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17/02/2015

Bertrand Redonnet, le Silence des Chrysanthèmes

Un beau livre que celui-là, assurément, un livre comme je les aime, qui sent bon la campagne d’autrefois et les souvenirs d’enfance. On retrouve les thèmes favoris de l’auteur, ceux que l’on a déjà rencontrés dans ses autres ouvrages, comme la fuite du temps, la difficulté de donner un sens à sa vie, mais aussi le rythme des saisons et ce passage des campagnes de l’ère néolithique au progrès motorisé. Ses souvenirs d’enfance à lui, qu’il retrace à petits coups de pinceau, le renvoie justement à une époque qui n’existe plus, celle des chevaux de labour et des fenaisons qu’on faisait à la main. On sent du regret derrière les mots employés, de la nostalgie sincère, mais toujours aussi une quête du sens de la vie, de cette vie qui s’est écoulée si vite et qui l’a conduit, lui l’auteur, à l’autre bout du continent, dans cette Pologne à la frontière biélorusse où il a réappris à dire son pays. Car il a fallu cette cassure, cet « exil volontaire » pour qu’il prenne conscience de ce qu’il avait perdu, à la fois la France et sa langue et ses propres origines, celle de sa tribu, frères et sœurs groupé autour d’une mère atypique qui, en l’absence de mari, dirigeait tout d’une main de fer.

Dans cette Pologne où il vit maintenant, Bertrand a découvert les hivers de neige dont il rêvait enfant. Le réel a rejoint l’imaginaire en quelque sorte et il était donc normal qu’il se mît à écrire sur son passé, d’autant plus que sa maison de bois ensevelie sous la neige ne pouvait que le conduire à devenir écrivain :

« Longtemps, très longtemps, trop longtemps, la première pensée que m‘inspirait une masure isolée au milieu d’une aimable campagne, surtout si c’était l’hiver et si toute chose y était muette, c’est qu’elle était un lieu idéal pour s’y retirer et pour y écrire. » (page 62)

Il nous parle aussi de sa seconde passion, la musique et nous raconte comment un frère bricoleur avait confectionné tant bien que mal une guitare, sur laquelle il s’était mis, lui, à dire sa mélancolie, avant de rencontrer l’œuvre de Brassens, ce poète qui a su mettre les mots en chanson.

Il nous parle de son instituteur et des cartes de géographie que celui-ci expliquait, ouvrant à l’enfant médusé des univers infinis et fantastiques. Ou bien c’étaient les cours d’Histoire, où on parlait de la grande Guerre, celle que le grand-père avait faite, mais dont il ne disait jamais rien, ayant noyé sa blessure dans le vin. Plus tard, ce sera le collège et l’internat, cette prison qui privera le jeune adolescent de ses promenades dans les bois et les prés ou encore de ses randonnées le long des rivières. Ce sera l’époque des premières contestations et des premiers affrontements avec l’autorité (surveillant, directeur, etc.) mais ce sera aussi cette école qui fera qu’il deviendra petit à petit différent de ses frères et sœurs, lesquels étaient plutôt manuels et avaient développés des dons certains pour le bricolage. Il aura fallu ce livre pour réconcilier des points de vue si différents :

« Hélas, il était bien tard quand j’ai su lire ce besoin que vous aviez de vouloir en découdre avec la matière, ce besoin de dessiner son âme sur les choses, moi qui voulus toute ma vie en découdre avec les mots, avec les gammes, les contraindre à faire du monde, mon monde. Vous ne cherchiez pas autre chose au bout de vos pointes rouillées et votre poésie était aussi auguste que prétendait être la mienne. (page 134).

Hommage à la fratrie, à l’enfance perdue, à l’époque où les choses avaient un sens  et les fruits une saveur, ce livre est une quête, une manière de remonter le chemin à l’envers pour tenter de trouver un sens à une vie qui fut finalement fort décousue et éparpillée entre mille activités. Reste l’écriture pour dire tout cela, une belle écriture classique, qui permet de figer un instant tous ces souvenirs d’autrefois et de leur donner une cohérence. L’écrivain d’aujourd’hui n’existerait pas si l’enfant d’autrefois n’avait pas vécu ce qu’il a vécu. Mais d’un autre côté, cet enfant ne survit que grâce à l’écriture et maintenant, par la magie des mots, il appartient un peu aussi  à notre imaginaire à nous lecteurs, qui nous sommes laissé guider par les phrases de l’auteur. 

 

Littérature

00:45 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature

Commentaires

Je ne l'ai pas encore lu, bien que je l'aie commandé aux éditions du Bug dès sa sortie.
J'ai commencé en fait par l'autre livre (celui de Roland Thévenet), sorti au même moment.

Et comme lorsqu'un livre m'importe, le lire devient quelque chose de très sérieux, un travail important, cela prend du temps.
Je ne sais pas le faire avec légèreté, comme goûter un vin par exemple (il n'y a pas d'enjeu pour moi à goûter un vin, je ne suis ni œnologue, ni critique gastronomique :)

Je ne suis pas davantage critique littéraire, mais je suis lectrice, folle amoureuse de littérature, attentive à ce qu'un livre peut faire bouger. Et donc parfois ça me fout la trouille, celle de ne pas comprendre, de passer à côté de quelque chose d'important. Si bien que je ne me jette pas dessus. Je tourne autour, parfois longtemps :)
Je ne me jette que sur les polars, les romans noirs. J'y joue autre chose. Je ne sais pas quoi, mais ça ne m'effraie pas.

Bref, je me dis qu'heureusement pour le moral des auteurs, il y a les lecteurs vaillants, les lecteurs solides, qui lisent relativement vite et qui disent.

Écrit par : Michèle | 24/02/2015

@ Michèle : vaillant peut-être, mais je ne lis pas vite. Je suis occupé depuis plusieurs jours déjà ave cle livre de Roland Thévenet.

Écrit par : Feuilly | 24/02/2015

C'est flippant je trouve de "connaître" les auteurs :)

Écrit par : Michèle | 24/02/2015

Les commentaires sont fermés.