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22/03/2011

Des guerres démocratiques

On ne me fera pas croire qu’on s’intéresse vraiment au peuple libyen. Voilà 40 ans que celui-ci doit supporter Kadhafi et cela n’a jamais inquiété personne. Quant à Sarkozy, qui soutenait encore Ben Ali il y a un mois (au point de vouloir lui envoyer sa police pour faire le ménage plus proprement et surtout plus efficacement), il a été tellement ridicule qu’il essaie de redorer son blason en soutenant la révolution libyenne. Lui, qui n’aime que les Français riches, se mettrait à soutenir des Arabes pauvres ? Allons, allons…

 

Et l’Occident irait dépenser une fortune en armement pour une telle cause ? Laissez-moi rire. Le but est autre, évidemment. Puisque tous les dictateurs tombent les uns après les autres, c’est le bon moment  pour faire tomber Kadhafi, un des seuls qui ne nous était pas favorable. Ensuite, on fera semblant de promouvoir la démocratie en instaurant un régime qui nous obéira au doigt et à l’oeil. La preuve, c’est que les révolutionnaires-insurgés brandissent déjà le drapeau du roi Idris, ce fantoche mis autrefois en place par les Anglais et qui a bradé le pétrole libyen un bon prix tout en acceptant que son territoire serve de base à nos armées.

 

Je soutiens ces révolutions populaires arabes, qui sont justifiées. Pourquoi le peuple devrait-il végéter au bord de la misère alors que quelques familles vivent dans l’opulence en s’appropriant toutes les richesses du pays ?

 

Pour ouvrir une parenthèse, remarquez que cette situation est un peu semblable à celle que nous connaissons, mais disons que nous avons notre système de sécurité sociale ( allocation de chômage, soins de santé, retraites) qui permet tout de même de réduire l’écart existant entre les plus pauvres et les plus riches d’entre nous. Ecart qui se creuse pourtant de jour en jour. Quand le système libéral aura tout démantelé, les inégalités deviendront tellement flagrantes qu’on risquerait bien, chez nous aussi, d’avoir des soulèvements populaires difficiles à contrôler.

 

Mais fermons cette parenthèse et revenons au monde arabe. Le peuple va-t-il jouir de la  liberté et du bien-être auquel il aspire ? Non évidemment. En Tunisie, la situation est encore un peu confuse, mais en Egypte les choses sont déjà beaucoup plus claires. L’armée est au pouvoir. Belle démocratie ! Et quelle armée ? Une armée dont tous les hauts dirigeants ont été formés aux Etats-Unis. Une armée qui depuis des décennies collabore avec Israël pour maintenir le blocus de Gaza, cette étroite bande de terre où sont enfermés d’autres Arabes musulmans comme eux et que l’on a bombardés aujourd’hui même encore. Je ne pense pas que ce soit vraiment là la volonté du peuple égyptien.

 

Quant à la Libye, comme  le soulèvement populaire spontané ( ???) était en train de perdre du terrain devant Kadhafi, on ne pouvait que l’aider. Comme cela nous aurons dans toute l’Afrique du Nord des régimes dits « démocratiques » qui seront nos alliés. Nous pourrons commercer avec eux, leur vendre nos produits, exploiter leur main d’œuvre bon marché et surtout y cantonner nos armées dans des camps construits rien que pour nous.

 

Il existe cependant une zone d’incertitude. On entend que cela gronde beaucoup au Yemen, à Bahreïn et dans le sultanat d’Oman. A Bahreïn, il s’agit de renverser la dynastie des Al-Khalifa, au pouvoir depuis trois siècles. Au Yemen, c’est Ali Abdallah Saleh, que le peuple tente de faire partir. Surnommé le « boucher », il dirige le pays depuis 1978. A Oman, c’est Qaboos qui devient indésirable, lui dont les ancêtres étaient déjà à la tête de l’état en 1749 !

 

Là aussi les peuples se révoltent à juste titre. Là aussi on entend dire qu’on tire dans la foule. L’Occident s’en émeut-il ? Sarkozy envoie-t-il les avions de la coalition (payés par nos impôts quand même) pour rétablir l’ordre ? Nullement.

 

Et quand les émeutes vont éclater en Arabie ? Demandera-t-on au roi d’abdiquer ? Lui enverra-t-on nos chars pour le déloger de son palais ? Certainement pas. Et au Maroc ? On sait que sous l’ancien roi des opposants politiques ont été emprisonnés pendant trente ans, qu’ils vivaient dans des conditions d’insalubrité épouvantables et qu’ils étaient même torturés de temps à autre. Quelqu’un s’en est-il jamais indigné ?

 

Ce que je veux démontrer, c’est qu’il y a bien deux poids deux mesures. L’Occident intervient là où cela l’arrange. Et quand je dis l’Occident, je devrais dire l’Amérique, car dans cette affaire, malgré les discours tonitruants de Sarkozy, la vieille Europe n’a fait que suivre et obéir. La France seule conservait encore un peu d’indépendance (un peu) mais depuis que l’ami Nicolas l’a fait rentrer dans l’Otan, elle est devenue elle aussi le valet de l’Amérique. Obama, prix Nobel de la Paix, commence cette troisième guerre avec réticence (il est déjà bien embourbé en Afghanistan et en Irak), aussi pense-t-il déléguer le commandement des opérations à ses alliés. Pourquoi s’en priverait-il, en voyant l’enthousiasme de Sarkozy pour partir en guerre…

 

Reste que la situation est complexe. Ne pas agir, c’était en effet laisser un peuple se faire massacrer (mais pourquoi alors au Yémen, à Oman…), ce qui n’est pas acceptable. Agir, c’est se donner le beau rôle en soutenant une aspiration à la démocratie plus que légitime (personne, en effet, ne regretterait le départ du dictateur Kadhafi, qu est parvenu à se mettre tout le monde à dos, les Occidentaux comme les Arabes, les communistes comme les religieux). Mais agir, c’est aussi se servir de cette aspiration légitime des peuples à accéder à un peu plus de liberté pour finalement mieux les dominer économiquement parlant. Car derrière ce beau geste sarkozien, c’est l’imposition de la libre circulation des biens et des marchandises qui se dissimule. La Lybie était un état fermé, où l’état contrôlait tout. Avec la démocratie, on pourra privatiser des pans entiers de l’économie et imposer le libéralisme. Quelques Libyens s’enrichiront. Beaucoup d’Occidentaux également. Quant au peuple, il a l’habitude d’initier des révolutions qui lui échappent toujours.

 

Voilà pourquoi les avions français sont partis détruire les Mirages libyens. Encore heureux que Kadhafi ait renoncé récemment à acheter des Rafale, sinon on aurait eu de beaux combats aériens avec des avions français dans les deux camps. C’est Dassault qui se serait frotté les mains…

 

Libye, Sarkozy, révolution, Kadhafi

 

 

 

L'Express