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02/10/2009

Ecriture

Combien de monstres l’homme d’à présent expédie-t-il dans son écrire ? Combien délègue-t-il de peurs et d’envies dans le maquis de ses romans ? Comment organise-t-il sa survie dans ces personnages qu’il dépêche au traitement de ses propres préoccupations et par la mise en mots desquelles il parvient parfois à se connaître un peu ?

Toute écriture est nécessité presque organique de clarifier en lui un indicible chaos, un mal-être qui réclame une voie d’équilibre et que lui tente d’inventer dans quelques pages organisées, toujours nécessaires, toujours ratées, et qui toujours l’apaisent faussement.

 

Patrick Chamoiseau, A bout d’enfance (Une enfance créole III), Folio, page 79.

15/12/2008

De la littérature comme moyen de survie (2).

« Pourquoi écrit-on ? J’imagine que chacun a sa réponse à cette simple question. Il y a les prédispositions, le milieu, les circonstances. Les incapacités aussi. Si l’on écrit, cela veut dire que l’on n’agit pas. Que l’on se sent en difficulté devant la réalité, que l’on choisit un autre moyen de réaction, une autre façon de communiquer, une distance, un temps de réflexion

J.M.G. Le Clézio : Dans la forêt des paradoxes. Début du discours prononcé le 7 décembre 2008 lors de la remise du prix Nobel. «

"Si l’on écrit, cela veut dire qu’on n’agit pas
» nous dit le nouveau Nobel. En effet et c’est le genre de question que l’on s’est déjà posée ici même, sans vraiment trouver de solution satisfaisante.

La réponse, cependant est peut-être dans ces mots «distance» et «temps de réflexion». L’écrivain serait toujours ailleurs, en retrait, en train d’observer et non en train de vivre. Il y a entre lui et l’existence une distance critique. Il regarde, il observe, puis il couche ses impressions sur le papier, ce qui lui permet de «dire» ce qu’il a ressenti face aux événements observés. C’est donc son point de vue subjectif qui l’emporte et non les faits eux-mêmes, son intériorité et non la vie qui passe. Ecrire serait donc par définition se raconter soi-même, dans une sorte d’autobiographie mentale en quelque sorte. Dès lors, c’est aussi affirmer la suprématie de sa propre sensibilité sur le monde ambiant et donc tenter de dire que l’on existe. Ecrire, ce serait donc une course de vitesse avec la mort, une course que l’individu tente désespérément de gagner, même s’il sait qu’il n’y parviendra pas. D’où sans doute ce sentiment du tragique si souvent présent dans la littérature.

13/11/2008

L'écriture et la nuit

La nuit j’écris.

La nuit, c’est fait pour écrire, sans qu’on sache pourquoi, finalement.

Peut-être parce qu’il fait noir et qu’il n’y a plus personne. La maison est silencieuse, le calme est absolu. On se retrouve donc avec soi-même comme jamais on ne l’a été dans la journée. Que faire, si ce n’est coucher sur le papier tout ce que l’on a sur le cœur, tout ce qui fait un poids, là, quelque part dans la poitrine et qui nous empêche de vivre comme il faudrait ?

Alors on écrit dans cette grande solitude délicieuse. Les mots s’affichent sur l’écran un à un, comme les gouttes d’une pluie qui commencerait à tomber. Puis petit à petit ces mots se rassemblent en phrases et les phrases en paragraphes et voilà la page-écran remplie. C’est un grand fleuve de mots qui maintenant coule de lui-même et emporte celui qui tape sur le clavier. Il l’emporte vers une destinée inconnue, peut-être un immense océan où disparaître enfin. Car écrire est dangereux. Pas toujours, mais parfois. Ecrire c’est mettre à nu la vérité que l’on a au fond de soi, c’est la jeter à la face du monde par l’intermédiaire de cet écran qui scintille dans l’obscurité de la pièce comme un ciel étoilé. Ecrire, c’est toucher l’espoir de se faire enfin comprendre, c’est crier aussi l’absurdité de ce monde qu’il nous faudra un jour quitter sans savoir pourquoi ni même sans avoir compris ce que nous étions venus y faire.

Ecrire, c’est une grande consolation aussi puisque cela consiste à créer des mondes imaginaires, des mondes où il nous semble que nous pourrions peut-être vivre. Enfin, s’ils existaient. Mais ils existent pour un instant, cependant. Ils sont là, dans toutes ces phrases que j’aligne, soumises à ma volonté ou au contraire indépendantes. Peu importe : un univers est en train de se créer, un univers où je retrouve mes désirs et mes angoisses, mes craintes et mes espoirs. Et en filigrane, l’amour toujours, qui se glisse subtilement dans l’intrigue alors qu’on ne l’a pas invité. On contemple ébahi les relations qui se nouent entre les personnages et à la fin on se demande si on n’est pas un peu l’un d’eux et si on ne voudrait aussi croiser le regard de cette fille qui traverse l’histoire.

Dehors, le vent souffle en tempête. Je m’en moque bien. Ici, tout est calme, le clavier fait son petit bruit régulier et les mots grignotent patiemment l’écran. Je suis bien, en accord avec moi-même. Demain sera un autre jour.



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22:43 Publié dans Prose | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : prose, écriture

26/10/2007

De la littérature comme moyen de survie.

Toujours dans le contexte de l’île (voir textes précédents) on pourrait se demander si ce lieu mythique n’est pas avant tout intérieur. Certes, on peut s’isoler à la campagne et refuser la compagnie des hommes afin de ne pas compromettre son « moi » avec ce monde mercantile qui est devenu le nôtre. Mais on peut tout aussi bien opérer un repli intérieur et s’adonner par exemple à la lecture et à l’écriture, sans pour autant rompre tout à fait avec la société. Une question cependant se pose. Cette activité intellectuelle qui nous apparaît à nous comme une échappatoire, une percée décisive contre la bêtise ambiante, ne peut-elle être qualifiée de fuite en avant, de refuge, voire de régression ?

Pour le dire autrement, est-il normal de lire (ou d’écrire) ? Un être normalement constitué a-t-il besoin de ce jeu qui consiste à vivre ou à créer des mondes imaginaires ? Un homme (une femme) adulte, en pleine maturité, est supposé(e) agir sur le monde qui l’entoure et non pas se complaire dans la fiction ou la poésie. Sommes-nous donc des anormaux, nous qui lisons et écrivons ? Pourtant cette activité nous semble primordiale et elle ouvre assurément notre esprit à des considérations plus hautes que ne peuvent le faire la plupart de nos actions quotidiennes.

D’un autre côté l’écriture peut se révéler être une arme redoutable, par les idées qu’elle véhicule et par la critique de la société qu’elle implique. La lecture aussi, forcément. Alors, sommes-nous en retard, attardés en quelque sorte dans l’enfance, avec nos contes et nos chimères ou bien au contraire sommes-nous en avance, dénonçant déjà avant la majorité de nos contemporains les travers d’une société qui nous convient peu ?

Ceci dit l’écriture n’est pas seulement critique du monde ambiant. Elle est avant tout retour dans le fort intérieur, recherche de la vérité qui sommeille au fond de chacun de nous. Il nous appartient d’être ce que nous sommes (comme un chat est chat jusqu’au bout des griffes) et cela en dépit du contexte dans lequel nous vivons. L’idéal étant sans doute de trouver une adéquation entre nos aspirations intimes et le monde extérieur. Il faut alors passer par des compromis (c’est sans doute ce qui distingue l’âge adulte du temps de l’adolescence, plus intransigeant et surtout soucieux de trouver la pureté absolue). Les problèmes commencent quand ces compromis deviennent trop nombreux. Notre « moi » alors s’évanouit devant le « ça » (pour parler comme les philosophes, lesquels n’ont jamais rien fait d’autre que de tenter d’endiguer l’absurdité de la vie par des échafaudages théoriques bien illusoires). C’est à ce moment-là, en fait, que nous recherchons la fameuse île, afin de nous ressourcer et de redevenir nous-mêmes.

23/08/2007

Ecriture

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Certains distinguent à juste titre l’écrivain de l’écrivant. L’écrivain est reconnu, publié et lu. L’écrivant, lui, se contente de griffonner chez lui. Entre les deux, il y a la barrière qui sépare le professionnalisme de l’amateurisme. Si tout le monde ne peut être écrivain, tout un chacun a le droit d’écrire à ses heures perdues, même si ce n’est qu’un journal. Généralement, le premier vise un large public à qui il propose des œuvres de fiction. Le second se contente souvent de mettre sur papier un ensemble de réflexions qui vont l’aider à voir clair en lui et donc à survivre.

Le problème, pourtant, n’est pas aussi simple. D’abord parce qu’on publie n’importe quoi. Parmi les 740 livres annoncés pour cet automne, on peut raisonnablement supposer que certains ne seront pas bons (c’est un euphémisme). Ces écrivains-là auraient mieux fait de rester « écrivants ». D’un autre côté, on peut tout aussi raisonnablement supposer que chez les écrivants, on rencontrerait des textes de qualité. Certains en effet dépassent la simple rédaction d’un journal et écrivent de la fiction ou de la poésie. S’ils ne sont pas publiés, c’est soit qu’ils n’ont entrepris aucune démarche dans ce sens, soit que les éditeurs ont refusé leurs textes.

Dans ce dernier cas, me direz-vous, ce ne sont donc pas des écrivains puisqu’ils n’ont pas passé le cap de la barrière éditoriale. En effet. Mais cependant, on se rend de plus en plus compte que les éditeurs cherchent avant tout le profit (ce n’est pas leur faute, leur maison ayant été rachetée par de grands groupes, ils sont eux-mêmes à la merci des décisions des actionnaires). Il y aura donc des textes de qualité qui auront été rejetés parce que leur diffusion serait restée confidentielle. Ces écrivants-là auraient dû être écrivains. Ils ne le sont pas devenus. Ils le sont d’autant moins devenus qu’ils ont en fait un autre métier, l’écriture chez eux n’étant finalement qu’un passe-temps. Oui, mais attention. Il ne faut pas s’imaginer que les écrivains, les vrais (ceux qui sont publiés donc) vivent de leur plume. Quelques-uns en sont capables, mais ils sont rares et à la limite ce ne sont pas forcément les meilleurs. Disons que ce sont les plus vendus. A la limite, on pourrait donc vivre de son écriture tout en étant un mauvais écrivain. A l’inverse, de bons écrivains perdent leur temps à exécuter du travail alimentaire (presse, nègre, etc.), ce qui leur laisse peu de loisir pour accomplir une vraie œuvre. On pourrait tenir le même raisonnement pour certains écrivants. S’ils avaient plus de temps et s’ils étaient publiés…

Donc, ni l’autonomie financière procurée par l’écriture ni le choix de l’éditeur ne semblent être un critère suffisant. Qu’est-ce donc alors qu’un écrivain ?

Si on n’a pas de lecteurs, on ne peut raisonnablement se dire écrivain. Si j’écris chez moi et que personne ne me lit, je ne suis manifestement pas un écrivain. D’un autre côté, certains écrivains sont si peu lus (même s’ils sont bons) qu’on pourrait se demander si on a encore le droit de les appeler ainsi.

Ou donc est la barrière ? Suffit-il d’être publié ? On a vu que non. Il faut encore être lu. Mais si le livre que je serais parvenu à faire éditer est mal diffusé, si on ne lui fait pas un peu de publicité, il va rapidement se retrouver au pilon. Serai-je alors un écrivain ? Oui, mais un écrivain malheureux.

D’un autre côté, on se rend bien compte que mon nombre de lecteurs, au début du moins, va dépendre de cette publicité faite autour du lancement du livre. Ce n’est donc plus le contenu de celui-ci qui serait primordial, mais le tapage médiatique fait autour. Voilà qui est troublant. Ne serait écrivain (et non simple écrivant) que celui que le système a choisi. On retombe dans la théorie de Roland Barthes. Tel texte est littéraire parce que j’ai décrété qu’il le serait (d’une manière unilatérale et arbitraire). Tel individu serait donc écrivain parce que la société en a ainsi décidé, indépendamment de la qualité du texte (fond et forme). Voilà qui est inquiétant.

Un autre critère parfois avancé, est le temps consacré à l’écriture. Pas le temps envisagé dans sa durée, mais le fait de ne rien faire d’autre qu’écrire. J’ai ainsi rencontré quelqu’un qui possédait une fortune familiale. Dispensé de travailler, il s’était retiré à la campagne et écrivait. Il avait publié un roman qui n’avait pas eu beaucoup de succès et ensuite avait collaboré avec un photographe pour réaliser un ou deux livres sur la nature. C’est peu pour toute une vie. Il se disait pourtant écrivain puisqu’il ne faisait rien d’autre. Il n’avait pas tort. A l’inverse, j’ai croisé sur Internet des gens qui refusaient de travailler et qui dépendaient de la collectivité pour survivre. Ils n’étaient pas édités, mais comme ils n’avaient jamais rien fait d’autre qu’écrire, ils se qualifiaient d’écrivains. Ils n’avaient pas tort non plus, évidemment. Mais si la même personne avait travaillé tout en écrivant la même chose, on l’aurait qualifiée d’écrivant. Comme quoi tout est complexe.

Le dictionnaire ne nous aide pas beaucoup dans la recherche de notre définition.

Ecrivain : personne qui compose des ouvrages littéraires, scientifiques etc.

Ainsi donc, si j’écris un livre sur la description d’une presse hydraulique ou sur un nouveau procédé de construction, je suis déjà un écrivain ? Je ne l’aurais pas cru.

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