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16/03/2011

Au pays du soleil levant.

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Photo de presse

 

 

 

Que dire encore après tout cela ? Quel sens pourrait bien avoir l’écriture devant de telles catastrophes ?

Se souvenir qu’on était tous méfiants devant cette technologie nucléaire, très méfiants. Comme devant toute technologie d’ailleurs.

J’avais dix-sept ans et j’étais au lycée. Dans les couloirs, après le cours, nous discutions avec le professeur de mathématique de la pertinence des centrales nucléaires. Nous étions jeunes, nous avions en nous le goût de l’opposition, nous avions également une fibre vaguement écologique (c’était l’époque du Larzac, du camp militaire qu’on devait construire là-bas, des Parisiens qui quittaient leurs bureaux pour aller élever des moutons sur le Causse). Lui, il nous vantait la puissance de la technique, l’indépendance énergétique enfin trouvée, ainsi que les possibilités immenses et infinies de l’atome. Nous, plus terre à terre, nous demandions : « Et s’il se produit un accident ? » « C’est impossible », répondait-il péremptoire. « Même s’il y a un accident, il y a tellement de moyens de sécurité qui sont mis en place, qu’il est impossible que quelque chose tourne mal. »

« Oui, mais si tous ces moyens de sécurité tombent en panne les uns après les autres ? » argumentions-nous, plus pour le plaisir de la discussion d’ailleurs que par conviction, car nous nous rendions bien compte que ce que nous disions là n’avait pas beaucoup de sens. Alors le vieux professeur, qui ressemblait un peu à Einstein, nous donnait sa réponse et cette réponse, nous la connaissions à l’avance. Il était impossible, statistiquement parlant, que dix moyens de prévention tombent en panne en cascade.

« Et en cas de tremblement de terre ? » avais-je demandé. « Impossible qu’il y ait des dégâts, les constructions sont faites pour résister à tout ». « Et si on bombarde la centrale en cas de guerre ? », avait demandé un autre élève, plus pessimiste encore que moi. « Alors, si c’est la guerre, il y aura déjà tellement de morts que ce n’est pas une petite catastrophe de plus qui va changer grand-chose » lui avait répondu le professeur, avant de remonter ses lunettes et de s’acheminer vers une autre salle de cours.

Je l’ai regardé s’éloigner. Ce jour-là, moi qui étais dans une section littéraire et qui, la tête pleine d’Homère et de Virgile, ne raisonnais pas comme lui, je me suis dis que malgré toutes ses certitudes, il ne devait pas avoir raison.

Aujourd’hui, devant l’ampleur du désastre qui peut-être se prépare, je ne suis pas spécialement fier d’avoir eu finalement raison. Pour une fois, je voudrais au contraire m’être lourdement trompé.

Commentaires

«...ll était impossible, statistiquement parlant, que dix moyens de prévention tombent en panne en cascade. » Je croie entendre mon prof de math. Grâce à ce raisonnement on évacue "le possible" tel qu’il est défini par Bergson c'est-à-dire une « création continue d’imprévisible nouveauté ». Le raisonnement mathématique, et plus précisément statistique, considère qu’un événement improbable est un événement impossible. A Fukushima, plusieurs événements prévisibles par les scientifiques-donc individuellement maitrisés- se sont ligués pour créer une nouveauté considérée jusqu’à présent comme impossible (probabilité statistiquement nulle selon nos profs.). Les pilotes d’avions modernes nous expliquent que les accidents aériens sont, en majorité, dus à la combinaison de plusieurs petits incidents. Curieusement le nucléaire qui incarne le risque majeur, rejette cette possibilité. Tous les scénarios sont étudiés, nous dit-on, et tout est sous contrôle… Cette fois, à Fukushima, c’est la faute à pas de chance!

Écrit par : Halagu | 16/03/2011

@ Halagu : voilà, c’est exactement cela. On évacue la possible puisqu’il y a vraiment peu de chances qu’il se produise.
Or notre société, axée sur la science et la technique fonctionne comme cela. On peut comprendre aussi. On ne peut pas arrêter le progrès pour éviter un accident qui n’a qu’une chance sur un milliard de se produire. Mais bon…

A la limite, je serais plutôt pour le nucléaire, qui limite notre dépendance au pétrole, nous évite de devoir faire la guerre aux pays qui en possèdent, comme les Américains le font dans le golfe (avec le drame humain qu’il y a derrière et le coût exorbitant de cette guerre plus que contestable déontologiquement parlant) et à court terme cela pollue moins qu’une centrale au charbon par exemple. Mais par contre il y a des risques énormes (que faire des déchets et que faire en cas d’accident). Et là, il faudrait réfléchir davantage. Notre société technicienne se contente de regarder les avantages et s’il n’y a qu’un ou deux pour cent d’inconvénients, elle les considère comme négligeables. C’est là que cela ne va pas. Un philosophe comme Ellul a très bien montré cela. Le technicien a toujours raison quand il propose une découverte car il évacue justement les effets négatifs, les trouvant peu nombreux. Et puis il insiste sur le peu de probabilités que ces effets négatifs ont de se produire. Or ceux-ci peuvent être dramatiques, comme on le voit ici au Japon. De plus ils étaient prévisibles, bien qu’improbables.

Un autre exemple : les manipulations génétiques. Il y a du positif (éviter des maladies congénitales par exemple) mais aussi des risques. Ainsi, j’ai toujours dit que le jour où les gens pourront choisir le sexe de leur enfant, l’équilibre naturel sera rompu. Or je lisais hier que c’est exactement ce qui se produit en Chine, sans même passer par les manipulations génétiques, mais à cause de l’échographie, tout simplement. Avec la loi sur l’enfant unique, les couples, par tradition culturelle, ont tendance a privilégier les garçons et donc à avorter si l’embryon est une fille. Du coup, on se retrouve avec 125 jeunes garçons pour 75 filles, ce qu va poser un problème quand cette population sera adulte.

Pour revenir à la centrale, on apprend :

1) Qu’elle pouvait résister à un tremblement de terre de degré 7
2) que le bouclier de béton a été réduit par Général Electric pour limiter le coût de construction (et donc vendre plus de centrales dans le monde).

Écrit par : Feuilly | 16/03/2011

Je pense que ton professeur envisageait les meilleurs conditions de production du nucléaire et il n'avait peut-être pas entièrement tort.
J'ai un mari ingénieur qui sans avoir travaillé directement dans le nucléaire a des amis dans des industries qui le font : le problème est la maintenance. Pour être fiable elle coûte très cher. Au Japon comme en France on fait sans doute trop d'économies sur ces exigences.
C'est plus le procès du libéralisme économique qu'il faut faire...

Écrit par : Rosa | 18/03/2011

Je crois que dans quelques semaines, nos inquiétudes vis à vis du nucléaire vont décroitre, nos peurs seront noyées progressivement dans nos actes quotidiens et l’accident au Japon sera classé comme une histoire purement japonaise. Dans quelques mois nous irons même chercher des justifications à la construction de nouvelles centrales (ne va-t-on pas tous rouler dans des voitures électriques propres!) et nous retrouverons demain nos certitudes scientifiques balayées aujourd’hui par la force de la nature.

Écrit par : Halagu | 20/03/2011

@ Halagu: tout à fait. La récente guerre en Libye nous fait déjà oublier le Japon. Il y aura bien un nuage radioactif jeudi sur l'Europe, mais "sans danger pour la santé" nous dit-on. Tout le monde peut se rendormir...

Écrit par : Feuilly | 21/03/2011

@ Rosa : je suis d'accord. A-t-on d'autre choix que le nucléaire? Mais qu'on ne dise pas qu'il est sans danger et mettons tout en oeuvre pour qu'il reste propre.

Écrit par : Feuilly | 21/03/2011

Les commentaires sont fermés.