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02/06/2009

De l'élection européenne

Laissons pour une fois de côté la littérature pour nous pencher sur l'utilité ou l'inutilité de l'élection européenne du 07.06.09. Voilà une question qui mérite en effet d'être posée.

Nous vivons, nous dit-on, en démocratie. Nous devrions en être fiers. Pourquoi, dès lors, le taux d'abstention à l'élection européenne est-il passé de 37% à 54% ces dernières années ? Il y a à cela pas mal d'explications.

Tout d'abord, dans chaque pays, on retrouve comme candidats des politiciens bien connus qui ont souvent déjà fait preuve de leur incompétence ou qui en tout cas ont fini par lasser.

Ensuite, le résultat de ces élections est connu à l'avance puisque le citoyen moyen a peu de chance de voir sa vie quotidienne s'améliorer d'une manière ou d'une autre suite à son vote.  Quand il s'agit d'un scrutin local (communal) ou national, les enjeux sont plus directs et l'électeur veut bien se déplacer pour que sa tendance politique soit représentée (ou pour que la tendance qu'il déteste ne le soit pas, comme on a pu le voir lors de l'élection présidentielle qui, au second tour, opposait Chirac et Le Penn). Mais ici, vu la grandeur du territoire occupé par l'Union, il est clair que les quelques députés que chaque pays va élire vont être noyés dans la masse. Dès lors, la voix d'un citoyen ne représente quasi-rien et il préfère donc s'abstenir. Ceci est encore plus vrai si le pays est petit (Lituanie, Slovénie, Luxembourg).

De toute façon, qu'on vote à droite ou à gauche, à l'extrême droite ou à l'extrême gauche, il semble bien que rien ne change dans la politique de l'Union, laquelle poursuit la même ligne de conduite depuis ses origines : favoriser les échanges commerciaux et donc permettre à quelques-uns de s'enrichir plus facilement. L'Europe sociale ou l'Europe des citoyens, c'est toujours pour demain. Tout le monde la souhaite mais on ne la voit pas arriver. En attendant, chaque état a perdu une grande partie de ses compétences au profit de l'Union. Ce que le citoyen moyen retient c'est que l'entreprise dans laquelle il travaille peut maintenant faire venir légalement de la main d'œuvre polonaise (par exemple) et même la payer au prix qu'on paie en Pologne les travailleurs polonais (comme un récent arrêt de la Cour de Justice de Luxembourg vient de l'établir). Pour le travailleur français qui recherche un emploi, cela signifie qu'il va bientôt devoir accepter un emploi moins bien rémunéré, sinon on lui préférera un autre travailleur de l'Union. Quand les syndicats se mettent en grève contre ce genre de pratique comme cela a été le cas récemment en Angleterre, on leur reproche une attitude raciste, ce qui fragilise déjà beaucoup le bien fondé de leurs revendications.  Le procédé est habile. Ce sont donc maintenant les petits qui se disputent entre eux, pour le plus grand plaisir du patronat qui lui, magnanime et pas raciste pour un sou, n'hésite pas à embaucher de la main d'œuvre roumaine ou bulgare, surtout si elle coûte moins cher. Il est même tellement magnanime, ce patronat, qu'il est même prêt à délocaliser une partie de ses centres de production vers ces pays pauvres dans le seul but de relancer leur économie moribonde, mise à mal par cinquante années de régime communiste.  On reste confondu devant autant de philanthropie.

 Une autre cause du désintérêt du citoyen pour cette Europe qui se construit sans son accord (et même malgré son désaccord puisque personne n'a tenu compte des « non » français, hollandais et irlandais au projet de constitution néo-libéral qui nous propose les échanges commerciaux comme principe idéologique et comme seule valeur de la personne humaine) c'est que du point de vue politique l'élection se fait sur le plan national. Je veux dire par-là qu'il n'existe pas par exemple un parti socialiste européen (mais on aurait bien peur de voir naître un jour un tel mammouth). Les socialistes français votent pour des socialistes français et les Espagnols ou les Allemands font la même chose. Entre eux, aucun accord. Ils n'est même pas sûr qu'ils envisagent de suivre la même politique. Autrement dit, nous sommes en présence de vingt-sept petits scrutins nationaux avec des enjeux internes  et aucun parti ne propose une vue d'ensemble sur ce que devrait être l'Europe.

Il serait grand temps pourtant de voir les syndicats défendre nos intérêts sur le plan européen. Aujourd'hui, se mettre en grève quand on licencie du personnel en France (parce que des managers ont hypothéqué la survie d'une entreprise en jouant en bourse ou parce qu'ils ont voulu racheter un concurrent alors qu'ils n'en avaient pas les moyens) est suicidaire car on prend prétexte de ce mécontentement social pour tout fermer et délocaliser sous d'autres cieux. Il faudrait donc que la défense des travailleurs se fasse sur le plan européen, ce qui est loin d'être le cas.  C'est pourtant bien ce qui se passe pour le patronat, puisque les frontières sont ouvertes à tous les mouvements de capitaux. Encore qu'il convienne de nuancer cette dernière affirmation.  Tant qu'il s'agit de s'étendre, les firmes semblent avoir une vocation européenne bien ancrée, mais quand les choses tournent mal, on les voit se replier sur leur pays d'origine. Ainsi en va-t-il de ces firmes allemandes qui  ferment d'abord leurs succursales françaises afin de préserver la maison mère allemande. On ne va pas le leur reprocher, Renault avait fait la même chose il y a quelques années en fermant d'abord son site de la banlieue de Bruxelles avant de restructurer en France même (mais tout en ayant déjà un regard pointé sur les anciens pays de l'Est).

L'Union est tellement grande qu'aucun citoyen ne sait ce qui se passe dans les pays voisins. Si un Français a une vague connaissance de la politique allemande ou espagnole, qui peut se targuer de connaître les enjeux en Slovénie ou en Bulgarie ? Personne, évidemment.  Du coup, au lendemain du vote, on découvrira peut-être avec étonnement que ces pays  ont pris une position qui va à l'encontre de celle que nous aurons prise nous, court-circuitant dès lors notre propre choix. Pourquoi, dès lors, se déplacer encore pour aller voter ?

A côté de cela, vous avez les calculs électoraux des partis, qui décident de parachuter tel candidat du Nord dans le Sud-Ouest ou le contraire  (j'invente) afin d'attirer des voix. Ces politiciens-là sont certains d'être élus, ce qui fait que l'électeur a perdu en fait son pouvoir de sanctionner les erreurs commises dans le passé par ledit politicien.

 De plus, pour couronner le tout, si le clivage gauche-droite a souvent un sens dans la vie politique nationale, il ne semble pas en aller de même à Strasbourg. A-t-on jamais entendu que des débats houleux s'étaient poursuivis plusieurs jours dans l'hémicycle des députés ? Non, car en fait ils semblent tous d'accord entre eux, même s'ils ne sont pas de la même tendance politique. Cette apathie bien réelle s'explique par le fait que le Parlement ne décide à peu près rien, contrairement à ce qu'on nous dit et que c'est la Commission qui tient les rênes du pouvoir.  Dans cette Commission, où sont présents des observateurs des Etats-Unis et même d'Israël (grâce à l'intervention récente de MM Sarkozy et Kouchner), on règle surtout les grands problèmes économiques et on ne se penche pas vraiment sur les problèmes sociaux des citoyens. Faut-il s'étonner, dès lors, que ceux-ci marquent un tel désintérêt pour ces élections ? La solution, certains pays l'ont trouvée, comme la Belgique, qui rend le vote obligatoire (pour les élections communales, régionales, nationales ou européennes). Là, en quelque sorte, on est obligé d'être libre et de manifester son choix.  Que voilà une manière habile d'avoir des citoyens motivés puisqu'on aura cent pour cent de participation ! Il est vrai que le siège de la Commission est à Bruxelles et que la petite Belgique ne pouvait pas faire moins.  

 

Commentaires

J'ignorais que le vote était rendu obligatoire dans certains pays de l'union.
Une chose est certaine, c'est que nous nous ignorons superbement les uns les autres, nous contentant d'envisager les choses à grands traits. Saurais-je d'ailleurs intégrer la complexité supposée ?
J'aime ce billet, cette façon de dire des tas de choses importantes, sans en avoir l'air. Du grand art. Merci.

Écrit par : Michèle | 02/06/2009

Je ne sais pas si c'est du grand art, c'est surtout un cri de révolte contre une situation qui me semble bloquée.
C'est comme les Irlandais, on attend d'être sûr que le "oui" l'emportera à 51% pour les faire revoter. Après on nous dira que c'est ce que les citoyens ont voulu.

Mais je ne suis pas forcément contre l'Europe, mais je veux celle des citoyens et de la culture, pas celle de l'argent de quelques-uns.

Écrit par : Feuilly | 02/06/2009

Et pourtant "l'esprit des affaires monte à l'assaut des affaires de l'esprit". L'argent sans rivage domine.
La culture est de plus en plus sous la houlette des businessmen.
Des coalitions européennes pour la diversité culturelle (Belgique, Allemagne, Hongrie, Slovaquie, Suisse, Grande-Bretagne et France) viennent d'adopter à Paris le 5 mai 2009, une déclaration demandant instamment à la Commission européenne de mettre un terme à l'inclusion systématique de protocoles de coopération culturelle dans les accords commerciaux internationaux.

Écrit par : Michèle | 02/06/2009

Tout ceci est fort juste et bien vu, Feuilly.
Je relève quand même ça, qui, bien que ce soit une fumisterie, on est bien d'accord, demanderait à être clarifié pleinement :

"...et même la payer au prix qu'on paie en Pologne les travailleurs polonais "....

Je connais beaucoup de jeunes Polonais contraints à l'exil. C'est presque atavique et ça fait plus de deux siècles que ça dure.
Il faut, je crois, être Polonais pour comprendre ça. Exil politique, exil de survie, exil pourchassé par les baïonnettes russes ou autrichiennes, exil des artistes persécutés par les différents pouvoirs.
Aujourd'hui, ceux qui partent en exil, pour d'autres raisons que strictement intimes, sont volontaires à cet exil.
Si c'est pour gagner la somme qu'ils gagneraient chez eux, crois-moi bien, Feuilly, ils resteraient sur leurs racines.
Comme tout le monde. Nul ne se déchire le cœur par plaisir d'être ailleurs.

Les grands diplômés polonais se retrouvent loufiats à Londres. Ce qui a fait dire à ces salopes d'Anglais, avec leur accent mielleux, ironique, et leur humour à la con, leur humour d'impérialistes eunuques :
" Nous avons les garçons de café les plus diplômés du monde..."

Écrit par : Bertrand | 04/06/2009

"les garçons de café les plus diplômés du monde..."

Oui, c'était pareil à Paris dans les années 30: tous des russes blancs, des comtes ou des vicomtes (enfin, ceux-ci n'étaient pas diplômés, mais on ne s'attendait pas à les retrouver dans ces emplois-là).

Mais je savais que tu allais réagir sur cette phrase concernant les Polonais. Aucun mépris ni aucun reproche de ma part, tu t'en doutes. Je dis simplement que les anciens pays de l'Est offrent à nos capitalistes une main d’œuvre moins chère que la nôtre. Dans un premier temps ils ont délocalisé leurs usines là-bas. Maintenant, c'est la main d’œuvre qui vient à eux. Il est quand même fort qu'on puisse dans la même firme et pour le même emploi payer le Polonais moins cher. C'est scandaleux pour le travailleur français mais aussi pour le polonais, qui, même s'il gagne plus que chez lui, se fait quand même exploiter aussi.

Du coup les travailleurs indigènes locaux deviennent racistes (ou leur révolte est présentée comme raciste alors qu'ils défendent leur emploi et leur salaire), ils votent pour l'extrême droite et cela renforce encore l'emprise politique de la droite et du capital. La gauche (molle et sans ambition aucune il faut bien le dire), elle, se fait le défenseur des droits de l'homme (et donc des immigrés, polonais ou autres), mais du coup elle se coupe de son électorat ouvrier.

Il faut faire très attention à ce genre de situation. Quand le racisme refait surface, c'est la preuve que le gâteau à partager est devenu trop petit (ou que certains en ont déjà emporté une grosse partie). C’est comme cela qu’on a commencé dans les années 1930 et on a vu ce que cela a donné dix ans après. Quand il n’y aura plus d’emploi pour personne, au lieu de faire la révolution contre le système comme en 1789, les gens vont s’en prendre aux immigrés qui viennent prendre leur travail. C’est déjà un peu sur cela que Sarkozy s’est fait élire (se protéger de la « racaille des banlieues »).

Cette époque ne me plait pas. Elle est injuste, cynique et les citoyens deviennent de plus en plus égoïstes. Au lieu de renverser le capital, ils s’en prendront, en effet, au travailleur polonais.

Écrit par : Feuilly | 04/06/2009

Tout à fait en phase avec ce que tu dis là.
Je sais bien qu'il n'y avait nul mépris de ta part concernant le travailleur polonais. Ce serait le monde à l'envers..
Cette époque ne me plaît pas du tout non plus.

La Révolution française (je suis en plein dedans depuis le début de l'année, tu le sais, avec Michelet). Œuvre historique mais surtout d'une écriture exquise....Bref

Un des grands enjeux : faire sauter l'ancien découpage entre les régions, péages, frontières intérieures, droits de passage, etc, tout ce canevas féodal étant devenu invivable pour le capitalisme naissant et le commerce en expansion galopante. C'est le sens profond, caché, de la fameuse formule que nous n'avons retenue, puisqu'on nous l'a présentée ainsi, que par sa beauté idéologique : " Une et indivisible".
Et ça été d'ailleurs le principal objet du discours de Danton à l'ouverture de la Convention : La propriété des biens de production et d'échange, le libre commerce.
Bref, les assises de la bourgeoisie (au sens marxiste).

Nous avons retrouvé, en gros, le même problème avec la construction financière et capitaliste de l'Europe. Faire sauter les frontières, trop étriquées avec l'expansion mondial des capitaux. C'est ça et que ça la construction européenne.
L'Europe des citoyens, il faudra aller la chercher nous-mêmes et c'est pas pour dimanche prochain, vois-tu...

Écrit par : Bertrand | 04/06/2009

Oui, je crois que j'ai cité un peu vite 1789. C'est vrai que dans notre imaginaire cela représente la fin de l’Ancien régime et la fin des privilèges. Mais on oublie de dire que le peuple fit ce jour-là la révolution pour instaurer une bourgeoisie qui allait s’emparer du pouvoir et s’octroyer les fameux privilèges.

Cette révolution a tellement été glorifiée par les artistes (ce que tu disais l’autre jour) qu’on en a fait un mythe, alors que ce n’est finalement que l’éviction d’une classe sociale par une autre. Depuis la fin du Moyen-Age la noblesse avait perdu son utilité guerrière et depuis la même époque le commerce prenait de plus en plus d’importance. Les seigneurs avaient d’ailleurs dû concéder des chartres communales, qui octroyaient des libertés aux villes. 1789 n’est finalement que l’aboutissement de ce lent processus.

Écrit par : Feuilly | 04/06/2009

Le seul révolutionnaire connu qui soit parvenu jusqu'à nous de cette époque, celui qui n'avait pas grande vision politique, était un fou sanguinaire, complètement exalté, un désaxé du sabre et du sang : Marat.
Il réclamait une dictature citoyenne !!!!
Comme l'autre une dictature prolétarienne...

Robespierre n'avait d'usage politique que la calomnie, le mensonge, la dissimulation et la manipulation.

Il paraîtrait, selon Michelet qui cite ses sources, que la fameuse victoire de Valmy dont on nous a rebattu les oreilles qu'elle était la victoire des citoyens en armes, a été acquise pratiquement sans combat, Danton, alors ministre, ayant négocié en-dessous la retraite des Prussiens.

Cela faisait longtemps que la noblesse n'avait plus un sou, surtout celle des campagnes. Cela faisait longtemps que la richesse était passée au Tiers État (marchands, fabricants, négociants). D'ailleurs, l'Assemblée constituante comptait dans ses rangs beaucoup de nobles, dont le plus célèbre, Mirabeau, acquis, non pas à la République (l'Assemblée constituante avait horreur de ce mot) mais à une royauté libérale, constitutionnelle.
Bref, une royauté sans les entraves du féodalisme afin que les gros sous tombent sans formalité dans les poches de la nouvelle classe.

La classe la plus réfractaire fut le clergé. Bizarrement, ayant perdu la dîme, à cause de laquelle il guerroyait sans cesse avec le paysan, il retrouva auprès des susdits paysans tout son aura et la force de tous ses mensonges dès l'abolition des privilèges. C'est ainsi qu'il put, de confessionnal en confessionnal, intoxiquer dans l'ombre et faire se soulever les départements de l'ouest, principalement par les femmes. (Désolé)
Ce bon clergé, fidèle à la papauté, organisait de véritables pogroms à l'encontre des prêtres constitutionnels.

Pour en revenir à l'Europe, se souvenir que son embryon était dans une communauté des aciéries. C'est par là qu'il faut commencer. La suite n'a été que la traduction de plus en plus pressante des besoins du capital à créer un espace sans entraves.
Un jardin exclusif

Écrit par : Bertrand | 04/06/2009

Une sorte d'Eden doré réservé à quelques-uns, en quelque sorte. Un paradis d'avant la chute.

Écrit par : Feuilly | 04/06/2009

On peut dire ça comme ça.
Voire l'espérer.

Écrit par : Bertrand | 04/06/2009

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