28/09/2007
Soleil noir
Nous parlions l’autre jour ici-même, à propos de l’oxymore, de l’expression « soleil noir », employée par Nerval dans El Desdichado. Sur son blogue, Angèle Paoli cite justement un poème étrange et angoissant de Théophile de Viau reprenant précisément cette expression. Nerval n’est donc pas l’inventeur.
http://terresdefemmes.blogs.com/mon_weblog/2007/09/25-sep...
UN CORBEAU DEVANT MOI CROASSE
Un corbeau devant moi croasse,
Une ombre offusque mes regards,
Deux belettes et deux renards
Traversent l'endroit où je passe :
Les pieds faillent à mon cheval,
Mon laquais tombe du haut mal,
J'entends craqueter le tonnerre,
Un esprit se présente à moi,
J'ois Charon qui m'appelle à soi,
Je vois le centre de la terre.
Ce ruisseau remonte en sa source,
Un boeuf gravit sur un clocher,
Le sang coule de ce rocher,
Un aspic s'accouple d'une ourse,
Sur le haut d'une vieille tour
Un serpent déchire un vautour,
Le feu brûle dedans la glace,
Le Soleil est devenu noir,
Je vois la Lune qui va choir,
Cet arbre est sorti de sa place.
Théophile de Viau, Œuvres poétiques, 1621
16:12 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : Littérature, soleil noir
Commentaires
Mon édition cite comme source de Nerval un rêve de Richter (Jean-Paul) et une illustration de Blake pour les Nuits de Young.
Écrit par : Dominique | 28/09/2007
Certains ont parlé des livres de magie du Moyen-âge. Or on sait que Nerval était passionné par tous les phénomènes étranges. En ésotérisme, le noir renvoie à l’opposé de notre monde, autrement dit aux ténèbres. Voir la pierre noire de la Kaaba, la magie noire, l’œuvre au noir (en alchimie, l’art de débarrasser la matière de ses impuretés).
Chez Yourcenar, l’Oeuvre au noir nous décrit, non pas la vie d’un alchimiste mais plutôt le parcours existentiel d’un homme qui tente de se réaliser (le terme de ce parcours étant son suicide).
Écrit par : Feuilly | 28/09/2007
La façon dont c'est écrit: "Le Soleil est devenu noir" me ferait plutôt penser au phénomène de l'éclipse de soleil totale.
Comme si les anciens avaient justement pensé à cela, en en tirant tout le parti textuel (et donc à double sens) qu'il y avait moyen d'en tirer...
Une supposition comme une autre.
J'aime bien ce poème de Théophile de Viau.
Écrit par : Pivoine | 29/09/2007
Je sèche encore toujours sur les limites de la France et d'autres cultures o;) mais j'ai bien une petite idée, encore à creuser (pour le moment, j'ai un peu moins de temps... Dès que j'aurai trop de temps de nouveau, je continuerai à vérifier si mon intuition est la bonne). A force, je finirai par trouver, bien sûr !
Écrit par : Pivoine | 29/09/2007
Vous trouverez, chère Pivoine, vous trouverez, j'en suis certain.
Quant à l'eclipse de soleil, je ne suis pas trop d'accord. On ne parle pas d'obscurité mais de soleil qui est devenu noir. Il s'agit donc bien d'une inversion de sa caractéristque principale. Comme ce feu qui est dans la glace ou cette lune qui, au lieu d'être haut dans le ciel, se trouve en train de choir.
J'aime bien par ailleurs ce verbe choir (il a chu, il cherra, nous chûmes, qu'il ait chu...), archaïsme qui nous renvoie aux origines de la langue, au temps où elle était sacrée et non réduite comme aujourd'hui à un simple outil de marketing.
Écrit par : Feuilly | 29/09/2007
Là, je suis dans le plus lumineux de ce que vous avez écrit. La lumière, elle est là, dans le noir, inhérente au noir. Quand j'ai patouillé dans les aquatintes, les pointes sèches, les encres, cela était. Soulages, gamin, a découvert le noir en voulant peindre de la neige...
Le noir est un éblouissement, le blanc (la lumière ) un paroxysme du noir.
Ah, à propos de la mort et de l'oubli, l'oxymore va se désintégrer sur cette proposition :
Je promets de penser à vous quand vous serez mort, si vous promettez de penser à moi quand je serai morte...
Écrit par : Christiane | 06/07/2008
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