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19/09/2007

Des contestataires au sein de l'Eglise

"Aussi longtemps que je demandais aux gens d'aider les pauvres, on m'appelait un saint. Mais lorsque j'ai posé la question: pourquoi y a-t-il tant de pauvreté ? on m'a traité de communiste..."
dom Helder Câmara, cardinal brésilien.

Nous parlions hier de la résistance civile, cette attitude qui consiste à refuser les ordres donnés par les autorités. Or, s’il y a bien une institution où on ne s’attendrait pas à trouver ce genre d’attitude, c’est bien l’Eglise. Moi qui me détourne souvent des problèmes religieux, athéisme oblige, j’ai sans doute trop tendance à considérer que l’Eglise est conservatrice et qu’elle est tournée du côté des puissants (manière habile d’asseoir sa propre autorité). Ainsi, je conserve encore en mémoire le discours que le pape précédent (Jean-Paul II donc, plus conservateur encore que toute la Pologne, ce qui n’est pas peu dire) avait prononcé lors de son premier voyage en Amérique du Sud. En gros il félicitait les pauvres d’être pauvres car leur dénuement les rapprochait de Dieu. Il leur demandait surtout de ne pas se révolter car ce serait désobéir aux volontés divines (après tout, si Dieu avait voulu qu’ils soient aussi démunis, il devait avoir ses raisons). Accepter son destin était donc ce qu’ils avaient de mieux à faire. Les portes du paradis ne manqueraient sans doute pas de s’ouvrir un jour pour eux, mettant enfin un termes à leurs misères. A l’écouter, on comprenait que le plus tôt serait finalement le mieux. Enfin pas trop tôt tout de même, le temps de concevoir et d’élever chrétiennement six ou sept enfants, ce qui était sûrement leur mission en ce bas-monde.

Qu’en savait-il, le bougre (comme aurait dit Brassens) ? Il n’en savait rien du tout, évidemment. Mais il savait que l’Eglise ne devait pas jouer le jeu de la révolution dans ce continent où ce n’étaient pas les occasions qui manquaient de se révolter. Par ce discours axé sur la résignation, il faisait comprendre qu’il désapprouvait l’attitude des prêtres contestataires qui s’étaient regroupés dans la Théologie de la libération (à ne pas confondre avec le Sentier lumineux, qui lui est une dissidence du parti communiste). Car il s’est trouvé des religieux pour porter la contestation au sein de l’Eglise et oser critiquer son discours sur la société.

Au départ, la Théologie de la libération, c’est d’abord des écrits et une réflexion théorique et politique. On y retrouve par exemple des figures comme celle du philosophe Gustavo Gutierrez (Pérou). Celui-ci veut lutter contre la pauvreté et il se place dans l’esprit d’ouverture de Vatican II (on en est loin). Ainsi, sa réflexion le conduit à contester l’attitude ancienne de l’Eglise, fondée sur la seule charité. Pour lui et ses émules, les pauvres ne sont plus essentiellement des objets de charité, mais les sujets de leur propre libération. Notons que les organisations humanitaires ne disent pas autre chose : mieux vaut apprendre à pêcher à un homme que de l’entretenir en lui donnant du poisson. Acteur de sa propre destinée, le pauvre retrouve donc sa dignité. C'est ici que s'opère la jonction avec un principe fondamental du marxisme, à savoir que "l'émancipation des travailleurs sera l'oeuvre des travailleurs eux-mêmes". C’est là évidemment un changement radical. Ces prêtres et ces théoriciens chrétiens contestent donc l’attitude classique de l’Eglise et demandent en fait que la réflexion soit portée sur le plan politique. Ce qui ne les empêchent pas de se placer également sur le plan religieux. Ainsi, ils refont une lecture des écritures et arrivent à la conclusion que si la pauvreté doit être combattue, elle peut aussi être une source d’enrichissement spirituel (« Heureux les pauvres car le Royaume de Dieu leur appartient ») La population sud-américaine aurait donc à la fois faim de Dieu et faim de pain. Gustavo Gutierrez voudrait conserver la première et éradiquer la seconde. Car la faim tout court conduit à nier la dignité humaine et donc la part divine que chacun renferme en soi. Il condamne donc tous les discours qui visent à mépriser les pauvres au nom de critères économiques (et dire « développez-vous », c’est encore les culpabiliser), sociaux, culturels ou raciaux.

La pauvreté n’est pas inévitable, elle provient d’une mauvaise organisation de la société. La pauvreté n’est donc pas une fatalité, c’est une condition (ce qui suppose chez les pauvres une manière d’être et de penser qui leur est propre, une culture spécifique en quelque sorte). Le rôle de l’Eglise (et un des buts de ceux qui ont la foi) est donc de changer l’Histoire. L’Histoire doit se voir comme un moyen de créer le Royaume de Dieu sur terre en améliorant sans cesse les conditions de l’homme (matérielles, certes, mais aussi spirituelles car il s’agit non seulement de donner du pain, mais aussi de faire retrouver une véritable dignité). D’où la notion de praxis. La foi doit se comprendre comme un engagement dans l’Histoire et l’Histoire a pour but de rendre les hommes plus hommes, c’est-à-dire débarrassés de leurs soucis alimentaires et donc plus disponibles pour se rapprocher de Dieu et des autres hommes. Autrement dit, au lieu d’attendre un futur meilleur au sens où les Chrétiens le font habituellement (attendre la venue du Christ Roi à la fin des temps), la Théologie de la libération veut construire ici et maintenant ce monde meilleur, non certes dans une perspective marxiste, mais spirituelle. C’est dans la rencontre avec les autres que se trouve le véritable amour de Dieu. Nous sommes donc en présence d’une eschatologie de la praxis.

Pour justifier ses dires, Gustavo Gutierrez chercha des réponses dans la Bible (aimer son prochain, etc.). Evidemment, beaucoup lui reprochèrent d’annexer la pensée athée marxiste dans son analyse de la réalité sociale. D’autres virent un danger dans sa théorie. Celui de ne proposer qu’une théologie sociale, fondée sur l’instant présent. De plus, il finirait par nier le péché originel (le mal) qui, selon les Chrétiens, gît au fond de chacun de nous (notion par ailleurs assez incompréhensible pour la pensée athée, il faut le préciser). Les autres théologiens reprochèrent donc à cette théorie pourtant séduisante de ne prêcher qu’une révolution sociale autrement dit de n’être pas assez eschatologique. De plus, ils lui reprochèrent également de « collaborer » avec la pensée et le pouvoir marxiste. Attitude assez hypocrite, de mon point de vue, étant entendu que l’Eglise elle-même n’a jamais fait autre chose que de collaborer avec les puissances de ce monde. Il est vrai, à sa décharge, que ces puissances n’étaient pas athées, mais chrétiennes puisqu’elle appuyaient à leur tour leur autorité sur cette même Eglise dont elles avaient besoin (Franco, Pinochet, etc.).

Il reste qu’on a voulu diaboliser cette Théologie de la libération, sur laquelle, en tant qu’athée, je ne me prononcerai pas, mais qui me semble avoir un grand respect pour les hommes en général et les pauvres en particulier. Des phrases comme la suivantes vont très loin :

"Il faut vaincre le capitalisme: c'est le plus grand mal, le péché accumulé, la racine pourrie, l'arbre qui produit tous les fruits que nous connaissons si bien: la pauvreté, la faim, la maladie, la mort. Pour cela, il faut que la propriété privée des moyens de production (usines, terre, commerce, banques) soit dépassée." (Obispos Latinoamericanos, 1978, p. 71).

On a rarement vu une critique aussi acerbe du capitalisme, vu comme source de tous les maux. Partis en croisade contre les faux Dieux (le dieu argent), ces théologiens remettent en question le côté sacrificiel que le capitalisme exige des pauvres (lesquels, si je ne me trompe, doivent accepter de se sacrifier au nom de raisons économiques). Le catholicisme d’un Bush a certes de quoi inquiéter. Non seulement parce qu’il mélange le sacré et la profane, la religion et l’Etat (ce qui débouche sur son conflit des civilisations avec le monde arabo-musulman), mais aussi parce qu’il justifie l’oppression des pauvres au nom d’une théologie de l’économie et de l’argent. On se doute que les deux derniers papes conservateurs qu’a eu l’Eglise ont plutôt condamné cette Théologie de la libération, préférant mettre en avant la piété, la recherche intérieure ou la prière. Ce sont là, pour des croyants, et il faut le reconnaître, des choses certes importantes, mais derrière cette recherche affichée de spiritualité se cache sans doute une autre volonté, celle d’éloigner les prêtres des réalités sociales en leur demandant de laisser les choses dans l’état où ils les ont trouvées, c’est-à-dire d’accepter que les riches soient de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres.