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31/10/2007

Autre bonne nouvelle

Je lis à l’instant ce communiqué de l’Agence France Presse que les journaux ne semblent pas pressés de répercuter. Alors voici l’information :

« PARIS (AFP) — La cote de confiance de Nicolas Sarkozy baisse de quatre points par rapport à octobre à 53%, et celle de François Fillon chute de huit points à 44%, selon le baromètre TNS-Sofres pour le Figaro Magazine à paraître samedi 3 novembre, rendu public mercredi ».

Ainsi donc Nicolas n’était peut-être pas grand par la taille, mais au moins il occupait les sommets dans les sondages. Il semble bien que ce ne soit plus le cas, ce qui fait qu’il ne lui reste plus grand chose. De plus 60 % des Français souhaiteraient un nouveau referendum sur le raccourci de traité européen que l’on est occupé à faire passer derrière notre dos. Lui qui avait cru qu’en votant pour sa personne le bon peuple acceptait de fait ce traité (il l’a dit, je l’ai entendu), il va devoir revoir sa position. Qu’il se dépêche à le ratifier avant de passer en dessous des 50%. Il n’a d’ailleurs pas à le relire puisque le nouveau traité n’est qu’un résumé de l’ancien. Même Giscard l’a dit et il doit savoir de quoi il parle car, jouissant d’une retraite bien méritée dans son château de Chamalières, il a sûrement eu le temps de comparer les deux versions.

Et qu’est-ce que cela implique, finalement, ce traité ? Beaucoup de choses, mais notamment la privatisation des services publics. On s’y prépare déjà. Ainsi en Belgique, il n’y a peut-être pas de gouvernement, mais il y a assurément des idées. On apprend que La Poste a imaginé de se passer des services de 7.000 facteurs (ce qui, vu l’exiguïté du territoire est énorme) et de les remplacer par… des ménagères sans emploi. D’abord elle seront obligées de se lever tôt et ce sera bien fait pour elles mais surtout on pourra les payer beaucoup moins cher, ce qui est assurément intéressant quand on est un patron. Voilà donc un pays où les hommes de lettres ne sont plus à l’honneur…

ceci dit, il y avait moyen de trouver du personnel qualifié encore moins cher:

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Bonnes nouvelles

Dans la presse d’aujourd’hui, rien que de bonnes nouvelles.

Tout d’abord, le petit Nicolas (prince de Sarkozie et actuellement porteur de couronne au royaume de France), a non seulement demandé une augmentation de salaire de 140 % mais en plus il l’a obtenue. Il n’y a pas à dire, quand on se lève tôt et qu’on parcourt la planète dans tous les sens, on est récompensé. Au moins il y a une justice sociale.

A propos de justice sociale, les syndicats en sont encore à se demander s’ils n’organiseraient pas une nouvelle grève pour défendre les régimes spéciaux de pension. Ils sont en retard. Le gouvernement a déjà expliqué qu’il fallait 40 ans de cotisation pour tout le monde afin d’être équitable. Depuis, il défend déjà l’idée que ces 40 ans doivent devenir 41 ans. Evidemment, si tous les pensionnés veulent vivre un an de plus sur le compte de la collectivité, il ne faut tout de même pas exagérer. Mourir ou cotiser, il faut choisir. Encore quelques semaines et on proposera le chiffre de 45 années pour une carrière normale. Il faut être logique : pourquoi n’y aurait-il que le prince de Sarkozie qui devrait se lever tôt ?

Hier, justement, ledit prince s’était rendu en Corse, qui est manifestement la nouvelle île à coloniser (à moins qu’il n’ait rendu visite à ses anciens beaux-parents et à la mafia locale). «On va vous aider à vous développer et on va faire de la Corse un exemple de réussite républicaine », a-t-il dit sur le même ton qu’il employait jadis dans les banlieues, quand, encore petit candidat, il disait «cette racaille, on va vous en débarrasser ». Il a donc parlé d’investissements. Veut-il investir dans les appartements touristiques de masse et remplacer la côte sauvage par un boulevard digne des bords de Seine tout en faisant plaisir à ses amis entrepreneurs ? Probablement pas. Enfin il n’a rien dit de tel, craignant sans doute qu’on ne place une bombe sous sa voiture (il est sage, car c’est le contribuable qui l’a payée). Non, ce qu’il a proposé, c’est de remettre en question la notion de service public dans les transports. L’Etat n’a plus à assurer des lignes de bateaux régulières (qui coûtent cher), il doit laisser la place à des firmes privées qui font sans doute cela bénévolement puisque le prix de leur billet est moins cher. Donc, en disant, « on va vous aider », Sarko pensait surtout au portefeuille de l’Etat français. Qu’il est brave, tout de même. Les Corses étant presque des Français, ils vont y gagner aussi.

Autre bonne nouvelle, le secrétaire d’Etat à la consommation, Luc Chastel, voudrait privatiser le secteur de l’énergie, afin que le Royaume ne soit plus en retard par rapport aux autres pays européens. Ce serait le principe de l’offre et de la demande, le producteur proposant son prix et le fournisseur l’acceptant ou non. Ce système génial a déjà permis à la Belgique d’augmenter la facture de gaz des particuliers de 30 %, ce qui est remarquable. On aura compris qu’avec ce principe ce n’est pas toujours le consommateur qui gagne, mais au moins il y a toujours un gagnant.

Du côté de l’enseignement, on sait que les élèves du primaire n’iront plus à l’école le samedi et qu’ils pourront donc se lever plus tard. Pourquoi me direz-vous les travailleurs doivent-ils se lever tôt et travailler plus longtemps (voir chapitre des pensions ci-dessus) alors que les enfants doivent faire le contraire ? C’est pour mieux apprendre, nous dit le ministre. Moins on étudie et plus on sait donc. Le système d’apprentissage est donc inversement proportionnel au système de production. Je ne le savais pas (de mon temps on passait encore beaucoup d’heures à l’école) mais le ministre, lui, le savait et c’est ce qui compte. Ce n’est pas pour rien qu’il est ministre. C’est évidemment pour sa compétence qu’on l’a nommé et pas parce qu’il connaissait Cécilia (imaginerait-on une chose pareille ? Il n’y aurait plus de justice).

Les élèves travailleront moins, mais pas les instituteurs, nous a-t-on assuré. Il y a cependant 11.000 postes à supprimer (raison d’économie oblige, c’est normal, il faut être rentable). Oui, mais où et comment ? On imagine déjà de limiter le nombre de redoublement. Ainsi cela fera moins d’élèves au total (puisque la scolarité sera plus courte), moins d’instituteurs et de professeurs et plus d’amour propre pour les jeunes puisqu’ils « n’échoueront » presque plus. Sans doute sortiront-ils avec un diplôme sans avoir maîtrisé toute la matière, mais tout ce qui compte, c’est le diplôme, non ? C’est bien pour cela que Dati avait triché en disant qu’elle détenait celui qu’elle n’avait pas. Mais bon, il faut oser parfois si on veut avoir du boulot. Au moins elle n’est pas chômeuse, elle.

Et les universités dans tout cela ? Les étudiants (surtout ceux de lettres, ces éternels rouspéteurs) continuent à désapprouver le principe de la décentralisation (qui permettra aux régions riches d’avoir un bon niveau d’enseignement et aux régions pauvres de ne plus avoir d’enseignement du tout) ainsi que celui de la responsabilité financière (qui consiste à gérer une université comme une firme privée, autrement dit à ne faire que ce qui rapporte). Ils ont tort, ces étudiants. Quel meilleur moyen de les préparer à la vie des grandes entreprises si ce n’est en rendant leur école semblable à ces grandes entreprises (toutes grandes fournisseuses d’emploi et générant des bénéfices plantureux, comme chacun sait). Vous me direz que les étudiants en lettres ne se retrouveront pas dans ces grandes entreprises mais dans l’enseignement. Comme il n’y a plus de postes de professeurs de prévu, qu’on supprime une fois pour toutes ces sections qui ne servent à rien.

Le groupe franco-américain Alcatel-Lucent, quant à lui, parle de supprimer 4 000 postes, mesure qui viendra s'ajouter à celle déjà mise en oeuvre en février dernier : 12 500 postes avaient été supprimés, dont 1 468 en France. Le but est de réduire les frais afin de dégager (enfin ) des bénéfices (Le sud-coréen Samsung Electronics a de son côté annoncé un chiffre d'affaires de 100 milliards de dollars en 2007, ce qui est nettement mieux). Pour le moment, on ne sait pas encore dans quelle proportion la France sera touchée par ces licenciements. On espère qu’elle le sera beaucoup, ce qui permettra à quelques travailleurs de se lever un peu plus tard. Le libéralisme, en effet, ne vous demande pas des sacrifices toute votre vie, il ne faut pas croire ceux qui vous disent cela.

Dans la presse internationale, on apprend que le barrage de Mossoul en Irak risque de s’effondrer. Cela provoquerait une vague de 20 m de haut qui irait jusqu’à Bagdad et occasionnerait la mort de centaines de milliers de personnes. C’est, paraît-il, les fondations du barrage qui ne sont pas solides. Un petit incident (une bombe américaine larguée là par erreur, par exemple) et c’en est fini des opposants au régime de Bush. Magnanimes, les Américains ont déjà proposé de le reconstruire. Voilà qui va donner de l’emploi et en cette période de crise il faut s’en réjouir. De toute façon les Irakiens ont de quoi payer puisqu’ils ont du pétrole. C’est même nous qui le leur achetons.

Les vrais faux orphelins du Tchad ne seront plus vendus en France pour la modique somme de 2.400 euros. Il faudra attendre la reprise des hostilités pour avoir de vrais orphelins labellisés qu’on pourra revendre plus cher. Kouchner, le sauveur, veut d’ailleurs un couloir humanitaire pour résoudre le problème. Il défend aussi la présence de Total en Birmanie, société, qui, si elle s’en allait de ce pays, laisserait un vide économique sans précédent et fort préjudiciable à la population. Nous n’en avons jamais douté. Le côté philanthropique de Total n’a jamais échappé à personne.

29/10/2007

Ecriture

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Regards.


Mauvaise nouvelle, le quai du métro est noir de monde ! L'idée de laisser passer une ou deux rames ne m'enchante pas. Après, il va falloir courir, arriver en retard au bureau, essuyer encore une fois les remarques ironiques des collègues… Et le patron, la tête qu'il va faire ! Voilà un lundi qui commence bien mal.

Le métro arrive enfin, bondé à craquer. Je ne fais ni une ni deux : je pousse, je bouscule, je me faufile, je joue des coudes et je finis ainsi par me retrouver à l'intérieur, coincé contre la porte qui se referme avec un bruit sec. Ouf ! Sur le quai, les exclus n'ont pas l'air content… Je m'en moque: j'y suis tout de même arrivé.

C'est bien ma seule consolation. Ecrasé entre une quinquagénaire obèse et deux adolescents à baladeur, je regarde stoïquement défiler les stations. Il fait chaud, étouffant. A X. tout le monde descend ou presque. Enfin une place assise. Je sors mon bouquin et commence ma lecture. Le rêve !

C'est en relevant la tête que je l'ai vue. Jeune, fine, racée, plongée elle aussi dans un livre, dont j'essaie aussitôt de découvrir le titre. Dostoïevski ! C'est donc une ténébreuse, une passionnée des destins tragiques, une qui sait que la vie finit toujours mal. Voilà qui me plait. Nos regards se croisent. Etincelle d'une seconde. Tout est dit. Elle a baissé les yeux trop vite, montrant par-là son trouble. Intimidé, je replonge dans ma lecture. Mais les regards se cherchent, s'évitent. Puis je me fais piéger dans le reflet de la vitre, où elle m'attend déjà, regard oblique qui m'observe un instant. Que faire ? Comme un idiot je replonge dans ma lecture. Elle fait de même. Les mots défilent, incompréhensibles. Les stations aussi.
Soudain, elle se lève et descend. Adieu le rêve.

Sur le quai, elle tourne la tête, dernier regard, long et grave. Puis elle passe derrière la vitre déformante et kaléidoscopique de l'escalator, avant de disparaître pour toujours.

Qui parlera un jour de ces belles inconnues qu'on aurait pu aimer ?


Pour "Paroles plurielles"

27/10/2007

Le monde comme il va

On apprend que Jean-Marie Colombani, l'ancien président du directoire du Monde, a négocié avec l'actuelle direction des indemnités de licenciement d'environ 950.000 euros. En fait, son contrat prévoyait qu’en cas de rupture il devait rester journaliste tout en conservant son salaire de patron.

Le président de la Société des rédacteurs du Monde (SRM), Jean-Michel Dumay, a jugé ces indemnités "indécentes". "Evidemment, elles représentent un quart du bénéfice d'exploitation du groupe. « C'est impudique sur le plan social, au regard des efforts qu'on a faits et qu'on va sans doute encore devoir faire", a ajouté M. Dumay.

Il a raison. Surtout qu’au même moment Alain Minc annonce que le journal sera déficitaire en 2007. La solution ? Comme d’habitude : prendre des mesures d'économies sur toutes les charges.

Décidément, le monde n’est plus ce qu’il était…

26/10/2007

De la littérature comme moyen de survie.

Toujours dans le contexte de l’île (voir textes précédents) on pourrait se demander si ce lieu mythique n’est pas avant tout intérieur. Certes, on peut s’isoler à la campagne et refuser la compagnie des hommes afin de ne pas compromettre son « moi » avec ce monde mercantile qui est devenu le nôtre. Mais on peut tout aussi bien opérer un repli intérieur et s’adonner par exemple à la lecture et à l’écriture, sans pour autant rompre tout à fait avec la société. Une question cependant se pose. Cette activité intellectuelle qui nous apparaît à nous comme une échappatoire, une percée décisive contre la bêtise ambiante, ne peut-elle être qualifiée de fuite en avant, de refuge, voire de régression ?

Pour le dire autrement, est-il normal de lire (ou d’écrire) ? Un être normalement constitué a-t-il besoin de ce jeu qui consiste à vivre ou à créer des mondes imaginaires ? Un homme (une femme) adulte, en pleine maturité, est supposé(e) agir sur le monde qui l’entoure et non pas se complaire dans la fiction ou la poésie. Sommes-nous donc des anormaux, nous qui lisons et écrivons ? Pourtant cette activité nous semble primordiale et elle ouvre assurément notre esprit à des considérations plus hautes que ne peuvent le faire la plupart de nos actions quotidiennes.

D’un autre côté l’écriture peut se révéler être une arme redoutable, par les idées qu’elle véhicule et par la critique de la société qu’elle implique. La lecture aussi, forcément. Alors, sommes-nous en retard, attardés en quelque sorte dans l’enfance, avec nos contes et nos chimères ou bien au contraire sommes-nous en avance, dénonçant déjà avant la majorité de nos contemporains les travers d’une société qui nous convient peu ?

Ceci dit l’écriture n’est pas seulement critique du monde ambiant. Elle est avant tout retour dans le fort intérieur, recherche de la vérité qui sommeille au fond de chacun de nous. Il nous appartient d’être ce que nous sommes (comme un chat est chat jusqu’au bout des griffes) et cela en dépit du contexte dans lequel nous vivons. L’idéal étant sans doute de trouver une adéquation entre nos aspirations intimes et le monde extérieur. Il faut alors passer par des compromis (c’est sans doute ce qui distingue l’âge adulte du temps de l’adolescence, plus intransigeant et surtout soucieux de trouver la pureté absolue). Les problèmes commencent quand ces compromis deviennent trop nombreux. Notre « moi » alors s’évanouit devant le « ça » (pour parler comme les philosophes, lesquels n’ont jamais rien fait d’autre que de tenter d’endiguer l’absurdité de la vie par des échafaudages théoriques bien illusoires). C’est à ce moment-là, en fait, que nous recherchons la fameuse île, afin de nous ressourcer et de redevenir nous-mêmes.

25/10/2007

De l'avant-garde (ou la nouvelle garde du Président).

Il n’y a pas si longtemps, Madame Lagarde était inconnue en France et plus particulièrement en politique. Avocate, elle avait fait toute sa carrière aux États-Unis. Elle fut présidente du Comité stratégique du premier cabinet mondial de droit des affaires (le cabinet Baker & McKenzie à Chicago). En avril 2005, elle entra au Conseil de surveillance de la multinationale néerlandaise ING Groep. Remarquée par JP Raffarin, elle quitta alors les Etats-Unis pour devenir ministre du Commerce extérieur dans le gouvernement de Dominique de Villepin. Cela suppose de sa part un revirement complet, puisqu’elle n’avait rien fait d’autre jusque là que défendre les intérêts des multinationales états-uniennes contre les entreprises françaises et européennes.

Il faut savoir aussi qu’elle a milité au sein du CSIS (Center for Strategic & International Studies), un « lobby » pétrolier. Là, elle présidait une commission USA/UE/POLOGNE, dont les préoccupations étaient la libéralisation du marché polonais. Dans ce cadre, elle a été amenée à défendre les intérêts de Boeing et Lockheed-Martin contre ceux d’Airbus et de Dassault. Tout cela se solda par la vente, à la Pologne, en avril 2003, pour 3,5 milliards de dollars, de 48 chasseurs F-16 Lockheed-Martin dont ce pays n’avait aucun besoin. Pour payer, le gouvernement polonais puisa dans les fonds qu’il avait reçus de l’Union européenne et qui étaient destinés au secteur agricole. On aurait pu espérer une autre attitude de la part de la Pologne, à peine arrivée dans l’Union.

Notons en passant que le président de Lockheed a été par ailleurs le principal bailleur de fonds du Comité pour la libération de l’Irak. Irak où nous avons retrouvé l’armée polonaise derrière Georges Bush. Tout se tient. Cela a permis à Bush d’opposer la « vieille Europe », représentée par la France et l’Allemagne, timide et opposée à la guerre et la « nouvelle » Europe (en gros les pays de l’Est), touts prêts à s’engager à ses côtés pour établir un nouvel ordre mondial. Ce sont donc bien les citoyens européens, avec leurs impôts, qui ont indirectement permis à l’armée polonaise de s’équiper et d’entrer dans un conflit qu’elle désapprouvait, tout cela pour le plus grand profit des USA (puisqu’une des multiples raisons de l’engagement en Irak était d’y supplanter les firmes françaises et allemandes comme Thomson et Siemens).
Mais revenons à Mme Lagarde. Une fois dans le gouvernement de de Villepin, elle a aussitôt déclaré qu’il fallait réformer le droit du travail qui, « constituait souvent un frein à l’embauche et à un certain nombre de décisions d’entreprendre ». Tout un programme.
En juillet 2007, on a pu l’entendre, devant l’Assemblée, faire l’éloge du travail (égratignant au passage Paul Lafargue et son « Droit à la paresse » ainsi que les 35 heures).
Dans un article daté d’hier, Le Figaro s’est félicité de la présence d’une femme au G7. Il s’est cependant montré beaucoup plus discret sur le passé de cette femme, dont la vie a surtout été consacrée aux firmes privées, aux Etats-Unis de surcroît. Et on va nous faire croire qu’elle a renoncé à un plantureux salaire pour venir défendre les intérêts des Français. Il ne faudrait tout de même pas nous prendre pour des naïfs.

24/10/2007

Raison et beauté.

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A notre époque et en Occident, on a l’impression que seul compte le progrès technique. L’homme se pense dans une Histoire sans cesse en devenir, étant entendu que les lendemains ne peuvent être que meilleurs. Cette conception linéaire de l’Histoire n’a un sens que si on lie le futur à la notion de progrès. Comment imaginer, en effet, que l’humanité pourrait régresser ? Par respect pour lui-même, l’homme s’invente donc dans un devenir sans cesse meilleur, un peu comme les enfants qui se regardent grandir et qui rêvent du métier qu’ils feront plus tard.

Il y aurait beaucoup à dire sur cette conception du temps qu passe.

D’abord, il n’est pas du tout sûr que demain sera mieux qu’hier. On a connu des périodes sombres où c’était même carrément le contraire, que l’on songe à la chute de l’Empire romain sous les coups des barbares ou plus récemment à la guerre 40-45. Il existe ainsi des époques, qu’on le veuille ou non, où le confort et la culture reculent. Le progrès se trouve alors derrière soi. C’est d’ailleurs en regardant en arrière que les humanistes de la Renaissance sont allés puiser dans l’Antiquité les forces capables de faire avancer le monde.

Les Grecs avaient une notion cyclique du temps. Sans doute faut-il y voir un confort de l’esprit, puisque cette conception contient en elle-même des germes d’éternité : tout change, mais un jour ou l’autre tout redevient comme avant et l’Age d’or est de nouveau atteint. Est-ce le christianisme, avec ses idées de parousie et de jugement dernier qui nous a fait renoncer à cette vison cyclique ? Peut-être bien, à moins que ce christianisme n’ait enseigné une telle doctrine parce que précisément la conception du temps avait changé (il est toujours difficile, devant un phénomène, de déterminer la cause de la conséquence).

Mais revenons aux Grecs. Sans doute leur manière de voir les choses nous semble-t-elle naïve, mais ils avaient au moins cette supériorité sur nous de conserver un certain équilibre. Autrement dit, il y avait des limites qu’il ne fallait pas franchir. Ainsi parvinrent-ils à concilier les progrès techniques avec le culte de la beauté. Quant à leur conception de la démocratie, la taille même de leurs cités permettait une juste participation de chacun. Nous, au contraire, dans notre démesure, nous courons vers un futur incertain, misant exclusivement sur le progrès technique (comme si lui seul pouvait donner le bonheur) au détriment de la réflexion, du bien-être et du respect envers la beauté. Conciliant à la fois le sacré et la raison, la Grèce antique semble bien éloignée de notre conception matérialiste, au point qu’on en viendrait à regretter que le temps, précisément, ne soit pas cyclique, ce qui nous assurerait au moins de repasser un jour par cet Age d’or irrémédiablement perdu.

En misant tout sur la technique et la domination de la nature, nous sommes arrivés à mettre notre existence même en péril. De la bombe atomique au réchauffement climatique, de la pollution aux insecticides cancérigènes, l’avenir même de l’humanité semble compromis par nos découvertes. On n’ose d’ailleurs imaginer quel monstre pourra un jour sortir des laboratoires de la génétique. Il nous faudra alors construire un nouveau labyrinthe pour enfermer ces nouveaux minotaures à visage humain, nous tournant une nouvelle fois vers cette Grèce des origines pour trouver une solution aux problèmes que nous aurons créés.

Si chez nous tout est matériel, la réflexion spirituelle (et je ne prends pas ce terme dans son sens spécifiquement religieux) fait de plus en plus défaut. Se contentant de confort matériel, « homo modernus » en oublie de réfléchir sur lui-même et sur sa destinée. Car cette île dont nous parlions dans la note d’hier, ce lieu où il nous serait possible de nous arrêter pour réfléchir, est avant tout un lieu intérieur. Hélas, pressés par la vie courante, nous vaquons à nos occupations à un rythme de plus en plus effréné. Il n’y a plus de place pour la poésie ni même simplement pour se regarder vivre.

Ces dernières années, le néolibéralisme et la mondialisation de l’économie nous ont entraînés dans une course à la concurrence. Il faut être productif, construire tout plus vite, mieux et moins cher que votre voisin, sinon vous êtes perdu. Or, quand on voit à quel prix on trouve de la min d’œuvre dans certains pays, on se dit qu’on ne sera jamais concurrentiel, à moins d’accepter de travailler 10 heures par jours tout en vivant sous le seuil de pauvreté. Dans un tel monde, où l’argent est roi, on ne se préoccupe plus du bien- être ni encore moins de la spiritualité ou de la poésie. Nos grands-parents ont encore connu une époque où un petit artisan pouvait fabriquer un objet avec l’amour du métier, essayant humblement de le rendre le plus beau possible. Cette époque est révolue. Il reste l’argent, pour quelques-uns du moins. Quant aux autres… Ils cherchent une île.

22/10/2007

Une île

« Il n’y a plus de déserts. Il n’y a plus d’îles. Le besoin, pourtant, s’en fait sentir. Pour comprendre le monde il faut pouvoir se détourner ; pour mieux servir les hommes, les tenir un moment à distance. Mais où trouver la solitude nécessaire à la force, la longue respiration où l’esprit se rassemble et le courage se mesure ? »

Camus, l’Eté ("le Minotaure ou la Halte d’Oran")

Je me demande parfois s’il est encore possible de rester soi-même. Le monde, autour de nous s‘agite. Partout, ce ne sont qu’attentats, tueries, révolutions, contestations, répression. Parlant tout à tour de Gaza, de l’Irak, de l’Iran, du Liban, de la Birmanie, de la Turquie, du Kurdistan, les journalistes nous donnent le tournis. Certes, il faut se tenir au courant, mais d’un autre côté, cette immédiateté de l’information nuit à notre jugement. Nous ne faisons plus que « zapper » d’une catastrophe à l’autre, sans avoir même le temps de connaître les tenants et les aboutissants d’une affaire. Nous sommes noyés par la surabondance des informations. Sans compter que celles-ci sont partiales et se veulent telles. Impossible de faire confiance à qui que ce soit. Tout est orienté et déformé afin de nous conduire dans une direction. Rien n’est jamais gratuit. Comment ne pas se méfier quand on sait que les journaux comme les chaînes de télévision appartiennent à de grands groupes proches du pouvoir ? Et en plus de tout cela, on vient nous saouler avec détails sans intérêt, comme le divorce de son éminence Nicolas de Nagybocsa. Il y a fort à parier que demain les magazines « people » seront pleins de photographies nous montrant la nouveau roi de Sarkozie en tain d’échanger un sourire avec quelque star de cinéma ou quelque princesse en mal d’amour. Manière habile de nous faire oublier les vrais problèmes : l’emploi qui se fait rare, la législation sociale qui est revue à la baisse, les salaires qui ne suivent pas l’inflation, les empires financiers qui se créent sur notre dos, etc.

Mais en dehors de tout cela (que ce soit cette actualité internationale omniprésente et désespérante ou nos conditions de vie immédiate), qui sommes-nous, en tant qu’homme ? Où est le vrai fondement de notre être ? Sans vouloir revenir au recueillement des moines du Moyen-Age, moi qui suis bien peu religieux, je me mets cependant à rêver d’un monde où l’on pourrait enfin réfléchir calmement et finalement proclamer, après mûres réflexions, ce que l’on a à dire. Car la vie est courte et comme disait l’autre il n’y en a qu’une. Il est donc important de lui donner un certain sens, du moins à nos propres yeux. Certes, nous ne transformerons pas le monde (ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas s’engager et combattre toutes les injustices), mais il conviendrait au minimum d’être en paix avec nous-mêmes. La seule manière d’y arriver est d’exprimer ce que nous sommes vraiment. Chaque être est unique et il sent obscurément qu’il est dans ce monde pour clamer sa vérité propre. Pour ce faire, il faut savoir prendre du recul avec les événements, mais pour pouvoir prendre du recul, il faut savoir s’isoler et boucher provisoirement nos oreilles à la rumeur du monde.

Où trouverons-nous une île ? Existe-t-elle seulement ?



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18/10/2007

Ecriture

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La chambre mystérieuse


Elle n’avait pas connu sa mère, morte en lui donnant le jour et avait toujours vécu dans cette grande maison déserte au bord du fleuve. Une maison immense, d’un autre temps, en partie délabrée et qui ne comportait pas moins de quarante pièces. Son père en était le gardien et tentait de la maintenir en état. Le propriétaire, lui, on ne l‘avait même jamais vu. Tous les mois, le salaire tombait et c’était tout. Pour le reste, personne ne venait jamais ici.

Enfant, elle passait son temps à rêvasser le long du fleuve, au pied du grand escalier de pierres. Elle s’inventait des amies afin de pouvoir jouer à la marelle ou bien elle se perdait dans le labyrinthe de la maison. A chaque fois, elle venait buter sur une porte hermétiquement close, celle de la chambre secrète. On ne l’ouvrait jamais et elle ignorait ce qu’elle contenait. Son père en gardait la clef sur lui, solidement attachée par un cordon autour du cou. Quand elle lui posait des questions, il refusait de répondre, disant simplement qu’il y a des choses qu’il vaut mieux ne pas savoir.

Quand elle eut vingt ans, elle vint plus souvent encore s’asseoir au bord du fleuve, où aucun bateau ne passait. Elle regardait les eaux grises qui disparaissaient à l’horizon, se dirigeant vers un monde qu’elle ne connaissait pas. Alors elle imaginait qu’un jour un grand voilier viendrait, avec un beau capitaine. Et qu’il l’emporterait vers les grands ports de l’Atlantique ou peut-être même jusqu’en Amérique.

Mais personne ne venait jamais, personne. Il n’y avait que le fleuve impassible et la grande maison avec sa chambre secrète toujours fermée sur son mystère. Le temps passa et son père devint si vieux qu’il décida d’aller dans un hospice. Ce jour-là, un petit canot vint accoster le long du quai, au pied des escaliers de pierres, dans un grand silence. Sans rien dire, son père monta dedans, ensuite il dévisagea sa fille une dernière fois. « Fais bien attention à toi », murmura-t-il. Puis, retirant le cordon qu’il avait autour du cou, il lui donna solennellement les clefs de la maison.


Pour "paroles plurielles"

14:53 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : Littérature

17/10/2007

De l'édition

Sur son blogue, « La Lettrine », Anne-Sophie Demonchy nous propose un résumé de l’entretien qu’elle avait eu avec Dominique Gaultier, le directeur du Dilettante.
A un certain moment, celui-ci nous livre une réflexion pour le moins étrange :

« Si un auteur ne s’adresse pas au bon éditeur, c’est qu'il est mauvais. Il ne lit pas, donc il envoie son manuscrit comme une bouteille à la mer. Je ne crois pas qu’on écrive un chef d’œuvre sans avoir une idée de l’éditeur chez qui l’envoyer. »

Outre le fait qu’on imagine mal quelqu’un qui écrirait et qui ne serait pas, par ailleurs, passionné par la lecture, une telle phrase part du présupposé qu’il convient de lire tout ce qui s’écrit aujourd’hui (sinon comment connaître les tendances des différents éditeurs ?). Cela signifie donc qu’il vaut mieux s’imprégner des 720 romans de la rentrée que de lire les classiques, ce qui me dérange déjà quelque peu.

Il est certain qu’il est un peu vain d’envoyer son manuscrit au hasard, mais d’un autre côté le premier devoir d’un écrivain est d’écrire. Sonder les tendances éditoriales du moment fait partie d’une autre stratégie, nécessaire certes, mais qui n’a rien à voir avec les qualités littéraires dudit romancier. On pourrait plutôt parler ici d’une opération qui s’apparente à celle du marketing : savoir trouver un débouché pour son produit. Bien sûr, celui qui ne saura pas réaliser cette démarche ou qui n’aura pas les qualités pour la mener à bien pourra laisser son manuscrit moisir dans ses tiroirs. Mais est-ce pour cela qu’il faut le qualifier d’emblée de mauvais auteur ? On pourrait d’ailleurs retourner l’argument et dire que celui qui se fait éditer est peut-être justement celui qui est assez perspicace pour se rendre compte de ce qui plaira. En d’autres termes, son texte aurait pu être écrit en tenant compte d’une certaine attente. Si tout le monde agit de la sorte, on risque bien de se retrouver devant une production fort monotone. Au fait, qui a dit que les 720 romans de la rentrée se ressemblaient un peu tous et qu’ils étaient interchangeables?

De plus, si on veut bien y réfléchir, il est parfois difficile de déterminer quelle est la tendance d’un éditeur. C’est peut-être assez aisé à repérer pour les petits, qui ne proposent que quelques auteurs, mais pour les grandes maisons possédant plusieurs collections, tous les genres et toutes les tendances peuvent être représentés.

D’un autre côté, il y a lieu de considérer les propos de notre éditeur comme dénués de sens dans la mesure où (ce n’est un secret pour personne) aucun manuscrit n’est publié en arrivant anonymement par la poste. Il faut donc être introduit dans une maison d’édition pour espérer un tel honneur. Dans un tel contexte, évidemment, on comprend que la moindre des choses est de se plier à la « tendance » de la maison.

16/10/2007

Auto promotion

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"Camus est devenu l’auteur classique par excellence, celui qu’on étudie dans toutes les classes de lycée. Même les non-littéraires donneront spontanément et sans aucune hésitation le titre d’un ou deux de ses livres si on les interroge à son sujet. Ils seront même capables d’aller plus loin et définiront Camus comme l’écrivain de l’absurde, sans oublier de faire référence à sa fin tragique, dans un accident de voiture. Tout le monde croit donc bien le connaître. Et pourtant, il ne serait peut-être pas inutile de rafraîchir nos souvenirs scolaires, surtout si ceux-ci commencent à s’estomper quelque peu tant ils remontent dans le temps…"

Lire la suite dans La Presse littéraire n°11 ( en vente actuellement dans les kiosques parisiens), sous le titre "Albert Camus ou l’ambiguïté d’une révolte".

Dans le même numéro, on trouvera un autre de mes articles, intitulé « La littérature en Belgique francophone est-elle belge, française ou wallonne ?, " où il est question à la fois de la crise identitaire que traverse actuellement ce petit royaume et des rapports des pays francophones en général (Belgique, Suisse, Canada) avec la France « métropolitaine ». L’accent est mis notamment sur les rapports éditoriaux.

Enfin, notons encore un troisième article, plus modeste, intitulé lui « Littératures sur la Toile », où je donne quelques adresses qui m’ont paru intéressantes.

15/10/2007

Alina Reyes.

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Alina Reyes, dont j’avais un peu fréquenté le blogue du temps où elle en tenait un, revient sur le devant de la scène, victime de ce qui semble bien être une affaire de plagiat.

Mais d’abord, qui est Alina Reyes ? Ce nom est en fait un pseudonyme emprunté à une nouvelle de Cortazar, ce qui est déjà tout un programme. Elle s’appelle en réalité Aline Nardone et est née en 1956 en Gironde. De cette enfance devant l’océan, elle a manifestement conservé le goût de la nature et des impressions à fleur de peau. En 1988 parait son premier livre, Le Boucher, alors qu’elle est toujours étudiante en lettres. Je me souviens lui avoir demandé comment, avec le recul, elle expliquait cette publication, car on sait qu’il n’est pas facile de se faire remarquer par les éditeurs quand on est un(e) illustre inconnu(e). Sa réponse a été claire : elle était jeune, était une femme et proposait un roman érotique. Cela passait donc beaucoup mieux auprès des éditeurs (qui sont toujours habiles à flairer la bonne affaire) que les manuscrits sérieux et rébarbatifs de quinquagénaires universitaires. Donc acte.

Le problème, c’est que ce qualificatif d’érotique va lui coller à la peau. Ses autres livres ne peuvent pourtant pas tous être qualifiés de tel, loin de là. Disons plutôt qu’ils sont sensuels (ce qui est différent), sensuels dans la mesure où Alina semble décrire son corps et écrire avec ce corps. C’est qu’elle ressent intensément les expériences que la vie lui apporte, que ce soit les rapports avec les gens ou les contacts directs avec la nature. Visiblement, on a voulu la ranger une fois pour toute dans une catégorie, mais elle est trop vraie pour que cela lui convienne. D’elle, je n’ai lu que Moha m’aime , un beau récit sur un voyage au Maroc. L’héroïne, qui est en fait elle-même, y rencontre un jeune pêcheur marocain, Mohamed, avec qui elle se lie d’amitié. Mohamed est un peu son double et il vit en fusion avec la nature (il plonge dans l’océan pour pêcher des poissons qui semblent être sa seule nourriture). Insensiblement elle se rapproche de lui, fascinée par sa douceur et sa générosité. Mais leur aventure ne va pas plus loin que cette reconnaissance de soi dans l’autre (ou l’inverse). C’est donc bien d’un voyage intérieur qu’il s’agit et nous sommes à mille lieues, dans ce petit roman sensible, de l’érotisme au sens habituel. Notons que le livre se termine par un retour en France un peu désabusé. La dernière page, cependant, s’ouvre sur l’espoir. L’héroïne se retrouve dans sa petite maison au sommet des Pyrénées. De ces hauteurs enneigées, en harmonie avec la nature sauvage, elle domine le monde et la folie des hommes.

Notons que la vraie Alina possède une vieille bergerie qu’elle a restaurée, quelque part sur les hauteurs d’Argelès-Gazost. Quand elle n’est pas à Paris, elle va se ressourcer là-bas, commençant sa journée d’écriture par de longues promenades en forêt. Voilà une existence qui fait rêver : partager son temps entre l’écriture et la nature, que désirer de plus ? C’est de tout cela qu’elle parlait autrefois sur son blogue et on se dit que quelqu’un qui vit ainsi ne doit pas être bien méchant et qu’en tout cas ce ne doit pas être le genre à se complaire dans la chicane.

Pourtant, l’autre jour, il lui a bien fallu montrer les dents. Durant l’été était sorti son dernier roman, Forêt profonde, que je n’ai pas encore lu mais que je comptais de toute façon lire dans la mesure où il faisait suite à la tenue et à la fermeture de son blogue. Visiblement déçue par Internet, lieu où elle se disperse en tant qu’écrivain, elle met ses confrères en garde : « Ne vous perdez pas dans ce bourbier » et de conclure : « La blogosphère, c’est l’infini à la portée des rats. ». Nous voilà prévenus. D’après ce que je sais de ce livre, il est avant tout une sorte de mise au point avec elle-même. Elle y raconte « ses amours, ses fantasmes, son désespoir, son mysticisme, sa sensualité, sa soif de liberté, d'absolu, de solitude, de fraternité, sa révolte… ». Bref, il s’agit de quelque chose de fort personnel, une entrée au plus profond de soi-même, en quelque sorte.

Or, voilà qu’elle remarque, en lisant un roman, en l’occurrence Cercle d’un certain Yannick Haenel (par ailleurs totalement inconnu de moi, qui suis plutôt du genre à lire les classiques), l’existence de ressemblances étranges avec son propre imaginaire. Pour faire bref, disons que plus elle poursuit la lecture de ce roman et plus elle y retrouve les thèmes du sien, « Forêt profonde ». Que dis-je, non seulement des thèmes, mais aussi des détails ou même des tournures de phrases. Gênant. Gênant et révoltant, surtout qu’on l’a dit, le sujet de « Forêt profonde », c’est elle-même, Alina. On ne peut donc pas simplement supposer que les deux écrivains ont des imaginaires fort proches, ce qui peut arriver, et expliquerait qu’ils soient amenés à traiter des thèmes semblables.

Alina Reyes envoie donc quelques courriels bien sentis à Yannick Haenel, qui ne répond pas. Devant ce silence, elle passe à l’offensive sur Agoravox, déplorant moins les emprunts que le fait que, selon elle, « on » occulte délibérément son livre au profit de celui de Haenel. Ce « on » renverrait à Philippe Sollers lui-même, qui, en tant que Dieu de l’édition, fait la pluie et le beau temps dans ce petit monde :

http://www.agoravox.fr/article_tous_commentaires.php3?id_...

Puis c’est Pierre Assouline, sur son blogue, qui en parle, disqualifiant d’office l’auteur de « Forêt profonde » en laissant sous-entendre qu’elle vit mal le fait qu’on ne la met plus en avant comme du temps où elle publiait « Le Boucher ». Ceci dit, il doit savoir de quoi il parle et il est certain que la célébrité d’un écrivain tient plus à la publicité qu’on fait de son livre qu’à ses qualités d’écriture. Autrement dit, on fait apparaître ou disparaître les écrivains au gré des goûts du moment. Si nous voulons être objectifs, il se pourrait bien, en effet, qu’Alina Reyes ne réponde plus aux attentes que le monde de l’édition avait mises en elle. En voulant sortir de la zone strictement érotique où on l’a confinée, elle commet peut-être un impair (compréhensible et justifié sur le plan de la littérature, mais suicidaire sur la plan éditorial).
En attendant, il n’en reste pas moins que les procédés employés semblent scandaleux. Assouline, par exemple, donne la réponse (bien tardive) de Haenel mais refuse les commentaires postés par Alina Reyes. On voudrait couler quelqu’un qu’on ne s’y prendrait pas autrement.

Pour ceux que l’affaire intéresse, je me permets de les renvoyer au blogue d’Igor Yanka, lequel en propose un bon résumé. De plus, il a établi un historique de tous les rebondissements successifs.





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12/10/2007

Vocabulaire

Je trouve sur un « blogami » (comme on dit en bon français) le terme bien connu « seriner ».
Encore faut-il en connaître l’étymologie.

Seriner veut dire :

- « jouer avec une serinette »
- « instruire un oiseau au moyen d’une serinette »
- « faire entrer une chose dans la tête de quelqu’un à force de la lui répéter. »

Il faut savoir, bien entendu, qu’une serinette est « une boîte à musique dont on joue par le moyen d’une manivelle et dont le principal usage est d’instruire les serins et les autres oiseaux.»

C’est donc le serin qui a donné son nom à l’objet qui l’éduque. Ceci étant dit, on aurait pu croire que cet oiseau sifflait naturellement. Il semblerait bien que l’être humain ait voulu lui faire émettre des sons et des mélodies qui plaisaient d’abord à ses oreilles, ce qui est un bel exemple d’anthropocentrisme.

Le serin, soit dit en passant, est un passereau à plumage ordinairement jaune et à bec conique. Il est originaire des Canaries. « Euréka », me direz-vous, il s’agit du canari. En effet, nous parlons ici de notre bon vieux canari, qui est ainsi désigné parce qu’il est originaire de ces îles si chères au cœur des anciens navigateurs (qui pouvaient s’y ravitailler en fruits et légumes frais avant d’entreprendre la longue traversée de l’Atlantique).

Tout se complique cependant quand on veut aller plus loin dans la connaissance de cet oiseau. On apprend en effet qu’à l’origine (donc aux Canaries) il possède un plumage marbré de vert et de brun (qui lui permet de se camoufler dans les arbres de son environnement naturel) et qu’il est donc proche de notre verdier d’Europe.

Le canari serait finalement un serin dont la couleur est verte ! En fait, seuls les oiseaux nés en captivité sont jaunes (on parle d’ailleurs de « jaune canari »), car les éleveurs sont arrivés à obtenir des variations de couleurs par croisements successifs. Il paraît qu’il existe même des canaris rouges dont la couleur dépend de l’alimentation. Pour les canaris de couleur orangée, ils sont issus du croisement du canari classique avec le tarin rouge du Venezuela. On se retrouve donc avec une multitude de races parallèles, les unes étant plus recherchées pour leur chant, les autres pour leurs couleurs. Il parait que les meilleurs canaris chantent leurs trilles le bec fermé, uniquement en gonflant la gorge.

Né en captivité, condamné à vivre en cage, le canari est devenu jaune pour notre plaisir. Pour la même raison, on lui impose des cours de chants afin qu’il charme nos oreilles à partir de sa prison dorée. Rien d’étonnant à ce que ce soient les bateaux négriers qui en firent la découverte. Ce pauvre oiseau a été bien peu récompensé de sa collaboration forcée puisqu’en langage familier un « serin » désigne quelqu’un de niais (quelqu’un à qui il faut répéter cent fois la même chose, à l’aide d’une serinette, sans doute).

A côté du serin, d’autres oiseaux ont enrichi la langue. Ne parle-t-on pas de roupie (et non de roupille, comme l'a justement fait remarquer un commentateur) de sansonnet », de « cervelle de moineau », de « canard boiteux », de « poule mouillée », etc. ? Mais on peut aussi avoir la « chair de poule », «avoir des mollets de coq », « être gai comme un pinson », être « un aigle », « bayer (et non bailler) aux corneilles ». On peut aussi « clouer le bec à quelqu’un » ou « faire le pied de grue », « casser trois pattes à un canard » ou être « voleur comme une pie ». Ayant une « tête de linotte », j’oublie certainement quelques expressions…



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Voyage en URSS

Monsieur Nicolas de Boca, petit tsar de Sarkozie, a rendu visite au grand Tsar de toutes les Russies. Mal lui en prit car la presse soviétique, au lendemain de sa venue, s’est montrée fort critique envers sa personne. Elle a notamment ironisé sur ses nouveaux talons, qui lui permettent désormais de regarder dans les yeux les plus grands de ce monde. Elle a parlé de ses mimiques disgracieuses et surtout elle a cité, en pouffant de rire, la phrase historique qu’il a prononcée en arrivant au Kremlin : « Cela fait très longtemps que j'avais envie de venir ici. Se réveiller sur la Place Rouge, ce n'est pas rien pour moi ». Phrase courtoise en soi et remplie de bonnes intentions. Le seul problème, c’est que la Place Rouge n’était pas visible des fenêtres de sa chambre d’hôtel. Et le journaliste d’ajouter : « On a commencé à se demander où le président Sarkozy avait bien pu se réveiller pour voir alors la Place Rouge. (…) On peut voir la Place Rouge depuis la fenêtre du Mausolée (de Lénine, au milieu de la place). Mais le Mausolée n'a pas de fenêtre. »

Lors de la conférence de presse qui a suivi sa visite, Monsieur Nicolas de Boca, petit tsar de Sarkozie, a parlé du souhait des investisseurs français d'entrer dans le capital de Gazprom",
Nezavissimaïa Gazeta, a paraît-il résumé ce propos en titrant :"Rêves et fantaisies de Nicolas Sarkozy ». Evidemment ! Qu’espérait-il ? Lui qui avait critiqué Poutine lors de sa campagne électorale et qui, depuis qu’il est élu, ne fait que se rapprocher de ses amis américains, devait-il s’attendre à ce que la Russie l’invite à partager les bénéfices de ses immenses réserves naturelles ? Tout cela au moment même où Poutine nationalise le plus possible… Allons, on a beau être le chantre du libéralisme, il est des pays où on n’est pas écouté.

Si on ajoute à tout cela qu’il n’y a eu, durant cette visite, aucune avancée concrète sur l'Iran, le Kosovo ou la coopération économique, on peut dire que ce fut un déplacement inutile.




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10/10/2007

Zeugma et autres anacoluthes

Un commentateur de l’article précédent a cité le zeugma ou zeugme (du grec ζεuγμα/ zeûgma, « joug, lien ») comme autre figure de style. Poursuivons notre parcours des figures de style et notons qu’il existe deux types de zeugma :

- Dans le premier cas, on ne répète pas un élément, par exemple le verbe, comme dans la phrase « L'un poussait des soupirs, l'autre des cris perçants ». Cette tournure apparente le zeugma a un raccourci. Ceci dit, on pourrait se demander dans notre exemple s’il s’agit bien d‘une figure de style au sens propre et si ce n’est pas la répétition du verbe qui en serait une, rendant la phrase plus poétique.

- Dans le deuxième cas, on met sur le même plan des éléments qui ne devraient pas s’y trouver. Ce parallélisme provoque la surprise. Il est parfois comique, parfois poétique.

o « Vêtu de probité candide et de lin blanc » (Victor Hugo)
o « Il parlait en anglais et en gesticulant. »
o « Les moutons suivaient le berger, et le berger le fil de ses pensées. »
o « Il prit son chapeau et la porte. »
o « Retenez cette date et une place dans le train. »
o « Il prit un café et un train. »
o « Il faisait nuit, et moi du vélo. »

Le zeugma poussé à l’extrême de ses limites (par exemple en associant un verbe transitif et un verbe intransitif) peut s’apparenter à l’anacoluthe. Par exemple : « J’ai vu et j’ai parlé à mes amis. »


L’anacoluthe (nom féminin, soit dit en passant) est une rupture de la construction syntaxique. Le mot anacoluthe vient du grec (aνακόλουθον/anakólouthon), « qui n’est pas à la suite de ». (préfixe privatif « an » et « aκόλουθος/akólouthos », « qui suit, qui s’accorde ». Notre mot acolyte a la même racine.
Il existe plusieurs types d’anacoluthes.

- Soit la phrase commence par un mot qui n’a pas de fonction grammaticale: « Moi, mes souliers ont beaucoup voyagé »

- Soit le complément qui suit le verbe n’est pas celui qu’on attendrait : « J’ai vu et j’ai parlé à mes amis ». On parle alors de zeugma grammatical (preuve, une fois de plus, que toutes ces figures s’interpénètrent).

- Soit on a une ou plusieurs propositions subordonnées qui ne se rattachent à aucune proposition principale : « Quand tout dort, que la lune brille, mais il fait jour ».

L’anacoluthe est donc bien une « faute » de syntaxe. Elle est souvent liée à la langue parlée et est rarement volontaire, à la différence du zeugma. Cependant, on trouve des anacoluthes voulues chez des poètes connus, comme chez Baudelaire, dans ses vers célèbres :

« Exilé sur le sol au milieu des huées
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher »).

Pour terminer et revenir à notre zeugma initial, notons que ce terme est aussi le nom d'une cité antique située sur l’Euphrate (Turquie actuelle) près de la frontière syrienne, au Sud du pays (route de la soie). Elle fut fondée par un général d’Alexandre. Située de part et d’autre du fleuve, ce qui constitue une position stratégique importante, elle a pris logiquement le nom grec de Zeugma (« lien »). En 1995 on commença à construire un important barrage sur l'Euphrate, qui allait inonder toute la région. On entreprit des fouilles de toute urgence, lesquelles permirent de mettre au jour une organisation urbanistique très évoluée et de nombreux bâtiments importants. (grandes demeures patriciennes romaines, peintures murales et mosaïques d'un intérêt exceptionnel). Ces peintures et ces mosaïques sont rassemblées au musée de Gaziantep afin d’éviter leur immersion. Un examen du site proprement dit, mené après la première vidange du réservoir, a abouti à la conclusion que les bâtiments avaient grandement souffert de l'inondation et étaient quasiment détruits.


Ce thème de la destruction par les eaux d’un barrage me fait penser au livre de Penn Warren, « Les eaux montent », qui raconte comment un individu, revenu pour la circonstance dans le village de son enfance, vit l’ anéantissement programmé de ce qui fut le cadre de vie de son enfance. D’un côté il est obligé de replonger dans ses souvenirs et donc de faire le point sur sa vie, de l’autre il sait que ces souvenirs vont irrémédiablement appartenir au passé du fait de la destruction du village. Il se tourne donc vers son passé pour comprendre le présent au moment même où on lui retire ce passé sur lequel il pouvait enfin s’appuyer. Une belle réflexion sur l’homme et sa place dans le monde.

Comme quoi notre zeugma peut être fort utile. Il nous ouvre des portes insoupçonnées. Qui a dit que la rhétorique était dépassée ? Elle conduit à tout, à condition d’en sortir.




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09/10/2007

Rhétorique

Nous avons déjà parlé de l’oxymore. Il existe bien d’autres figures de style. D’ailleurs il conviendrait de distinguer les figures qui portent sur les mots eux-mêmes (la rime, l’allitération, les calembours) de celles qui portent sur le sens (les tropes en général). A côté de ces deux grandes catégories, on citera encore les figures de construction (inversion, par exemple) et les figures de pensée (allégorie, ironie, etc.).
Parmi les tropes, la métaphore, la métonymie et la synecdoque sont certainement les plus connues et les plus utilisées, ce qui ne nous empêchera pas de nous rafraîchir la mémoire.

- La métonymie (du grec metônumia, « changement de nom ») consiste à désigner un objet par le nom d'un autre objet, les deux ayant évidemment quelque chose en commun, ce qui permet d’en citer un pour faire penser à l’autre.

- le contenant pour le contenu (boire un verre pour boire ce qu'il y a dans ce verre. Le stade, pour désigner les personnes qui y sont présentes ),
- l'objet pour la personne (le violon, pour désigner le violoniste),
- le lieu pour l'objet fait dans ce lieu (un bordeaux pour un vin de Bordeaux),
- la matière pour l'objet (le fer pour l'épée, une petite laine pour un vêtement chaud),
- le nom propre pour un objet créé par la personne (lire un Camus pour un livre de Camus, acheter un Renoir pour un tableau de Renoir, voir un Truffaut, etc.)
- et la cause pour l'effet (les lauriers pour la gloire).
- la localisation pour l'institution qui y est installée (l’Elysée, Bercy, le qua d’Orsay etc.)


Remarquons en passant que dans l’expression « boire un verre », on ne peut plus parler de métonymie au sens propre (même si à l’origine c’en était bien une), tant la formule s’est généralisée.


La synecdoque (du grec sunekdokhê, « compréhension simultanée ») :
- la partie pour le tout (ou l’inverse) -une voile pour un bateau, une lame pour un couteau ou un escrimeur. Berne a condamné l’attentat pour désigner l’ensemble de la Suisse)
- le genre pour l'espèce (ou l’inverse) -la saison des lilas pour la saison des fleurs, les mortels pour les hommes
- le nom propre pour le nom commun -un judas pour un traître, un tartuffe pour un hypocrite, un harpagon pour un avare..


Remarquons que la différence entre synecdoque et métonymie n’est pas toujours facile à saisir. On pourrait d’ailleurs dire que toutes les synecdoques sont des métonymies puisqu’elles désignent un objet par un autre. En fait, la synecdoque désigne un objet qui est contenu dans celui qu’elle veut évoquer (la lame est une partie du couteau) ou l’inverse. C’est donc une figure de style plus réaliste, plus proche de l’objet évoqué, tandis que la métonymie a un côté plus fantastique (ainsi, l’expression des bruits de bottes pourrait très bien désigner un coup d’état durant lequel seuls les tanks et l’es avions ont joué un rôle déterminant).
Notons cependant que des expressions comme le fer (pour l’épée) ou le jean (pour un pantalon en jean), qui semblent des métonymies classiques (la matière pour l’objet) sont qualifiées par certains de synecdoque de la matière. Comme quoi rien n’est simple.


Une autre subtilité consiste à introduire la notion d’antonomase. Dans ce cas, un nom propre est utilisé comme non commun (ou l’inverse) : un roquefort, un bordeaux, un harpagon, un don juan (le tout sans majuscule). Or, nous avions cité les mêmes exemples plus haut tantôt à propos de la métonymie (un bordeaux) ou de la synecdoque (un tartuffe). Comme quoi, plus on veut faire de distinctions, plus il est difficile de s’y retrouver. Toute synecdoque n’est pas une antonomase, mais toute antonomase est une synecdoque (ou une métonymie). En fait, c’est une synecdoque si l'individu portant le nom propre fait partie de l'ensemble évoqué (Don Juan, par exemple, fait partie des séducteurs).

L’autre grande figure de style qu’il convient encore d’évoquer, c’est la métaphore. Celle-ci est fondée sur une ressemblance entre les termes et suppose donc une comparaison implicite. Le lien entre les deux termes est beaucoup moins étroit que dans la métonymie ou la synecdoque. On peut souvent insérer une expression telle que "semblable à", "pareil à" ou "comme" sans changer le sens. Ainsi, si je dis « c’est un lion », je désigne une homme qui est comme un lion. Il faut bien entendu qu’il y ait des propriétés communes aux deux termes pour que la comparaison puisse se faire (ici le courage, l’agressivité, etc.). D’un autre côté, un seul des termes doit être cité. Si je dis « Jean est rusé comme un renard », le mot « comme » établit un équilibre entre « Jean » et « renard ». On a alors affaire à une simple comparaison.

Certaines métaphores sont si courantes, qu’elles ne sont plus perçues comme telles. Ainsi « tête de clou », « bras de fauteuil », « tête de l’avion », « bouche d’égout ».

Lors d’une découverte scientifique, on emploiera une métaphore plutôt que de créer de nouveaux termes, par soucis d’économie. Ainsi en va-t-il d’Internet. Pour les locuteurs francophones, la Toile ressemble à un océan sur les vagues duquel on « surfe ». Du coup, on parlera de navigateur. Du côté anglophone, la même Toile est plutôt vue comme une prairie (d’où le terme « brouwser » : brouteur)

Notons que la métaphore n'est donc pas toujours immédiatement compréhensible puisqu’un des éléments de la comparaison est absent. Le lecteur doit donc deviner la relation établie par l’auteur. Il s’agit d’un jeu avec la langue et c’est peut-être ce qui la rend si intéressante.

Tout ceci étant dit, il est clair que plus vous vous initiez aux subtilités des figures de rhétorique, plus vous vous y perdez et plus vous avez conscience de votre ignorance car vous trouverez toujours des spécialistes pour établir des distinctions et des subdivisions de plus en plus subtiles.

C’est pourquoi nous passerons sous silence (afin de conserver tout de même quelques lecteurs) les autres figures de style (personnification, antithèse, répétition, hyperbole, litote, euphémisme). Les plus persévérants, cependant, peuvent nous en proposer une définition dans les commentaires…



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L'apogée de la rhétorique grecque: Démosthène, l'auteur des Philippiques

04/10/2007

Cendrillon, une jeune fille en pantoufle

Après avoir parlé l’autre jour du Petit Chaperon rouge, venons-en à Cendrillon (tant il est vrai que les contes de notre enfance, quand on les revisite à l’âge adulte, nous apparaissent d’une grande richesse, ce que nous n’avions pas toujours soupçonné). Sur le blogue « Langue sauce piquante », toujours intéressant, on s’interroge sur le fait de savoir si Cendrillon portait des chaussures de vair ou de verre.

http://correcteurs.blog.lemonde.fr/2007/10/04/la-belle-au...

Voici ma réponse à la question.

J’ai cru longtemps que la bonne version était « vair » et que c’est par une erreur d’impression que « verre » s’était répandu. En fait, il n’en est rien. C’est Balzac et après lui Littré qui ont cru rétablir la version première alors qu’en fait ils s’en éloignaient. Car dans le conte écossais cité, comme dans des contes catalans, c’est bien de chaussures de verre dont il est question.

Cela peut se comprendre si on veut décortiquer les structures de l’imaginaire qui sont à l’œuvre dans ce conte. Outre le fait qu’il serait difficile de danser avec des chaussures (car pantoufle avait bien le sens de chaussure d’intérieur à l’époque de Perrault) en fourrure (lesquelles s’useraient très vite), la nature du verre, par sa transparence, nous permet d’admirer le pied de Cendrillon, lequel est tout de même au centre de l’histoire. En effet, à la pauvre fille qui marchait pieds nus, on propose cette chaussure magique qui va permettre de mettre en valeur ses petits pieds. Le Prince ne s’y trompera pas et c’est bien par l’intermédiaire de la chaussure qu’il va retrouver l’élue de son cœur. La transparence du verre, qui dévoile la nudité du pied peut être comprise comme une synecdoque (la partie pour le tout). C’est tout le corps de Cendrillon qui est désirable, mais la pudeur du récit ne nous parle que du pied. Ce pied que personne ne remarquait quand il était sans chaussure et qui peut maintenant dévoiler tout son charme. Pour cela, il faut bien une chaussure transparente. Le pied est donc à l’image de Cendrillon elle-même que personne n’admirait et qui devient maintenant l’objet de l’attention du prince.
Evidemment, si la logique narrative et la symbolique y trouvent leur compte, ce n’est pas le cas du bon sens. Une chaussure en verre casserait. Mais outre le fait que cette fragilité renvoie elle aussi à la fragilité de la jeune fille (et au côté éphémère, provisoire de cette scène du bal, qui va irrémédiablement s’achever à minuit) il ne faut pas perdre de vue que nous sommes dans un conte et que dès lors des choses merveilleuses et incompréhensibles doivent être acceptées.

Par ailleurs, pour faire maintenant un peu d’étymologie, rappelons que « vair » vient du latin « varius », moucheté, tacheté, bigarré. Au sens moral, il a même pu signifier « inconstant, irrésolu ».
Dans l’ancienne langue, « vair » s’est employé pour qualifier des yeux d'une couleur indécise (ni bleus ni marrons). Cette idée de « varié », « non fixé », on la retrouve pour qualifier une fourrure (« bigarré, multicolore »). C’est ce sens qui a perduré jusqu’à nous.
Notons encore que c’est du même étymon que vient l’adjectif « vairon » (qui désigne des yeux qui n’ont pas la même couleur) ou le substantif « vairon » (poisson moucheté).



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02/10/2007

A contre-courant.

Etonnants ces moines qui défient la junte militaire en Birmanie. Chez nous, l’Eglise catholique ne nous a pas toujours montré de pareils exemples. Ainsi, l’attitude de Pie XII pendant la guerre de 40-45 a été suffisamment ambiguë pour rester dans les mémoires.
Mais ne remuons pas le passé et saluons les moines bouddhistes qui veulent rétablir la démocratie.

Tout cela est très bien, sauf que quand on y regarde d’un peu plus près, on se rend compte qu’il y a lieu de nuancer. Ainsi, il y a tout de même des années que cette junte est au pouvoir et on n’avait jamais vu le clergé manifester beaucoup d’opposition. Pourquoi ce changement d’attitude ? Et bien tout simplement parce que les moines vivent de la charité publique. Ils ne travaillent pas et c’est la population qui les nourrit sous forme d’aumônes (un peu comme l’ordre mendiant des Franciscains chez nous autrefois). Or il se fait que cette population est de plus en plus pauvre, du fait de l’augmentation des prix. Elle a donc tendance à moins donner aux moines, lesquels sont donc obligés de s’opposer au régime en place s’ils veulent survivre. C’est donc moins l’instauration de la démocratie qu’ils recherchent que des moyens de subsistance. D’ailleurs, si on les laissait faire, il y a fort à parier qu’ils instaureraient un régime théocratique (lequel, soit dit en passant, vaudrait sûrement mieux que la pseudo-démocratie que les Etats-Unis ont instauré en Irak, mais ceci est une autre histoire).

Donc, nous voilà déjà un peu refroidis quant à l’attitude des moines. Passons maintenant en revue les échos que la presse occidentale a donné des événements. Chaque fois qu’une dictature vacille, tout le monde applaudit et il faut s’en réjouir. Je n’agis pas autrement et il est clair que si les moines devaient faire tomber ce régime, même si c’est pour des motifs douteux, j’en serais le premier heureux. J’ai assez critiqué ici même l’attitude scandaleuse de Kouchner (lequel n’était pas à l’époque ministre des Affaires étrangères) qui a soutenu et tenté de justifier le rôle ambigu de Total dans ce pays. Donc acte. Si la junte s’écroule (mais elle ne montre pas le moindre signe d’affaiblissement), ce sera une bonne chose pour la population. Mais plus nos journaux parlés ou écrits en parlent et plus je me méfie. C’est un vieux réflexe qui m’est venu au moment de la chute du Shah d’Iran (oui je sais, on commence à vieillir). A l’époque aussi tout le monde se félicitait (en oubliant de dire que ce Shah avait osé s’opposer à l’Amérique en réclamant une partie des bénéfices du pétrole pour son pays). Une fois qu’il fut parti, le régime des Ayatollahs se mit en place et la situation ne fut pas meilleure pour le peuple iranien. Donc, avant d’applaudir, voyons ce qui pourrait se passer en cas de retour de la démocratie en Birmanie.

La chose est assez prévisible. Il doit y avoir du gaz ou du pétrole dans ce beau pays, puisque Total y est déjà implanté. Donc, ce sera la ruée vers l’or (noir). Auparavant, il faudra éloigner les Chinois (car la nouvelle politique est d’affaiblir ses futurs concurrents avant qu’ils ne deviennent trop puissants). Les tentatives américaines à l’ONU pour imposer des sanctions économiques doivent être comprises dans ce sens. On se moque bien du fait que de telles sanctions réduiraient à la misère une population par ailleurs innocente (voir l’embargo imposé à l’Irak avant la deuxième guerre du golfe, dont les enfants furent les principales victimes tandis que la richesse de Sadam Hussein continuait de croître). Ce qui compte, en fait, ce serait d’obliger la Chine à ne plus acheter son énergie dans ce pays et à se retirer purement et simplement, laissant ainsi la place libre pour les firmes occidentales. La Chine, on l’a vu, a prudemment refusé de telles sanctions, arguant du fait que la Birmanie n’était pas une menace pour la région et qu’il n’appartenait pas à la communauté internationale de s’impliquer dans les affaires intérieures d’une nation (elle a sans doute bien peur qu’on ne fasse de même pour elle).

Remarquons en passant qu’une telle attitude prudente est à l’opposé des thèses de Kouchner, lequel a toujours milité en faveur de l’ingérence humanitaire. Il a ainsi justifié par le passé l’intervention en Serbie. C’est d’ailleurs sans doute pour cela qu’on l’a nommé ministre aujourd’hui, sans qu’on sache si on se sert de lui et de ses idées généreuses ou s’il est complice du système.

Mais revenons à la Birmanie. Ce pays a été victime, ces dernières années, de plusieurs attentats. Sont-ils le fait de l’opposition qui veut renverser le régime, de la junte elle-même (qui peut alors prendre prétexte du climat d’insécurité ambiant pour renforcer la répression) ou, pourquoi pas, des Etats-Unis eux-mêmes, lesquels prépareraient ainsi leur arrivée en Asie ? La chute de la junte leur permettrait de couper l’oléoduc chinois et de reprendre le contrôle des voies maritimes de la région. Histoire à suivre, donc.



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01/10/2007

De la gratuité des soins

Mercredi dernier, 26 septembre, mon calendrier m’indiquait que l’on fêtait les saints Côme et Damien. N’étant point trop féru d’histoire religieuse et d’hagiographie, ayant peu lu la Légende dorée, je ne connaissais donc rien sur ces personnages. Cependant, intrigué par le fait qu’on les fêtât le même jour et qu’ils fussent ainsi rassemblés dans une sorte de gémellité spirituelle , je me suis mis à la recherche d’une explication. Voici ce que j’ai trouvé.

Côme et Damien étaient deux médecins inséparables du IVe siècle. Originaires d’Arabie, on pourrait dire qu’ils avaient inventé la Sécurité sociale puisqu’ils soignaient leurs patients gratuitement. Ce comportement digne qu’on le souligne (car en notre époque mercantile, tout s’achète et se vend, autrement dit rien ne se donne), me les rendit aussitôt sympathiques.

Pour notre culture, retenons qu’on les qualifie parfois de «médecins anargyres» ,du grec an (préfixe privatif) et argyrios (argent). Je trouve ce mot très beau. Des médecins anargyres, cela sonne bien. Lors des persécutions de Dioclétien, les pauvres jumeaux subissent le martyre à Cyr, en Syrie, là où ils pratiquaient leur art. Comme quoi le fait d’exercer gratuitement ne plaisait déjà pas à tout le monde, même si nous n’étions pas encore dans la logique du « tout à l’argent ». Par al suite, ils furent considérés comme les saints patrons des médecins et des chirurgiens.

Pour être honnête, il faut ajouter tout de même qu’ils ne manquaient pas de convertir à la foi nouvelle les patients qu’ils soignaient. Cela enlève un peu de panache à la beauté de leur geste, qui n’était peut-être pas aussi gratuit qu’on ne le pense. Reste à savoir s’ils agissaient ainsi pour attirer la sympathie des foules (profitant ensuite de leur renommée pour pratiquer des conversations) ou si au contraire ils voulaient vraiment apporter un remède à la douleur physique des gens, n’agissant que par « amour de l’humanité » (comme le Dom Juan de Molière, lorsqu’il donnait une pièce d’or à un pauvre). Le doute persiste. La double interprétation est possible, ce qui convient bien à des jumeaux, finalement.


2463c2907f0fe2c0db4b111444b9dc3c.jpgLe miracle de saint Come et saint Damien de Fra Angelico (Florence)
Les deux saints médecins, saint Come et saint Damien, greffent à un riche marchand toscan amputé la jambe très foncée d'un esclave arabe

Plaques minéralogiques. Vers une nouvelle héraldique?

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A partir du 1er janvier 2009, les numéros de départements figurant sur les plaques d’immatriculation vont disparaître. En effet, il a été décidé d’attribuer un "numéro à vie" à chaque véhicule. La localisation des différents propriétaires éventuels d’un même véhicule devient donc sans intérêt. Cependant, "pour tenir compte de l'attachement des automobilistes à leur territoire, ils pourront, s'ils le souhaitent, faire suivre le numéro d'une identification locale". Cette référence facultative pourra soit être le numéro du département, soit un logo. Elle apparaîtra sur la partie droite de la plaque, symétriquement au logo européen.

Il faut bien vivre avec son temps et on ne va pas ici se répandre en jérémiades sur l’abandon programmé du numéro de département (car dans les faits bien peu de personnes vont l’apposer, même si cela reste permis).

Notons cependant que 64% des Français disent regretter cette décision. Si on n’interrogent que les femmes, on atteint même le chiffre de 67% (ces dames seraient donc plus conservatrices ou simplement plus sensibles à l’héritage du passé ?). Dans les campagnes, on passe même à 70%. Cela veut donc tout de même dire qu’on ne tient guère compte de l’avis des populations dans nos sociétés dites démocratiques.
Le Ministère met en avant des arguments logiques : éviter du travail inutile lors d’un changement de propriétaire et mieux contrôler le nombre réel de voitures en circulation. Evidemment, quand on prend une mesure, il faut bien la justifier. Notons cependant que les arguments avancés ne sont pas très pertinents. En Belgique, par exemple, un propriétaire peut, s’il le désire, conserver la même plaque toute sa vie. Il suffit d’encoder, dans le fichier central du Ministère, les références du nouveau véhicule et de les associer à l’ancienne plaque. Ce système permet donc de limiter l’attribution croissante de nouveaux numéros tout en sachant exactement qui possède quoi (puisque l’ancien véhicule est soit déclassé, soit revendu à un tiers).
La réalité, c’est que ce n’est pas la France qui a décidé toute seule de modifier ses plaques minéralogiques. La mesure, en fait, est européenne. Il faut tenter d’uniformiser les plaques sur tout le continent. Ainsi elles devraient toutes être noires sur fond blanc, avec le logo européen bien en vue à gauche (or on lit de gauche à droite), logo sous lequel on retrouvera la lettre attribuée à chaque pays (F pour la France), mais comme une simple indication. Nous serons donc d’abord européens, puis ensuite français, allemands ou espagnols. C’est donc là une manière habille de nous forcer à dépasser nos anciens clivages nationaux. Dans un tel contexte d’uniformisation, on comprend que les références régionales deviennent superflues.
Quelque part, c’est paradoxal, puisque l’Union européenne n’arrête pas de nous parler de l’Europe des régions. Quand on y réfléchit d’avantage, on voit qu’il y a moyen de trouver une explication. D’un côté, il s’agit d’affaiblir les états nationaux (lesquels ont une fâcheuse tendance, celle de multiplier les règles visant à protéger leurs citoyens, ce qui constitue, du point de vue libéral, une entrave à la libre circulation des biens et des richesses). Il convient donc de mettre en avant les régions, lesquelles seront de toue façon trop faibles pour imposer une législation efficace (sur la protection du travail, par exemple) face à l’appétit des grands groupes financiers ou industriels. De plus, cette émergence des régions permet de rassurer les citoyens, qui commencent à se sentir un peu perdus dans la maison Europe, laquelle ne cesse de s’agrandir. Ils se raccrochent donc à leur région comme à la seule entité qui a encore un sens pour eux sur le plan humain. On sera donc d’abord breton ou auvergnat, puis européen (et éventuellement français pour les attardés qui ne parviennent pas à évoluer). Il est donc logique pour l’Europe de promouvoir les régions, ne serait-ce que pour imposer sa propre autorité supranationale.

Dans le cas des plaques de voiture, cependant, les mentalités n’ont pas encore assez évolué pour faire disparaître l’appartenance nationale au profit de l’appartenance régionale. On a donc joué sur le logo européen et l’uniformisation pour tous (noir sur fond blanc. La Belgique, avec ses plaques caractéristiques, rouge sur fond blanc devrait aussi évoluer). S’agissant d’un signe visible et lisible, la plaque, comme les anciens blasons en héraldique, se veut avant tout un symbole d’appartenance. Nous sommes donc tous européens.

Tout ceci étant dit, personnellement, je regretterai l’absence de référence aux départements. Il y avait quelque chose d’exotique à identifier ainsi des voitures provenant de Corse (2A), du Midi (83, le Var ; 84, le Vaucluse), des monts d’Auvergne (63, Puy de Dôme) ou de ces régions à la nature sauvage, pas encore tout à fait domestiquée (48, la Lozère ; 43, la Haute-Loire), etc. Ce petit plaisir nous est donc enlevé. Il a été sacrifié, comme beaucoup d’autres, sur l’autel de la globalisation. Allons, marchons (ou plutôt roulons) vers le monde meilleur de demain, celui du grand marché qui fera du moins le bonheur de certains (si pas le nôtre).