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03/10/2011

Aphorismes (6)

Ce n’est sans doute pas un hasard si, dans nos écoles, les cours d’histoire se limitent à évoquer l’empire romain et celui de Charlemagne (autrement dit les deux seules périodes où toute l’Europe était  unifiée politiquement) tandis que les mille ans qu’il a fallu pour que naisse la France actuelle sont passés quasi sous silence.

Le Christianisme s’est cru habile en récupérant les grandes fêtes païennes à son profit. C’était pourtant avouer que sa doctrine était aussi arbitraire que celle qu’il remplaçait.

L’amour fait voir l’autre meilleur qu’il ne l’est en réalité. Heureusement, d’ailleurs.

Le désir que l’on éprouve pour les personnes de l’autre sexe est peut-être la seule constante de la vie.

C’est quand nous sommes amoureux que nous approchons le plus près du bonheur. Pourtant, si on y réfléchit, la nature nous joue encore là un bien sale tour. Elle se moque de notre bien-être personnel et ne recherche en fait que la perpétuation de l’espèce.

Ce sont toujours les loups qui arrivent au pouvoir dans les dictatures. Dans les démocraties aussi d’ailleurs.

Quand on est enfant, on regrette de n’être pas plus grand et quand on est adulte, on regrette son enfance. Plus tard encore, on regrette les deux.

Je n’ai jamais rien compris au péché originel. Du coup, je ne vois pas pourquoi un Dieu devrait mourir pour racheter une faute que je n’ai pas commise.

Plutôt que de venir bêtement mourir sur une croix pour partager notre état mortel, le Christ aurait mieux fait de nous rendre immortels.

Il est des jours, quand je suis coincé dans une foule, où j’envie les anachorètes du désert.

Pour celui qui ne croit pas, la prière n’a aucun sens. Elle ne devrait pas en avoir davantage pour le Chrétien. En effet, s’il aime son Dieu, il devrait accepter le monde imparfait qu’il lui a donné, plutôt que de venir le supplier sans cesse pour en abolir les  aspects les plus injustes.    

Dans le regard de cette femme croisée dans la rue, J’avais cru voir l’éternité que je cherchais en vain depuis toujours. Ce n’était en fait que l’éternité de mon désir.

Ces femmes que l’on croise et que l’on ne reverra plus jamais ont toujours quelque chose de parfait. Forcément puisqu’on ne les connaît pas.

26/09/2011

Aphorismes (5)

On travaille pour vivre et puis on finit par vivre pour travailler.

Les enfants sont encore si près du moment de leur création qu’ils conservent en mémoire l’image de l’impossible.

Dire que j’aurais pu naître dans le corps d’un chien ou d’un oiseau. Mes pensées, sans doute,  auraient été fort différentes. Mais qu’est-ce que cela aurait changé sur le plan de l’univers ?

Le jour, on s’agite, on vaque à ses occupations. Mais la nuit, il suffit de lever la tête vers le ciel pour découvrir tous ces mondes où nous n’irons jamais. On se sent alors emporté dans le grand vide sidéral et on se demande quel sens cela peut bien avoir.

Il existe des étoiles qui sont éteintes depuis plus de mille ans déjà quand leur lumière nous parvient. On se dit alors que tout ce que nous voyons n’est finalement qu’illusion.

Ces étoiles mortes sont à notre image : un bref éclat dans la nuit noire. Et puis plus rien.

Il y a dans les yeux de certains chiens un monde de bonté qu’on serait bien en peine de trouver ailleurs.

L’animal est comme nous, un être vivant perdu dans l’abîme intersidéral. Il aime, il souffre, puis il meurt. La seule différence, c’est qu’il ne sait pas écrire.

La musique est comme une porte ouverte sur un autre monde. Un monde qui s’articule autour du silence.

La peinture, elle, fige le temps dans un moment d’éternité.

L’araignée semble si fragile, pendue à son fil. Pourtant c’est un prédateur redoutable. Un peu comme l’homme, quoi.

On se demanderait bien pourquoi l’espèce humaine est la seule dont la population s’accroit sans cesse, au point de mettre la planète en danger. Les autres espèces, elles, disparaissent lentement mais inexorablement.

Quand homo sapiens aura rayé de la terre tous les animaux, continuera-t-il encore à se multiplier à l’infini, courant ainsi à sa propre perte ?

La croyance dans le progrès, telle que l’homme des Lumières la concevait, est sans doute ce qui est en train de nous détruire. 

14/09/2011

Presse et démocratie

Il est inutile de continuer à parler ici de la situation en Libye. La pièce est terminée, il n’y a plus rien à dire. Les grandes puissances qui ont été à l’origine de cette guerre peuvent maintenant dépecer le pays, lui voler son pétrole et confisquer à leur profit les milliards que l’Etat libyen avait amassés à l’étranger. Une partie de cet argent servira à reconstruire la Libye. Officiellement, on dira que l’Europe et l’Amérique rendent au peuple opprimé les sommes que le dictateur Kadhafi leur avait volées. Ceux qui voient clair diront qu’une partie seulement des avoirs de l’Etat libyen vont retourner dans ce pays (le reste sera confisqué comme trésor de guerre) Encore faut-il préciser que la population n’en verra pas la couleur car cet argent servira à reconstruire tout ce que l’Otan a détruit avec application et méthode, toutes ces cibles qui ne ressemblaient pas forcément à des objectifs militaires. (centrales électriques, châteaux d’eau, etc.) Et qui va reconstruire cela ? Les entreprises françaises, pas les libyennes, évidemment. Si vous êtes cyniques, vous me direz qu’au moins cela donnera du travail à notre belle jeunesse qui végète au chômage à cause de la crise. Ne vous faites pas trop d’illusions ! On dit que Bouygues est le premier sur la liste pour aller proposer ses services en Libye. Il partira avec trois ingénieurs et deux architectes et il embauchera sur place une main d’œuvre bon marché. Trop de gens ont  tout perdu là-bas pour ne pas accepter un salaire de misère.

En clair, le peuple français a payé une guerre qui a appauvri le peuple libyen, une guerre qui va juste permettre à quelques privilégiés (français comme libyens) de s’enrichir honteusement.  

De son côté, Sarkozy espère maintenant vendre enfin ses Rafales aux nouveaux dirigeants. S’il y parvient, il fera d’une pierre deux coups. Il fera plaisir à ses amis milliardaires qui fabriquent les avions et il aura sur le sol africain une armée amie prête à défendre ses intérêts si besoin était (ou les intérêts de l’Otan).

Bref, ne parlons plus de la Libye. Je suis fatigué et écœuré de tout cela. Sans compter que  l’Histoire continue. C’est la Syrie qui est maintenant dans le collimateur, puis l’Iran suivra, évidemment. L’Histoire se répète et la population occidentale, comme un troupeau de moutons, suit aveuglément en bêlant de joie devant toutes ces démocraties enfin rétablies. 

Ce site se voulait un site littéraire, mais chaque fois qu’un grand événement se produit (l’avènement de l’empereur Sarkozy 1er, la guerre de Gaza, l’invasion de la Libye), je ne peux m’empêcher de me révolter et de tempêter. Cela ne sert pourtant à rien. La preuve est là : la Libye est maintenant un pays exsangue où se commettent des atrocités finalement plus horribles encore que celles commises par Kadhafi (comme en Irak, comme en Afghanistan, nous connaissons cela par cœur). Pourtant, ne rien dire aurait été lâche car cela aurait signifié un accord tacite (« Qui ne dit mot consent ») ou à tout le moins une résignation coupable.

Mais bon. Crier ne sert à rien, on le voit bien. Et même quand les peuples se soulèvent spontanément, comme en Egypte ou en Tunisie, les résultats obtenus sont bien en-dessous des résultats escomptés.

Bref, je me lasse de parler tout seul dans le désert. Pourtant, dans mon indignation, j’avais même publié l’article sur la Libye qu’on a pu lire ici dans différentes revues en lignes :ici, et puis là. Cela a provoqué pas mal de commentaires et je m’en réjouis, mais en gros je n’ai convaincu que des personnes qui pensaient déjà comme moi au départ.

Bref, le moment est donc venu de se taire sur ce sujet et de revenir à la littérature. Car finalement il faut vivre aussi pour soi (la vie est courte) et on ne peut pas indéfiniment dénoncer toute la misère qui règne dans le monde, surtout quand il y en a de plus en plus. Mahmoud Darwich, le poète palestinien qui était devenu célèbre auprès des siens pour avoir écrit quelques poèmes à connotation politique, l’avait bien compris. A un moment donné, il s’est tu et a renoncé à fustiger l’occupation israélienne pour se concentrer sur la seule poésie. Il a alors écrit sur la Palestine (« le pays de ma mère ») avec une sensibilité qui a sans doute fait plus pour dire la beauté de ce pays volé à ses habitants que tous les discours politiques.

Juste une question, avant d’en terminer. Une question qui me tracasse et à laquelle je n’ai que des réponses partielles. Vous savez que la démocratie repose sur quelques principes de base, comme la séparation des trois pouvoirs (législatif, exécutif, judiciaire) mais aussi sur la liberté de la presse. Un pays libre est un pays où la presse peut s’exprimer et où les journalistes peuvent dénoncer tout ce qui leur semble digne de l’être. C’est d’ailleurs un des points qu’on reprochait à Kadhafi : avoir nationalisé la presse, la radio et la télévision afin de ne diffuser qu’un discours officiel, qui ne risque pas de nuire au régime en place. Or, concernant cette guerre qui s’achève, la relation médiatique qui en a été faite semble pour le moins partiale, si pas complètement orientée. La presse dans  son ensemble a toujours tenu le même discours : d’un côté un tyran sanguinaire qui massacre sa population et de l’autre des pays épris de démocratie qui viennent protéger un peuple opprimé. Les images qu’on nous a montrées sont venues renforcer ce discours.

Et pourtant…

Et pourtant, si on en croit quelques journalistes indépendants, la réalité était tout autre. Les premiers, ils ont douté que les personnes de race noire qu’on leur a montrées étaient des mercenaires. Les premiers ils ont souligné le côté hétéroclite de la coalition (communistes, anciens royalistes, musulmans intégristes) et ils ont insisté sur ses divisions. Les premiers ils ont parlé d’exactions lors de l’avancée des troupes du CNT et enfin, les premiers, ils ont dénoncé le rôle de l’Otan qui, loin de protéger la population contre l’armée de Kadhafi (voir résolution de l’ONU) se livrait à des bombardements aveugles, visait des cibles civiles et détruisait systématiquement toute l’infrastructure du pays. Enfin, ces mêmes journalistes indépendants ont dénoncé les massacres et les règlements de compte qui se produisaient chaque fois que les troupes rebelles s’emparaient d’une ville.

Avons-nous pu lire dans nos journaux ou entendre sur nos antennes de semblables discours ? Nullement. Pourtant les grands médias avaient eux aussi envoyé leurs journalistes sur place. Ils ne peuvent pas être tous incompétents. Ils ont dû voir des choses (ou alors ils sont restés dans leur chambre d’hôtel et se sont contentés de recopier les comptes-rendus officiels qu’on venait leur apporter). Ils ont dû dénoncer les exactions (à moins qu’ils se soient censurés eux-mêmes pour conserver leur emploi). Or nous n’en avons rien su. Pourquoi ?

Ne me  dites pas que ce sont les journalistes indépendants qui ont menti. Depuis, des organismes comme Amnesty international ou d’autres ont confirmé leurs dires : massacres de population noire par les rebelles, exactions, viols, exécutions sommaires, pillages, etc. Quant à l’Otan il continue de bombarder systématiquement le fief de Kadahfi, faisant forcément de nombreuses victimes innocentes parmi les civils, ce qui est bien contraire à la mission de protection de la population que l’ONU lui avait confiée.

Depuis, on sait que les dirigeants de la coalition ne sont pas tous recommandables et que derrière tout ce conflit il y a une question de gros sous (contrats pétroliers juteux, reconstruction, privatisations de pans entiers de l’économie libyenne, importance accrue du FMI auprès des pays d’Afrique, qui ne pourront plus compter sur l’aide financière de Kadhafi, projet d’une base militaire de l’Otan en Afrique du Nord, etc.).

Mais il est trop tard. Le mal est fait en quelque sorte. La population occidentale prend conscience après coup que la réalité n’était pas aussi rose que ce qu’on lui avait dit. Comme en Irak et en Afghanistan, elle est mise devant le fait accompli. Après, elle se résigne et oublie. Qui, aujourd’hui, va se lever pour dire que Sadam Hussein (indépendamment de tout ce que l’on peut penser du personnage) n’avait pas d’armes de destruction massive ou que s’il en avait (voir les bombardements « chimiques » de certains villages kurdes), elles lui avaient été fournies par les Américains eux-mêmes afin qu’il s’en serve contre les Iraniens ? Personne ne va se scandaliser de cela aujourd’hui puisque c’est une vérité que tout le monde connaît maintenant.

Et bien, en Libye, c’est le même mensonge médiatique qui a permis (et qui a même justifié) une guerre coloniale.

Alors ma question est la suivante : comment cela est-il possible ? Comment notre presse, gardienne de notre démocratie, peut-elle s’avilir en s’acoquinant ainsi avec le pouvoir ? On dirait qu’elle reçoit ses ordres de ce pouvoir dont elle est supposée dénoncer les exactions.

Il est vrai que les grands groupes de presse ont été rachetés par des personnes puissantes, plus ou moins les mêmes que celles qui sont impliquées dans tous ces conflits. Ceci explique peut-être cela.

Reste à savoir, dans ces conditions, si nous sommes encore en démocratie. En effet, les mensonges manifestes de notre presse officielle doivent nous amener à nous poser des questions. Notre régime politique, fondé sur la liberté individuelle et la transparence n’est-il pas tout doucement en train de se rapprocher de ces régimes dictatoriaux qu’il s’enorgueillit tant de combattre ? 

 

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11/09/2011

Petit essai d'économie politique (fin)

Je disais donc que les citoyens, bousculés par la mondialisation de l’économie  et ses principes fort peu humains, en viennent à souhaiter que les Etats conservent leur rôle protecteur.  Car que se passera-t-il le jour où tout, absolument tout, sera privatisé ? Il faudra alors souscrire des contrats auprès des compagnies d’assurances (dont on connaît les tarifs onéreux) pour tenter de se faire rembourser une petite partie des frais médicaux ou pharmaceutiques. Il faudra cotiser toute sa vie auprès d’une banque privée pour avoir droit à une retraite décente (mais comment abandonner quasi un tiers de son salaire ? Et que se passera-t-il si cette banque fait faillite ?) Quant à la législation sociale, elle aura disparu et le patronat pourra exiger tout ce qu’il voudra. Ne lui jetons pas la pierre, d’ailleurs, car il sera contraint et forcé d’agir de la sorte pour répondre aux exigences des actionnaires qui auront pris les commandes des entreprises.

Bref, je discutais de tout cela l’autre jour dans un parc avec une connaissance. C’est alors que mon attention a été attirée par un homme qui somnolait sur un banc.  Il n’avait pas (encore) la mine d’un clochard mais son teint basané le trahissait. C’était sans doute un de ces nombreux réfugiés politiques (mais ce sont en fait généralement des réfugiés économiques) à la situation précaire que l’on trouve dans nos villes. Je ne sais comment la conversation s’engagea, mais nous comprîmes tout de suite que cet homme n’avait pas perdu  un mot de notre conversation. « Le problème », dit-il, « c’est que les riches qui dirigent le monde veulent de plus en plus d’argent. » Nous étions assez d’accord avec lui et par curiosité nous lui avons demandé comment cela se passait dans son pays, ce pays  qu’il venait de quitter.

« Chez moi », dit-il, « c’est fort différent. J’étais fonctionnaire et l’Etat m’avait accordé une maison de fonction. Après cinq années, elle était à moi. Oh, elle n’était pas neuve et il y avait tout de même quelques travaux à faire, mais c’est l’Etat, une nouvelle fois, qui a tout pris ne charge. Evidemment, quand j’ai voulu agrandir, j’ai dû faire un emprunt, mais le taux n’était pas bien élevé » ajouta-t-il en souriant.

« Et il était de combien, ce taux ? » demandâmes-nous intrigués. « Ben, de zéro pour cent, on ne pouvait pas faire mieux. »

Nous le regardâmes un peu étonnés.  Zéro pour cent ? Non, ce n’était pas beaucoup, en effet… Suspicieux, nous avons commencé à le dévisager. Que venait faire chez nous ce fonctionnaire, s’il vivait  dans un tel paradis ?

« Oui, c’est vrai qu’ici,  en Europe, c’est fort différent » continua-t-il. « J’en sais quelque chose. Au début, quand je suis arrivé, j’ai loué un tout petit appartement, que je payais avec les économies que j’avais apportées. Mais l’argent s’est vite volatilisé. C’est qu’il ne fallait pas seulement s’acquitter du loyer. Il y avait aussi l’eau, le gaz et l’électricité, qu’on me facturait à des prix inimaginables. » Là, nous étions bien d’accord. Depuis la vague des privatisations, le prix du gaz et de l’électricité avait augmenté de 30%. C’était un scandale. Avant, c’était quand même plus abordable… « C’était surtout plus abordable chez moi » dit l’étranger. « Comment, cela, plus abordable ? » « Ben c’était gratuit, tout simplement, pris en charge par l’état. Quant à l’essence, elle était à 0,08 euros du litre. »

Là, c’était trop. Nous nous sommes regardés, mon copain et moi,  et c’est nous qui nous sommes retrouvés assis sur le banc. L’émotion était si forte que nous en avions les jambes coupées ! Subitement, nous avons dévisagé notre interlocuteur avec méfiance. Ce n’était pas possible, ce qu’il racontait là. Ce n’était qu’un fumiste, un inventeur d’histoires. Ou alors un fou, un mythomane, qui rêvait à un pays fabuleux qui n’avait jamais existé ailleurs que dans son imagination. D’ailleurs, pourquoi aurait-il quitté un tel Eden ? Cela ne tenait pas debout.

« Et vous travailliez dans quoi exactement ? » demandai-je en espérant qu’il s’embrouillerait dans ses contradictions. « Vous étiez fonctionnaire aux Contributions ? » « Oh non » répondit-il avec naturel. « Il n’y a pas d’impôts chez nous, ni même de taxe spéciale. Comment appelez-vous cela  déjà… La TVA ? » Quoi ? Ni impôts ni TVA ? Il n’y avait pas de doutes, ce type était fou à lier. Il déraisonnait complètement. Si cela se trouvait, il était né ici de parents immigrés et n’avait jamais mis un pied à l’étranger.

« Vous parlez drôlement bien le français, pour quelqu’un qui n’est pas ici depuis longtemps », susurra mon ami d’un air soupçonneux. « Oui, c’est normal. L’Etat m’avait accordé une bourse et je recevais l’équivalent de  1.600 euros par mois pour aller étudier dans une université réputée en dehors de nos frontières. Moi, j’avais choisi la France, c’est là que j’ai appris le français. Je serais bien resté, une fois que j’ai obtenu mon diplôme, mais il n’y avait pas d’emploi. Alors je suis retourné chez moi. Comme j’étais diplômé, j’ai perçu un salaire provisoire pendant un an. Puis j’ai finalement trouvé du travail. Au Ministère, je m’occupais du service des plaques d’immatriculation.  C’est qu’’il y a beaucoup de voitures chez nous, puisque les particuliers peuvent les acheter au prix d’usine. Et avec l’essence qui est pour rien… »

Là, je dois dire que nous n’en menions pas large. C’est qu’on finissait par croire à tout ce que racontait ce bougre, tant il parlait avec naturel. Je sentais même naître en moi une pointe de jalousie. A ce stade, j’ai voulu tout savoir, alors j’ai continué mon interrogatoire.

«  Et la vie était chère, chez vous ? Je veux dire, l’alimentation ? » « Oh non, moins chère qu’ici. Bien moins chère. D’abord, pour les familles nombreuses, il y avait des magasins où tout était à moitié prix. Mais bon, moi cela ne me concernait pas. Mais vous devez comprendre  que même dans les autres magasins  le gouvernement intervenait. Par exemple, si un producteur vendait un kilo de pâtes un euro, l’Etat l’achetait et le revendait à la population 50 centimes. Cela n’a l’air de rien, mais sur une année cela vous fait une belle différence. Ajoutez à cela que le soins médicaux étaient gratuits et faites vos comptes…»

Nous le regardâmes, complètement interloqués. « Ben, pourquoi êtes-vous partis, alors ? » demandâmes-nous en chœur.

Son regard se voila. Il contempla les pelouses du parc comme là-bas, chez lui, il devait contempler l’infini du désert. « Je suis parti à cause de l’OTAN  et de vos bombardements» dit-il. « Et puis aussi pour ne pas être massacré par ceux que vous nommez les « rebelles ». Vous comprenez, comme fonctionnaire d’Etat, j’allais être considéré comme un traitre, qui avait soutenu le régime. Pourtant, je n’ai jamais fait de politique. »

« Ah, vous êtes Libyen, alors ? Mais les « rebelles », comme vous dites, vous ont pourtant apporté la démocratie, ce n’est quand même pas rien, cela, non ? Cela vaut mieux que de petits avantages matériels. » « Quels rebelles, d’abord ? Un ramassis de royalistes et de religieux proches d’Al Qaïda ? Vous ne trouvez pas étrange que cette révolution n’a pas commencé dans la capitale, à Tripoli, comme ce fut le cas au Caire ou à Tunis ? Vous ne trouvez pas étrange qu’ils ont tout de suite eu des armes ? Et qu’ils ont été capables de prendre d’assaut des casernes ? Et c’est quand même bizarre que c’est justement la région pétrolière qui s’est soulevée, non ? Ils ont même créé une banque centrale. Vous penseriez à cela, vous, quand vous manifestez dans la rue ? Bon, maintenant il n’y a plus rien à faire puisque la planète entière a reconnu  leur légitimité. J’ai bien fait de partir si je tenais à la vie. En attendant j’étais  bien là-bas, moi, et maintenant… » D’un geste las il montra le parc où il passait ses journées et peut-être ses nuits.   

Nous ne savions plus que dire. Nous avons dû convenir que dans son cas, évidemment, le changement de régime ne lui avait rien apporté. « Mais enfin, cela vous plaisait tant que cela de vivre dans une dictature, vous ne vous sentiez pas étouffer ? »  « Et ici, alors ? Vous croyez que je me sens mieux ? Il est vrai que je suis plus libre depuis que je passe mes nuits sur un banc, à la belle étoile... »

Que pouvions-nous répondre à cela ?

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08/09/2011

Petit essai d'économie politique (2)

Les citoyens ont déjà compris, suite à cette crise financière que traverse actuellement le système capitaliste, que ce sont surtout eux qui vont devoir faire des efforts. Cela ne les rassure pas beaucoup car la crise risque bien d’être longue et les efforts soutenus. En effet, on sent bien que ce n’est pas une petite crise passagère, qui serait  liée à un événement extérieur. Non, c’est le système lui-même qui est malade. Cela fait pourtant des années que les mêmes citoyens crient que cette mondialisation de l’économie, basée sur la concurrence et le libre-échange, n’apportera que des malheurs. Forcément ! Si on affaiblit le rôle des Etats, par nature protectionnistes, et si on détricote toutes les règles existantes pour ne conserver qu’une concurrence pure et dure, on ne peut arriver qu’à une espèce de jungle où toutes les firmes vont se manger l’une l’autre. Et c’est bien ce qui se passe.

Imaginez dix usines où on fabrique des chaussures. Celles qui vont offrir un produit de qualité, avec de la bonne matière première et qui en plus vont bien payer leur personnel, ne pourront pas résister longtemps à la concurrence puisque dans les rayons des magasins leurs chaussures se vendront  forcément plus chères.  Si elles ne changent pas de tactique, elles vont inéluctablement faire faillite. D’une part elles vendront peu et d’autre part la qualité de leur produit fini aura comme conséquence que les clients ne renouvelleront pas souvent leur achat. Par contre celles qui vont licencier à tour de bras, qui vont réduire les salaires, puis mécaniser au maximum et finalement utiliser une matière première moins onéreuse vont s’imposer.

Après quelques années, des dix usines, il n’en restera déjà plus que cinq (ce qui nous fait déjà pas mal de chômeurs supplémentaires, à charge de la collectivité). Mais elles sont toujours concurrentes et si elles veulent survivre, elles vont continuer à diminuer la qualité et à imposer des règles de travail inhumaines. C’est là que l’Etat, autrefois, intervenait, en imposant par exemple une législation sociale, qui protégeait les travailleurs. Mais avec la grande Europe, le pouvoir des Etats a été fortement réduit. Pour faire simple, on pourrait dire que ces derniers mènent un combat d’arrière-garde. Ils ne proposent plus aucune nouvelle mesure de protection mais sont au contraire  contraints, petit à petit, de modifier leur législation existante pour qu'elle corresponde à la nouvelle philosophie de l’économie : rien ne doit faire obstacle au commerce.

Mais tout cela, les citoyens le savaient depuis longtemps. Ils savaient qu’ils allaient voir leurs conditions de travail empirer et leurs salaires diminuer. Puisque les firmes licencient pour rester concurrentielles, ceux qui ont eu la chance de conserver leur emploi doivent mettre les bouchées doubles pour effectuer l’ensemble des tâches. Le rythme de travail devient quasi frénétique et l’épuisement guette. Soit.

Mais voilà que malgré tous les efforts fournis l’économie ne se porte quand même pas très bien. Il faut dire qu’elle reposait depuis toujours sur la croissance (vendre de plus en plus, accroître des parts de marché, etc.) et celle-ci n’est plus au rendez-vous. Forcément, le nombre de citoyens gagnant « bien » leur vie diminue chaque jour, tandis que les emplois à temps partiel, les emplois précaires et les emplois sous-payés se généralisent (et je ne parle pas des millions de chômeurs européens, qui vivotent comme ils peuvent). Dans un tel contexte, les gens essaient de ne pas trop dépenser et donc, indirectement, ils contribuent à la mauvaise santé de l’économie.

Comme si cela ne suffisait pas, la patronat, toujours obsédé par cette idée de concurrence dont il devient lui-même finalement victime, a délocalisé ses entreprises en Chine ou ailleurs. Les jeunes européens ne trouvent plus d’emploi et restent longtemps à charge de leur famille, ce qui réduit encore le pouvoir d’achat de celle-ci.

Puis est venue la crise boursière qui a achevé de démoraliser les milieux d’affaires. On demande donc une nouvelle fois aux citoyens de sauver un système qu’ils désapprouvent et qui leur a déjà enlevé plein d’avantages. Car on n’a plus que le mot « privatisations » à la bouche. L’eau, le gaz, l’électricité, tout y passe. Et les prix flambent, évidemment, car fournir de l’eau n’est plus considéré comme une obligation étatique pour répondre aux  besoins des citoyens, mais comme un moyen de s’enrichir. Tout ce qui peut rapporter de l’argent doit être privatisé. On oblige les Etats à vendre leur parc immobilier pour le relouer bien cher et on demande aux universités d’être autonomes (ce qui risque bien de limiter l’accès aux études, car celles-ci seront forcément de plus en plus inaccessibles sur le plan financier). L’enseignement, qui était considéré comme un devoir de la collectivité envers les jeunes générations, ne sera bientôt plus qu’un grand marché, lui aussi. On est contre l’Etat social. A la limite, si on pouvait faire disparaître cet Etat, on le ferait. En tout cas il est hors de question que les firmes privées lui donnent de l’argent via leurs impôts : tout doit être conservé pour les actionnaires. Alors, l’Etat ne pourra plus rien distribuer, puisqu’il n’aura plus rien. Et comme les caisses seront vides, on demandera aux citoyens de travailler plus tard : 67 ans, 69 ans, 70 ans ? Pourquoi pas ? D’ailleurs on pense déjà à permettre aux retraités d’exercer une petite activité complémentaire afin d’arrondir leurs fins de mois…

Bref, devant une telle situation, qui empire tous les jours, les citoyens se mettent à rêver à un pays où la vie serait différente, un pays où ils seraient à l’abri de cette économie mondiale qui les écrase.

Où pourraient-ils le trouver ?

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05/09/2011

Petit essai d'économie politique

On sait que les banques sont inquiètes et qu’elles ont peur de ne pas récupérer l’argent qu’elles avaient prêté auprès des Etats. En effet, ceux-ci sont tellement endettés qu’on imagine même qu’ils pourraient tomber en faillite et donc se retrouver dans l’impossibilité de rembourser.  Je n’ai jamais bien compris comment un Etat pouvait tomber en faillite, car un Etat est pour moi une collectivité et non une société privée. Mais bon, je ne suis pas économiste et je ne vais pas ergoter là-dessus. Cependant, j’entends dire par des plus malins que moi en ce domaine, que cette évaluation des Etats sur leur degré de solvabilité est récente. Les banques, avant d’engager leurs fonds, voulaient être certaines de bien placer leur argent. Elles effectuaient donc une étude préalable qui revenait en gros à se demander s’il n’y avait pas moins de risques d’investir en Allemagne plutôt qu’en Grèce, par exemple.  Mais une telle étude n’était pas facile à réaliser et elle coûtait cher. Alors les banques, toujours soucieuses de faire des économies, ont  sous-traité ce travail et l’ont confié aux fameuses agences de notations.

Celles-ci, toutes fières de leurs nouvelles missions, sont donc venues trouver les Etats et leur ont demandé des chiffres. Dans un premier temps, les Etats ont éclaté de rire (du moins leurs représentants). Mais les agences leur ont fait comprendre que si elles ne disposaient pas de chiffres valables, elles inventeraient n’importe quoi et que leur rapport risquerait d’être fort négatif. Par contre, si l’Etat collaborait et si ses chiffres étaient bons, alors, évidemment, le rapport serait on ne peut plus favorable, ce qui permettrait, en cas de nouvel emprunt, d’obtenir des taux d’intérêts préférentiels.

Devant de tels arguments, les Etats se sont donc laissé convaincre les uns après les autres et ils ont coopéré.  Alors les agences, sous la pression des banques qui les avaient engagées et qui rétribuaient leurs services, sont revenues trouver ces Etats et elles leur ont dit en substance : « Puisque grâce à nous vous parvenez  à  avoir des intérêts préférentiels (conséquence de la bonne note que nous vous avons attribuée) et donc que vous faites des économies, la moindre des choses, c’est que ce soit vous qui rétribuiez nos services. »

Et c’est ainsi que les Etats se mirent à payer, à la place des banques, ces firmes qui venaient pour les évaluer.

Tout alla bien jusqu’au jour où ces firmes découvrirent que les Etats avaient des dettes. Ce n’était un secret pour personne et surtout pas pour les banques qui leur avait commandé le travail, puisque c’étaient ces banques-mêmes  qui avaient prêté de l’argent (espérant en retirer de gros bénéfices et en retirant en effet d’énormes).  Alors on se mit à écrire des rapports négatifs : la Grèce était au bord du gouffre, le Portugal ne valait pas beaucoup mieux. Quant à l’Espagne et l’Italie, n’en parlons pas.

En quelques semaines, toute l’Europe du Sud se retrouva en situation de faillite potentielle.  Les bourses s’effondrèrent et les riches commencèrent à avoir peur pour l’argent qu’ils avaient placé. Alors, les banques, en nouveaux  maîtres du monde qu’elles sont devenues, donnèrent des ordres. Il fallait redonner confiance au Marché. La banque centrale européenne, qui craignait pour l’existence-même de la monnaie unique, répercuta cet ordre auprès des gouvernements (lesquels, rappelons-le, ont la confiance des parlementaires pour lesquels nous avons voté) et c’est ainsi qu’on entendit que des mesures drastiques devaient être prises envers les citoyens. Pas les riches, non, les autres citoyens, ceux qui travaillent et qui sont en fait l’âme de ces Etats aujourd’hui endettés.

Pour le dire autrement, ces citoyens qui avaient déjà contribué l’an passé, avec leurs impôts, à sauver les banques quand celles-ci étaient en difficulté, se voyaient maintenant contraints, par ces mêmes banques, de se serrer la ceinture pour permettre au système capitaliste de perdurer.

On n’insistera pas sur le côté ignoble de la situation, qui saute aux yeux de tous,  mais on fera quand même remarquer que depuis ce jour nous ne sommes plus en démocratie puisque ce ne sont plus les élus du peuple qui décident mais les banques, qui ne sont tout de même que des firmes privées. Ce ne sont donc plus les intérêts des citoyens que l’état gère, mais des intérêts particuliers. Le « Contrat social » de Rousseau  semble bien oublié

Alors, quand en plus on a le culot d’aller renverser des dictateurs en Afrique du Nord sous prétexte de défendre la démocratie, cela me fait quand même franchement rire.

Nous verrons d’ailleurs demain comment cette dictature, elle, se comportait avec ses citoyens. 

 

 

 

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31/08/2011

Aphorismes (4)

Si Dieu existait, nous n’en serions pas là.

La religion dit que tout s’arrangera après la mort. Il suffit donc d’attendre. La révolution, elle, veut que tout s’arrange tout de suite, même s’il faut en mourir.

Je plains les hommes des cavernes, qui n’avaient pas de livres. Que pouvaient-ils bien faire, les soirs d’hiver, à part dessiner sur les murs ?

« L’enfant est un pervers polymorphe » disait Freud.  Il est donc supérieur à l’adulte, qui, lui, s’est généralement spécialisé dans un seul domaine.

«Je suis l’Empire à la fin de la décadence », disait Verlaine dans « Jadis et Naguère ». Quand je regarde autour de moi, j’en arrive presque à me croire son contemporain..

Nous conservons la nostalgie de l’enfance car elle contenait tous les rêves que nous n’avons jamais pu réaliser.

Je voudrais un monde à ma mesure, où je me sente bien. Malheureusement, il y a quasi sept milliards d’individus qui n’ont pas la même conception que moi.

C’est en regardant la taille d’un arbre qu’on a planté qu’on se rend compte que le temps a passé.

La vie était devant moi. Et puis un beau jour elle s’est retrouvée derrière.

29/08/2011

La Libye (encore et toujours)

Alger devra "répondre de (son) attitude vis-à-vis des révolutionnaires libyens", a ainsi affirmé le colonel Bani. Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) a revendiqué dimanche une double attaque suicide ayant fait 18 morts et 26 blessés vendredi en Algérie, reprochant notamment à Alger son "soutien au régime de (Mouammar) Kadhafi". (AFP)

L’Algérie, qui a une longue frontière commune avec la Libye, se méfie à juste titre des éléments islamistes qui sont présents parmi les rebelles. Elle se montre donc très prudente et ne se presse pas pour reconnaître le mouvement des insurgés, qui par ailleurs sont soutenus depuis le début par la France de Sarkozy. Cette présence de l’armée française dans un pays voisin n’est sans doute pas sans rappeler de douloureux souvenirs au peuple algérien.

Bref, un premier attentat a déjà eu lieu sur le sol Algérien, revendiqué par les Islamistes intégristes. C’est donc toute l’Afrique du Nord qui risque maintenant d’être déstabilisée et pour longtemps. En s’appuyant sur n’importe qui pour renverser Kadhafi, on a ouvert la boîte de Pandore.

Par ailleurs, certaines sources nous disent que l’Otan aurait bombardé Syrte sans grand discernement et qu’il y aurait plus de 300 morts (invérifiable dans les médias officiels, qui parlent simplement d’une avancée des rebelles vers Syrte).

Les mêmes sources affirment que des hommes ayant appartenu aux escadrons de la mort colombiens auraient été recrutés pour « nettoyer le terrain » des Pro-Kadhafi. Ces commandos avaient été financés autrefois par les USA et le gouvernement colombien pour lutter contre les guérillas et faire fuir les habitants des régions possédant des richesses naturelles importantes. Leur tactique reposait sur les massacres, la torture et les persécutions.

 

fhttp://www.parlatino.org.ve/index.php?option=com_content&...

Il est certain qu’on les a retrouvés en Afghanistan et en Irak. On nous dit ici qu’ils auraient été recrutés par la compagnie américaine Epi Security & Investigation.  Le récent ministre de  l’information du CNT aurait admis leur présence sur le sol libyen.

Difficile de vérifier tout cela. Mais si c’était vrai ?

Si  c’était vrai, cela voudrait dire que les « rebelles » et leur alliés de l’Otan ne valent pas beaucoup mieux que monsieur Kadhafi.   

 

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Photo Reuters

28/08/2011

La Libye est aussi un pays africain

"En tant qu’Africains, nous avons besoin de faire notre introspection et de nous dire ce que nous devons faire pour défendre nos intérêts. La question que nous devons nous poser est : pourquoi sommes-nous si silencieux ? Ce qui est arrivé en Libye peut très bien être un signe précurseur de ce qui peut arriver dans un autre pays. Je pense que nous devons tous examiner ce problème, parce que c’est un grand désastre. Nous ne pouvons pas dire que nous sommes incapables d’empêcher ces pouvoirs occidentaux d’agir comme ils agissent parce qu’ils agiront de cette manière demain. Je pense que nous pouvons, pourvu que nous agissions et qu’ils voient que s’ils continuent ce type d’actions, ils rencontreront la résistance de tout le continent africain. Mais malheureusement, notre voix est trop faible et nous devons faire quelque chose pour la rendre plus forte et pour revendiquer clairement le droit des Africains de décider de leur propre avenir.»

Thabo Mbeki, ancien chef de l'Etat Sud-Africain (1999-2008) et figure emblématique de l'ANC, dans une interview au Sunday Times. 

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26/08/2011

Une guerre médiatique

Qui croire ?

La version officielle:

http://www.lepoint.fr/monde/libye-les-pro-kadhafi-ont-tue...

 

Ou la version moins officielle:

 

http://www.michelcollon.info/Massacre-de-Noirs-par-les-re...

 

Ou peut-être les deux. 

25/08/2011

De la Libye (suite de l'article précédent)

Qu’on me comprenne bien. Certains, en lisant le texte qui précède, vont dire que je suis partial et que je prends ouvertement parti pour le clan de Kadhafi. Il n’en est rien. On sait par ailleurs qui est Kadhafi et quand Sarkozy l’a accueilli à bras ouverts en 2007, j’ai été suffisamment clair en disant que ce n’était pas là une démarche qui honorait l’Elysée.

http://feuilly.hautetfort.com/archive/2011/04/04/petit-re...

 

Mais qu’on arrête de nous mentir et qu’on dise clairement qu’on envoie notre armée en Libye pour renverser un régime que nous n’aimons pas beaucoup. Qu’on dise aussi qu’on redoutait une vraie révolution dans ce pays, sur le modèle tunisien ou égyptien. Car alors c’est le peuple qui aurait été au pouvoir sur la quasi-totalité de la côte nord de l’Afrique. Impensable ! Déjà que les ennuis commencent entre la nouvelle Egypte et Israël ! Alors il valait mieux prendre les devants, se servir auprès de l’opinion  de cette idée de révolution populaire, renverser Kadhafi,  et mettre au pouvoir un gouvernement fantoche qui nous obéira au doigt et à l’œil et qui nous permettra de piller les richesses du pays.

Quant à ceux qui douteraient de ce que je dis sur le comportement de l’Otan, qu’ils regardent ceci. Le son est mauvais et c’est assez long, mais cela vaut la peine.

http://www.youtube.com/watch?v=GGOkf8qJuVo

http://www.youtube.com/watch?v=5JcNPIW3Fu8

 

 

 

De la Libye

Et maintenant ? Maintenant que Kadhafi est tombé (enfin presque), que fait-on de la Libye ? Ben, on instaure la démocratie, tiens, c’est bien pour cela que nous sommes allés là-bas non ? Pour libérer le peuple d’un tyran.

Pas si sûr.

Nous avons d’un côté un Nicolas Sarkozy affaibli, qui chute dans les sondages à moins d’un an des présidentielles. Un Nicolas qui a tellement été pris de court par les révoltes arabes qu’il en était encore à proposer l’aide de sa police pour aider Ben Ali en Tunisie alors que ce dernier  avait déjà quasiment quitté le pays. Rien de tel qu’une bonne guerre pour redorer son blason. Surtout s’il s’agit d’aller défendre la démocratie et les intérêts du peuple. Les Français fondent quand ils entendent cela. Voilà donc celui qui voulait nettoyer au Karcher les banlieues remplies d’immigrés louches qui prend subitement la défense des peuples arabes. Dont acte.

Ce n’est pas tout. Nous avons aussi une Amérique et une Europe qui stagnent économiquement et qui sont endettées jusqu’au cou. Cela commence à se savoir. Dans un tel contexte, il faut assurer la relance en allant de l’avant. C’est le vieux principe des guerres coloniales : aller puiser dans le portefeuille du voisin et lui voler toutes ses richesses naturelles.

Et puis, tant qu’à faire de voir tomber les vieux amis comme Ben Ali et Moubarak, autant profiter du vent de révolte qui secoue les pays arabes pour se débarrasser d’ennemis séculaires, qui vous défient depuis quarante ans. Or Kadhafi est dangereux. Que ce soit un dictateur et un mégalomane, nul le conteste. Mais ce n’est pas cela le problème. On a sympathisé avec tellement de tyrans qu’on n’y regarde plus de si près, surtout quand ils servent vos intérêts. Mais voilà. Kadhafi, ce grand égoïste, garde pour lui et pour son peuple tout l’argent provenant des richesses de son pays. Ainsi n’octroie-t-il qu’un bénéfice de dix pour cent aux compagnies pétrolières occidentales et empoche-t-il les quatre-vingt-dix autres. Quel scandale ! A-t-on jamais vu cela ? En plus il se présente comme l’unique survivant du panarabisme de Nasser, ce qui peut toujours être dangereux, surtout pour notre allié israélien. Et ce n’est pas tout. Ce tyran authentique, qui s’enrichit personnellement, a le culot et l’intelligence de redistribuer une partie de l’argent qu’il récolte. Son régime comporte un volet social. On distribue des aides, on offre des logements gratuits, bref, on fait de l’état, qui est riche, un état social, protectionniste et presque paternaliste. Voilà qui est à contre-courant des principes libéraux de l’OMC.

Et comme si cela ne suffisait pas, voilà Kadhafi qui aggrave son cas en aidant l’Afrique. L’Afrique, vous vous rendez compte ? Ce continent sous-développé qui n’est jamais arrivé à rien malgré un bon siècle de colonialisme ! Un continent qui ferait bien de souscrire un emprunt auprès du FMI s’il voulait s’en sortir (il parviendra toujours  bien à rembourser les intérêts puisque son sous-sol regorge de richesses). Mais voilà que le pays le plus riche de ce continent, la Libye, se propose de financer de nombreux projets et de relever l’Afrique (mise en orbite de satellites, etc.). Impardonnable. Bientôt on n’aura plus besoin de nous et tous les anciens peuples colonisés auront les moyens d’exploiter eux-mêmes les richesses de leur sol. Mieux vaut donc prendre les devants et se débarrasser de Kadhafi.

Comment ?

On l’a vu. En légitimant une guerre coloniale sous le couvert d’une intervention humanitaire ponctuelle et limitée, d’ailleurs avalisée par l’ONU. Une fois le mandat en main, on l’interprète comme on veut.

Bien sûr, il faut un peu endormir l’opinion, qui n’accepterait pas que l’argent de ses impôts serve à spolier un peuple de ses richesses. Alors on parle de défense de la démocratie. On prend prétexte du soulèvement de la Cyrénaïque (spontané ?) pour parler d’un soulèvement populaire alors qu’on assiste en fait à la sécession d’une province. Rien de comparable donc à la situation tunisienne ou égyptienne où 95% de la population se soulevait contre le pouvoir. Ici, c’est autre chose, mais on feint de l’ignorer et on brouille les cartes.

On défend donc la démocratie, c’est-à-dire les rebelles, un ramassis hétéroclite d’anciens royalistes pro-occidentaux et de religieux extrémistes proches d’Al-Quaïda. Ceux-là même contre lesquels on est allé faire la guerre en Afghanistan. Mais peu importe si en Asie on se bat contre eux, ici on leur offre des armes. Il n’est pas question d’engager nos soldats sur le terrain, alors ces Libyens rebelles peuvent se montrer fort utiles pour servir nos intérêts. On va donc les aider de toutes les manières (argent, armes, reconnaissance diplomatique). On va même chercher d’anciens ministres corrompus de Kadhafi, qui ont retourné leur veste à temps, pour diriger le mouvement. Après tout ils ont l’habitude de diriger.

Et la guerre commence. Elle devait durer quelques jours. Puis quelques semaines. Elle durera plusieurs mois. Plusieurs mois durant lesquels on se servira des médias pour nous désinformer au maximum. On parlera de la lente mais inexorable avancée des rebelles. Jamais des frappes de l’Otan. Forcément ! Comment expliquer qu’on tue des gens pour leur bien, pour les défendre contre un tyran et leur imposer notre conception de la liberté ? Par contre on va utiliser le vieux stratagème du mensonge, celui qui a déjà bien fonctionné avec l’Afghanistan (un repaire de terroristes) et l’Irak (la possession d’armes de destruction massive). Alors on rapporte des atrocités soi-disant commises par les troupes régulières de Kadhafi : bombardements de civils (où sont les preuves ?), viols (aucune preuve) etc. On se garde bien de dire par contre que là où les rebelles ont progressé, ils ne se sont pas privés pour se venger d’une population qui finalement restait fidèle au régime en place. Il y a eu des massacres gratuits, des viols, des familles emmurées chez elles. On n’en a pas parlé. Des journalistes indépendants ont essayé de s’exprimer pourtant. Ils n’ont trouvé aucun échos. Il a fallu attendre la prise de Tripoli pour qu’un chef rebelle écœuré parle de démissionner. Il est prudent et ne veut pas qu’on le rende un jour responsable des exactions barbares commises par ses troupes à l’encontre de civils terrorisés.

Pendant ce temps, l’Otan continue ses bombardements, détruisant des objectifs militaires, mais aussi civils. Cela permettra de reconstruire après la guerre et puis en attendant cela porte un coup au moral de la population. Sans eau, sans électricité, sans hôpitaux, elle ne souhaitera plus qu’une chose : que Kadhafi s’en aille et que tout soit enfin fini.

Mais le régime résiste. On s’enlise. On accroît l’aide aux rebelles : on parachute des milliers d’armes, on offre des véhicules, de l’argent. Nos conseillers militaires sont sur place pour former tous ces apprentis soldats et surtout pour coordonner leur action. On finit par investir Tripoli par la mer, pour frapper le régime en plein cœur. Quelques centaines de personnes bien entraînées et de fausses informations (la capture des fils de Kadhafi par exemple) suffisent pour tout faire vaciller. Les communications entre les états-majors de Kadhafi sont probablement coupées (on a suffisamment bombardé» au cours des derniers mois) et le régime s’effondre lentement. La Russie, la Chine, l’Egypte en prennent acte. Pourtant le lendemain la situation reste confuse. Le fils de Kadhafi, qu’on disait captif, se promène dans la rue, libre et le Kadhafi lui-même reste introuvable. Le régime tient donc encore ? Peu importe. La communauté internationale a reconnu sa défaite.

De quoi demain sera-t-il fait ?

Il n’y aura plus d’Etat-providence en Libye, mais plutôt des privatisations. Certes, on se sera débarrassé d’un dictateur, mais l’argent du pétrole ne sera plus  redistribué. Il ira enfin, comme c’est justice, remplir les coffres de quelques multinationales. Les ressources naturelles du pays serviront à rembourser la guerre. C’est là la moindre chose que peuvent faire les Libyens pour récompenser les troupes occidentales qui leur ont ouvert les portes du monde (capitaliste). Quant à L’Afrique, elle pourra dire adieu à son idée d’une banque centrale et d’une monnaie unique africaine. Elle ira s’endetter auprès du FMI et de son nouveau patron (ou patronne). Il y a donc fort à parier que le taux d’immigration vers l’Europe augmentera en proportion de celui de la pauvreté. Cela nous fera de la main d’œuvre pas cher et pas mal d’étrangers en plus dans nos banlieues, lesquelles s’agiteront chaque jour davantage. Pas grave. Il y aura bien un nouveau Sarkozy pour proposer de nettoyer tout cela au Karcher. Les gens voteront pour lui et une fois au pouvoir il ira faire une autre guerre ailleurs. Pourquoi pas en Syrie tiens ?

 

 

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24/08/2011

Aphorismes (3)

C’est seulement quand la rose est fanée qu’on s’aperçoit qu’elle avait des épines.

La nature est menteuse, car elle nous fait croire qu’après chaque hiver revient le printemps. Pourtant, dans la vie, il n’en va pas de même.

Il est des fleuves si larges qu’on n’oserait les traverser à la nage.

L’enfance est un pays de rêves dont on ne sort jamais tout à fait.

Internet a fait du monde un village. Je ne suis pas certain que la pensée universelle y ait beaucoup gagné.

Je ne comprends pas comment un pour cent de la population parvient à imposer sa loi aux quatre-vingt-dix-neuf autres sans que ceux-ci ne réagissent.

Lire, c’est ouvrir ses fenêtres sur le monde.

Le meilleur moyen pour un état d’éliminer ses dettes est de ne pas les rembourser.

La vue d’un arbre m’a parfois apporté plus de bonheur que toutes les peintures enfermées dans les musées. Quant au bruissement des feuilles, il vaut toute la musique du monde.

« On ne prête qu’aux riches » dit le proverbe. Il faut donc en déduire que les états européens sont fort riches.  


13/08/2011

Aphorismes (2)

 

Liberté, égalité, fraternité…  Bon, l’égalité n’a jamais existé, on le sait bien, il suffit de regarder  deux enfants à la naissance…  Quant à la fraternité, c’est souvent un vain mot. Il restait la liberté.  Oui, c’est tout ce qu’il restait… 

Les bourses s’effondrent, le nombre des chômeurs augmente. Le principal est de trouver un équilibre, non ? 

Quand on est déçu par le monde, on se tourne vers la littérature. Grave erreur, car elle nous rend encore plus lucide ! 

Je me suis toujours demandé ce que l’Ecclésiaste  faisait au milieu de la Bible. Un texte qui dit que la mort et l’oubli sont au bout du chemin et que le mieux que nous ayons à faire est de jouir de la vie détonne au milieu des autres textes mystiques et eschatologiques. Ce doit être une erreur  de l’éditeur. 

« L’amour, c’est l’infini mis à la portée des caniches », disait Céline. Brave Céline, il ne nous laissera aucune illusion. 

Quand je suis dans un train, je lis. Parfois le livre parle d’un voyageur qui prend le train. Il me semble alors qu’un gouffre s’ouvre sous mes pieds. 

Quand j’ai levé les yeux de mon livre, j’ai vu que la voyageuse assise en face de moi m’observait. Intimidée, elle a aussitôt détourné son regard. Moi, j’ai replongé plus vite encore dans mon livre. Il serait temps que je relise Céline.  

 


06/08/2011

Aphorismes ...

<!     On lit dans la presse qu’il y a de plus en plus de millionnaires. On ne comprend pas pourquoi on nous présente cela comme une bonne nouvelle.  Jusqu’au moment où on se souvient que cette presse appartient précisément à l’un ou l’autre de ces millionnaires.

<!      L’union européenne déclare  sans rire qu’elle ne peut plus aider les pauvres car cela serait contre les principes de l’OMC. Et c’est vrai que selon les règles du libre-échange, aucun état ne peut fausser les lois du marché en subsidiant des firmes en difficulté.  Voilà donc les pauvres  bien mal embarqués. Demain ils seront déclarés en faillite ! J’en viens à regretter le paternalisme des maîtres de forges du XIX° ou même la charité des sœurs de l’Enfant-Jésus. Quelle époque !

<!    Je ne comprends pas pourquoi certains qui ne travaillent pas doivent toucher des allocations de chômage en ne faisant rien alors que d’autres s’en passent très bien. Il est vrai que ces derniers sont nés millionnaires.

<!    La dictature consiste à prendre le pouvoir de force et à travailler contre nous, tandis que la démocratie consiste à mettre au pouvoir, avec notre accord, des gens qui travaillent quand même contre nous.  

<!     Le capitalisme consiste à concentrer la richesse dans les mains de quelques-uns. Sauf en période de crise, où on demande à l’ensemble des citoyens de se serrer la ceinture pour sauver le système. C’est ce qu’on appelle de la démocratie participative. De quoi se plaint-on ?

<!    Une guerre coloniale consiste à tuer des gens pour s’emparer de leurs richesses. Une guerre humanitaire aussi.    

07/04/2011

De la Libye

Je reviens une dernière fois sur la guerre en Lybie. Ce qui frappe, dans cette affaire, c’est la mauvaise foi et le mensonge généralisé de la coalition. Je continue à dire que le but ultime n’est pas d’empêcher des massacres de civils, mais bien de faire tomber Kadhafi pour mettre en place un régime qui nous serait bien plus favorable. Si on en croit certaines sources, des militaires et des diplomates anglais étaient d’ailleurs présents en Libye avant même que ne soit votée la résolution de l’ONU :

http://www.romandie.com/infos/news2/110306142633.hwfq2tsp.asp

Je ne dirai pas que la révolte populaire a été attisée sciemment, puisque tout le monde arabe est en ébullition, mais une fois que cette révolte a éclaté en Libye, il est clair que certains ont tenté d’en profiter. Que faisaient sur le sol libyen des soldats britanniques en armes ? Qu’y faisaient des diplomates ? Assurément, il s’agissait de convaincre les insurgés d’accepter l’aide occidentale. Ceux-ci, craignant à juste titre qu’on ne détournât leur combat de son but initial, auraient tout d’abord refusé toute ingérence étrangère (d’où cette arrestation) avant finalement de l’accepter. Mais qui a accepté ? Les dirigeants, ceux qui se sont mis à la tête des révoltés, autrement dit d’anciens fidèles de Kadhafi qui ont retourné leur veste. Des gens pas trop fréquentables donc, puisque l’un serait l’ancien ministre de l’intérieur qui avait donné l’ordre de torturer les infirmières bulgares et l’autre serait un des juges qui les avaient condamnées à mort. Bref, des opportunistes prêts à tout pour conserver leur petit pouvoir. Après avoir soutenu Kadhafi, ils vendent maintenant leur pays à des étrangers tout en parlant subitement de démocratie. Etrange. Mais ils savent que c’est grâce à ces étrangers qu’ils occuperont de hautes fonctions dans la Libye de demain. Ils ne peuvent donc qu’approuver l’intervention de l’Angleterre et de la France.

Tous les jours on voit d’ailleurs d’anciens fidèles du colonel faire sécession. De là à penser que des agents secrets occidentaux les manœuvrent en leur promettant l’amnistie, il n’y a qu’un pas…

En résumé, nous avons donc une révolte populaire spontanée (du moins espérons-le) qui est dirigée par d’anciens fidèles de Kadhafi et qui est noyautée par l’Occident. Il est d’ailleurs curieux que le peuple accepte ainsi sans broncher de recevoir des ordres de ceux qu’ils combattaient la veille encore. Imaginerait-on des proches du Maréchal Pétain se mettre à la tête de la Résistance en 1944 ?

Ce qui est tout aussi curieux, ce sont les armes dont disposent ces insurgés. Ils ne sont pas armés de bâtons mais de mitrailleuses. On a même vu qu’ils disposaient d’avions puisque l’un d’entre eux s’est écrasé l’autre jour. Curieux civils donc. Certes, on sait que des militaires libyens ont fait défection, mais il ne fait pas de doute que des armes sont acheminées en secret. BHL ne s’en cachait pas l’autre soir au journal d’Antenne 2 : l’armée égyptienne, celle qui a instauré la démocratie au pays des Pharaons, fournit des armes aux insurgés. On sait aussi que les Anglais et l’ami Sarkozy suggéraient d’armer les rebelles, afin d’éviter que la coalition ne doive envoyer des troupes au sol. Car il y a tout de même un petit problème. L’Occident, après avoir obtenu l’accord des pays arabes (comprenez : l’accord des dirigeants arabes pro-occidentaux, pas forcément la rue arabe. Ceci dit, la rue arabe est occupée à se battre partout contre ses dirigeants, alors elle ne va pas s’opposer à ceux qui gentiment viendraient donner un coup de main pour expulser le dictateur libyen) et après avoir obtenu le feu vert de l’ONU, l’Occident, dis-je, espérait un peu que Kadhafi allait quitter le pouvoir après les premières frappes aériennes. Mais voilà que celui-ci s’accroche à son trône et ne veut pas partir (du moins c’est ce qu’il dit). Or nos frappes aériennes (bien ciblées et qui ne font jamais de dégâts collatéraux) montrent leurs limites. Elles conviennent peut-être pour séparer les belligérants (ce qui était tout de même le sens de la résolution de l’ONU, ne l’oublions pas) ou du moins pour réduire les capacités aériennes de Kadhafi, mais elles se montrent inefficaces pour renverser le colonel. Ou alors il faudrait tout détruire. Mais comment justifier la mort de milliers de citoyens, ceux-là mêmes qu’on venait précisément libérer ?

La solution, c’est donc d’armer les rebelles, en espérant qu’ils seront assez malins pour parvenir où nous voulons qu’ils parviennent, à savoir instaurer la démocratie (et la libre circulation des biens et des richesses). Mais certains pays de la coalition s’y opposent. La Belgique, par exemple (qui n’a toujours pas de gouvernement, mais qui est partie en guerre sans sourciller, on se demande d’ailleurs sur quelle base légale) a refusé de fournir des armes aux révoltés en faisant remarquer, à juste titre, qu’en prenant ouvertement parti pour un des belligérants, on sortait du cadre de la résolution de l’ONU. Après la défection allemande, voilà l’Europe bien divisée. Et les Etats-Unis qui comptaient sur nous pour mener à bien cette opération le plus rapidement possible (et qui parlent d’ailleurs de se retirer et de ne fournir que des renseignements via leurs satellites) ! La belle croisade de Sarkozy semble manquer de souffle. 

En attendant, si l’issue des combats est incertaine, on peut toujours faire la guerre avec les mots. C’est ainsi qu’on n’insistera pas trop sur le F15 américain qui s’est écrasé (car défaillance technique ou riposte de Kadhafi, dans les deux cas ce n’est pas trop glorieux) ni sur les insurgés que notre aviation a malencontreusement mitraillés. On ne parlera pas non plus du coût des missiles que l’on a tirés (et qui seront payés par le contribuable) ni de la présence d’uranium appauvri dans ces mêmes missiles (ce qui risque tout de même d’affecter durablement la santé des populations civiles qu’on vient soi-disant délivrer). On préférera mettre en avant les termes, bien plus commodes, « d’opération humanitaire ». Il n’empêche que dans cette affaire et sans aucune sympathie de ma part envers Kadhafi, on pourrait quand même se demander qui sont les agresseurs et les agressés. 

En réalité nous sommes ici en présence d’une guerre civile, ni plus ni moins. Et dans cette guerre civile, nous avons privilégié un camp. Officiellement, le meilleur, celui de la démocratie. En pratique, on s’immisce dans un pays étranger en soutenant une partie de la population contre une autre (car Kadhafi n’est pas un homme seul, il a ses partisans et ils semblent nombreux) et en mettant sans vergogne à la tête de l’insurrection des anciens cadres du régime que l’on combat. Le but n’est donc pas de parvenir à une démocratie exemplaire, mais de remporter une bataille sur le terrain puis d’imposer à la tête du pays « libéré » un gouvernement fantoche qui sera à nos ordres. Si par malheur on ne parvient pas à déloger Kadhafi, on coupera le pays en deux : la Cyrénaïque avec ses puits de pétrole sera libre (et notre armée sera bien présente pour protéger cette liberté) et la Tripolitaine sera abandonnée au vieux colonel. Si ce n’est pas du colonialisme déguisé, tout cela, je ne sais pas ce que c’est.

 

Oui, mais vous me direz que j’exagère et qu’un authentique vent de liberté souffle sur les pays arabes. C’est vrai. Mais en attendant, les réformes tardent à se mettre en place en Tunisie, au point que quelques citoyens clairvoyants se demandent déjà si on n’est pas en train de récupérer leur révolution. En Egypte, l’armée est au pouvoir et on attend la suite. Quelque chose me dit que si la colère populaire s’exprime à nouveau, on la fera vite taire. Pourquoi en effet continuer à manifester puisque la démocratie est officiellement rétablie ? Manifester, ce serait en quelque sorte faire œuvre de terrorisme et le nouveau régime trouvera bien le moyen de se défendre. Au Yémen, la situation est encore confuse et personne ne sait dire comment les choses vont se terminer. Cette incertitude n’est pas sans inquiéter Washington, soyez-en certains. Pour le reste, notre presse dite libre nous parle bien peu de ce qui pourrait se passer en Arabie (il faut donc croire que la démocratie y règne puisqu’il n’y a pas de révolte) et encore moins de ce qui se passe réellement à Bahreïn (pour rappel, c’est l’armée saoudienne qui est allée réprimer les manifestations). Par contre on écrit beaucoup d’articles sur la Syrie. Tiens donc, encore un pays qu’on n’aime pas trop et où on verrait avec satisfaction un changement de régime (vous pensez, aux portes d’Israël…). Mais bon, en attendant, Bachar el-Assad s’accroche et ne parle pas vraiment de réformes démocratiques. Finalement, quel que soit le pays arabe que l’on regarde et que des révolutions y aient eu lieu ou pas, je ne vois pas encore de changements fondamentaux. Oui, deux dirigeants qui s’étaient honteusement enrichis ont été priés de partir (et nous sommes occupés à en chasser un troisième), mais en dehors de cela ? Peut-on vraiment parler de démocratie et de libertés ? C’est ce à quoi les peuples arabes aspirent et ils en ont montré la voie. Mais y parviendront-ils ? C’est ce que je leur souhaite, mais j’ai bien peur que demain la victoire ne leur échappe au profit de quelques nouveaux parvenus qui vont à leur tour s’enrichir sur leur dos. Avec la bénédiction de l’Occident évidemment. Pourquoi la libre circulation des biens se limiterait-elle à l’Europe ?

 

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04/04/2011

Petit retour en arrière.

Je ne peux résister à l’envie de republier ici deux anciens textes, écrits en 2007, qui traitaient de la visite de Kadhafi à Paris. On se souvient que le colonel avait été reçu en grande pompe par l’Élysée…  

 

http://feuilly.hautetfort.com/archive/2007/12/10/de-la-libye.html

http://feuilly.hautetfort.com/archive/2007/12/17/feuilleton-presidentiel.html

 

 

 

01/04/2011

Changements...

En ce premier avril, on apprend que les Américains se retirent d’Irak et d’Afghanistan. Suite à cette bonne nouvelle, Kadhafi a quitté le pouvoir, conscient que sa lutte ancestrale contre l’impérialisme est désormais dépassée. En Iran a lieu un referendum populaire sur l’instauration prochaine d’un état laïque. Israël est occupé à démanteler ses colonies de Cisjordanie tandis que la frontière entre la bande de Gaza et l’Egypte est enfin ouverte. Les Egyptiens, revenus à la démocratie, accueillent à bras ouverts leurs frères Palestiniens.

A Bruxelles, l’Union européenne vient de créer une Commission pour l’Instauration  de l’Europe sociale (CIES), laquelle compte bien mettre un frein aux privatisations anarchiques de ces dernières années. Un fond spécial européen devrait être créé pour assurer le paiement des retraites dans toute l’Union. Il sera alimenté en partie par les économies réalisées sur les budgets militaires et en partie par une taxe sur les transactions financières. En France, Nicolas Sarkozy a remis le pouvoir à un comité de sages et a décidé de passer son temps libre à apprendre l’italien.

 

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31/03/2011

La tête dans les nuages (radioactifs)

Je reviens un instant sur l’accident survenu dans la centrale nucléaire japonaise.

En résumé, le nuage radioactif qui ne devait jamais arriver jusqu’aux Etats-Unis y est non seulement arrivé, mais il a même traversé l’Atlantique et est parvenu jusque chez nous.

Evidemment, les retombées radio-actives étaient infinitésimales, ce dont nous ne  doutons pas.

Ces retombées étaient mille fois moins importantes que celles de Tchernobyl nous a-t-on expliqué. Tant mieux !

Mais je me demande quand même pourquoi on compare ce nuage inoffensif à celui de la dernière catastrophe en date. J’aurais préféré qu’on le comparât aux normes généralement admises comme étant inoffensives. En effet, j’ai déjà un peu l’impression qu’on est en train de nous dire que ce n’est pas trop grave puisque nous avons déjà connu des situations mille fois plus inquiétantes. Pour moi, ce n’est pas là un argument probant.

Surtout que d’autres spécialistes, croyant nous rassurer, nous disent que ce nuage est effectivement sans importance si on le compare à la dose de radioactivité de l’hémisphère nord, lequel a été gravement pollué par les essais nucléaires antérieurs. Ah bon ? On apprend des choses… Je croyais que ceux-ci avaient été inoffensifs. Enfin, c’est ce qu’on avait dit à l’époque. Et bien non…

Bon, si on décrypte le message, cela veut dire : « nous ingénieurs nucléaires civils, nous pouvons vous affirmer que nous polluons beaucoup moins que les militaires n’ont pu le faire autrefois. Comme personne n’a jamais rien trouvé à redire à cette radioactivité d’origine militaire, dans laquelle vous baignez tous les jours et qui n’a d’ailleurs jamais affecté votre santé, il serait malvenu de venir nous reprocher quoi que ce soit aujourd’hui. » En effet.

D’ailleurs nous ne reprochons rien du tout puisque ces nuages sont inoffensifs. Ce sont des spécialistes qui nous le disent. Moi, je n’y connais rien dans le domaine du nucléaire. Je serais incapable de reconnaître un morceau de plutonium d’un morceau d’uranium. Je ne peux donc que faire confiance à des personnes qui ont étudié ces matières et qui les maîtrisent.

L’ennui, c’est qu’on dirait bien qu’ils ne maîtrisent plus grand-chose, ces spécialistes. Ils ont d’abord dit qu’il n’y avait pas de radioactivité à proximité de la centrale, puis qu’il y en avait un peu, puis qu’il y en avait carrément beaucoup (un million de fois supérieur), pour dire le lendemain qu’ils avaient mal lu les chiffres et qu’il ne fallait pas s’affoler.

Bon, tout va bien alors…Mais puisque tout va bien, il suffit de rentrer dans cette centrale et de la réparer ! Et bien non, justement. On n’oserait pas s’en approcher. Ah bon ? Non, on n’oserait pas, car outre lez gaz radioactifs qu’on a laissés s’échapper pour éviter une explosion (qui a quand même eu lieu), on a tellement arrosé les réacteurs à l’eau de mer, qu’il y a maintenant de l’eau dans des conduits souterrains où il ne devrait pas y en avoir. Et cette eau est drôlement radioactive. Ah bon ? C’est embêtant cela. D’autant plus embêtant, ajoute-t-on, qu’il se pourrait bien que cette eau radioactive se déverse dans le Pacifique. Aïe !

Bon, ce n’est pas trop grave non plus, le Pacifique est grand et ce sera comme pour le nuage qui a survolé nos têtes (le nuage qui ne devait jamais arriver jusqu’à nous et qui est quand même arrivé), la radioactivité sera diluée dans la masse. Ou bien les résidus seront négligeables. Ou en tout cas ils ne seront pas trop dangereux. Bref, cela aurait pu être plus grave et sans commune mesure avec une guerre nucléaire mondiale (tiens, personne n’a encore dit cela ?). Nous pouvons donc dormir sur nos deux oreilles (mais en fermant les fenêtres quand même).

Bon, je ne veux pas être alarmiste, il n’y a aucune raison. Sauf que les spécialistes auxquels je dois bien faire confiance me disent des choses contradictoires, qu’ils n’ont pas trop l’air d’accord entre eux et que surtout ils ne semblent plus trop savoir ce qu’il y a lieu de faire.

Certains pensent mettre une bâche au-dessus des réacteurs défectueux, d’autres proposent de rejeter une nouvelle fois des gaz radioactifs afin de réduire le risque d’une nouvelle explosion, d’autres encore parlent d’évacuer l’eau contaminée dans des tankers, etc. etc. Bref, cela va un peu dans tous les sens, mais en attendant la centrale pollue toujours, de plus en plus même (et un nouveau nuage radioactif se prépare à traverser nos beaux pays).

Je ne voudrais pas avoir l’air de critiquer ces éminents spécialistes qui sont évidemment beaucoup plus capables que moi, mais je me pose quand même des questions sur leurs capacités réelles à trouver une solution au problème.

Et quand je lis ceci, des questions, je m’en pose même beaucoup : «Interrogé à ce propos, le porte-parole du gouvernement, Yukio Edano, a répondu que le gouvernement et les experts nucléaires réfléchissaient à toutes les solutions, y compris celles mentionnées dans la presse ». Quoi ? Est-ce à dire que ces brillants spécialistes sont en train de nous demander sans rire si nous, citoyens ordinaires, nous n’aurions pas des suggestions à leur faire pour réparer leur fichue centrale ? On croit rêver. Cela voudrait donc dire qu’ils sont dépassés et qu’ils ne savent plus faire grand-chose ?

Heureusement que le nuage radioactif est sans danger !

Ceci dit, ce sont eux qui le disent, qu’il est sans danger, eux qui maintenant semblent se tourner vers nous en désespoir de cause.

Bon, on a compris, il reste à espérer que les six réacteurs ne se mettent pas à fondre les uns après les autres. Le comble, c’est qu’on n’oserait même plus faire comme le Candide de Voltaire, oublier tout et « cultiver son jardin ». Vous pensez, avec ce nuage au-dessus de nous…

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25/03/2011

De l'ingérence humanitaire.

Je reviens sur cette guerre en Libye, qui est loin d’être une mince affaire. Ce sur quoi je voudrais réfléchir, en fait, c’est le droit d’ingérence humanitaire.

 

Quand les premières révoltes ont eu lieu en Tunisie, surprenant le monde entier, je me suis indigné comme tout un chacun lorsque la police de Ben Ali a commencé à tirer sur la foule.

 

La même situation s’est ensuite reproduite en Egypte, provoquant la même réprobation dans l’opinion internationale.

 

L’Empire américain, qui soutenait depuis toujours ces deux régimes, a senti que le vent tournait et qu’il fallait désormais s’appuyer sur d’autres intervenants s’il voulait rester crédible. Lui qui avait pourtant été autrefois à la base des pires dictatures latino-américaines n’a pas hésité un instant. Il a demandé à Ben Ali et à Moubarak de s’en aller. On les remerciait pour les services rendus, mais on leur faisait comprendre que leur temps était révolu et qu’il fallait maintenant quitter la scène. C’est que l’Empire sait où sont ses intérêts et il n’allait pas compromettre ceux-ci pour soutenir ses anciens amis, qui ne sont que des hommes finalement.

 

Les deux dictateurs n’eurent pas le choix. Après s’être fait un peu tirer l’oreille, ils ont compris qu’ils avaient tout à perdre en restant au pouvoir, à commencer par la vie. Comme ils avaient de plantureux comptes d’épargne à l’étranger et qu’ils étaient déjà âgés, ils sont donc partis discrètement à la retraite, ce qui arrangeait bien tout le monde (ceci dit, ce n’est qu’une fois qu’ils eurent quitté le pouvoir que certains pays étrangers ont décidé de bloquer leurs comptes en banque. On ne sait pas comment les intéressés auraient réagi s’ils avaient eu connaissance de cette mesure avant d’abdiquer).

 

Quand la révolte a commencé en Libye, certains se sont frotté les mains. On allait enfin être débarrassé du colonel Kadhafi. Malheureusement, celui-ci, fidèle à lui-même, n’était pas du genre à partir. De plus, la répression qu’il avait commencée à l’encontre du mouvement insurrectionnel se montrait plus sanglante encore qu’en Tunisie et en Egypte. Dès lors, que fallait-il faire ? Rester passif et contempler les massacres ? Position difficile à tenir. Prendre les armes et s’interposer ? C’est ce qu’on a fait. Peut-être a-t-on bien fait. Je ne sais pas. Ce qui est certain, c’est que la situation est beaucoup plus complexe qu’on ne veut bien le dire.

 

Va-t-on se contenter de la Libye ou va-t-on intervenir dans tous les pays arabes où les manifestants sont malmenés ?

 

Pourquoi par exemple parle-t-on beaucoup de la Syrie, où une centaine de manifestants seraient déjà morts (fait inacceptable, on est bien d’accord). Va-t-on aussi intervenir là-bas ?

 

Pourquoi ne parle-t-on jamais dans les journaux parlés de ce qui se passe à Bahreïn ? L’armée saoudienne est pourtant entrée dans ce petit état pour aider le pouvoir en place à faire régner l’ordre. Il y a eu beaucoup de manifestants tués.

 

Pourquoi ne parle-t-on jamais non plus de ce qui se passe en Arabie Saoudite ? Ce pays serait-il épargné par la vague de contestation qui déferle sur le monde arabe ?

 

On constate donc que les soulèvements populaires suscitent surtout des réactions de la part de l’Occident lorsqu’ils ont lieu dans des pays qui lui sont peu favorables.

 

Interviendra-t-on en Arabie ou à Bahreïn ? Cela m’étonnerait. Cela m’étonnerait même beaucoup.

 

L’Empire américain a-t-il perdu de son influence dans les pays qui se sont soulevés ? Non évidemment. En Tunisie c’est toujours l’ancienne équipe qui dirige. Quant à l’Egypte, c’est l’armée qui est au pouvoir. La même armée qui a toujours toléré les bombardements de Gaza (et qui a contribué à isoler cet îlot palestinien du reste du monde en fermant hermétiquement ses frontières) et qui les tolère encore aujourd’hui. Une armée qui se présente comme la garante de la démocratie mais qui s’est contentée de proposer des amendements à la Constitution et qui s’est bien gardée d’en proposer une toute nouvelle. Une armée qui à mon avis tirera également sur le peuple le jour où celui-ci réclamera de vraies réformes.

 

Revenons à la Lybie. Le mandat de l’ONU prévoit qu’il faut empêcher les massacres. On nous dit que la première phase de l’opération militaire est un succès et que Kadhafi ne peut plus employer son aviation ni déplacer ses chars. Victoire donc. On nous dit aussi avec fierté qu’un avion français vient d’abattre un appareil libyen qui venait de se poser. Tiens donc, ce n’est pas contradictoire, cela ? Kadhafi pourrait-il encore se servir d’une partie de son aviation ?

 

Au journal d’Antenne de 20H, on invite l’inévitable BHL. Le même qui dans son « Testament de Dieu » expliquait qu’Israël était le peuple choisi et rien que lui. Le même qui était venu nous raconter qu’il fallait attaquer l’Irak à cause des armes de destruction massive. Le même qu’on retrouve partout dès que les intérêts israéliens sont en jeu quelque part.

 

Qu’est-il venu nous dire aujourd’hui ? Que la première phase (sécuriser l’espace aérien) était un franc succès. Que les rebelles tardaient un peu à reprendre l’offensive, mais qu’il allait suffire de les armer pour parvenir à nos fins. Les armer ? Tiens donc ! Je croyais que le mandat de l’ONU nous demandait simplement de nous interposer entre les belligérants et d’empêcher Kadhafi de nuire ? Le journaliste lui-même semblait étonné de cette affirmation. On va donc armer les opposants ? Bien sûr dit BHL, d’ailleurs l’armée égyptienne le fait déjà, afin « d’aider ses frères ». Comprenez : cette armée est à la solde des USA et elle va nous aider à former les opposants libyens. Ce sont de simples citoyens, mais avec un peu d’entraînement ils devraient arriver à renverser Kadhafi. Tiens, s’étonne le journaliste. On ne sort pas un peu du mandat de l’ONU, là ? Et BHL de répondre que quitter la Lybie sans renverser Kadhafi n’aurait aucun sens. C’est vrai bien entendu et on le savait, mais je suis désolé, ce n’est pas ce que l’ONU avait dit. BHL ajoute en substance que nous ne devons pas avoir mauvaise conscience puisque c’est la ligue arabe elle-même qui a réclamé les frappes (comprenez : les régimes favorables aux USA : l’Arabie etc.).  Et BHL conclut que de toute façon il faut se préparer à une guerre longue. Tiens cela n’avait pas été dit non plus, cela.

 

Notons en passant, puisque la guerre va être longue, qu’elle va nous coûter cher. Un missile Tomahawk coûte 1,5 million de dollars pièce. A charge des contribuables des différents pays de l’alliance. Lesquels devront aussi supporter l’augmentation du prix du baril de pétrole. D’accord, il ne faut pas regarder à l’argent quand il s’agit de faire tomber un tyran et promouvoir la démocratie, mais quand même…

 

A une époque où tous les pays sont endettés et où on sabre dans les budgets des services publics pour essayer vainement d’arriver à un équilibre budgétaire, il est étonnant que personne ne se soit posé la question. Mais si au moins nous étions certains que nos efforts allaient contribuer au bonheur du peuple libyen, nous les consentirions avec plaisir. Cependant, on a vu ce qu’a donné en Irak cette ingérence étrangère avec appui de l’armée. Certes le dictateur est parti, mais que reste-t-il de l’Irak ? Un état divisé, appauvri, humilié. Il ne faudrait pas qu’une fois les Occidentaux partis, la Libye tombe dans la guerre civile. C’est qu’il y aura eu tellement de morts des deux côtés, que cela n’aidera pas à la fraternité entre les différentes tribus qui composent ce pays. Vous l’avez compris, comme en Irak, il faudra une longue présence étrangère pour assurer la stabilité après le départ de Kadhafi. Nous gèrerons la partie Est, là où sont les puits de pétrole et nous affaiblirons au maximum la partie Ouest…

 

Pour conclure, je reviens à ma question initiale sur le droit à l’ingérence humanitaire. Bien comprise, elle semble un devoir (quid cependant des soldats libyens tués qui ne font finalement que leur métier ?). Mais je ne suis pas certain justement qu’on ne se serve pas de nos bons sentiments simplement pour agrandir notre zone d’influence économique et politique en faisant basculer la Libye dans notre camp. En nous faisant payer la note, bien entendu.

 

Il ne restera plus alors qu’à éliminer la Syrie et l’Iran et la pax americana pourra régner sur une moitié du monde, pour le plus grand profit de quelques-uns.

 

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22/03/2011

Des guerres démocratiques

On ne me fera pas croire qu’on s’intéresse vraiment au peuple libyen. Voilà 40 ans que celui-ci doit supporter Kadhafi et cela n’a jamais inquiété personne. Quant à Sarkozy, qui soutenait encore Ben Ali il y a un mois (au point de vouloir lui envoyer sa police pour faire le ménage plus proprement et surtout plus efficacement), il a été tellement ridicule qu’il essaie de redorer son blason en soutenant la révolution libyenne. Lui, qui n’aime que les Français riches, se mettrait à soutenir des Arabes pauvres ? Allons, allons…

 

Et l’Occident irait dépenser une fortune en armement pour une telle cause ? Laissez-moi rire. Le but est autre, évidemment. Puisque tous les dictateurs tombent les uns après les autres, c’est le bon moment  pour faire tomber Kadhafi, un des seuls qui ne nous était pas favorable. Ensuite, on fera semblant de promouvoir la démocratie en instaurant un régime qui nous obéira au doigt et à l’oeil. La preuve, c’est que les révolutionnaires-insurgés brandissent déjà le drapeau du roi Idris, ce fantoche mis autrefois en place par les Anglais et qui a bradé le pétrole libyen un bon prix tout en acceptant que son territoire serve de base à nos armées.

 

Je soutiens ces révolutions populaires arabes, qui sont justifiées. Pourquoi le peuple devrait-il végéter au bord de la misère alors que quelques familles vivent dans l’opulence en s’appropriant toutes les richesses du pays ?

 

Pour ouvrir une parenthèse, remarquez que cette situation est un peu semblable à celle que nous connaissons, mais disons que nous avons notre système de sécurité sociale ( allocation de chômage, soins de santé, retraites) qui permet tout de même de réduire l’écart existant entre les plus pauvres et les plus riches d’entre nous. Ecart qui se creuse pourtant de jour en jour. Quand le système libéral aura tout démantelé, les inégalités deviendront tellement flagrantes qu’on risquerait bien, chez nous aussi, d’avoir des soulèvements populaires difficiles à contrôler.

 

Mais fermons cette parenthèse et revenons au monde arabe. Le peuple va-t-il jouir de la  liberté et du bien-être auquel il aspire ? Non évidemment. En Tunisie, la situation est encore un peu confuse, mais en Egypte les choses sont déjà beaucoup plus claires. L’armée est au pouvoir. Belle démocratie ! Et quelle armée ? Une armée dont tous les hauts dirigeants ont été formés aux Etats-Unis. Une armée qui depuis des décennies collabore avec Israël pour maintenir le blocus de Gaza, cette étroite bande de terre où sont enfermés d’autres Arabes musulmans comme eux et que l’on a bombardés aujourd’hui même encore. Je ne pense pas que ce soit vraiment là la volonté du peuple égyptien.

 

Quant à la Libye, comme  le soulèvement populaire spontané ( ???) était en train de perdre du terrain devant Kadhafi, on ne pouvait que l’aider. Comme cela nous aurons dans toute l’Afrique du Nord des régimes dits « démocratiques » qui seront nos alliés. Nous pourrons commercer avec eux, leur vendre nos produits, exploiter leur main d’œuvre bon marché et surtout y cantonner nos armées dans des camps construits rien que pour nous.

 

Il existe cependant une zone d’incertitude. On entend que cela gronde beaucoup au Yemen, à Bahreïn et dans le sultanat d’Oman. A Bahreïn, il s’agit de renverser la dynastie des Al-Khalifa, au pouvoir depuis trois siècles. Au Yemen, c’est Ali Abdallah Saleh, que le peuple tente de faire partir. Surnommé le « boucher », il dirige le pays depuis 1978. A Oman, c’est Qaboos qui devient indésirable, lui dont les ancêtres étaient déjà à la tête de l’état en 1749 !

 

Là aussi les peuples se révoltent à juste titre. Là aussi on entend dire qu’on tire dans la foule. L’Occident s’en émeut-il ? Sarkozy envoie-t-il les avions de la coalition (payés par nos impôts quand même) pour rétablir l’ordre ? Nullement.

 

Et quand les émeutes vont éclater en Arabie ? Demandera-t-on au roi d’abdiquer ? Lui enverra-t-on nos chars pour le déloger de son palais ? Certainement pas. Et au Maroc ? On sait que sous l’ancien roi des opposants politiques ont été emprisonnés pendant trente ans, qu’ils vivaient dans des conditions d’insalubrité épouvantables et qu’ils étaient même torturés de temps à autre. Quelqu’un s’en est-il jamais indigné ?

 

Ce que je veux démontrer, c’est qu’il y a bien deux poids deux mesures. L’Occident intervient là où cela l’arrange. Et quand je dis l’Occident, je devrais dire l’Amérique, car dans cette affaire, malgré les discours tonitruants de Sarkozy, la vieille Europe n’a fait que suivre et obéir. La France seule conservait encore un peu d’indépendance (un peu) mais depuis que l’ami Nicolas l’a fait rentrer dans l’Otan, elle est devenue elle aussi le valet de l’Amérique. Obama, prix Nobel de la Paix, commence cette troisième guerre avec réticence (il est déjà bien embourbé en Afghanistan et en Irak), aussi pense-t-il déléguer le commandement des opérations à ses alliés. Pourquoi s’en priverait-il, en voyant l’enthousiasme de Sarkozy pour partir en guerre…

 

Reste que la situation est complexe. Ne pas agir, c’était en effet laisser un peuple se faire massacrer (mais pourquoi alors au Yémen, à Oman…), ce qui n’est pas acceptable. Agir, c’est se donner le beau rôle en soutenant une aspiration à la démocratie plus que légitime (personne, en effet, ne regretterait le départ du dictateur Kadhafi, qu est parvenu à se mettre tout le monde à dos, les Occidentaux comme les Arabes, les communistes comme les religieux). Mais agir, c’est aussi se servir de cette aspiration légitime des peuples à accéder à un peu plus de liberté pour finalement mieux les dominer économiquement parlant. Car derrière ce beau geste sarkozien, c’est l’imposition de la libre circulation des biens et des marchandises qui se dissimule. La Lybie était un état fermé, où l’état contrôlait tout. Avec la démocratie, on pourra privatiser des pans entiers de l’économie et imposer le libéralisme. Quelques Libyens s’enrichiront. Beaucoup d’Occidentaux également. Quant au peuple, il a l’habitude d’initier des révolutions qui lui échappent toujours.

 

Voilà pourquoi les avions français sont partis détruire les Mirages libyens. Encore heureux que Kadhafi ait renoncé récemment à acheter des Rafale, sinon on aurait eu de beaux combats aériens avec des avions français dans les deux camps. C’est Dassault qui se serait frotté les mains…

 

Libye, Sarkozy, révolution, Kadhafi

 

 

 

L'Express

16/03/2011

Au pays du soleil levant.

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Photo de presse

 

 

 

Que dire encore après tout cela ? Quel sens pourrait bien avoir l’écriture devant de telles catastrophes ?

Se souvenir qu’on était tous méfiants devant cette technologie nucléaire, très méfiants. Comme devant toute technologie d’ailleurs.

J’avais dix-sept ans et j’étais au lycée. Dans les couloirs, après le cours, nous discutions avec le professeur de mathématique de la pertinence des centrales nucléaires. Nous étions jeunes, nous avions en nous le goût de l’opposition, nous avions également une fibre vaguement écologique (c’était l’époque du Larzac, du camp militaire qu’on devait construire là-bas, des Parisiens qui quittaient leurs bureaux pour aller élever des moutons sur le Causse). Lui, il nous vantait la puissance de la technique, l’indépendance énergétique enfin trouvée, ainsi que les possibilités immenses et infinies de l’atome. Nous, plus terre à terre, nous demandions : « Et s’il se produit un accident ? » « C’est impossible », répondait-il péremptoire. « Même s’il y a un accident, il y a tellement de moyens de sécurité qui sont mis en place, qu’il est impossible que quelque chose tourne mal. »

« Oui, mais si tous ces moyens de sécurité tombent en panne les uns après les autres ? » argumentions-nous, plus pour le plaisir de la discussion d’ailleurs que par conviction, car nous nous rendions bien compte que ce que nous disions là n’avait pas beaucoup de sens. Alors le vieux professeur, qui ressemblait un peu à Einstein, nous donnait sa réponse et cette réponse, nous la connaissions à l’avance. Il était impossible, statistiquement parlant, que dix moyens de prévention tombent en panne en cascade.

« Et en cas de tremblement de terre ? » avais-je demandé. « Impossible qu’il y ait des dégâts, les constructions sont faites pour résister à tout ». « Et si on bombarde la centrale en cas de guerre ? », avait demandé un autre élève, plus pessimiste encore que moi. « Alors, si c’est la guerre, il y aura déjà tellement de morts que ce n’est pas une petite catastrophe de plus qui va changer grand-chose » lui avait répondu le professeur, avant de remonter ses lunettes et de s’acheminer vers une autre salle de cours.

Je l’ai regardé s’éloigner. Ce jour-là, moi qui étais dans une section littéraire et qui, la tête pleine d’Homère et de Virgile, ne raisonnais pas comme lui, je me suis dis que malgré toutes ses certitudes, il ne devait pas avoir raison.

Aujourd’hui, devant l’ampleur du désastre qui peut-être se prépare, je ne suis pas spécialement fier d’avoir eu finalement raison. Pour une fois, je voudrais au contraire m’être lourdement trompé.

13/03/2011

Stupeur et tremblements

Le premier novembre 1755, un tremblement de terre suivi d’un raz-de-marée ravagea Lisbonne. Il y eut entre 50.000 et 100.000 victimes. Les personnes qui n’avaient pas péri sous les décombres des maisons, se ruèrent sur les quais, croyant être à l’abri des chutes de pierres. Là, elles découvrirent avec stupéfaction que le fond de l’océan était visible. La mer s’était retirée. Évidemment, peu de temps après, un tsunami ravagea la partie basse de la ville. Le peu qui avait été épargné fut ensuite la proie des incendies, les cheminées ayant été endommagées lors du séisme.

On connaît la réaction de Voltaire, qui pour la circonstance composa le Poème sur le désastre de Lisbonne. Pourquoi, en effet, Dieu, s’il existait (et pour Voltaire, déiste et non athée, Dieu existait, même si dans son imaginaire il était plus proche des forces de la nature que du vieillard barbu de l’Ancien Testament) avait-il voulu tuer ainsi des innocents, qui plus est le jour d’une fête chrétienne, la Toussaint ? En remettant ainsi en cause la sagesse divine, notre philosophe s’opposait directement aux thèses optimistes de Leibniz et Pope.  Ceux-ci soutenaient que la Providence gouvernait le monde et que si parfois il arrivait quelques événements regrettables, ceux-ci restaient minimes par rapport au Bien absolu, qui progressait toujours. Le bouillant Voltaire ne pouvait tolérer cette sorte de fatalisme béat et il s’en moquera dans Candide avec sa fameuse formule « tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. »

Rousseau répondra au poème sur le désastre de Lisbonne par la Lettre sur la Providence.

Et nous, que dirons-nous, devant ce malheur qui frappe le Japon ? Un tremblement de terre, un raz-de-marée, un incident nucléaire majeur… Cela fait beaucoup en un jour, pour un seul pays. Pays qui nous est proche, même s’il est loin géographiquement, puisque nous avons le même stade de développement technologique, le même genre de vie, etc. Je veux dire par-là que ce n’est pas le tiers-monde. Car quand un cataclysme frappe le tiers-monde, nous ne nous sentons guères concernés. Nous nous disons que nous n’avons pas le même climat extrême et que nous sommes de toute façon bien mieux préparés pour y faire face. Mais ici ? Tout avait été prévu. Les bâtiments avaient été construits en respectant les normes antisismiques (heureusement !) même la centrale nucléaire, qui pouvait résister à un tremblement de terre de force 7. Mais là on était à 8,9 ! On appréciera l’optimisme des spécialistes, qui ont toujours raison, sauf quand les faits leur donnent tort.

Les croyants fondamentalistes diront que Dieu a puni les hommes de leurs péchés (ah bon ?). Les croyants se refuseront à prendre position et soutiendront que les voies de Dieu sont impénétrables. Les fatalistes diront qu’on n’y peut rien, que cela devait arriver et voilà... Les athées comme moi seront impressionnés par cette force aveugle de la nature, qui nous oblige de temps à autre à nous souvenir que nous ne sommes pas grand-chose, malgré notre culture, notre science et notre savoir-faire. L’homme, finalement, reste un animal bien démuni.

La presse, évidemment, toujours friande de catastrophes, surtout si le nombre des victimes est élevé, s’est emparée de l’événement. On en a oublié la Lybie. Ca tombe bien, car l’ami Sarkozy voulait justement partir en guerre contre celui qu’il accueillait en grande pompe en 2007 encore, mais il a été désavoué par ses alliés européens. La France n’ira donc pas bombarder la Lybie, seul état arabe dont le dirigeant osait tenir tête à l’Occident. Tant mieux, cela aurait fait un peu expédition coloniale, surtout qu’il y a du pétrole à voler. Et puis débarquer là-bas juste au moment où Kadhafi est en train de reprendre la situation en main, cela allait être compliqué. Cela nous aurait encore fait pas mal de victimes en plus et dans les deux camps encore bien.

Vous me direz qu’on n’est plus à quelques victimes de plus ou de moins, surtout quand il s’agit d’aller imposer la démocratie et la libre circulation des biens et des richesses. Les Afghans le savent bien qui ont l’habitude de voir leur population civile bombardée par l’Otan, par erreur sans doute mais pour la bonne cause toujours.

Tout cela pour dire que les hommes sont fous. Comme si on n’avait pas déjà assez des tremblements de terre et des tsunamis ! Il faut encore qu’ils se tuent entre eux. La vie est pourtant si courte ! C’est ce que doivent se dire cette nuit les Japonais qui ont survécu. Ils ont perdu des proches, toute leur famille peut-être, leur maison est détruite et ils sont là dans le noir (plus d’électricité), devant la mer qui s'est retirée, à se poser les mêmes questions que Voltaire quelques siècles plus tôt : « Pourquoi ? »

Et il n’y aura évidemment personne pour leur répondre.

 

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02/02/2011

Réveil

Pour le lent réveil de Marche romane, une petite touche d’humour. Je ne parle jamais ici des statistiques du blogue, cependant quelque chose m’a interpellé dans les chiffres de janvier. Alors que le site était à l’arrêt complet et qu’il n’y avait rien à lire, il n’y a jamais eu autant de visiteurs, ce qui est un comble. On peut interpréter la situation de deux manières. Soit certains attendaient la reprise avec impatience et venaient régulièrement voir s’il y avait du nouveau, soit au contraire mon silence était plus apprécié que mes écrits, ce qui laisse tout de même rêveur…

 

Pour le reste, l’hiver est toujours là (moins sept degrés hier matin et verglas généralisé le soir) mais la planète se réchauffe, dit-on. En tout cas cela chauffe beaucoup en Tunisie et en Egypte où les peuples se soulèvent. On ne comprend d’ailleurs pas pourquoi ils ne se sont pas soulevés plus tôt, écrasés qu’ils étaient par des dirigeants plus soucieux de plaire à l’Occident que de s’occuper du bien-être de la population. Reste à savoir à qui ces révolutions vont profiter. Il ne faudrait pas que la chute de ces régimes forts ouvre la voie à un libéralisme économique aveugle qui plongerait pas mal de personnes dans une misère noire tandis que quelques-uns tireraient avantageusement leur épingle du jeu.

 

En attenant cela fera réfléchir les dirigeants du monde entiers, qui se rendront compte que leur pouvoir peut être précaire et que la base qu’ils méprisaient allégrement peut se révolter. Certes la situation est meilleure chez nous ou en tout cas moins explosive (car les caisses de chômage, de maladie-invalidité et les retraites permettent de ne pas mourir de faim), mais l’écart se creuse tout de même tous les jours entre une bourgeoisie d’argent qui tire les ficelles et le reste de la population qui s’appauvrit de manière irréversible. Entre une droite sarkozienne autoritaire et fière d’elle-même et une opposition de gauche bientôt représentée par le financier du FMI, DSK, l’avenir me paraît assez sombre.

 

Quand l’élastique sera trop tendu, il se pourrait bien que peuples d’Occident descendent eux aussi dans la rue. Malheureusement, faire tomber un dirigeant ou un gouvernement ne sert plus à grand chose puisque l’économie restera mondiale et qu’il faudra bien se plier au dictat de la haute finance et des spéculateurs. A moins que la révolte ne se transforme en révolution et qu’elle devienne mondiale elle aussi … Mais ce n’est pas demain la veille.

 

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22/11/2010

Avenir

« Obscurité », ce long récit, est terminé. Ce fut un beau voyage. Aujourd’hui, c’est Marche romane qui est en voyage, et c’est ici : http://nondenon-webzine.blogspot.com/

 

04/06/2009

Elections européennes (suite)

J'apprends que Le Mouvement Républicain et Citoyen de Jean-Pierre Chevènement ne prend pas part à la campagne des élections européennes et qu'il préconise au contraire un vote blanc ou nul.

On me dira que ce n'est pas étonnant, de la part d'un petit parti qui n'a pas grand chose à espérer de ce scrutin. C'est vrai, bien entendu, mais je retiens tout de même que dans sa déclaration il reprend un peu ce que j'ai dit de mon côté dans la note précédente :

Cette élection à un Parlement-fantôme est un trompe l'œil. Dans cette enceinte où 770 soi-disant députés inconnus de leurs électeurs peuvent s'exprimer trois minutes chacun, en usant de l'une des vingt-deux langues officielles reconnues, aucune volonté générale ne peut bien évidemment s'exprimer.

M. Sarkozy, à Nîmes, a parlé de politique de change volontariste, de protection communautaire et de politique industrielle commune, mais il sait très bien que le texte du traité de Lisbonne qu'il a fait adopter, l'en empêchera. La même schizophrénie - pour ne pas dire hypocrisie - frappe le Parti socialiste qui a approuvé lui aussi le traité de Lisbonne. D'ores et déjà MM. Brown et Zapatero ont fait savoir que les députés travaillistes anglais et ceux du PSOE espagnol soutiendraient le candidat libéral à la présidence de la Commission européenne, M. José Manuel Barroso. Cette élection est vide de contenu.

(...)

Le Mouvement républicain et citoyen appelle au vote blanc ou nul de préférence à l'abstention : le peuple français, en effet, ne doit pas laisser bafouer la volonté qu'il a démocratiquement exprimée le 29 mai 2005. »

Et c'est vrai que lorsque tous les partis, de gauche comme de droite, suivent finalement  la même politique et acceptent sans broncher les décisions d'une Commission européenne qui est non seulement influencée mais même carrément dirigée par la haute finance et le grand capital, on peut se poser des questions sur le sens du mot démocratie. Pris en otages, les citoyens, par leur vote, ne font que participer à l'enlisement général. Ne pas voter, c'est s'abstenir de donner son avis. Voter blanc, c'est au moins montrer qu'on n'est pas d'accord, même si cela ne change rien au résultat final du scrutin, puisque les postes seront répartis entre les partis selon le souhait exprimé par ceux qui auront voté, même s'ils ne sont que quelques-uns.

Ce vote est donc complètement faussé puisque l'électeur n'a pas une vision d'ensemble sur le parti auquel il va donner sa voix. Imaginons un citoyen français qui vote socialiste, par exemple, il ne pourra pas se faire une idée générale de la politique qui sera menée par l'ensemble des socialistes européens. Il n'a, lui, pour justifier son choix, que le programme du PS français. Rien ne dit que le PS espagnol ou le PS danois ont la même vison des problèmes que le PS français. C'est même d'autant moins probable que chaque parti, quelle que soit finalement sa couleur, a tendance à réagir en fonction des problèmes spécifiques du pays qu'il représente. Inversement, s'il y a une ligne directrice de tous les PS des vingt-sept états membres, on aimerait bien la connaître car cela n'apparaît absolument pas dans les programmes exposés lors de la campagne. Et même si c'était le cas, ce qui serait quand même plus logique, on tomberait alors dans une autre ineptie, à savoir que les décisions et les lignes de conduite d'un parti seraient prises lors de gigantesques assemblées internationales et donc que les partis nationaux seraient parfois amenés à devoir voter des mesures contre l'intérêt même des électeurs qu'ils représentent sur le plan national. Si la  production d'huile d'olive concerne certainement les électeurs grecs, il n'est pas certain que cet aspect des choses serait envisagé par un congrès international socialiste qui se tiendrait par exemple à Berlin et où donneraient leur avis des politiciens danois, finlandais et lituaniens.

Tout cela pour dire que l'Union européenne devient un énorme mammouth ingouvernable, ce qui ne serait pas encore trop grave en soi si les états membres n'avaient pas entre temps perdu une grande partie de leurs prérogatives. Nous nous retrouvons donc devoir confier la direction d'un bateau à un équipage dont on sait déjà qu'il s'acquittera mal de sa tâche. C'est d'autant plus inquiétant quand on sait que le bateau en question effectue une traversée qui va contre nos intérêts de citoyens ordinaires.

02/06/2009

De l'élection européenne

Laissons pour une fois de côté la littérature pour nous pencher sur l'utilité ou l'inutilité de l'élection européenne du 07.06.09. Voilà une question qui mérite en effet d'être posée.

Nous vivons, nous dit-on, en démocratie. Nous devrions en être fiers. Pourquoi, dès lors, le taux d'abstention à l'élection européenne est-il passé de 37% à 54% ces dernières années ? Il y a à cela pas mal d'explications.

Tout d'abord, dans chaque pays, on retrouve comme candidats des politiciens bien connus qui ont souvent déjà fait preuve de leur incompétence ou qui en tout cas ont fini par lasser.

Ensuite, le résultat de ces élections est connu à l'avance puisque le citoyen moyen a peu de chance de voir sa vie quotidienne s'améliorer d'une manière ou d'une autre suite à son vote.  Quand il s'agit d'un scrutin local (communal) ou national, les enjeux sont plus directs et l'électeur veut bien se déplacer pour que sa tendance politique soit représentée (ou pour que la tendance qu'il déteste ne le soit pas, comme on a pu le voir lors de l'élection présidentielle qui, au second tour, opposait Chirac et Le Penn). Mais ici, vu la grandeur du territoire occupé par l'Union, il est clair que les quelques députés que chaque pays va élire vont être noyés dans la masse. Dès lors, la voix d'un citoyen ne représente quasi-rien et il préfère donc s'abstenir. Ceci est encore plus vrai si le pays est petit (Lituanie, Slovénie, Luxembourg).

De toute façon, qu'on vote à droite ou à gauche, à l'extrême droite ou à l'extrême gauche, il semble bien que rien ne change dans la politique de l'Union, laquelle poursuit la même ligne de conduite depuis ses origines : favoriser les échanges commerciaux et donc permettre à quelques-uns de s'enrichir plus facilement. L'Europe sociale ou l'Europe des citoyens, c'est toujours pour demain. Tout le monde la souhaite mais on ne la voit pas arriver. En attendant, chaque état a perdu une grande partie de ses compétences au profit de l'Union. Ce que le citoyen moyen retient c'est que l'entreprise dans laquelle il travaille peut maintenant faire venir légalement de la main d'œuvre polonaise (par exemple) et même la payer au prix qu'on paie en Pologne les travailleurs polonais (comme un récent arrêt de la Cour de Justice de Luxembourg vient de l'établir). Pour le travailleur français qui recherche un emploi, cela signifie qu'il va bientôt devoir accepter un emploi moins bien rémunéré, sinon on lui préférera un autre travailleur de l'Union. Quand les syndicats se mettent en grève contre ce genre de pratique comme cela a été le cas récemment en Angleterre, on leur reproche une attitude raciste, ce qui fragilise déjà beaucoup le bien fondé de leurs revendications.  Le procédé est habile. Ce sont donc maintenant les petits qui se disputent entre eux, pour le plus grand plaisir du patronat qui lui, magnanime et pas raciste pour un sou, n'hésite pas à embaucher de la main d'œuvre roumaine ou bulgare, surtout si elle coûte moins cher. Il est même tellement magnanime, ce patronat, qu'il est même prêt à délocaliser une partie de ses centres de production vers ces pays pauvres dans le seul but de relancer leur économie moribonde, mise à mal par cinquante années de régime communiste.  On reste confondu devant autant de philanthropie.

 Une autre cause du désintérêt du citoyen pour cette Europe qui se construit sans son accord (et même malgré son désaccord puisque personne n'a tenu compte des « non » français, hollandais et irlandais au projet de constitution néo-libéral qui nous propose les échanges commerciaux comme principe idéologique et comme seule valeur de la personne humaine) c'est que du point de vue politique l'élection se fait sur le plan national. Je veux dire par-là qu'il n'existe pas par exemple un parti socialiste européen (mais on aurait bien peur de voir naître un jour un tel mammouth). Les socialistes français votent pour des socialistes français et les Espagnols ou les Allemands font la même chose. Entre eux, aucun accord. Ils n'est même pas sûr qu'ils envisagent de suivre la même politique. Autrement dit, nous sommes en présence de vingt-sept petits scrutins nationaux avec des enjeux internes  et aucun parti ne propose une vue d'ensemble sur ce que devrait être l'Europe.

Il serait grand temps pourtant de voir les syndicats défendre nos intérêts sur le plan européen. Aujourd'hui, se mettre en grève quand on licencie du personnel en France (parce que des managers ont hypothéqué la survie d'une entreprise en jouant en bourse ou parce qu'ils ont voulu racheter un concurrent alors qu'ils n'en avaient pas les moyens) est suicidaire car on prend prétexte de ce mécontentement social pour tout fermer et délocaliser sous d'autres cieux. Il faudrait donc que la défense des travailleurs se fasse sur le plan européen, ce qui est loin d'être le cas.  C'est pourtant bien ce qui se passe pour le patronat, puisque les frontières sont ouvertes à tous les mouvements de capitaux. Encore qu'il convienne de nuancer cette dernière affirmation.  Tant qu'il s'agit de s'étendre, les firmes semblent avoir une vocation européenne bien ancrée, mais quand les choses tournent mal, on les voit se replier sur leur pays d'origine. Ainsi en va-t-il de ces firmes allemandes qui  ferment d'abord leurs succursales françaises afin de préserver la maison mère allemande. On ne va pas le leur reprocher, Renault avait fait la même chose il y a quelques années en fermant d'abord son site de la banlieue de Bruxelles avant de restructurer en France même (mais tout en ayant déjà un regard pointé sur les anciens pays de l'Est).

L'Union est tellement grande qu'aucun citoyen ne sait ce qui se passe dans les pays voisins. Si un Français a une vague connaissance de la politique allemande ou espagnole, qui peut se targuer de connaître les enjeux en Slovénie ou en Bulgarie ? Personne, évidemment.  Du coup, au lendemain du vote, on découvrira peut-être avec étonnement que ces pays  ont pris une position qui va à l'encontre de celle que nous aurons prise nous, court-circuitant dès lors notre propre choix. Pourquoi, dès lors, se déplacer encore pour aller voter ?

A côté de cela, vous avez les calculs électoraux des partis, qui décident de parachuter tel candidat du Nord dans le Sud-Ouest ou le contraire  (j'invente) afin d'attirer des voix. Ces politiciens-là sont certains d'être élus, ce qui fait que l'électeur a perdu en fait son pouvoir de sanctionner les erreurs commises dans le passé par ledit politicien.

 De plus, pour couronner le tout, si le clivage gauche-droite a souvent un sens dans la vie politique nationale, il ne semble pas en aller de même à Strasbourg. A-t-on jamais entendu que des débats houleux s'étaient poursuivis plusieurs jours dans l'hémicycle des députés ? Non, car en fait ils semblent tous d'accord entre eux, même s'ils ne sont pas de la même tendance politique. Cette apathie bien réelle s'explique par le fait que le Parlement ne décide à peu près rien, contrairement à ce qu'on nous dit et que c'est la Commission qui tient les rênes du pouvoir.  Dans cette Commission, où sont présents des observateurs des Etats-Unis et même d'Israël (grâce à l'intervention récente de MM Sarkozy et Kouchner), on règle surtout les grands problèmes économiques et on ne se penche pas vraiment sur les problèmes sociaux des citoyens. Faut-il s'étonner, dès lors, que ceux-ci marquent un tel désintérêt pour ces élections ? La solution, certains pays l'ont trouvée, comme la Belgique, qui rend le vote obligatoire (pour les élections communales, régionales, nationales ou européennes). Là, en quelque sorte, on est obligé d'être libre et de manifester son choix.  Que voilà une manière habile d'avoir des citoyens motivés puisqu'on aura cent pour cent de participation ! Il est vrai que le siège de la Commission est à Bruxelles et que la petite Belgique ne pouvait pas faire moins.  

 

14/04/2009

Eloge du temps

Eloge du temps qui passe et qui grignote un peu plus notre vie, saison après saison ? Non, bien sûr, ce n’est pas de ce temps-là que je veux parler ici. Celui-là est mortifère et nous savons tous, en effet, qu’un certain nombre d’années nous est imparti et qu’il s’agit d’exploiter au mieux le peu qui nous est donné si nous voulons simplement « être » et avoir le temps d’affirmer ce que nous sommes (ou du moins tenter de le faire).

Ceci dit, nous ne connaissons pas le nombre exact de ces années, lequel varie d’un individu à l’autre, ce qui, finalement, fait ressembler notre existence à une loterie de mauvais goût et nous rend tous terriblement inégaux (les uns mourant à vingt ans quand d’autres finissent centenaires).

Mais laissons-là pour aujourd’hui ces considérations un peu morbides, j’aurai bien l’occasion d’y revenir une autre fois.

Non, le temps dont je voulais parler ici est un temps positif, celui que l’on se donne pour découvrir toute chose. Dans notre vie moderne et citadine, tout se fait en vitesse, depuis le petit déjeuner qu’on prend sur le pouce avant de s’engouffrer en courant dans un métro jusqu’au travail toujours plus performant que l’on accomplit sous l’œil inquisiteur d’un manager qui cherche à rentabiliser au maximum son personnel. La rapidité semble être devenue la qualité essentielle de notre société post-moderne.

Je suis toujours étonné (les rares fois où j’ai le temps de me promener à l’extérieur pendant mon temps de midi), de voir toutes ces personnes qui grignotent un sandwich en pleine rue, ne prenant même plus le temps de s’asseoir pour manger (ce qui arrange bien par ailleurs le vendeur de sandwiches, qui ne doit plus mettre une salle à la disposition de sa clientèle et qui se contente de vendre à même le trottoir un produit par ailleurs de mauvaise qualité).

Ce qui m’étonne aussi, c’est la solitude de ces gens pressés, qui ne regardent même plus les personnes qu’elles croisent et qui, forcément, ne parlent pas et ne dialoguent pas davantage. Quand je voulais faire l’éloge du temps, c’est de ce temps-là que je voulais parler. Celui que l’on se donne pour découvrir (l’autre, la nature, un sujet d’étude, etc.)

Je me souviens, enfant, de ces longues promenades dans les bois où il fallait attendre sous un arbre que cesse l’averse qui nous avait pris au dépourvu. J’entends encore le bruit des gouttes de pluie sur les feuilles et le grand silence qui nous entourait, impressionnant. Il n’y avait rien d’autre à faire qu’attendre que cesse la pluie, ce qui donnait le temps d’observer les alentours, où il ne se passait évidemment rien d’exceptionnel. Pourtant, petit à petit, mille choses venaient frapper mon esprit en éveil : le cri d’un oiseau indigné d’avoir été mouillé, le lent cheminement d’un escargot sur l’herbe humide, la senteur de la résine du pin contre lequel je m’appuyais, le cheminement d’une chenille en dessous d’une feuille, un craquement insolite dans le lointain, le bruit soudain et étonnant d’une tronçonneuse à l’autre bout de la forêt, signe que là-bas l’averse avait déjà cessé, le brouillard qui s’élevait des arbres mouillés, dans la chaleur du mois d’août, etc. Tout cela apprend à être patient et vous donne une philosophie de vie fondée sur l’observation.

Il en va de même dans les relations humaines. Je suis quelqu’un de lent, il me faut du temps, beaucoup de temps, pour accorder ma confiance à quelqu’un. Mais ce temps, précisément, il faut savoir se le donner, pour écouter l’autre, lire ses lettres, l’observer dans ses actions. Je ne suis pas de la génération SMS et m’étonne toujours de ces jeunes qui envoient message sur message (à qui ? Pour dire quoi ?) à des correspondants qui semblent aussi nombreux que superficiels. Nous vivons, paraît-il, dans une société de communication. Mais je crois que les lettres de madame de Sévigné permettaient une approche plus riche, plus exhaustive entre les deux protagonistes qui s’écrivaient que ces messages instantanés qui ne véhiculent aucun contenu. Certes, ces lettres classiques avaient le « défaut » d’être décalées par rapport à l’actualité et on n’apprenait un événement que trois ou quatre semaines après qu’il se fut produit, mais justement cela permettait de focaliser son attention sur la personne qui écrivait et non sur l’événement en lui-même, souvent futile par ailleurs. Ce n’est donc pas sur ce qui s’était passé que ces lettres donnaient des indications en premier, mais sur la manière dont le correspondant l’avait vécu et ressenti. Dès lors, son interlocuteur pouvait mieux percevoir sa personnalité et sa sensibilité, ses peurs et ses craintes aussi. Il se faisait donc de la personne une certaine idée qui collait au plus juste avec la réalité et ni la distance qui les séparait, ni le décalage temporel n’étaient finalement une entrave à une bonne compréhension de la personne.

L’avantage de nos sites et blogues respectifs, c’est qu’ils demandent justement du temps : du temps pour rédiger un billet, du temps pour commenter et du temps pour répondre. Rien de tout cela ne se fait en direct, dans la précipitation. Il en va de même pour les éventuels messages que nous nous envoyons les uns les autres. On espère toujours recevoir une réponse, mais on n’exige pas qu’elle soit rapide, car toujours il faut se donner le temps de la réflexion, la richesse même de la réponse en dépend.

19/03/2009

Fnac

Nous parlions l’autre jour de la Fnac et de sa politique culturelle. Aujourd’hui il convient de parler de sa politique sociale. Trouvant sans doute qu’elle ne faisait pas assez de bénéfices (j’avais cru comprendre pourtant qu’elle avait parfaitement intériorisé le concept de «consommation culturelle») ou constatant que lesdits bénéfices ne suffisaient pas à contenter la boulimie des actionnaires, il a été décidé de supprimer 400 emplois en France (150 en province, 50 au siège central et 200 dans les magasins parisiens proprement dits)

Que dire d’autre ? Je ne peux que renvoyer à l’appel à l’aide repris sur le site « Turbulence » d’Alain Freixe.

13/03/2009

Des consommateurs

Je tombe l’autre jour dans la presse sur l’expression «consommateur culturel», laquelle m’a laissé quelque peu rêveur, je l’avoue. Si l’idée est d’exprimer que la personne concernée est un grand amateur de culture, un boulimique de lecture, un passionné de musique ou de films de qualité, ma foi, je veux bien l’accepter. Ce qui me dérange, cependant, c’est cette notion de consommateur. Consomme-t-on de la culture ?

- Oui, dit le directeur de la Fnac, je peux vous dire que tel client, qui a sa carte de fidélité (payante) en ordre, a acheté l’année dernière pour xxx euros dans notre magasin, c’est donc un grand consommateur culturel.

- Non, dis-je, on ne consomme pas dans une librairie comme on consomme dans une brasserie.

- Mais la Fnac n’est pas qu’une librairie, pourrait me répondre le susdit directeur, elle est aussi un lieu de vente de disques et d’appareils électroniques, photographiques ou informatiques. Et en plus c’est aussi une brasserie puisque vous pouvez boire un café ou un coca après avoir fait vos achats.

- Sachez tout d’abord, cher Monsieur, que je ne m’assois jamais dans votre cafétéria. Comment voulez-vous qu’en un lieu aussi bruyant je puisse feuilleter à loisir les livres que je viens d’acheter ? Il me faut pour cela un endroit plus calme et je préfère de loin un banc public (en souvenir de Brassens peut-être) pour parcourir quelques instants ces fameux livres avant de regagner mon domicile ou mon bureau. Ensuite, est-ce qu’acheter un lecteur DVD est un acte culturel en soi? Ce n’est qu’un appareil, une vulgaire machine. Où est la culture là-dedans ? Disons que par cet achat je me donne le moyen de pouvoir regarder des films qui eux sont en effet de la culture, si je les choisis bien. Mais ne mélangeons pas tout, s’il vous plaît. Tenons-nous en aux livres, pour ne parler que de ce que je connais. Est-ce que lire beaucoup de livres fait de moi un consommateur ? Culturel, qui plus est. Non, si je lis, je me cultive, d’accord, mais je ne consomme pas. S’exprimer de la sorte serait ramener le livre à un vulgaire objet de vente et j’imagine que ce ne peut être votre propos, Monsieur le Directeur de la Fnac.

- C’est à dire que…

- De plus, il faudrait encore voir de quels livres nous parlons, bien entendu, car les livres à succès qui s’étalent bien en vue sur vos présentoirs ne relèvent pas tous pour moi du domaine culturel, loin s’en faut. Mais vous proposez aussi des poètes, je le sais. Leurs oeuvres se trouvent au niveau du tapis, obligeant le lecteur potentiel à des acrobaties pas possibles. Vous avez une conception fort terre à terre de la culture, il me semble.

- C’est que l’on manque de place et…

- Je comprends, les locations en ville sont chères et le moindre mètre carré se paie comptant. Il faut d’abord penser aux intérêts des actionnaires avant de réfléchir au confort des lecteurs.

- Des lecteurs ? Mais à quelle époque croyez-vous vivre ? On ne vient pas à la Fnac pour lire, cher Monsieur, ni même pour feuilleter, on vient pour acheter. Et là, croyez que tout est mis en œuvre pour assurer le confort des clients, enfin, je veux dire des consommateurs, vous m’avez compris. Vous avez déjà vu le nombre de caisses qui sont ouvertes aux heures de pointe ?

- Vous avez raison et d’ailleurs il est l’heure que je m’en aille et que je passe par vos caisses. Avec mes trois livres, là, vous croyez que je suis un bon consommateur culturel ?

- Avec trois livres de poche à 6 euros le livre, ce qui ne fait que 18 euros, non, il ne faut pas rêver, vous n’êtes pas pour moi un grand consommateur culturel, désolé de vous le dire. J’ai de bien meilleurs clients que vous. Il y a en a qui dépensent dans les 400 euros en une fois. Cela va vite. Le matériel informatique est cher. Voilà des gens cultivés.

- Vous voulez dire : voilà de gros consommateurs.

- Si vous voulez. De gros consommateurs culturels. Je vois que vous m'avez enfin compris!