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28/09/2007

Soleil noir

Nous parlions l’autre jour ici-même, à propos de l’oxymore, de l’expression « soleil noir », employée par Nerval dans El Desdichado. Sur son blogue, Angèle Paoli cite justement un poème étrange et angoissant de Théophile de Viau reprenant précisément cette expression. Nerval n’est donc pas l’inventeur.

http://terresdefemmes.blogs.com/mon_weblog/2007/09/25-sep...


UN CORBEAU DEVANT MOI CROASSE

Un corbeau devant moi croasse,
Une ombre offusque mes regards,
Deux belettes et deux renards
Traversent l'endroit où je passe :
Les pieds faillent à mon cheval,
Mon laquais tombe du haut mal,
J'entends craqueter le tonnerre,
Un esprit se présente à moi,
J'ois Charon qui m'appelle à soi,
Je vois le centre de la terre.

Ce ruisseau remonte en sa source,
Un boeuf gravit sur un clocher,
Le sang coule de ce rocher,
Un aspic s'accouple d'une ourse,
Sur le haut d'une vieille tour
Un serpent déchire un vautour,
Le feu brûle dedans la glace,
Le Soleil est devenu noir,
Je vois la Lune qui va choir,
Cet arbre est sorti de sa place.

Théophile de Viau, Œuvres poétiques, 1621

25/09/2007

La Defense et Illvstration de la langve francoise

Demain 26 septembre 2007, les députés français doivent ratifier le «protocole de Londres» sur les brevets. A ce jour, ce protocole a été ratifié par 11 États (Allemagne, Angleterre, Danemark, Islande, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Monaco, Pays-Bas, Slovénie, Suède), tandis que l'Italie, l'Espagne, la Finlande, la Grèce le refusent.

Jusqu’ici, la France avait également refusé ce protocole afin de défendre la position du français dans le monde. En effet, pour le moment, une société qui veut faire breveter une invention pouvait introduire se demande en anglais (66% des cas), en allemand (27%) ou en français (7%). Une fois le brevet délivré, elle doit le traduire dans toutes les langues des pays où elle souhaite une protection. Tout cela coûte cher et on sait que les firmes n’aiment pas dépenser leur argent. D’où l’idée de réduire les coûts des frais de traduction en limitant celle-ci aux « revendications » seulement (4 à 5 pages), en excluant donc toutes les descriptions techniques. Dès lors, les multinationales ne devront plus traduire en français les brevets des produits qu’elles veulent commercialiser en France (ni en grec pour la Grèce, en espagnol pour l’Espagne, etc.). Par contre, les firmes françaises, si elles veulent connaître la teneur des brevets que leurs concurrents ont déposés, devront les faire traduire à leurs frais (idem pour la Grèce, l’Espagne, etc.). Or, elles sont bien obligées de connaître le contenu des brevets déjà déposés avant de se lancer elles-mêmes dans la commercialisation d’un nouveau produit.

De son côté, Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État à la Francophonie, justifie la ratification du protocole de Londres en assurant que le français restera au même rang que l'anglais et l'allemand (puisque les brevets pourront toujours être déposés dans une de ces trois langues). Certes, ... à ce détail près qu'il ne concerne déjà plus que 7% des demandes de brevets.

Cent cinquante personnalités réunies autour du linguiste Claude Hagège (qui passe pour avoir des connaissances dans une cinquantaine de langues) et de l'académicien Erik Orsenna appellent les députés à bien réfléchir avant de ratifier ce protocole de Londres. Ils n’ont pas tort. On connaît l’engouement de notre ami Sarkozy pour l’Amérique. Il ne faut pas attendre de sa part une défense de la langue française (encore qu’on ait pu se rendre compte cet été que c’est en français et non en anglais que lui-même apostrophe les journalistes américains quand il monte à l’assaut de leur bateau). De plus, sur le plan européen, il veut sans doute se faire pardonner le non des Français au référendum de mai 2005. Comme il est visiblement pour la mondialisation de l’économie (et pour l’économie tout court, tant qu’on gagne de l’argent, c’est ce qui compte, non ?), il ne va certainement pas mettre en avant une spécificité française. Or cette société mondialisée, il se fait que personnellement, je ne l’apprécie pas beaucoup. Pas au nom d’un chauvinisme étroit, mais simplement pour deux raisons. D’abord parce qu’elle représente la suprématie de l’économie sur toutes les autres valeurs (y compris le droit des personnes et la culture en général) et ensuite parce qu’elle nous offre une vision du monde unipolaire (en l’occurrence exclusivement anglo-saxonne), au détriment de toutes les diversités que pouvaient offrir les peuples de la planète.

Car c’est bien là que se trouve le problème philosophique. D’un côté, on nous dit de ne pas nous refermer sur nous-mêmes, ce qui serait intellectuellement sclérosant et on a bien raison de le dire (on a vu où les nationalismes étroits ont pu nous conduire par le passé et aujourd’hui le régionalisme exacerbé de certains a de quoi inquiéter. Voir le Pays basque ou la Flandres). Mais d’un autre côté, une fois qu’on a abandonné les prérogatives de son propre pays et de sa propre culture, on se retrouve non pas devant une palette multiculturelle, ce qui serait enrichissant, mais devant un monde gris et monochrome.

Au-delà de cette réflexion, c’est le rôle du français lui-même qui est ici en question. On est loin de l’Edit de Villers-Cotterêts (1539) par lequel François premier en avait généraliser l’usage ( en réalité , il officialisait une situation de fait). Aujourd’hui, le français est en perte de vitesse de tous côtés. Vouloir le défendre, comme je le fais ici, c’est déjà avouer qu’on est sur la pente descendante. Alors, quelle attitude faut-il adopter ? Poursuivre la défense et refuser ce protocole de Londres, qui nous enterre un peu plus (et qui concerne non seulement notre langue, mais aussi les firmes françaises – ou francophones en général- unilingues qui ne sont pas des multinationales) ou accepter une fois pour toute la suprématie de l’Amérique sur l’Europe et la domination de la culture anglo-saxonne sur la nôtre ? Car s’il n’est plus une langue scientifique, le français devient une langue vernaculaire, une sorte de patois local qu’on n’utilisera plus que chez soi, au coin du feu.

De son côté, Sarkozy plaide pour une «France bilingue». Lui-même est fasciné par les Français qui vivent et parlent à l'américaine, comme Christine Lagarde, dont il a fait, en partie pour cette raison, son ministre de l'Économie. Il est clair que c’est bien d’être bilingue. C’est nécessaire aussi. Notre survie économique en dépend sans doute. Les Gaulois ne s’y étaient pas trompés quand ils avaient abandonné la langue celte au profit du latin (sur la manière dont s’est opérée cette transformation, nous ne sommes pas trop renseignés. Est-ce que cela s’est fait en douceur ou est-ce que cela a été imposé « militairement » par l’occupant romain ?). Le problème, c’est que le Gaulois a disparu. Cette culture n’était pourtant pas aussi barbare qu’on veut bien nous le faire croire (voir tous les mots français qui proviennent du gaulois, notamment dans le domaine agricole).

Alors, pour revenir au français, faut-il accepter l’inéluctable au point de favoriser l’usage généralisé de l’anglais dans nos propres entreprises ? On dit (mais je n’ai pas la preuve) que Sarkozy aurait échoué à une épreuve d’anglais en Sciences-Politiques. Cela ne l’a pas empêché de faire une belle carrière. Mitterrand, de son côté, se gardait de parler autrement qu'en français à l'étranger. Et puis, qui sait si demain ce n’est pas le chinois qui va l’emporter ? Alors, commençons d’abord par faire en sorte que nos élèves sortent de l’enseignement primaire en maîtrisant au moins leur langue maternelle, ce serait déjà un bon début.



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24/09/2007

Le Premier homme

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Lorsque Camus décède dans un accident de voiture, en 1960, on retrouve à ses côtés une serviette contenant le manuscrit du livre qu’il est en train d’écrire. Il s’agit du Premier homme, qui ne sera publié qu’en 1994 par les soins de sa fille, Catherine Camus.

Ce live est bien différent des autres livres de l’écrivain, puisqu’il est en fait une remontée aux origines, autrement dit un voyage au pays de l’enfance. Cherchant désespérément à savoir qui il est, Camus part à la recherche de son père, qu’il n’a pas connu (ce dernier est mort à la guerre de 1914 alors qu’Albert avant un an). Cette recherche se fait dans le cadre des événements d’Algérie, ce qui fait que cette remontée vers l’enfance est aussi sans doute inconsciemment une recherche de la légitimité de la présence française dans ce pays qui est le sien.

Le style en est fort différent des autres livres de Camus. On y trouve de grandes phrases amples et souples, à l’opposé de ce à quoi il nous avait habitué dans l’Etranger par exemple. Il y a du lyrisme dans ce livre-ci, et les évocations des jeux de l’enfance fait penser à Pagnol. Un Pagnol philosophe, cependant, car derrière chaque émotion la réflexion pointe son nez. Ainsi quand le héros (qui est en fait Camus) part se recueillir sur la tombe de son père (tombe qu’il n’a jamais vue) dans le cimetière de Saint-Brieuc. Il réalise qu’il a quarante ans et qu’il est donc plus âgé que son père n’était au moment de son décès (il est mort à 29 ans). Il s’ensuit une prise de conscience à la fois existentielle et affective (le père devient un peu l’enfant de son fils). Du coup, cet être qui n’était rien pour lui se met à vivre dans sa mémoire. Il imagine ce qu’il a vécu, sa pauvreté, ses joies, ses souffrances… Par delà la mort, c’est tout un réseau de correspondances qui se tisse.

Ironie du sort, à la fin du livre (là où le manuscrit est resté inachevé), Camus espère qu’il conservera longtemps encore la force vitale qui a été la sienne et qui lui a permis de s’affirmer face au malheur. Arrivé à l’âge mûr, il prend conscience, cependant, que le temps s’écoule inexorablement et qu’il lui faudra bien accepter l’idée du vieillissement et de la mort. C’est sur cette notion d’acception que le livre reste en suspens. Quelques jours plus tard, Camus décédait dans l’accident que l’on sait, ce qui rend la dernière page du manuscrit particulièrement bouleversante.

Sondages...

« Le président de la République perd 8 points d'opinions favorables. 61 % des personnes interrogées se disent satisfaites de sa politique contre 36 % (+7 %) qui s'estiment mécontentes. Il s'agit de son plus mauvais score depuis son élection en mai dernier. »

Une fois les cent jours passés, c’est classique. L’usure du pouvoir commence à se faire sentir. Certains sont déçus par les promesses non (encore) tenues, d’autres sont en désaccord avec les mesures adoptées, bref tout le monde a un regard plus critique. L’omniprésence médiatique du Président permettra sans doute de retarder un temps ce début de lassitude, mais quand les gens en auront vraiment marre, ils ne supporteront plus du tout sa présence quotidienne sur le petit écran. La chute n’en sera que plus douloureuse.

21/09/2007

Réflexion

Et revoici l’automne qui pointe son nez avec, ironie du sort, un rayon de soleil. Or qu’y a-t-il de neuf, sous ce soleil ? Rien de très bon, assurément.

En effet, que nous promet Monsieur Kouchner ? Qu’il y aura inévitablement la guerre au Proche-Orient et que nous y serons impliqués.
Que nous annonce le sieur Sarkozy-Bocsa ? Qu’il part lui aussi en guerre, mais contre nos honteux privilèges. Il nous faudra désormais travailler plus pour gagner moins et quant à nos retraites, on verra…
Que sait-on de Mme Rachida Dati ? Qu’elle est incompétente.
Comment voit-on le Premier Ministre ? Comme un homme fini.

Alors, si on part en guerre avec des incompétents et des hommes finis, il est fort à craindre que la victoire ne soit pas pour demain.

Quand la France rejoint l'Empire.

Ci-dessous, un article de Bernard Langlois consacré à « Nicolas de Neuilly-Bocsa » et à sa politique internationale. Comme il fait un bon résumé de la situation et que son analyse rejoint la mienne, cela me dispense d’écrire moi-même sur le sujet et de m’échauffer la bile inutilement.

http://www.politis.fr/La-guerre,1940.html

Par ailleurs on ne peut que conseiller de lire de temps à autre (autrement dit tous les jours) la revue POLITIS, fondée par Bernard Langlois et qui offre l'avantage de présenter une infomation qui sort des sentiers empruntés par TF1.
http://www.politis.fr/

19/09/2007

Des contestataires au sein de l'Eglise

"Aussi longtemps que je demandais aux gens d'aider les pauvres, on m'appelait un saint. Mais lorsque j'ai posé la question: pourquoi y a-t-il tant de pauvreté ? on m'a traité de communiste..."
dom Helder Câmara, cardinal brésilien.

Nous parlions hier de la résistance civile, cette attitude qui consiste à refuser les ordres donnés par les autorités. Or, s’il y a bien une institution où on ne s’attendrait pas à trouver ce genre d’attitude, c’est bien l’Eglise. Moi qui me détourne souvent des problèmes religieux, athéisme oblige, j’ai sans doute trop tendance à considérer que l’Eglise est conservatrice et qu’elle est tournée du côté des puissants (manière habile d’asseoir sa propre autorité). Ainsi, je conserve encore en mémoire le discours que le pape précédent (Jean-Paul II donc, plus conservateur encore que toute la Pologne, ce qui n’est pas peu dire) avait prononcé lors de son premier voyage en Amérique du Sud. En gros il félicitait les pauvres d’être pauvres car leur dénuement les rapprochait de Dieu. Il leur demandait surtout de ne pas se révolter car ce serait désobéir aux volontés divines (après tout, si Dieu avait voulu qu’ils soient aussi démunis, il devait avoir ses raisons). Accepter son destin était donc ce qu’ils avaient de mieux à faire. Les portes du paradis ne manqueraient sans doute pas de s’ouvrir un jour pour eux, mettant enfin un termes à leurs misères. A l’écouter, on comprenait que le plus tôt serait finalement le mieux. Enfin pas trop tôt tout de même, le temps de concevoir et d’élever chrétiennement six ou sept enfants, ce qui était sûrement leur mission en ce bas-monde.

Qu’en savait-il, le bougre (comme aurait dit Brassens) ? Il n’en savait rien du tout, évidemment. Mais il savait que l’Eglise ne devait pas jouer le jeu de la révolution dans ce continent où ce n’étaient pas les occasions qui manquaient de se révolter. Par ce discours axé sur la résignation, il faisait comprendre qu’il désapprouvait l’attitude des prêtres contestataires qui s’étaient regroupés dans la Théologie de la libération (à ne pas confondre avec le Sentier lumineux, qui lui est une dissidence du parti communiste). Car il s’est trouvé des religieux pour porter la contestation au sein de l’Eglise et oser critiquer son discours sur la société.

Au départ, la Théologie de la libération, c’est d’abord des écrits et une réflexion théorique et politique. On y retrouve par exemple des figures comme celle du philosophe Gustavo Gutierrez (Pérou). Celui-ci veut lutter contre la pauvreté et il se place dans l’esprit d’ouverture de Vatican II (on en est loin). Ainsi, sa réflexion le conduit à contester l’attitude ancienne de l’Eglise, fondée sur la seule charité. Pour lui et ses émules, les pauvres ne sont plus essentiellement des objets de charité, mais les sujets de leur propre libération. Notons que les organisations humanitaires ne disent pas autre chose : mieux vaut apprendre à pêcher à un homme que de l’entretenir en lui donnant du poisson. Acteur de sa propre destinée, le pauvre retrouve donc sa dignité. C'est ici que s'opère la jonction avec un principe fondamental du marxisme, à savoir que "l'émancipation des travailleurs sera l'oeuvre des travailleurs eux-mêmes". C’est là évidemment un changement radical. Ces prêtres et ces théoriciens chrétiens contestent donc l’attitude classique de l’Eglise et demandent en fait que la réflexion soit portée sur le plan politique. Ce qui ne les empêchent pas de se placer également sur le plan religieux. Ainsi, ils refont une lecture des écritures et arrivent à la conclusion que si la pauvreté doit être combattue, elle peut aussi être une source d’enrichissement spirituel (« Heureux les pauvres car le Royaume de Dieu leur appartient ») La population sud-américaine aurait donc à la fois faim de Dieu et faim de pain. Gustavo Gutierrez voudrait conserver la première et éradiquer la seconde. Car la faim tout court conduit à nier la dignité humaine et donc la part divine que chacun renferme en soi. Il condamne donc tous les discours qui visent à mépriser les pauvres au nom de critères économiques (et dire « développez-vous », c’est encore les culpabiliser), sociaux, culturels ou raciaux.

La pauvreté n’est pas inévitable, elle provient d’une mauvaise organisation de la société. La pauvreté n’est donc pas une fatalité, c’est une condition (ce qui suppose chez les pauvres une manière d’être et de penser qui leur est propre, une culture spécifique en quelque sorte). Le rôle de l’Eglise (et un des buts de ceux qui ont la foi) est donc de changer l’Histoire. L’Histoire doit se voir comme un moyen de créer le Royaume de Dieu sur terre en améliorant sans cesse les conditions de l’homme (matérielles, certes, mais aussi spirituelles car il s’agit non seulement de donner du pain, mais aussi de faire retrouver une véritable dignité). D’où la notion de praxis. La foi doit se comprendre comme un engagement dans l’Histoire et l’Histoire a pour but de rendre les hommes plus hommes, c’est-à-dire débarrassés de leurs soucis alimentaires et donc plus disponibles pour se rapprocher de Dieu et des autres hommes. Autrement dit, au lieu d’attendre un futur meilleur au sens où les Chrétiens le font habituellement (attendre la venue du Christ Roi à la fin des temps), la Théologie de la libération veut construire ici et maintenant ce monde meilleur, non certes dans une perspective marxiste, mais spirituelle. C’est dans la rencontre avec les autres que se trouve le véritable amour de Dieu. Nous sommes donc en présence d’une eschatologie de la praxis.

Pour justifier ses dires, Gustavo Gutierrez chercha des réponses dans la Bible (aimer son prochain, etc.). Evidemment, beaucoup lui reprochèrent d’annexer la pensée athée marxiste dans son analyse de la réalité sociale. D’autres virent un danger dans sa théorie. Celui de ne proposer qu’une théologie sociale, fondée sur l’instant présent. De plus, il finirait par nier le péché originel (le mal) qui, selon les Chrétiens, gît au fond de chacun de nous (notion par ailleurs assez incompréhensible pour la pensée athée, il faut le préciser). Les autres théologiens reprochèrent donc à cette théorie pourtant séduisante de ne prêcher qu’une révolution sociale autrement dit de n’être pas assez eschatologique. De plus, ils lui reprochèrent également de « collaborer » avec la pensée et le pouvoir marxiste. Attitude assez hypocrite, de mon point de vue, étant entendu que l’Eglise elle-même n’a jamais fait autre chose que de collaborer avec les puissances de ce monde. Il est vrai, à sa décharge, que ces puissances n’étaient pas athées, mais chrétiennes puisqu’elle appuyaient à leur tour leur autorité sur cette même Eglise dont elles avaient besoin (Franco, Pinochet, etc.).

Il reste qu’on a voulu diaboliser cette Théologie de la libération, sur laquelle, en tant qu’athée, je ne me prononcerai pas, mais qui me semble avoir un grand respect pour les hommes en général et les pauvres en particulier. Des phrases comme la suivantes vont très loin :

"Il faut vaincre le capitalisme: c'est le plus grand mal, le péché accumulé, la racine pourrie, l'arbre qui produit tous les fruits que nous connaissons si bien: la pauvreté, la faim, la maladie, la mort. Pour cela, il faut que la propriété privée des moyens de production (usines, terre, commerce, banques) soit dépassée." (Obispos Latinoamericanos, 1978, p. 71).

On a rarement vu une critique aussi acerbe du capitalisme, vu comme source de tous les maux. Partis en croisade contre les faux Dieux (le dieu argent), ces théologiens remettent en question le côté sacrificiel que le capitalisme exige des pauvres (lesquels, si je ne me trompe, doivent accepter de se sacrifier au nom de raisons économiques). Le catholicisme d’un Bush a certes de quoi inquiéter. Non seulement parce qu’il mélange le sacré et la profane, la religion et l’Etat (ce qui débouche sur son conflit des civilisations avec le monde arabo-musulman), mais aussi parce qu’il justifie l’oppression des pauvres au nom d’une théologie de l’économie et de l’argent. On se doute que les deux derniers papes conservateurs qu’a eu l’Eglise ont plutôt condamné cette Théologie de la libération, préférant mettre en avant la piété, la recherche intérieure ou la prière. Ce sont là, pour des croyants, et il faut le reconnaître, des choses certes importantes, mais derrière cette recherche affichée de spiritualité se cache sans doute une autre volonté, celle d’éloigner les prêtres des réalités sociales en leur demandant de laisser les choses dans l’état où ils les ont trouvées, c’est-à-dire d’accepter que les riches soient de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres.

17/09/2007

Utopie sociale?

On a souvent contesté les arguments avancés par les criminels nazis, lesquels se défendaient en disant qu’ils n’avaient fait qu’obéir aux ordres. Au regard des atrocités commises par le régime de Hitler, une telle ligne de défense nous semble bien fragile. Il nous paraît évident, en effet, que ces gens devaient se révolter et désobéir ou en tout cas mettre tout en œuvre pour limiter au maximum l’application d’ordres aussi injustes.

A y réfléchir d’un peu plus près, cependant, on se rend compte que cette attitude de désobéissance civile n’est pas aussi facile qu’on le croit à mettre en place. Certes, avec le recul historique qui est le nôtre, il nous semble évident qu’il aurait fallu faire ceci ou ne pas faire cela. Pourtant, de nos jours, même si beaucoup constatent que le monde dans lequel ils vivent n’évolue pas dans la bonne direction, les décisions politiques étant uniquement prises en fonction des thèses économiques néolibérales à la mode, peu de personnes osent une critique ouverte de la situation. Quant aux quelques courageux qui s’aventurent dans cette voie de la contestation, ils sont rapidement diabolisés, un peu comme l’étaient autrefois aux Etats-Unis les gens soucieux de justice sociale, qui étaient aussitôt catalogués de communistes.

Ainsi en va-t-il des alter mondialistes, qu’on présente facilement comme des doux rêveurs. Une bande d’illuminés en quelque sorte, qui ne parviennent même pas à se mettre d’accord entre eux.

Ainsi en va-t-il également des tenants d’une culture anti-OGN. Des bandits, finalement, qui saccagent des champs pourtant cultivés avec toutes les autorisations voulues et qui refusent finalement le progrès de la science. Des attardés, en quelque sorte, qui luttent à contre-courant pour une agriculture dépassée.

Ainsi en va-t-il encore des opposants au néolibéralisme ambiant. Des attardés eux aussi, qui ne comprennent pas que la France va rater le train du XXI° siècle si elle veut s’accrocher à un état social désuet. Car celui-ci est définitivement mort, étant impossible à financer. Seuls s’en sortiront les pays (et les individus) qui iront de l’avant, osant prendre des risques et récoltant les fruits mérités de leur travail. Assez de tous ces fainéants qui veulent profiter de la société et qui voudraient qu’on leur rembourse leurs médicaments alors qu’ils ont eu le toupet de tomber malade.

Pourtant, quand on reprend ces trois groupes d’opposition, on se rend compte :

Que les alter mondialistes, s’ils sont parfois inconséquents, ont cependant en commun de ne pas vouloir d’une société qui mise tout sur le profit, ce qui est un point de vue légitime.

Que les faucheurs d’ONG sont peut-être fous, mais qu’aucun scientifique n’a pu leur donner une réponse satisfaisante quant à la nocivité ou non de ces nouvelles plantes.

Que les frondeurs anti-libéraux ne font que réclamer un peu de dignité pour les hommes (et les femmes bien entendu) et que réduire en esclavage 90% d’une population pour que les 10% qui restent s’enrichissent scandaleusement ne peut être acceptable sur le plan de l’éthique. Sans compter qu’il n’est pas si sûr que l’Etat social ne puisse perdurer. Plutôt que de faire des dépenses excessives et de tout privatiser (ce qui appauvrit l’Etat à moyen terme en le privant de pas mal de recettes), il conviendrait plutôt de constituer des fonds de pensions ou de sécurité sociale. Evidemment, à partir du moment où on veut qu’une firme privée fasse 100% de bénéfice et qu’elle ne paie plus d’impôts (afin de rester concurrentielle nous dit-on, ce qui apporte de l’eau au moulin des alter mondialistes qui ne veulent pas précisément de cette course à la concurrence) alors il est clair que l’Etat n’a plus d’argent à redistribuer à ses citoyens (sauf ce qu’il aura prélevé sur le salaire de ces mêmes citoyens ou bien en leur imposant une TVA dite sociale).

Le paradoxe ; c’est que l’Union européenne a tout fait pour permettre aux firmes de se délocaliser ou de s’implanter ailleurs (libre circulation des personnes et des biens) et puis après, devant cet état de fait, elle nous dit qu’il faut accepter des baisses de salaires et des horaires accrus sinon on verra ces mêmes firmes quitter notre beau pays. Elle oublie de dire que c’est elle qui a fortement contribué à légaliser la situation actuelle. Avant les syndicats pouvaient encore contraindre un patron à négocier. Aujourd’hui ce n’est plus possible. Où sont les perdants ? Ce sont ceux qui ont dit non au référendum sur l’Europe. Et ce sont les mêmes qui ont voté pour l’ami Sarkozy. Comprenne qui pourra.

14/09/2007

Alphabet grec

Pour compléter l’article précédent, il faut encore noter que l’expression « soleil noir» a connu un beau succès en littérature. On la retrouve chez Kristeva, en rapport avec la dépression et la mélancolie :

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Ainsi que chez l’illustrissime poète de Villepin (quoi ? Ce n’est pas pour sa poésie qu’il est devenu célèbre ?)





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Enfin, pour être plus sérieux, je regrette que Hautetfort n’accepte pas les lettres grecques quand on veut donner un étymon. Je passe mon temps à insérer les lettres une à une via la fonction « insertion », « caractères spéciaux » de Word et Hautetfort transforme tout en alphabet latin.

Oxymore

Sur son blogue, (http://www.josephetorban.canalblog.com/)
Joseph Orban, poète très mal connu comme il se définit lui-même, fait allusion à « un important responsable culturel socialiste », précisant que cette formulation relève d’une figure de rhétorique, en l’occurrence l’oxymore. Nous laisserons de côté l’analyse politique car il serait vain de savoir qui, des socialistes ou des sarkoziens, est le plus proche de la culture et nous profiterons plutôt de l’occasion qui nous est donnée pour rappeler que le terme oxymore (ou oxymoron) vient du grec « oxumoros » (de « oxus », aigu et « moros », émoussé) et qu’il désigne une figure de rhétorique où deux mots désignant « des réalités contradictoires ou fortement contrastées sont étroitement liés par la syntaxe. » Exemple : « un merveilleux malheur ».

On parle parfois d’antilogie, mais ce terme renvoie surtout à quelque chose d’illogique. Dans ce cas, on pousse tellement loin l’antithèse qu’on se retrouve dans une situation absurde.
Le grammairien français Pierre Fontanier, qui avait consacré sa vie à étudier les tropes, parle lui de paradoxisme. Il est dans le vrai car c’est pour le moins un paradoxe d’accoler ensemble des termes contradictoires.

Certains oxymores servent à désigner des réalités qui ne possèdent pas encore de nom, comme par exemple « aigre-doux » (pour les amateurs de cuisine chinoise) ou « clair-obscur » (pour les amateurs de la peinture de Rembrandt).

Généralement, cependant, les écrivains qui emploient l’oxymore cherchent à attirer l’attention de leur lecteur. L’encyclopédie en ligne Wikipédia (dont il faut certes se méfier mais qui est parfois bien utile) nous propose quelques exemples :


- Les azurs verts (Rimbaud)
- Les splendeurs invisibles (id.)
- La clarté sombre des réverbères (Baudelaire)
- Cette obscure clarté qui tombe des étoiles (Corneille)
- Un jeune vieillard (Molière)
- Hâtez-vous lentement (Boileau)
- Je la comparerais à un soleil noir si l’on pouvait concevoir un astre noir versant la lumière et le bonheur (Baudelaire)
- Un affreux soleil noir d’où rayonne la nuit (Hugo)



Alors là, je fais appel à l’équipe. Si je connaissais la phrase de Baudelaire, c’est surtout à Nerval que je pense quand je rencontre l’expression « soleil noir », Nerval qui avait écrit ce beau poème « El desdichado » :


EL DESDICHADO

Je suis le ténébreux, -le veuf, -l'inconsolé,
Le prince d'Aquitaine à la tour abolie:
Ma seule étoile est morte, -et mon luth constellé
Porte le soleil noir de la Mélancolie.

Dans la nuit du tombeau, toi qui m'as consolé,
Rends-moi le Pausilippe et la mer d'Italie,
La fleur qui plaisait tant à mon coeur désolé,
Et la treille où le pampre à la rose s'allie.

Suis-je Amour ou Phébus, Lusignan ou Biron?
Mon front est rouge encor du baiser de la reine;
J'ai rêvé dans la grotte où nage la sirène...

Et j'ai deux fois vainqueur traversé l'Achéron,
Modulant tour à tour sur la lyre d'Orphée
Les soupirs de la sainte et les cris de la fée

Nerval aurait pu prendre cette expression « soleil noir » chez Baudelaire, mais plus vraisemblablement il la tient des livres d’occultisme dont il était friand, notamment ceux de Don Pernety. Certains ont parlé aussi de la gravure « Melancolia » de Dürer

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Mais j’ignorais totalement qu’Hugo avait aussi employé cet oxymore. Quelqu’un pourrait-il me dire dans quel livre ?

13/09/2007

Goncourt

Voici la liste de la sélection du Goncourt 2007. Qu’en dire ? Qu’on s’éloigne à chaque fois davantage de l’esprit initial des frères Goncourt, qui voulaient encourager un écrivain débutant et méritant. En effet, on retrouve des archi-connus comme Assouline, Nothomb ou Poivre d’Arvor (lequel n’écrit par seul mais avec son frère). A côté de cela, on a le livre de Darrieusecq, qui a surtout fait parler de lui devant les tribunaux (ce qui est une publicité comme une autre). On notera la présence des éditeurs traditionnels et on se réjouira pour Gallimard qui présente quatre poulains, ce qui multiplie ses chances de succès commercial. Pour le reste, retournons à nos affaires et laissons les loups se manger entre eux. Réjouissons-nous, cependant, de l’absence, dans cette sélection, de Yasmina Reza. Il n’aurait plus manqué que cela : voir la photo de Sarkozy s’étaler dans toutes les librairies de France et de Navarre.


Olivier Adam : "A l'abri de rien" (L'Olivier)
Pierre Assouline : "Le portrait" (Gallimard)
Philippe Claudel : "Le rapport de Brodeck" (Stock)
Marie Darrieussecq : "Tom est mort" (P.O.L.)
Vincent Delecroix : "La chaussure sur le toit" (Gallimard)
Delphine De Vigan : "No et moi" (J.C. Lattès)
Michèle Lesbre : "Le canapé rouge" (Sabine Wespieser)
Clara Dupont-Monod : "La passion selon Juette" (Grasset)
Yannick Haenel : "Cercle" (Gallimard)
Gilles Leroy : "Alabama Song" (Mercure de France)
Amélie Nothomb : "Ni d'Eve ni d'Adam" (Albin Michel)
Olivier et Patrick Poivre d'Arvor : "J'ai tant rêvé de toi" (Albin Michel)
Grégoire Polet : "Leurs vies éclatantes" (Gallimard)
Lydie Salvayre : "Portrait de l'écrivain en animal domestique" (Seuil)
Olivia Rosenthal : "On n'est pas là pour disparaître" (Verticales)

Enfin, si vous étiez découragés par la vague déferlante des 740 (?) romans de l'automne, réjouissez-vous puisque les dieux de l'édition, qui sont cléments, vous permettent de restreindre votre choix. Les plus fainéants peuvent même attendre le nom du lauréat pour commencer leur lecture. Evidemment, vous n'aurez pas le meilleur des livres mais celui que tout le monde aura acheté. C'est déjà cela, non? Dans nos républiques moutonnières où la consommation est de mise, que rêver d'autre?



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11/09/2007

Une femme indépendante.

Dans la Tribune de Genève d’hier, je tombe sur un article intéressant et surtout sur cette phrase, prononcée par une dame exaspérée : « Je ne vois pas au nom de quoi une femme devrait sacrifier son parcours professionnel à celui de son conjoint, surtout quand celui-ci bénéficie d'un emploi précaire"

La phrase est lancée, péremptoire. Pleine de bon sens aussi. Qui oserait contester à la femme qui s’exprime ainsi le droit qu’elle a d’exercer un métier ? Personne évidemment. Elle ne va pas sacrifier sa carrière pour son mari, surtout si celui-ci n’a qu’un emploi précaire. Elle préfère donc miser sur le long terme et ne pas renoncer à un travail stable.

Et pourquoi ce mari macho lui a-t-il demandé d’interrompre ses activités professionnelles ? Qui est-il pour avoir de telles exigences ? Après tout il n’a qu’un emploi précaire. Et qu’était-il avant cela ? Chômeur ? Clochard ?

Non, vous n’y êtes pas. En fait le mari n’a rien demandé du tout à son épouse. C’est la « société » qui en fait conseillerait à l’épouse de démissionner et pour être plus précis, les syndicats.
Alors là, on ne comprend plus du tout. Les syndicats qui se sont toujours battus pour le travail des femmes et contre les emplois précaires, les voilà qui demandent à une femme de renoncer à un poste sûr et bien payé. Convenez qu’ils adoptent une étrange position.

Pour y voir plus clair, examinons la situation calmement et reprenons au début. Que fait exactement le mari ? Quel est cet emploi précaire dont on nous parle ? Et bien le mari est ministre. C’est un des transfuges qui est allé rejoindre l’équipe de Sarkozy. Son nom ? Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères. Son épouse ? Christine Ockrent, qui va lancer sur FR3 une nouvelle émission politique. Et les syndicats ? Et bien ils ont peur qu’elle ne soit pas objective et qu’elle interprète à sa manière les événements politiques qu’elle va présenter. Allons, quelle idée ! Christine est une femme libérée, elle ne va pas se soucier des activités de son mari. Et puis ils ne vont tout de même pas parler boulot le soir sur l’oreiller. Venir dire qu’elle serait partiale ! Il est vrai qu’elle est proche des cercles qui gravitent autour de l’OTAN et membre des amitiés franco-américaines, mais bon, tout cela c’est sa vie privée après tout, non ? Elle pas objective ? Voyons ! C’est comme ceux qui ont reproché à Kouchner, qui investiguait autrefois sur les rapports entre le groupe Total et la junte birmane, d’avoir rendu un rapport biaisé. Tout cela parce qu’il était payé par Total. Ridicule. Il y a vraiment des gens médisants. Il leur a bien répondu d’ailleurs, en expliquant qu’il n’allait pas compromettre sa réputation pour un rapport qui ne lui a presque rien rapporté alors que pour la moindre conférence qu’il donne il se fait payer 4.000 euros la soirée. Enfin, cela, c’était avant qu’il n’accepte l’emploi précaire chez Sarkozy.

Par contre, pour revenir à Ockrent, elle pourrait expliquer tout de même à son cher époux que ce n’est plus JP Raffarin qui est Premier Ministre en France, comme il l’a dit l’autre jour. Ne pas connaître le nom de son patron, c’est quand même étrange. Mais il ne faut pas lui en vouloir, il vient d’arriver et après tout, comme on l’a dit, il n’a qu’un emploi temporaire.

http://www.tdg.ch/pages/home/tribune_de_geneve/info_expre...

Ps. : vous remarquerez que la date de l’article est erronée, puisque celui-ci est daté du 01.01.1970. Et on dira encore que la Suisse est le pays des horloges…

10/09/2007

De la presse

Voici des articles de presse comme on les aime, d’une grande transparence et rédigés dans une langue digne de Flaubert. :

La maison de la victime du meurtre commis le samedi 1er septembre dans le quartier D… à B…, située rue du Cheval Noir à M…, a été visitée entre la nuit de vendredi et celle de samedi, a-t-on appris dimanche de source judiciaire.

On admirera les compléments déterminatifs en cascades (de type gigogne) et la tournure à la voix passive, qui complique tout. Sans oublier l’emploi forcé des trois jours de la semaine pour signifier que l’on ne peut pas dire avec précision quand l’intrusion a eu lieu. Cela tourne à l’hermétisme mallarméen. Les rimes en moins, bien entendu. Cela donne envie de lire les journaux.

12:45 Publié dans Langue française | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : presse

07/09/2007

Voyage au pays de l'enfance

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Il existe de nombreuses versions de Chaperon rouge. Celles qui nous sont les plus familières sont dues respectivement à Charles Perrault et aux frères Grimm. Chez Perrault, le loup mange le chaperon, tandis que les Grimm nous offrent une fin plus adaptée aux oreilles enfantines : un chasseur providentiel vient éventrer le loup et délivre ainsi la petite fille et sa grand-mère.
Il existe d’autres différences. Ainsi chez Perrault, c’est une galette et un pot de beurre, qu’il faut aller porter à l’aïeule. Chez les Grimm, le beurre est remplacé par une bouteille de vin. Notons que dans la tradition orale, on parle surtout d’un morceau de pain encore chaud et d’une bouteille de lait. Dans cette même tradition orale, on retrouve le choix qui est demandé à l’enfant : choisira-t-elle le chemin des aiguilles ou celui des épingles ? Ailleurs, le chaperon n’a pas à choisir. Le loup, d’autorité, emprunte le chemin le plus court tandis que la belle étourdie s’attarde à cueillir des fleurs le long du chemin le plus long (Perrault). Ou bien encore elle quitte carrément le chemin et s’aventure dans le sous-bois (Grimm).
La fameuse réplique « tire sur la chevillette et la bobinette cherra » se trouve chez Perrault. Elle reflète manifestement des versions antérieures. Il est étrange que cette formule ait été reprise telle quelle car elle est devenue pour ainsi dire incompréhensible. Pourtant, quand on nous parle aujourd’hui du Chaperon rouge, c’est invariablement à cette phrase que l’on songe. Manifestement, on se la répète de génération en génération comme une formule magique.
Est-ce les sonorités qui plaisent? Sans doute. A moins que la formule ne soit un résumé de toute l'histoire. Tirer la chevillette suppose une décision à prendre (comme le petit Chaperon qui a décidé de s'écarter du droit chemin afin de folâtrer dans les bois), décision qui a des conséquences: la bobinette choit irrémédiablement (de même que le Chaperon ne manquera pas, en principe, de se faire dévorer par le loup).Et puis il y a aussi la survivance du verbe choir, qui est le seul terme de la formule a encore être compris et qui renvoie, nostalgiquement, à un état ancien de la langue que nous désirerions encore comprendre. Il est vrai que l’histoire du chaperon renvoie elle aussi à notre petite enfance et donc à un monde primitif qui est pour nous sacré. On ne touche pas aux souvenirs.
Mais revenons à nos différentes versions. Chez les Grimm on ne parle ni de bobinette ni de chevillette, mais plus simplement de loquet. Dans les deux cas le loup mange la grand-mère et prend sa place dans le lit (car l’aïeule, étant malade, était alitée). Dans la tradition orale, le loup (le bzou) ne mange pas la grand-mère, mais il met « de sa viande dans l'arche et une bouteille de sang sur la bassie (« petite pièce où on fait la vaisselle, évier »). On remarquera comment l’épisode du sang dans la bouteille a été transformé en bouteille de lait, puis en beurre dans les versions policées du conte.
Il conviendrait donc de faire de ce conte une analyse anthropologique, en mettant en évidence les oppositions entre la nature (le bois, le loup) et la culture (habits rouges de la fillette, bon chemin, maison à la porte bien fermée, etc.). De même le thème alimentaire est prédominant. C’est du pain ou une galette que l’on apporte à la mère-grand (pas des fruits sauvages mais un aliment cuit et travaillé par l’homme), tandis que c’est de la chair crue qui est exposée par le loup. Ou bien on apporte du vin (symbole également de la domination des hommes sur la nature) qu’on opposera au sang de l’aïeule. S’il était entendu que celle-ci devait manger les mets préparés à son intention, elle se retrouve en fait mangée par le loup, cet animal sauvage par excellence. Quant au Chaperon, elle devient elle-même une proie pour le loup, non seulement sur le plan alimentaire, mais aussi sexuel. La version orale est on ne peut plus explicite à ce sujet. La fillette se déshabille entièrement sur les conseils du bzou, afin d’aller le rejoindre dans le lit, tout en remarquant l’étrange virilité de sa prétendue grand-mère : « Oh, que vous êtes poilouse ! ». Entre-temps, elle aura consommer les morceaux de viande humaine (cannibalisme et anthopophagie) malgré les avertissement de la chatte de la maison (un animal, pourtant). Manger et être mangé, désirer et être désirée constituent donc bien deux des axes importants de ce conte qui ne semble plus tout à fait convenir aux enfants quand on l’analyse sous cet angle.
Dans la version orale, le loup ne dévore pas le Chaperon (c’est elle qui a mangé des morceaux de sa grand-mère), qui réussit à s’enfuir par ruse (ne poussant pas la régression à l’état naturel au point de coucher avec le loup). Chez Grimm et Perrault, on sait ce qu’il en est. De plus, un chasseur (tueur d’animaux) ou un bûcheron (coupeur d’arbres) tue le loup et ouvre son ventre où on retrouve l’aïeule et sa petite-fille. Tout finit bien. L’homme domine de nouveau la nature, la jeune fille devra rester prudente à l’avenir (se méfier de la nature, des loups, des hommes et de leur désir et obéir à sa mère) et il semble légitime de tuer des animaux cruels. L’ordre est rétabli. Par contre, on conviendra que le sens premier, tel qu’il apparaît dans la tradition orale, est beaucoup plus inquiétant. La fille est maîtresse de sa destinée, elle choisit le chemin qu’elle veut, se déshabille sans honte, mange sa grand-mère, etc. C’est par son intelligence et sa ruse qu’elle parvient à s’échapper quand elle trouve que le jeu ne lui plait plus (alors que chez Grimm et Perrault, c’est le loup qui est rusé et intelligent, tandis que le Chaperon est naïve et étourdie). On voit donc comment les versions policées ont complètement dénaturer le sens premier et ont inversé toutes les valeurs.




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05/09/2007

Tant va la cruche à l'eau...

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Dans la suite logique de l’article d’hier, voici qui va venir mettre un peu de baume au cœur de ceux qui n’apprécient que fort modérément leur nouveau président (si, si il y en a tout de même quelques–uns).

Un professeur en communication politique à l’Institut d’études politique de Paris prédit que Nicolas Sarkozy ne parviendra pas, sur le long terme, à maintenir de lui-même une image positive parce qu’il se montre trop. Il prévoit une usure de cette image.

Il estime que Sarkozy fait du marketing politique, autrement dit qu’il analyse les besoins de certains groupes de citoyens pour répondre aussitôt à leur attente avec une solution. Mais à vouloir trop jouer à ce jeu, on prend des risques. Tant va la cruche à l’eau…

« Il y a bien sûr un revers évident à la saturation médiatique, c'est l'usure de l'image et de la parole, la banalisation de la parole, et le risque de se contredire. » Voilà qui rassure.

« Nicolas Sarkozy est un "voleur de lumière" et il irrite aussi bien son premier ministre que la chancelière allemande. Et cela finira par avoir un coût politique. » Encore mieux. Et notre politologue de comparer Sarkozy à Blair, qui, lors du décès de la princesse Diana, a su faire de la politique compassionnelle. Il avait compris la charge émotionnelle que cette mort avait suscitée dans la population. Pourtant, à la fin de son « règne », il était mal vu de tous et surtout des médias (et pour cause, on ne peut pas oublier ses mensonges sur la nécessité d’envahir l’Irak).

Sarkozy finira bien, lui aussi, par se mettre dans une position embarrassante. En attendant le mal sera fait. On le voit envoyer Kouchner en Irak. Outre que celui-ci a dû présenter des excuses au premier ministre de ce pays pour avoir prédit un peu vite son départ pour incapacité, l’homme de l’humanitaire a estimé qu’il était temps pour la France d’être présente en Irak. Comprenez : changeons de politique et soutenons les Américains, nous en retirerons bien quelques bénéfices économiques. Une telle attitude va retourner les opinions arabes contre la France, qui apparaissait pourtant comme une exception parmi les pays occidentaux. Si un jour une présence militaire française devait être présente en Irak, même si c’est sous le couvert de rétablir la paix ou de mener une mission humanitaire, il est clair que les pertes humaines seront lourdes, non seulement parmi les soldats mais aussi parmi les civils à Paris car il y a fort à parier que les attentats reprendront. De plus, s’ils reprennent, ce sera un beau prétexte pour justifier une guerre des civilisations. Après tout les guerres ont toujours fait tourner l’économie, n’est-ce pas ?

Remarquons que la politique africaine de Sarkozy n’est pas meilleure que sa politique au Moyen-Orient. En tout cas les propos qu’il a tenu récemment à Dakar (« l'imaginaire" du paysan africain "où tout recommence toujours" et où "il n'y a de place ni pour l'aventure humaine, ni pour l'idée de progrès"), qui semble dénier aux Africains la possibilité de se tourner vers l’avenir, ne lui aura pas fait que des amis. Comme quoi les paroles elles-mêmes peuvent blesser. Parions que notre grand orateur national finira par se mettre tout le monde à dos et par se brûler à son propre jeu. Quelle idée aussi de vouloir imiter Bush ! On voit où ses discours et sa politique ont mené ce dernier. Quand il se rend en Australie, qui est tout de même une terre amie pour lui, peuplée d’Anglo-Saxons, il faut couper une ville en deux pour assurer sa sécurité. On croit rêver.

04/09/2007

Nicolas ou de l'éducation

Une nouvelle fois, la famille Sarkozy, au grand complet, fait parler d’elle. En effet, dans Le Monde d’aujourd’hui, les lecteurs médusés et époustouflés peuvent découvrir trois articles sur la nouvelle dynastie qui dirige désormais la France. En fait, il ne se passe pas un jour sans que la presse ne relate les faits et gestes du président ou de son entourage. A croire qu’elle est payée pour cela. Il est vrai que ceux qui en sont les propriétaires sont aussi les grands amis du petit Nicolas. N’avait-il pas lui-même fait des reproches autrefois au fils Lagardère quand ses journaux avaient évoqué la possible séparation de Nicolas et de Cécilia ? « Ou bien c’est un traître, ou bien il ne sait pas tenir son groupe » se serait-il écrié. Cela veut tout dire.

Donc aujourd’hui trois articles.

Le premier consacré à Cécilia, qui s’explique (sans rien révéler, en fait) sur son rôle dans la libération des infirmières bulgares. Non, elle ne veut pas être entendue par la Commission parlementaire car elle était en Libye pour ainsi dire à titre privé. Ce qui ne l’a pas empêchée de dialoguer en anglais avec Kadhafi et sans traducteur encore bien. Si elle n’avait pas été la femme du président, aurait-elle ainsi rencontré Kadhafi et bu le thé avec lui ? Non, évidemment. C’est bien la preuve qu’on joue ici un double jeu. Si elle échoue dans son entreprise, cela n’a aucune conséquence pour la France, puisqu’elle agit en son nom propre. Par contre si elle réussit, c’est Sarkozy qui en sort vainqueur, tout en évitant les questions indiscrètes des parlementaires puisque après tout on est dans la sphère privée. D’ailleurs, quand elle dit : « "J'ai offert à l'hôpital de Benghazi des médecins chargés de former leurs homologues palestiniens, des équipements, des traitements contre le sida et des visas rapides pour que ces cas urgents puissent venir se faire traiter en France", on peut se demander si c’est avec son argent personnel qu’elle comptait payer tout cela. Il faut le supposer puisqu’elle a ajouté : "On ne m'empêchera jamais d'essayer d'aider ou de soulager la misère du monde, dans quelque pays que ce soit." On n’a jamais douté que les riches s’intéressent au pauvres. C’est d’ailleurs bien pour cela qu’on a élu son mari.

Le deuxième article relate les mésaventures du gamin. Celui à qui on avait volé le vélomoteur autrefois et pour lequel toutes les polices de France et de Navarre s’était coupées en quatre. Maintenant qu’il l’a récupéré, son vélomoteur, voilà qu’il tamponne l’arrière d’une BMW à un feu rouge. Il est accusé de délit de fuite et de geste grossier envers le conducteur du véhicule tamponné. Comment interpréter ce fait ? Soit, de nouveau, M. Lagardère ne sait pas tenir son groupe de presse, qui n’aurait jamais dû publier cela, soit au contraire c’est voulu. Dans le plus pur style américain, c’est la famille du politicien que l’on met en avant. Quoi de plus sympathique, de plus proche du peuple, qu’un président qui a, comme tout le monde, des problèmes avec ses enfants ? Ah, ces adolescents ! Incorrigibles… Nicolas nous en deviendrait presque sympathique (j’ai bien dit presque). On l’imagine le soir, autour de la soupe fumante (enfin, quand il n’est pas en croisière ou dans les grands hôtels parisiens), en train de réprimander le geste grossier de son rejeton et de lui donner une leçon de morale sur ce qui se fait et ne se fait pas.

Le troisième article est plus sérieux puisqu’il traite de l’empereur lui-même et de sa fonction de dirigeant. Dans un texte « républicain et fondateur » qu’il adresse à tous les enseignants (c’est la Poste qui va se frotter les mains, dommage qu’elle ne soit pas encore privatisée), il se place dans la droite ligne historique de Jules Ferry. Mais là où son illustre prédécesseur se contentait de répandre le savoir, Nicolas I se risque à une synthèse dialectique digne d’Hegel. Autrefois, dit-il en, substance, on a tout misé sur le savoir au détriment de l’enfant. Par la suite (il ne cite plus mai 68 pour ne pas se mettre à dos ces enseignants auxquels il s’adresse), on a respecté l’enfant au détriment du savoir. Il propose donc une synthèse des deux doctrines, dont l’élève sortirait victorieux puisqu’il serait respecté tout en ayant appris beaucoup de choses. Vu comme cela on ne peut qu’applaudir. Il est vrai que la gauche, trop souvent, a contribué à abaisser le niveau des programmes croyant venir ainsi en aide aux plus défavorisés. Il est vrai aussi, si on s’en tient au seul cours de français, que l’analyse et la grammaire sont à peine effleurées, ce que l’on regrettera évidemment. Mais là où on ne suit plus très bien le discours sarkozien, c’est quand on se rend compte qu’à côté de sa lettre aux éducateurs, il supprime 20.000 postes d’enseignants. N’y aurait-il pas là un petit paradoxe ? Sans doute faut-il attendre quelques jours encore afin que, dans un nouveau discours adressé cette fois « aux éducateurs qui sont restés en place », il ne nous offre une nouvelle synthèse dialectique qui nous fera comprendre comment on apprend mieux avec moins d’enseignants.

Notons en passant qu’il a même plaidé pour la culture générale, ce qui est admirable de la part de quelqu’un qui en possède peu et qui en principe doit surtout viser à ce que le patronat dispose de la main d’œuvre nécessaire en temps voulu. Alors, venir en plus nous parler de culture, c’est là un geste gratuit qu’on n‘attendait pas (plus).