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28/05/2009

"Zozo, chômeur éperdu" de Bertrand Redonnet

C'est un conte drôle que nous offre Bertrand Redonnet avec son « Zozo, chômeur éperdu ». Drôle parce que tout est dit avec humour et même parfois avec une verve rabelaisienne. Son héros,  « gros mangeur, grand buveur et paresseux par nature » comme dit l'éditeur en quatrième de couverture, est un chômeur professionnel. L'action se passe dans les années soixante, autrement dit à une époque où il allait de soi de trouver du travail. C'est donc bien par pur goût de l'oisiveté que Zozo se complait dans sa condition et qu'il met tout en œuvre pour que celle-ci perdure. Pourtant, derrière cet humour qui sous-tend tout le livre, on perçoit une contestation sociale et politique manifeste. Zozo vit comme bon lui semble, à contre-courant de ses contemporains, ce qui n'est peut-être pas aussi facile qu'on le croit et qui dénote finalement d'une certaine force de caractère. Et puis cette critique du monde du travail, par définition humiliant et aliénant, nous parle à tous, nous qui vivons en pleine ère de néo-libéralisme triomphant. Certes Zozo fait rire quand on le voit se battre avec les autorités pour tenter de refuser les emplois qu'on lui propose. Certes, c'est plus par maladresse que par intelligence qu'il parvient à ses fins (par exemple il se blesse en tombant d'un échafaudage et est donc dispensé de travail). Mais dans le fond, on finirait par l'envier et on voudrait l'accompagner quand il passe ses journées à flâner dans la campagne, son fusil sous le bras (il ne fait pas grand mal au gibier car il rate toujours sa cible). Cette vie n'est-elle pas plus agréable que celle que nous menons tous, soumis aux horaires et aux obligations de résultat imposées par l'OMC et la mondialisation de l'économie ?

Derrière la farce drôle se dessine donc une contestation manifeste et Bertrand Redonnet semble bien revendiquer le droit de l'individu à disposer de lui-même et de son emploi du temps.

 Le style, quant à lui est truculent puisque les dialogues sont rapportés tels quels, en langage populaire :

« C'était le garde-champêtre qu'était venu. Le garde-champêtre ? Nom de dieu d'bon dieu, et qu'est-ce qu'il voulait de feignant, plus feignant encore que l'curé, à venir faire chier les autres avec son vélomoteur que c'était nous qu'on payait l'essence, les pneus et les réparations ? Hein, qu'est-ce qu'il voulait ce gros crétin ? »

Remarquons qu'il s'agit ici d'un discours indirect libre plutôt que d'un simple dialogue. Ce procédé est courant dans le livre et permet de raconter rapidement ce qui s'est dit sans couper le récit par des dialogues intempestifs, mais tout en conservant la verdeur du langage.

Les termes du patois local sont à l'honneur : « I m'auront la peau » pour « ils auront ma peau », « I sais pas »  pour « je ne sais pas ». On rencontra aussi des mots inhabituels en français comme « lumas » (« fouiner dans toutes les vieilles murailles à la recherche de lumas ») ou « métive » (« les autres louaient la limpidité des cieux pour  la métive, la fenaison ou l'arrachage des pommes de terre »). Je note qu'en dehors même des dialogues, des termes sont employés qui doivent eux aussi relever de la langue régionale, comme « carnassier » pour «carnassière ».

S'il n'aime ni le garde-champêtre ni le curé, Zozo, en marge de la société des hommes, ne manque pas d'ironie pour ridiculiser toutes les conventions. C'est ainsi que c'est toujours le deux novembre, jour des morts, qu'il tue son cochon pour en faire du boudin ou de la saucisse. Chasseur par vocation,  il rate toujours sa cible, tant il semble incompétent en tout, sauf dans l'art de la flânerie. Ne lisant pas et sachant d'ailleurs à peine lire, il sera bien étonné le jour où son ancien instituteur lui offrira trois livres (Raboliot, La Dernière Harde et les Contes de la Bécasse). Ce seront les seuls qu'il possédera jamais dans sa vie, encore ne les parcourt-il qu'en hiver « car enfin on ne lit pas à moins d'être malade ou blessé ou quand il fait bon à courir les chemins ». Mais s'il ne lit pas, Zozo est un conteur né et il sait inventer des histoires truculentes à partir de ses expéditions de chasse manquées, en les déformant à son avantage bien entendu, comme celle de ce héron qu'il a tiré par inadvertance et qu'il finira par empailler et par surnommer De Gaulle.

Par son côté truculent, Zozo aurait pu figurer dans une chanson de Brassens et ce n'est pas étonnant que ce soit notre ami Bertrand qui l'ait inventé, lui qui justement consacra autrefois un livre à ce chanteur-poète (Brassens, poète érudit). Je retrouve aussi dans « Zozo » des caractéristiques déjà rencontrées dans Chez Bonclou et autres toponymes (édité chez Publie.net) comme par exemple les diverses interprétations données d'un même fait par différents protagonistes. Ainsi, pour tenter de comprendre le décès d'un menuisier qui s'est pendu, certains avancent l'hypothèse d'une infidélité conjugale, d'autres disent que le pauvre homme était endetté jusqu'au cou à cause de toutes les machines qu'il avait dû acheter (on retrouve ici la critique acerbe du monde du travail et du système capitaliste), d'autres encore affirment qu'il avait perdu la raison tellement il avait bu. Par cette manière de raconter les faits, l'auteur laisse au lecteur le soin de choisir la version qui lui convient, tout en décortiquant l'art de raconter, démontrant par-là que tout est possible à celui qui écrit un livre. Miroir braqué sur le monde, la littérature se donne comme le reflet de tout ce qui se dit dans les villes et les villages. Elle n'est qu'un amplificateur de l'immense brouhaha de la société des hommes.

On ne racontera pas ici la fin de l'histoire de Zozo, disons seulement qu'il est la victime de plus rusé que lui. Alors qu'il ne voulait qu'un peu de tranquillité, la fourberie des hommes le rattrape. Conte « sans morale apparente » disait l'éditeur. Pas sûr. Zozo est puni non pas de sa fainéantise mais de sa naïveté. C'est ce que je disais en commençant : derrière l'humour de ce livre, se dessine le drame de tout individu qui doit vivre au milieu de ses semblables.

Zozo.jpg

Commentaires

Un grand plaisir à lire cette chronique (comme j'ai du plaisir à lire la chronique de Solko).
De belles chroniques donc pour un livre qui compte, d'abord pour le lecteur et puis dans le paysage littéraire ; je suis en train de relire "Zozo, chômeur éperdu" ; je reviendrai en dire quelque chose.

Écrit par : michèle pambrun | 28/05/2009

Merci, Feuilly, de cet écho.
Depuis le temps que nous sommes ensemble sur cette toile à échanger nos goûts - qui se rejoignent souvent - pour l'écriture, j'attendais ta lecture avec une certaine fébrilité.
"On" m'a dit que l'utilisation du style indirect libre (que j'affectionne particulièrement, ici comme Chez Bonclou,) pouvait être une des influences des trois livres de Zozo sur moi.
Je ne le crois pas ou alors à mon insu.
L'influence me vient de Zola qui, lui aussi, usait de ce style.
Mieux que moi, oui, oui, oui...Il va sans dire.

Encore merci, ami.

Écrit par : Bertrand | 29/05/2009

Trois livres que le jeune Zozo "escamota au grenier", qui "n'en redescendirent que quelque vingt années plus tard, quand Zozo hérita de la maison parentale (...)".

J'adore ce tableau, p. 43 :
"Un soir, donc, où Zozo était en train de bredouiller des lèvres et du doigt la description du magnifique dix-cors royal de Genevoix, où les fils marmonnaient eux aussi des opérations avec des petites bûchettes tandis que la plantureuse épouse épluchait silencieusement des châtaignes, trois petits coups secs furent frappés à la porte."

On ne révèlera rien de ce que ces coups amènent avec eux.
On relèvera simplement cet endroit où le texte parle de lui-même, c'est-à-dire de littérature :
"Mais parfois aussi, il relisait. Il marmonnait du texte. Toujours un même livre d'une série de trois et qui constituaient toute sa littérature, trois livres qu'il connaissait quasiment par coeur, "Raboliot" et "La Dernière Harde", de loin son volume de prédilection, et "Contes de la Bécasse". De ce dernier ouvrage, il ne lisait d'ailleurs que les trois premières pages, inlassablement, et "Un coq chanta". Il avait bien tenté les autres récits. Sans succès. Hors sujet. "

Lisant ce livre de Bertrand, je pense à "ce grand procès de création et de renouvellement" qu'est la littérature et à ces vers de Ritsos (Quand vient l'Etranger):
"Ce n'est donc pas une absence, / l'ouverture de la fenêtre ou de la fosse devant le ciel. Ce n'est pas une absence, le galop du cheval, / le remplacement des fleurs fanées par des fleurs fraîches dans le verre, / avec de l'eau fraîche, le lavage du verre et le geste qui succède à un autre - quel péché ? - / tout va d'une certaine manière cyclique, toutes les choses reviennent, / à un niveau plus élevé, nous les retrouvons. "

Sans doute Maupassant serait-il jaloux de lire Redonnet.

Écrit par : Michèle | 29/05/2009

L'instituteur, un jour, donne quatre cailles à Zozo et un autre jour il donne les trois livres dont on parle ici.

Chiffre parfait et symbolique que ce "trois"? Manière de nous faire entrer dans une mystique de la littérature?

L'auteur nous le dira.

Mais si on commence à tout compter, on ne va plus s'arrêter:

Zozo a deux fils, ce qui fait trois personnages masculins à la maison.
Il y a surtout trois protagonistes: Zozo, le maire et le chevrier...

Mais il y a quatre saisons. Hé, hé...

Écrit par : Feuilly | 30/05/2009

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