16/01/2008
Au pays de Rimbaud (4)
Sensation
Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l’herbe menue :
Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.
Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l’amour infini me montera dans l’âme,
Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, - heureux comme avec une femme.
Mars 1870
On a donc déjà ici ce goût de Rimbaud pour la nature, qu’il décrit d’une manière particulièrement sensuelle (« picoté, « fraîcheur », « baigner »), faisant référence non seulement à ce a qu’il voit, mais aussi aux sensations tactiles.
Les « soirs bleus » semblent particulièrement convenir à la forêt ardennaise, quand vient le crépuscule. L’adjectif « rêveur » indique clairement que la nature ouvre les portes de la poésie. Il ne s’agit donc pas, pour l’adolescent, de penser («je ne penserai rien ») mais de se laisser guider par ses impressions (préfiguration du bateau ivre). Pourtant, au départ, il existe une volonté manifeste de se mettre dans cette situation (« j’irai » ). On notera que l’emploi du futur simple renforce cette impression de détermination : il s’agit d’un projet délibéré et mûrement réfléchi.
Par contre, une fois en contact avec la nature, il convient de laisser de côté toute activité humaine habituelle (« je ne parlerai pas, je ne penserai pas") et de se laisser porter par ses impressions. On notera comment on passe d’une impression à une autre : du blé à l’herbe que l’on foule, puis à la fraîcheur de celle-ci. Notion de fraîcheur qui est reprise par le vent qui « baigne » le visage. De plus, la communion avec la nature est totale, puisque qu’elle procure des impressions des pieds à la tête. Tout cela est si fort, qu’on peut parler d’amour. Un « amour infini » qui plus est et qui « me montera dans l’âme » (comme on dit qu’un vin monte à la tête). Le mot « âme », dénote quant à lui une connotation mystique. Ce n’est pas par la réflexion que l’homme se dépassera, mais en laissant pleinement agir ses sens au milieu de la nature.
On remarquera, dans ce poème, le goût manifeste de Rimbaud pour les voyages : « Et j’irai loin, bien loin ». Le désir de partir est donc manifeste chez lui. Ce n’est pas la description d’une simple promenade qu’il nous livre ici, mais véritablement un changement d’univers. Il s’agit d’abord d’oublier qui on est pour se livrer corps et âmes aux impressions que procure la nature, laquelle est porteuse d’autres espérances. Elle n’est qu’un point de départ, en quelque sorte, vers une destinée différente et vers d’autres impressions encore. Rimbaud se rend compte que par de telles expériences il s’écarte du chemin habituel. Il emploie d’ailleurs le terme « bohémien », qui dénote bien un aspect marginal tout en renvoyant à l’idée de voyage.
Poussée à l’extrême, cette expérience aboutit à l’amour («heureux comme avec une femme »), sans qu’on sache bien s’il s’agit d’amour physique (le terme sensuel« picoter » employé plus haut, peut d’ailleurs être vu comme une préfiguration de cet amour physique, ainsi d’ailleurs que l’image de l’herbe que l’on foule, laquelle renvoie à une idée de domination et de saccage) ou d’amour affectif. Peut-être les deux, sans doute. Ce qui est sûr, c’est que la nature ouvre les portes d‘un univers différent, lequel transporte l’individu vers un bonheur insoupçonné, comparable au bien-être et à l’abandon amoureux.
16:14 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Littérature, Rimbaud
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