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12/05/2014

"Le Diable et le berger" de Bertrand Redonnet

Je lisais l’autre jour le dernier livre de notre ami Bertrand Redonnet et je me faisais la réflexion suivante : il est quand même curieux que cet auteur, qui revendique son exil volontaire en Pologne, à la frontière biélorusse, ancre généralement ses livres dans le terroir qui l’a vu naître, à savoir la campagne profonde du Poitou. C’était déjà le cas dans son précédent livre, Zozo, et c’est toujours le cas ici, dans « Le Diable et le berger ». Forcément, me direz-vous, puisque le héros (ou anti-héros) dont on raconte l’histoire est un protagoniste que le lecteur avait déjà rencontré dans le premier livre. Certes, certes. Il n’empêche, pourquoi toujours situer l’action dans cette région précise du Poitou ? Parce que Bertrand n’en connaitrait pas d’autres ? Bien sûr que si, car tel un marin sans amarres (lui qui n’aime pas l’océan), il a bourlingué un peu partout. Il aurait donc très bien pu situer l’action dans une autre région de France ou faire voyager son personnage ailleurs en Europe. En Espagne, par exemple (pays que le vieil anarchiste qu’il est doit apprécier par sa guerre civile de 1936 et par la lutte clandestine contre le franquisme qui a perduré dans l’ombre pendant des décennies) ou en Pologne, où il habite.

Mais non, il revient toujours dans ses romans à cette région aux confins de la Vienne et des Deux-Sèvres, probablement parce que c’est le pays de l’enfance, cette terre où il a grandi, mûri, où il est devenu homme et d’où finalement il est parti pour découvrir le monde. Cette terre restera à jamais l’endroit qui est le sien. Les paysages, les vents, les tempêtes d’hiver, les lignes des grands peupliers, la rivière, le petit village (ce microcosme qui dit à lui seul l’univers tout entier) c’est tout cela qui a fait de Bertrand ce qu’il est et c’est pour cela qu’il y retourne par l’écriture, pour remonter à la source et essayer de comprendre le sens de la vie. Et nous, lecteurs, qui sommes d’un autre région, d’un autre univers, nous comprenons parfaitement ce qu’il nous dit, car nous avons également au fond de nous une rivière,  un village ou un petit bois où nous avons vécu enfants. C’est la force de la littérature de réveiller ce qui fut et qui a fait un peu de ce que nous sommes.

Mais si le paysage est toujours sous-jacent chez Bertrand, c’est surtout les hommes (et les femmes) qu’il raconte ici, avec leurs désirs, leurs faiblesses et leurs actions qui ne sont pas toujours louables. Ce n’est pas un roman moral. On ne juge pas ici, on décrit. On décrit comment les idées et les passions de chacun vont se confronter avec celles des autres, qui sont différentes. Mais cela provoque des frictions et on frôle souvent le drame avant d’y tomber tout à fait. Stéphane Beau, dans son introduction, parle de véritable tragédie, presque au sens grec du terme. Il n’a pas tort, il y a de cela, en effet. Sauf peut-être que les héros ne sont pas des nobles comme chez Corneille ou des rois et des princes comme chez Sophocle. Ce sont de petites gens, mais par ce côté simple et ordinaire, ils sont plus proches de nous encore car les choses qu’ils vivent au quotidien sont aussi les nôtres : la vie en couple, les disputes, le désir parfois d’aller voir ailleurs si l’herbe n’est pas plus verte.

Le héros principal, Guste Bertin, est en marge de la société. D’abord il n’a pas de père officiel et cela a marqué son enfance. Ensuite, adolescent, il a quitté le village pour aller au collège, ce qui l’a rendu différent aux yeux des autochtones. Enfin, comme membre du Conseil communal, il représente évidemment l’opposition et il est toujours contre tous les projets que propose le maire. C’est l’occasion pour l’auteur de nous décrire quelques scènes épiques, où la truculence du langage est savoureuse. Cependant, derrière ces intrigues de village, c’est une nouvelle fois toute l’âme humaine qui est mise à nu, l’ensemble des conseillers municipaux préférant peureusement et servilement se rallier à l’avis de la majorité plutôt que de défendre les idées   généreuses de cet anarchiste campagnard.

Dans ce village, il y a bien entendu un curé et quand on sait tout le mal que pense Bertrand de la religion, il ne fallait pas s’attendre à ce qu’il donne à celui-ci un rôle conventionnel, bien au contraire. C’est qu’il a beau être curé, le prêtre est aussi un homme à l’âme tourmentée, comme tout un chacun, et pour lui comme pour le héros la limite entre le bien et le mal n’est pas toujours bien tracée.

Dans ce roman, il y a des femmes, aussi. La femme de Bertin en a assez de la vie quotidienne qu’elle mène avec son homme grognon et, voyant son couple se déchirer, elle  essaie de trouver ailleurs ce qu’elle ne trouve plus chez elle. Je n’en dirai pas plus, mais le noeud de l’intrigue est là, intrigue rondement menée à la lecture de laquelle on ne s’ennuie jamais. Mais je le répète, derrière toutes ces scènes truculentes, il y a toujours une réflexion sur la vie et les passions qui nous animent. Jamais l’auteur ne juge ses personnages. Il décrit leurs faiblesses, il les voit s’écarter du droit chemin, mais quelque part il les comprend et ne les blâme pas. Et si quelqu’un est puni à la fin, c’est finalement pour un meurtre dont il n’était pas directement responsable. Le destin, une nouvelle fois, est impénétrable, ce qui nous renvoie décidément à la tragédie grecque déjà évoquée.

 

 

Littérature, Bertrand Redonnet

 

28/05/2009

"Zozo, chômeur éperdu" de Bertrand Redonnet

C'est un conte drôle que nous offre Bertrand Redonnet avec son « Zozo, chômeur éperdu ». Drôle parce que tout est dit avec humour et même parfois avec une verve rabelaisienne. Son héros,  « gros mangeur, grand buveur et paresseux par nature » comme dit l'éditeur en quatrième de couverture, est un chômeur professionnel. L'action se passe dans les années soixante, autrement dit à une époque où il allait de soi de trouver du travail. C'est donc bien par pur goût de l'oisiveté que Zozo se complait dans sa condition et qu'il met tout en œuvre pour que celle-ci perdure. Pourtant, derrière cet humour qui sous-tend tout le livre, on perçoit une contestation sociale et politique manifeste. Zozo vit comme bon lui semble, à contre-courant de ses contemporains, ce qui n'est peut-être pas aussi facile qu'on le croit et qui dénote finalement d'une certaine force de caractère. Et puis cette critique du monde du travail, par définition humiliant et aliénant, nous parle à tous, nous qui vivons en pleine ère de néo-libéralisme triomphant. Certes Zozo fait rire quand on le voit se battre avec les autorités pour tenter de refuser les emplois qu'on lui propose. Certes, c'est plus par maladresse que par intelligence qu'il parvient à ses fins (par exemple il se blesse en tombant d'un échafaudage et est donc dispensé de travail). Mais dans le fond, on finirait par l'envier et on voudrait l'accompagner quand il passe ses journées à flâner dans la campagne, son fusil sous le bras (il ne fait pas grand mal au gibier car il rate toujours sa cible). Cette vie n'est-elle pas plus agréable que celle que nous menons tous, soumis aux horaires et aux obligations de résultat imposées par l'OMC et la mondialisation de l'économie ?

Derrière la farce drôle se dessine donc une contestation manifeste et Bertrand Redonnet semble bien revendiquer le droit de l'individu à disposer de lui-même et de son emploi du temps.

 Le style, quant à lui est truculent puisque les dialogues sont rapportés tels quels, en langage populaire :

« C'était le garde-champêtre qu'était venu. Le garde-champêtre ? Nom de dieu d'bon dieu, et qu'est-ce qu'il voulait de feignant, plus feignant encore que l'curé, à venir faire chier les autres avec son vélomoteur que c'était nous qu'on payait l'essence, les pneus et les réparations ? Hein, qu'est-ce qu'il voulait ce gros crétin ? »

Remarquons qu'il s'agit ici d'un discours indirect libre plutôt que d'un simple dialogue. Ce procédé est courant dans le livre et permet de raconter rapidement ce qui s'est dit sans couper le récit par des dialogues intempestifs, mais tout en conservant la verdeur du langage.

Les termes du patois local sont à l'honneur : « I m'auront la peau » pour « ils auront ma peau », « I sais pas »  pour « je ne sais pas ». On rencontra aussi des mots inhabituels en français comme « lumas » (« fouiner dans toutes les vieilles murailles à la recherche de lumas ») ou « métive » (« les autres louaient la limpidité des cieux pour  la métive, la fenaison ou l'arrachage des pommes de terre »). Je note qu'en dehors même des dialogues, des termes sont employés qui doivent eux aussi relever de la langue régionale, comme « carnassier » pour «carnassière ».

S'il n'aime ni le garde-champêtre ni le curé, Zozo, en marge de la société des hommes, ne manque pas d'ironie pour ridiculiser toutes les conventions. C'est ainsi que c'est toujours le deux novembre, jour des morts, qu'il tue son cochon pour en faire du boudin ou de la saucisse. Chasseur par vocation,  il rate toujours sa cible, tant il semble incompétent en tout, sauf dans l'art de la flânerie. Ne lisant pas et sachant d'ailleurs à peine lire, il sera bien étonné le jour où son ancien instituteur lui offrira trois livres (Raboliot, La Dernière Harde et les Contes de la Bécasse). Ce seront les seuls qu'il possédera jamais dans sa vie, encore ne les parcourt-il qu'en hiver « car enfin on ne lit pas à moins d'être malade ou blessé ou quand il fait bon à courir les chemins ». Mais s'il ne lit pas, Zozo est un conteur né et il sait inventer des histoires truculentes à partir de ses expéditions de chasse manquées, en les déformant à son avantage bien entendu, comme celle de ce héron qu'il a tiré par inadvertance et qu'il finira par empailler et par surnommer De Gaulle.

Par son côté truculent, Zozo aurait pu figurer dans une chanson de Brassens et ce n'est pas étonnant que ce soit notre ami Bertrand qui l'ait inventé, lui qui justement consacra autrefois un livre à ce chanteur-poète (Brassens, poète érudit). Je retrouve aussi dans « Zozo » des caractéristiques déjà rencontrées dans Chez Bonclou et autres toponymes (édité chez Publie.net) comme par exemple les diverses interprétations données d'un même fait par différents protagonistes. Ainsi, pour tenter de comprendre le décès d'un menuisier qui s'est pendu, certains avancent l'hypothèse d'une infidélité conjugale, d'autres disent que le pauvre homme était endetté jusqu'au cou à cause de toutes les machines qu'il avait dû acheter (on retrouve ici la critique acerbe du monde du travail et du système capitaliste), d'autres encore affirment qu'il avait perdu la raison tellement il avait bu. Par cette manière de raconter les faits, l'auteur laisse au lecteur le soin de choisir la version qui lui convient, tout en décortiquant l'art de raconter, démontrant par-là que tout est possible à celui qui écrit un livre. Miroir braqué sur le monde, la littérature se donne comme le reflet de tout ce qui se dit dans les villes et les villages. Elle n'est qu'un amplificateur de l'immense brouhaha de la société des hommes.

On ne racontera pas ici la fin de l'histoire de Zozo, disons seulement qu'il est la victime de plus rusé que lui. Alors qu'il ne voulait qu'un peu de tranquillité, la fourberie des hommes le rattrape. Conte « sans morale apparente » disait l'éditeur. Pas sûr. Zozo est puni non pas de sa fainéantise mais de sa naïveté. C'est ce que je disais en commençant : derrière l'humour de ce livre, se dessine le drame de tout individu qui doit vivre au milieu de ses semblables.

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