18/01/2008
Au pays de Rimbaud (5)
Si l’on parcourt l’œuvre de Rimbaud en recherchant des allusions à la nature, on verra que celles-ci ne manquent pas. Dans « Le Dormeur du Val », déjà, poème encore fort scolaire, on trouve :
C'est un trou de verdure, où chante une rivière
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent; où le soleil, de la montagne fière,
Luit: c'est un petit val qui mousse de rayons.
Ou bien dans « Ophélie », poème inspiré de Théodore de Banville :
Sur l’onde calme et noire où dorment les étoiles
La blanche Ophélia flotte comme un grand lys,
Flotte très lentement, couchée en ses longs voiles…
-On en tend dans les bois lointains des hallalis.
Voici plus de mille ans que la triste Ophélie
Passe, fantôme blanc, sur le long fleuve noir.
Voici plus de mille ans que sa douce folie
Murmure sa romance à la brise du soir.
(…)
Certes, il s’agit d’une composition littéraire, reprenant les clichés classiques, mais rien ne dit que Rimbaud ne pensait pas à la Meuse ardennaise, qu’il connaissait si bien, en composant ces vers. En tout cas on retrouve des termes comme « eaux noires », « bois lointains », « hallalis », qui semblent renvoyer à la réalité locale, tandis que « fantôme » fait penser à toutes ces légendes dont l’action se déroule le long du fleuve, quelque part entre Monthermé et Givet et dont nous reparlerons un autre jour.
Cette impression est encore renforcée quand on lit un poème comme « La Rivière de cassis », qui manifestement fait allusion à la Semois, qui entre en France à hauteur du village de hautes-Rivières et qui se jette dans la Meuse à Monthermé, précisément :
La Rivière de Cassis roule ignorée
En des vaux étranges :
La voix de cent corbeaux l'accompagne, vraie
Et bonne voix d'anges :
Avec les grands mouvements des sapinaies
Quand plusieurs vents plongent.
Tout roule avec des mystères révoltants
De campagnes d'anciens temps;
De donjons visités, de parcs importants :
C'est en ces bords qu'on entend
Les passions mortes des chevaliers errants :
Mais que salubre est le vent.
Que le piéton regarde à ces claires-voies :
Il ira plus courageux.
Soldats des forêts que le Seigneur envoie,
Chers corbeaux délicieux!
Faites fuir d'ici le paysan matois
Qui trinque d'un moignon vieux
Tout semble correspondre, depuis « les vaux étranges », les « sapinaies » (fort nombreuses en cette région. Le mot, soit dit en passant, est une invention de Rimbaud), la solitude du lieu (« coule ignorée ») jusqu’aux « donjons visités » et à l’allusion aux légendes :« mystères révoltants De campagnes d'anciens temps. » Les termes « chevaliers errants » renvoient probablement à l’histoire fabuleuse des quatre fils Aymon, dont le château supposé se dressait non loin de là, à Château-Regnault. Notons que le poète ne semble citer ces vieux contes que pour prendre ses distances avec eux. En effet il qualifie ces « mystères » de révoltants et se rapportant à « l’ancien temps ». Il conclut d’ailleurs en disant « Que salubre est le vent », qui tout emporte. Rimbaud préfère donc le contact avec la pure nature à ces histoires à dormir debout, issues de l’imagination des hommes. C’est du moins ainsi que les commentateurs interprètent habituellement ces vers.
Maintenant on pourrait simplement comprendre le terme « révoltant » comme une allusion au contenu des contes. C’est l’histoire racontée qui serait révoltante. Charlemagne, colérique, voulait en fait exterminer les quatre fils Aymon, lesquels représentent donc un peu la lutte contre le pouvoir centralisateur. Cette lutte est inégale, ce qui rend l’action des frères d’autant plus belle qu’elle est vouée à l’échec (leur château sera détruit). Cette revendication à l’autonomie et ce goût pour la liberté ne devaient pas déplaire à Rimbaud. « Les passions mortes » seraient alors une allusion à l’échec de ce désir d’autonomie et dans ce cas « le vent salubre » permettrait simplement à Rimbaud d’oublier cette belle histoire qui finit mal (les frères durent se soumettre à Charlemagne et livrer leur cheval-fée Bayard).
Par contre, les vers « Faites fuir d'ici le paysan matois Qui trinque d'un moignon vieux » renvoient manifestement à l’image que se faisait Arthur des paysans. Il l’a dit clairement dans sa correspondance, notamment quand il était reclus dans la ferme familiale de Roche. Il les voit comme âpres au gain et sans imagination :
« Je suis abominablement gêné. Pas un livre, pas un cabaret à portée de moi, pas un incident dans la rue. Quelle horreur que cette campagne française. »
(…)
« Quelle chierie ! et quels monstres d'innocince, ces paysans. Il faut, le soir, faire deux
lieues, et plus, pour boire un peu. La mother m'a mis là dans un triste trou. »
(A Ernest Delahaye, mai 1873)
Donc, c’est la nature qu’aime Arthur, une nature qui est belle et qui permet l’évasion. Par contre, la vie à la campagne, rythmée par le travail des champs lui est insupportable. C’est que Rimbaud est avant tout un révolté et il ne faut pas chercher chez lui des descriptions bucoliques. La nature, on l’a déjà dit, est certes présente dans ses textes, mais soit comme prétexte au voyage (la fugue, qui ouvre les portes de la liberté à l’adolescent), soit comme cadre à des réflexions plus sombre, comme dans « Les Corbeaux ».
Seigneur, quand froide est la prairie,
Quand dans les hameaux abattus,
Les longs angélus se sont tus...
Sur la nature défleurie
Faites s'abattre des grands cieux
Les chers corbeaux délicieux.
(…)
Ou bien la nature nous introduit dans un univers fantastique, un peu inquiétant :
Tête de Faune
Dans la feuillée, écrin vert taché d'or,
Dans la feuillée incertaine et fleurie
De fleurs splendides où le baiser dort,
Vif et crevant l'exquise broderie,
Un faune effaré montre ses deux yeux
Et mord les fleurs rouges de ses dents blanches.
Brunie et sanglante ainsi qu'un vin vieux,
Sa lèvre éclate en rires sous les branches.
Et quand il a fui - tel qu'un écureuil -
Son rire tremble encore à chaque feuille,
Et l'on voit épeuré par un bouvreuil
Le Baiser d'or du Bois, qui se recueille
Cette nature, on la retrouvera dans d’autres poèmes, dont elle n’est pas le thème central, loin de là. Pourtant, elle surgit au moment où on s’y attend le moins, sous la forme d’une branche près de la vitre, comme ici, dans le poème intitulé « Première soirée » et qui décrit en fait l’émoi d’une première rencontre amoureuse :
Elle était fort déshabillée
Et de grands arbres indiscrets
Aux vitres jetaient leur feuillée
Malinement, tout près, tout près.
Quant à ses fugues proprement dites, il y a fait plusieurs allusions dans ses textes, comme dans «Au Cabaret-Vert, cinq heures du soir » :
Depuis huit jours, j'avais déchiré mes bottines
Aux cailloux des chemins. J'entrais à Charleroi.
- Au Cabaret-Vert : je demandai des tartines
Du beurre et du jambon qui fût à moitié froid.
Ou encore dans « Ma Bohême », que je remets ici en entier rien que pour le plaisir de relire ce beau texte :
Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées ;
Mon paletot aussi devenait idéal ;
J'allais sous le ciel, Muse ! et j'étais ton féal ;
Oh ! là là ! que d'amours splendides j'ai rêvées !
Mon unique culotte avait un large trou.
- Petit-Poucet rêveur, j'égrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge était à la Grande Ourse.
- Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou
Et je les écoutais, assis au bord des routes,
Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur ;
Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,
Comme des lyres, je tirais les élastiques
De mes souliers blessés, un pied près de mon cœur !
Ces idées de fuite en avant et de fugue, Rimbaud avoue lui-même qu’elles le tenaient depuis toujours, ainsi, dans « Les poètes de sept ans », on retrouve chez l’enfant qu’il fut tous les thèmes qu’il a développés par la suite : la liberté, la littérature, le désert, et l’érotisme :
A sept ans, il faisait des romans sur la vie
Du grand désert où luit la Liberté ravie,
Forêts, soleils, rives, savanes ! -Il s’aidait
De journaux illustrés où, rouge, il regardait
Des Espagnoles rire et des Italiennes.
Enfin, pour terminer cette petite note qui veut replacer Rimbaud dans sa région ardennaise, on ne peut pas faire moins que de finir par le bateau ivre :
Si je désire une eau d'Europe, c'est la flache
Noire et froide où vers le crépuscule embaumé
Un enfant accroupi plein de tristesses, lâche
Un bateau frêle comme un papillon de mai.
et noter le terme « flache », qui désigne un creux rempli d’eau (soit un trou dans une route, soit une petite mare). Ce mot, « flache », cependant, n’est pas spécifique aux Ardennes (où il est toujours employé) puisqu’il est repris dans Littré. Remarquons en passant que celui-ci attribue une étymologie germanique à ce mot ( l'allemand flach, plat) alors que le latin « flacus » conviendrait mieux puisqu’il a donné l’adjectif flache au féminin, flac au masculin, qui signifiaient, dès l’ancien français « mou, flasque, creux »
Vers le XIVe siècle ce terme désignera un creux, en particulier un trou d’eau, une flaque, une mare, mais aussi un creux dans le bois ou la pierre ou encore dans un pavage. Par extension, il a pris le sens de « lieu humide ».
15:40 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : Littérature, Rimbaud, Ardennes
Commentaires
Bonjour,
Arthur Rimbaud est parfois très secret. Mais il décrit simplement les choses.
Le dormeur du Val en est un exemple.
Mathieu Dufain
http://mathieudufain.hautetfort.com
Écrit par : Mathieu Dufain | 18/01/2008
Il dit simplement des choses terribles.
Écrit par : Feuilly | 19/01/2008
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