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07/04/2011

De la Libye

Je reviens une dernière fois sur la guerre en Lybie. Ce qui frappe, dans cette affaire, c’est la mauvaise foi et le mensonge généralisé de la coalition. Je continue à dire que le but ultime n’est pas d’empêcher des massacres de civils, mais bien de faire tomber Kadhafi pour mettre en place un régime qui nous serait bien plus favorable. Si on en croit certaines sources, des militaires et des diplomates anglais étaient d’ailleurs présents en Libye avant même que ne soit votée la résolution de l’ONU :

http://www.romandie.com/infos/news2/110306142633.hwfq2tsp.asp

Je ne dirai pas que la révolte populaire a été attisée sciemment, puisque tout le monde arabe est en ébullition, mais une fois que cette révolte a éclaté en Libye, il est clair que certains ont tenté d’en profiter. Que faisaient sur le sol libyen des soldats britanniques en armes ? Qu’y faisaient des diplomates ? Assurément, il s’agissait de convaincre les insurgés d’accepter l’aide occidentale. Ceux-ci, craignant à juste titre qu’on ne détournât leur combat de son but initial, auraient tout d’abord refusé toute ingérence étrangère (d’où cette arrestation) avant finalement de l’accepter. Mais qui a accepté ? Les dirigeants, ceux qui se sont mis à la tête des révoltés, autrement dit d’anciens fidèles de Kadhafi qui ont retourné leur veste. Des gens pas trop fréquentables donc, puisque l’un serait l’ancien ministre de l’intérieur qui avait donné l’ordre de torturer les infirmières bulgares et l’autre serait un des juges qui les avaient condamnées à mort. Bref, des opportunistes prêts à tout pour conserver leur petit pouvoir. Après avoir soutenu Kadhafi, ils vendent maintenant leur pays à des étrangers tout en parlant subitement de démocratie. Etrange. Mais ils savent que c’est grâce à ces étrangers qu’ils occuperont de hautes fonctions dans la Libye de demain. Ils ne peuvent donc qu’approuver l’intervention de l’Angleterre et de la France.

Tous les jours on voit d’ailleurs d’anciens fidèles du colonel faire sécession. De là à penser que des agents secrets occidentaux les manœuvrent en leur promettant l’amnistie, il n’y a qu’un pas…

En résumé, nous avons donc une révolte populaire spontanée (du moins espérons-le) qui est dirigée par d’anciens fidèles de Kadhafi et qui est noyautée par l’Occident. Il est d’ailleurs curieux que le peuple accepte ainsi sans broncher de recevoir des ordres de ceux qu’ils combattaient la veille encore. Imaginerait-on des proches du Maréchal Pétain se mettre à la tête de la Résistance en 1944 ?

Ce qui est tout aussi curieux, ce sont les armes dont disposent ces insurgés. Ils ne sont pas armés de bâtons mais de mitrailleuses. On a même vu qu’ils disposaient d’avions puisque l’un d’entre eux s’est écrasé l’autre jour. Curieux civils donc. Certes, on sait que des militaires libyens ont fait défection, mais il ne fait pas de doute que des armes sont acheminées en secret. BHL ne s’en cachait pas l’autre soir au journal d’Antenne 2 : l’armée égyptienne, celle qui a instauré la démocratie au pays des Pharaons, fournit des armes aux insurgés. On sait aussi que les Anglais et l’ami Sarkozy suggéraient d’armer les rebelles, afin d’éviter que la coalition ne doive envoyer des troupes au sol. Car il y a tout de même un petit problème. L’Occident, après avoir obtenu l’accord des pays arabes (comprenez : l’accord des dirigeants arabes pro-occidentaux, pas forcément la rue arabe. Ceci dit, la rue arabe est occupée à se battre partout contre ses dirigeants, alors elle ne va pas s’opposer à ceux qui gentiment viendraient donner un coup de main pour expulser le dictateur libyen) et après avoir obtenu le feu vert de l’ONU, l’Occident, dis-je, espérait un peu que Kadhafi allait quitter le pouvoir après les premières frappes aériennes. Mais voilà que celui-ci s’accroche à son trône et ne veut pas partir (du moins c’est ce qu’il dit). Or nos frappes aériennes (bien ciblées et qui ne font jamais de dégâts collatéraux) montrent leurs limites. Elles conviennent peut-être pour séparer les belligérants (ce qui était tout de même le sens de la résolution de l’ONU, ne l’oublions pas) ou du moins pour réduire les capacités aériennes de Kadhafi, mais elles se montrent inefficaces pour renverser le colonel. Ou alors il faudrait tout détruire. Mais comment justifier la mort de milliers de citoyens, ceux-là mêmes qu’on venait précisément libérer ?

La solution, c’est donc d’armer les rebelles, en espérant qu’ils seront assez malins pour parvenir où nous voulons qu’ils parviennent, à savoir instaurer la démocratie (et la libre circulation des biens et des richesses). Mais certains pays de la coalition s’y opposent. La Belgique, par exemple (qui n’a toujours pas de gouvernement, mais qui est partie en guerre sans sourciller, on se demande d’ailleurs sur quelle base légale) a refusé de fournir des armes aux révoltés en faisant remarquer, à juste titre, qu’en prenant ouvertement parti pour un des belligérants, on sortait du cadre de la résolution de l’ONU. Après la défection allemande, voilà l’Europe bien divisée. Et les Etats-Unis qui comptaient sur nous pour mener à bien cette opération le plus rapidement possible (et qui parlent d’ailleurs de se retirer et de ne fournir que des renseignements via leurs satellites) ! La belle croisade de Sarkozy semble manquer de souffle. 

En attendant, si l’issue des combats est incertaine, on peut toujours faire la guerre avec les mots. C’est ainsi qu’on n’insistera pas trop sur le F15 américain qui s’est écrasé (car défaillance technique ou riposte de Kadhafi, dans les deux cas ce n’est pas trop glorieux) ni sur les insurgés que notre aviation a malencontreusement mitraillés. On ne parlera pas non plus du coût des missiles que l’on a tirés (et qui seront payés par le contribuable) ni de la présence d’uranium appauvri dans ces mêmes missiles (ce qui risque tout de même d’affecter durablement la santé des populations civiles qu’on vient soi-disant délivrer). On préférera mettre en avant les termes, bien plus commodes, « d’opération humanitaire ». Il n’empêche que dans cette affaire et sans aucune sympathie de ma part envers Kadhafi, on pourrait quand même se demander qui sont les agresseurs et les agressés. 

En réalité nous sommes ici en présence d’une guerre civile, ni plus ni moins. Et dans cette guerre civile, nous avons privilégié un camp. Officiellement, le meilleur, celui de la démocratie. En pratique, on s’immisce dans un pays étranger en soutenant une partie de la population contre une autre (car Kadhafi n’est pas un homme seul, il a ses partisans et ils semblent nombreux) et en mettant sans vergogne à la tête de l’insurrection des anciens cadres du régime que l’on combat. Le but n’est donc pas de parvenir à une démocratie exemplaire, mais de remporter une bataille sur le terrain puis d’imposer à la tête du pays « libéré » un gouvernement fantoche qui sera à nos ordres. Si par malheur on ne parvient pas à déloger Kadhafi, on coupera le pays en deux : la Cyrénaïque avec ses puits de pétrole sera libre (et notre armée sera bien présente pour protéger cette liberté) et la Tripolitaine sera abandonnée au vieux colonel. Si ce n’est pas du colonialisme déguisé, tout cela, je ne sais pas ce que c’est.

 

Oui, mais vous me direz que j’exagère et qu’un authentique vent de liberté souffle sur les pays arabes. C’est vrai. Mais en attendant, les réformes tardent à se mettre en place en Tunisie, au point que quelques citoyens clairvoyants se demandent déjà si on n’est pas en train de récupérer leur révolution. En Egypte, l’armée est au pouvoir et on attend la suite. Quelque chose me dit que si la colère populaire s’exprime à nouveau, on la fera vite taire. Pourquoi en effet continuer à manifester puisque la démocratie est officiellement rétablie ? Manifester, ce serait en quelque sorte faire œuvre de terrorisme et le nouveau régime trouvera bien le moyen de se défendre. Au Yémen, la situation est encore confuse et personne ne sait dire comment les choses vont se terminer. Cette incertitude n’est pas sans inquiéter Washington, soyez-en certains. Pour le reste, notre presse dite libre nous parle bien peu de ce qui pourrait se passer en Arabie (il faut donc croire que la démocratie y règne puisqu’il n’y a pas de révolte) et encore moins de ce qui se passe réellement à Bahreïn (pour rappel, c’est l’armée saoudienne qui est allée réprimer les manifestations). Par contre on écrit beaucoup d’articles sur la Syrie. Tiens donc, encore un pays qu’on n’aime pas trop et où on verrait avec satisfaction un changement de régime (vous pensez, aux portes d’Israël…). Mais bon, en attendant, Bachar el-Assad s’accroche et ne parle pas vraiment de réformes démocratiques. Finalement, quel que soit le pays arabe que l’on regarde et que des révolutions y aient eu lieu ou pas, je ne vois pas encore de changements fondamentaux. Oui, deux dirigeants qui s’étaient honteusement enrichis ont été priés de partir (et nous sommes occupés à en chasser un troisième), mais en dehors de cela ? Peut-on vraiment parler de démocratie et de libertés ? C’est ce à quoi les peuples arabes aspirent et ils en ont montré la voie. Mais y parviendront-ils ? C’est ce que je leur souhaite, mais j’ai bien peur que demain la victoire ne leur échappe au profit de quelques nouveaux parvenus qui vont à leur tour s’enrichir sur leur dos. Avec la bénédiction de l’Occident évidemment. Pourquoi la libre circulation des biens se limiterait-elle à l’Europe ?

 

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Image TF1

Commentaires

Dans "Le Monde" de ce samedi:

"Des incidents ont éclaté dans la nuit de vendredi à samedi sur la place Tahrir, au Caire, où l'armée égyptienne est intervenue pour disperser des manifestants.
Des dizaines de milliers de personnes s'étaient rassemblées la veille sur la place devenue le symbole de la révolution égyptienne pour réclamer des poursuites judiciaires contre Hosni Moubarak et reprocher aux autorités militaires, qui ont pris les rênes du pays, leur lenteur dans la lutte contre la corruption. Deux hommes ont été tués par balles après l'intervention de l'armée égyptienne pour disperser des manifestants, a-t-on appris samedi de source médicale"

La démocratie est loin d'être retrouvée, donc. Et en Libye, le conflit s'enlise.

Écrit par : Feuilly | 10/04/2011

Bien sûr, les potentats locaux ne sont pas près de lâcher prise. Il n'empêche que le mouvement est bien réel.

Écrit par : Opus | 11/04/2011

Très bonne analyse, mais tu pourrais envoyer cela à une Carte Blanche au Soir par exemple... As-tu déjà lu le blogue de Gérard de Sélys? (Orienté très à gauche, évidemment...) Mais dans l'ensemble, je suis assez d'accord avec tout cela.

L'éternel problème est d'ailleurs, un vrai problème de "conscience", quand il y a guerre civile dans un pays, faut-il intervenir ou non? N'est-ce pas de l'ingérence? Et dans quel but? Faut-il pour autant couvrir certains massacres (ou ne pas tenter d'intervenir, quoiqu'on ait vu ce que cela a donné au Rwanda - les casques bleus massacrés)

De plus, qu'est-ce que nous avons à offrir comme image de la démocratie? En me cantonnant à la Belgique, force m'est de reconnaître qu'elle n'est pas vraiment en progrès, depuis qu'en 48, on a accordé le droit de vote aux femmes...

Quant à ce gouvernement en affaires courantes qui effectivement déclare une guerre (et personne ne bronche, je crois qu'on est tellement tétanisé qu'on ne peut même plus bouger de son fauteuil) et a de plus en plus de pouvoir... Ca me renverse.

Ce qui ne me donne pas envie pour autant d'avoir un gouvernement... De droite...

Écrit par : Pivoine | 13/04/2011

@ Opus : oui, le mouvement est bien réel et il y forcément plein de personnes de bonne foi (dans les deux camps d'ailleurs). Mais j'ai justement l'impression qu'on profite de la bonne foi des insurgés, non pour les aider vraiment, mais essentiellement pour se débarrasser de Kadhafi. Une fois celui-ci parti, les laissera-t-on mettre sur pied le régime qu'ils souhaitent? Ce sera comme en Irak ou en Afghanistan, on imposera un régime qui sera surtout en notre faveur.

@ Pivoine: oui, l'Occident aime donner des leçons de démocratie, mais celle-ci est en perte de vitesse. Et pas un peu !

Écrit par : Feuilly | 18/04/2011

Finalement je commence à me demander si vous n'avez pas raison. Ceci dit je me console quand même avec l'idée qu'un terrible bain de sang a été évité : nous portons tous en nous le regret d'avoir laissé faire le génocide du Rwanda

Écrit par : Rosa | 22/04/2011

@ Rosa : bien sûr que j'ai raison! (sourire)

A-t-on évité un bain de sang? On le saura plus tard. En attendant on ignore ce qui se passe à Misrata. Espérons au moins que cette intervention n'ait pas excité encore davantage Kadhafi. Quand il est aculé, le lion du désert peut vraiment devenir sanguinaire.

Écrit par : Feuilly | 22/04/2011

Pour le bain de sang, on ne saura jamais...Quant au lion du désert je pense que malgré tout il a perdu de sa superbe !

Écrit par : Rosa | 25/04/2011

@ Rosa : il ne peut que perdre de sa superbe si on bombarde son palais, ce qui, il me semble, dépasse tout de même les résolutions de l'ONU. Preuve qu'on s'est servi de cet organisme pour pouvoir légalement intervenir là-bas. Et l'Amérique comme la France vont donner pas mal d'argent aux insurgés. Pour des raisons humanitaires? Non, plutôt pour relancer leur économie (ou pour acheter des armes). Je ne dis pas que c'est mal. Je dis qu'en attendant ce sont les citoyens ordinaires (français et américains) qui financent pour que les riches d'Occident puissent aller faire des affaires là-bas. Le même genre d'affaire qu'Alliot-Marie ou sa famille pouvait avoir avec les milliardaires amis de Ben Ali. Bref, il n'y a rien de neuf, sauf que cela va "enfin" pouvoir se passer en Lybie aussi. Faut-il vraiment s'en réjouir?

Écrit par : Feuilly | 27/04/2011

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