait dû observer. Après avoir accepté  de dialoguer avec un loup, soit elle s’écarte du chemin, soit elle prend le chemin le plus long. A ce sujet, notons qu’il convient d’opposer le chemin des épingles (lesquelles symbolisent, selon certains, le passage à l’âge adulte, car les demoiselles en mettaient dans leurs cheveux pour être plus belles et plaire aux garçons, en respectant, dirons-nous, les règles sociales : bals, rencontres, fiançailles puis mariage) à celui des aiguilles (lesquelles servent plutôt à réparer ce qui existe déjà. Au lieu de s’acheminer vers sa vie de jeune fille, en respectant les règles sociales, le Chaperon tenterait donc plutôt de prolonger son enfance, d’où le caractère naïf qu’on lui prête. Mais l’aiguille, par son chas, peut-être vue aussi comme une métaphore du sexe féminin, ce qui veut dire que notre héroïne opterait d’emblée pour des relations sexuelles immédiates –avec le loup qui la convoite- sans passer par tout le jeu social du mariage et en n’écoutant que sa nature physique qui la pousse dans cette direction. Là est donc sa désobéissance fondamentale et c’est pour cela qu’elle sera punie (les contes sont moralisateurs, ne l’oublions pas) en étant dévorée par le loup. Ce dernier épisode peut être compris, évidemment, comme une métaphore d’un viol dont il reprend les caractéristiques essentielles (non-consentement de la victime, sang, mort symbolique, etc.).

 

Le fait que loup se retrouve avec un gros ventre une fois qu’il a avalé ses deux victimes (la grand-mère, elle, a été punie pour avoir mal barricadé sa porte et avoir laissé une ouverture à la nature sauvage extérieure) permet d’ailleurs un parallélisme avec le ventre d’une femme enceinte. Le chasseur (qui domine la nature en tuant des animaux sauvages) ou le bûcheron (qui domine la même nature en coupant des arbres) ouvriront le ventre du loup pour libérer les victimes. Dans certaines versions celui-ci sera cruellement puni : on lui met des pierres (élément naturel) dans l’estomac et on recoud son ventre, ce qui occasionnera sa mort.

 

Notons encore –tant les contes sont polysémiques- qu’on peut voir la maison (fermée mais pas hermétiquement) comme une métaphore du corps féminin. L’héroïne ne se donne pas au loup (symbole de virilité qui donc renvoie aux dangers que représentent les hommes pour les jeunes filles), certes, mais elle laisse une porte ouverte en l’écoutant et en suivant ses conseils (cueillir des fleurs, etc.). D’ailleurs c’est elle qui indique l’adresse de la maison de la mère-grand, ce qui est vraiment « se jeter dans la gueule du loup » si on me passe l’expression. En donnant l’adresse d’une maison par ailleurs mal fermée, c’est un peu comme si elle permettait au loup de la conquérir, elle, de conquérir son corps.

 

Nature et culture, disions-nous, s’opposent à chaque instant : aliments cuits et aliments crus, forêt et maison, enfant et loup, vêtements et nudité. Nudité naturelle du loup, certes (qu’on opposera à la petite fille vêtue elle d’une cape rouge bien voyante) mais demi-déshabillé de la grand-mère qui est en robe de nuit (toujours ce rôle en demi-teinte, comme la porte certes fermée mais qui s’ouvre trop facilement). Notons qu’à la fin c’est le loup qui est habillé (ruse suprême puisqu’il prend alors les attributs de la culture) et la petite fille qui se déshabille, du moins dans la version orale du conte. Petite fille qui n’est pas si petite que cela puisque le loup la désire (cf. le lit où il l’attend). On pourrait d’ailleurs se demander si le rouge de ses vêtements n’est pas de nouveau un symbole sexuel (les règles et la puberté) à moins que cette couleur ne préfigure sa fin tragique et le sang (mais aussi le viol et la perte de la virginité).

 

Tous les éléments semblent donc aller par deux, comme c’est aussi le cas pour les oppositions  femme et homme ou enfant et aïeule. Notons à ce propos que l’élément intermédiaire, la femme adulte en âge de procréer (la mère du Chaperon), est cité mais n’est pas vraiment présent dans le conte, sans doute pour mieux insister sur les extrêmes (l’enfance, la vieillesse), soit en-deça ou au-delà de la période consacrée à la vie sexuelle. Le chemin qu’emprunte le Chaperon et qui lui fait quitter la maison de son enfance pour celle de sa grand-mère représente donc aussi le chemin de la vie et la fuite du temps. Quittant l’enfance, elle devient adulte par les épreuves qu’elle traverse. Malheureusement elle n’a pas respecté la voie toute tracée par le discours culturel des hommes et a préféré quitter ce chemin pour s’aventurer dans des voies de traverses, des voies trop proches de la nature. 

 

Bref, on le voit, ce n’est pas demain qu’on aura fait le tour de ce conte, qui n’en finit pas de livrer des interprétations.

 

Je voudrais revenir un instant sur la version que j’en ai donnée en inversant toutes les valeurs ici exposées.

 

Loin d’être fier et conquérant, le loup, au début du conte, est fourbu et fatigué. C’est la petite fille qui l’aborde et non l’inverse, mais déjà, elle est présentée comme n’étant plus si petite que cela, se situant donc dans une zone ambiguë de par son âge (comme la grand-mère, dans le vrai conte, pouvait l’être avec sa porte qui s’ouvrait tout en étant fermée). C’est le Chaperon qui donne à manger au loup et non lui qui désire le manger. C’est lui qui insiste pour que le loup l’accompagne et c’est lui encore qui fait entrer le loup dans la maison après avoir éliminé la mère-grand. Au lieu de devenir anthropophage comme dans la version orale et de boire le sang de son aïeule, c’est elle qui offre un repas cuit au loup, repas qui étai celui de la grand-mère. Au lieu d’être désirée par le loup, c’est l’inverse et c’est elle qui se déshabille de sa propre initiative. A la fin, le rôle du chasseur est inversé aussi puisque au lieu d’aider à tuer le loup il s’en prend à la jeune fille. C’est donc lui qui périra sous les crocs de l’animal, grâce auquel le conte reste moral. La fin, au lieu d’être joyeuse est triste et le loup s’en va seul, accusé injustement d’un crime qu’il n’a commis que pour protéger le Chaperon.

 

 

 

Petit_chaperon_rouge2_by_LouveBleue.jpg

 

 

Image Internet

Commentaires

Il y a en effet, dans ce conte initiatique que tu explores parfaitement, l'initiation à la vie sexuelle...
"Avoir vu le loup" est une expression lexicalisée signifiant avoir eu, pour une jeune fille, une relation sexuelle...
Ce qui est quand même plus élégant que cette autre expression, vieillie mais néanmoins présente chez Alain Rey :
" Laisser le chat aller au fromage"...
Charmant !
Qu'en termes galants, ces choses-là sont dites !

Écrit par : Bertrand | 05/10/2009

Oui, le loup, animal prédateur qui continue à hanter la conscience de l’Occident, convient à merveille pour illustrer la notion d’appétit et donc aussi d’appétit sexuel.
Notons à ce propos qu’autrefois le sexe de la femme a souvent été assimilé à une pâtisserie que l’on pouvait manger. Il nous en reste l’expression « l’avoir dans le baba », dont le sens premier n’est plus directement compréhensible.

Écrit par : Feuilly | 05/10/2009

Puisque nous sommes sur ce sujet des plus poétiques :

( .............)
Or malheureusement les mots qui le désignent
Le disputent à l'exécrable à l'odieux.

C'est la grande pitié de la langue française
C'est son talon d'Achille et c'est son déshonneur
De n'offrir que des mots entachés de bassesse
A cet incomparable instrument de bonheur.

Alors que tant de fleurs ont des noms poétiques
Tendre corps féminin c'est fort malencontreux
Que la fleur la plus douce la plus érotique
Et la plus enivrante en ait de plus scabreux.

Mais le pire de tous est un petit vocable
De trois lettres pas plus, familier, coutumier
Il est inexplicable il est irrévocable
Honte à celui-là qui l'employa le premier

Honte à celui-là qui par dépit par gageure
Dota de même terme en son fiel venimeux
Ce grand ami de l'homme et la cinglante injure
Celui-là c'est probable en était un fameux. etc...

Le Blason. GB

Écrit par : Bertrand | 05/10/2009

"Notons que l'élément intermédiaire, la femme adulte en âge de procréer (la mère du Chaperon), est cité mais n'est pas vraiment présent dans le conte, sans doute pour mieux insister sur les extrêmes (l'enfance, la vieillesse), soit en-deça ou au-delà de la période consacrée à la vie sexuelle."

Pour mieux insister, peut-être aussi, sur la nuit d'avant la vie et la nuit d'après la vie.
La nuit fossile.
Là rien n'est.

Dans le dernier chapitre de LA NUIT SEXUELLE, intitulé "Esto es lo que hay", Pascal Quignard écrit ceci :

Tous les corps qui s'avancent dans la lumière dissimulent des amants lointains.
Le dénuement et le silence de l'enfance par lesquels notre vie commence les escamotent aussitôt, dès la première aube sous le premier soleil.
L'enfantement oublie la conception.
Le maternel engloutit le féminin.
Les soins remplacent les étreintes.
L'éducation des sujets babille, papote, orne, nettoie, sublime le corps à corps sordide. Les anciens sexes s'oublient dans les rôles et les dignités, même s'ils persistent encore un peu dans les médailles et les rubans.

Écrit par : Michèle | 06/10/2009

D'où peut-être le chemin de traverse suivi par le chaperon. Revenir à la nature, parvenir à sa nature de femme en devenir, rencontrer le loup et cela endehors des conventions sociales, lesquelles règlementent et canalisent les pulsions fondamentales.

Écrit par : Feuilly | 06/10/2009

Oui. Le chemin de traverse.
Et me vient à l'esprit ce conte d'Henri Gougaud dans "Contes de l'envie d'elle et du désir de lui", qui commence ainsi :

"La chatte sauvage

On dit qu'aux temps anciens la coquille d'amour que toute femme tient entre jambes et nombril était comme un objet dont elle pouvait s'orner ou non, selon l'envie. Elle la laissait parfois dormir sur l'étagère, parfois quand venait le désir elle se la glissait à sa place, jouissait d'elle avec son homme, puis la posait au pied du lit et se tournait contre le mur, le ventre à nouveau lisse et vide."

Je ne peux pas recopier tout le conte (droits d'auteur), mais dans la suite de l'histoire, la femme, troussée un jour par le vent "perd son baisoir qui tombe dans la rivière". Et elle l'appelle :

"Mon creux doux, ma boîte à musique,
ma châtière, mon coeur d'en bas,
mon trésor, mon sillon magique,
au secours mon homme il s'en va !

Et l'homme plonge, bat les vagues, roucoule, les doigts luisants :

Viens là, viens rire, viens jouer,
viens à mes mains, viens à ma bouche,
laisse-moi donc t'amadouer,
oh fine fleur des fines mouches !"

Écrit par : Michèle | 06/10/2009

Diable! De fil en aiguille (et non en épingle) et du loup au chat, nous voici non plus dans les bois mais au milieu de la rivière.

Écrit par : Feuilly | 06/10/2009

...la Meuse ardennaise :
"La Rivière de Cassis roule ignorée
En des vaux étranges :
(...)"

On recherche le mot "rivière" sur ton blogue et l'on fait une belle balade.

Écrit par : Michèle | 07/10/2009

La rivière de Cassis de Rimbaud n'est pas la Meuse ardennaise, mais la Semoy, un affluent de la Meuse qui coule d'abord en Belgique (où elle s'orthographie Semois).

http://feuilly.hautetfort.com/archive/2008/01/18/au-pays-de-rimbaud-5.html

Écrit par : Feuilly | 07/10/2009

Lorsque j'ai écrit, pour m'amuser "le Petit Chaperon voit rouge" pour meubler les pages de mon blog, je ne pensais pas à tout ce que vous révélez dans votre article.

Instructif. Je repasserai.

Écrit par : Neriel | 07/10/2009

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