Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

23/08/2007

Ecriture

a1e770962c7980296bb544c18e844cd8.jpg

Certains distinguent à juste titre l’écrivain de l’écrivant. L’écrivain est reconnu, publié et lu. L’écrivant, lui, se contente de griffonner chez lui. Entre les deux, il y a la barrière qui sépare le professionnalisme de l’amateurisme. Si tout le monde ne peut être écrivain, tout un chacun a le droit d’écrire à ses heures perdues, même si ce n’est qu’un journal. Généralement, le premier vise un large public à qui il propose des œuvres de fiction. Le second se contente souvent de mettre sur papier un ensemble de réflexions qui vont l’aider à voir clair en lui et donc à survivre.

Le problème, pourtant, n’est pas aussi simple. D’abord parce qu’on publie n’importe quoi. Parmi les 740 livres annoncés pour cet automne, on peut raisonnablement supposer que certains ne seront pas bons (c’est un euphémisme). Ces écrivains-là auraient mieux fait de rester « écrivants ». D’un autre côté, on peut tout aussi raisonnablement supposer que chez les écrivants, on rencontrerait des textes de qualité. Certains en effet dépassent la simple rédaction d’un journal et écrivent de la fiction ou de la poésie. S’ils ne sont pas publiés, c’est soit qu’ils n’ont entrepris aucune démarche dans ce sens, soit que les éditeurs ont refusé leurs textes.

Dans ce dernier cas, me direz-vous, ce ne sont donc pas des écrivains puisqu’ils n’ont pas passé le cap de la barrière éditoriale. En effet. Mais cependant, on se rend de plus en plus compte que les éditeurs cherchent avant tout le profit (ce n’est pas leur faute, leur maison ayant été rachetée par de grands groupes, ils sont eux-mêmes à la merci des décisions des actionnaires). Il y aura donc des textes de qualité qui auront été rejetés parce que leur diffusion serait restée confidentielle. Ces écrivants-là auraient dû être écrivains. Ils ne le sont pas devenus. Ils le sont d’autant moins devenus qu’ils ont en fait un autre métier, l’écriture chez eux n’étant finalement qu’un passe-temps. Oui, mais attention. Il ne faut pas s’imaginer que les écrivains, les vrais (ceux qui sont publiés donc) vivent de leur plume. Quelques-uns en sont capables, mais ils sont rares et à la limite ce ne sont pas forcément les meilleurs. Disons que ce sont les plus vendus. A la limite, on pourrait donc vivre de son écriture tout en étant un mauvais écrivain. A l’inverse, de bons écrivains perdent leur temps à exécuter du travail alimentaire (presse, nègre, etc.), ce qui leur laisse peu de loisir pour accomplir une vraie œuvre. On pourrait tenir le même raisonnement pour certains écrivants. S’ils avaient plus de temps et s’ils étaient publiés…

Donc, ni l’autonomie financière procurée par l’écriture ni le choix de l’éditeur ne semblent être un critère suffisant. Qu’est-ce donc alors qu’un écrivain ?

Si on n’a pas de lecteurs, on ne peut raisonnablement se dire écrivain. Si j’écris chez moi et que personne ne me lit, je ne suis manifestement pas un écrivain. D’un autre côté, certains écrivains sont si peu lus (même s’ils sont bons) qu’on pourrait se demander si on a encore le droit de les appeler ainsi.

Ou donc est la barrière ? Suffit-il d’être publié ? On a vu que non. Il faut encore être lu. Mais si le livre que je serais parvenu à faire éditer est mal diffusé, si on ne lui fait pas un peu de publicité, il va rapidement se retrouver au pilon. Serai-je alors un écrivain ? Oui, mais un écrivain malheureux.

D’un autre côté, on se rend bien compte que mon nombre de lecteurs, au début du moins, va dépendre de cette publicité faite autour du lancement du livre. Ce n’est donc plus le contenu de celui-ci qui serait primordial, mais le tapage médiatique fait autour. Voilà qui est troublant. Ne serait écrivain (et non simple écrivant) que celui que le système a choisi. On retombe dans la théorie de Roland Barthes. Tel texte est littéraire parce que j’ai décrété qu’il le serait (d’une manière unilatérale et arbitraire). Tel individu serait donc écrivain parce que la société en a ainsi décidé, indépendamment de la qualité du texte (fond et forme). Voilà qui est inquiétant.

Un autre critère parfois avancé, est le temps consacré à l’écriture. Pas le temps envisagé dans sa durée, mais le fait de ne rien faire d’autre qu’écrire. J’ai ainsi rencontré quelqu’un qui possédait une fortune familiale. Dispensé de travailler, il s’était retiré à la campagne et écrivait. Il avait publié un roman qui n’avait pas eu beaucoup de succès et ensuite avait collaboré avec un photographe pour réaliser un ou deux livres sur la nature. C’est peu pour toute une vie. Il se disait pourtant écrivain puisqu’il ne faisait rien d’autre. Il n’avait pas tort. A l’inverse, j’ai croisé sur Internet des gens qui refusaient de travailler et qui dépendaient de la collectivité pour survivre. Ils n’étaient pas édités, mais comme ils n’avaient jamais rien fait d’autre qu’écrire, ils se qualifiaient d’écrivains. Ils n’avaient pas tort non plus, évidemment. Mais si la même personne avait travaillé tout en écrivant la même chose, on l’aurait qualifiée d’écrivant. Comme quoi tout est complexe.

Le dictionnaire ne nous aide pas beaucoup dans la recherche de notre définition.

Ecrivain : personne qui compose des ouvrages littéraires, scientifiques etc.

Ainsi donc, si j’écris un livre sur la description d’une presse hydraulique ou sur un nouveau procédé de construction, je suis déjà un écrivain ? Je ne l’aurais pas cru.

90d9e4e0820c4ebf3e2cf05087604704.jpg

Commentaires

J'adore ce genre de raisonnement.
Non, je veux dire, c'est pas ironique pour un sou, ce que je raconte. Ca se tient parce que, précisément, ça tente de faire la part des choses entre réalités, fantasmes, nécéssités et contingences respectives des différents acteurs en présence (pour simplifier : écrivant-producteur, éditeur-grossiste (ou packageur et publicitaire, mettons), libraire-détaillant, lecteur-consommateur).
Autre point de vue à insérer dans l'analyse : le support (papier ou internet ? Qu'est ce qu'une nouvelle très lue sur un blog, par exemple ? Qu'est-ce qu'est son auteur, alors ?).
Bref, c'est un puits sans fond. Ou alors si. Mais il faut pas mal défricher pour avoir une chance de l'apercevoir à terme.

Écrit par : Franswa P. | 23/08/2007

A mon avis Internet peut être un tremplin. Si "l'écrivant", après, parvient à sortir une version papier, son travail antérieur (et d'ailleurs postérieur) sur Internet sera considéré comme faisant partie de son travail d'écrivain (avec en plus, pour les lecteurs-amis-blogueurs, le sentiment de faire partie des intimes, d'êtres des privilégiés).
Inversément, s'il ne publie rien, son travail restera celui d'un amateur, admiré par les habitués certes, mais sans aucune reconnaissance légitime.

Écrit par : Feuilly | 23/08/2007

Pas facile en effet. J'ai lu -je ne me rappelle plus où- qu'un écrivain était en somme celui qui gagnait sa vie avec sa plume. C'est tout aussi insatisfaisant. Si on écrit un bouquin, deux bouquins, qu'on publie et puis qu'on passe le reste de son existence sans publier, on n'est plus écrivain?

A l'inverse - ou dans un autre domaine, si on a été prof et qu'on a eu un diplôme de prof, on est toujours prof. Même si on n'enseigne pas ou plus.

Qu'est-ce que nous appelons écrivain? Je connais des blogueurs qui ont des "pointures" d'écrivain. Le pire, c'est que ce sont parfois ceux-là qui hésitent le plus par rapport à leur écriture.

Toute ma vie, j'ai rêvé de devenir écrivain, au lieu de ça, je suis devenue prof, j'ai continué d'écrire et (possédée par le démon de créer), je m'apprête à passer aujourd'hui avec armes et bagages dans le camp de la couleur. (Tout en continuant d'écrire, je ne pourrais pas abandonner, c'est sûr!)

Effectivement, le livre sortant de chez l'éditeur - est une affaire commerciale. Un produit à écouler, dont il faut faire la promo, pour lequel il faut récolter le plus d'articles possibles (j'ai fait ce type de boulot, et avec plaisir, encore bien...) et le placer chez les libraires. Qui préfèrent passer par un distributeur. Auquel on confie les bouquins -il ne les achète pas- qui les confie à un libraire et on ne perçoit que l'argent laissé par libraire et diffuseur, c'est-à-dire, 40% ? (J'ai juste oublié les montants exacts).

IL est plus facile d'être et de se dire poète. Personne ne conteste le fait qu'on soit poète. Même si on ne publie pas, les éditeurs détestant cordialement poètes et poésie (j'en ai même vu une qui a franchement fait la grimace, le bel air dégoûté qu'elle avait!)

Alors, le blog, c'est pas mal. Ce n'est pas toujours l'idéal, car dans la blogosphère, des amitiés se créent et des inimitiés et des incompréhensions... Mais après tout, les écrivains ne nous racontent pas comment ça se passe avec leurs lecteurs, les journalistes et les éditeurs.

Nothomb s'est même étonnée de recevoir de véritables lettres de haine. C'est vrai que je n'apprécierais pas, en tant qu'écrivain, ça me dégoûterait peut-être de publier...

Et pour la plupart des personnes que j'ai connues, poètes, auteurs de récits, de nouvelles, de premiers romans, finalement, ça restait fort confidentiel, et cantonné aussi à un très, très petit monde... Mais je n'ai pas fréquenté tous les cercles, ainsi, je ne suis jamais allée à l'Académie royale de langue et de littérature française (sauf lors d'une conf de presse, où l'on présentait le prix Nobel de l'année 2000..... C'était un écrivain chinois).

Écrit par : pivoine | 23/08/2007

Pour moi, la définition d'écrivain est devenue réductrice. C'est évident. Je suis en train de parcourir le site de l'Académie... Et je lis la biographie de Roland Mortier -que j'ai eu comme prof d'ailleurs. 21 livres au minimum. Si ça ce n'est pas être écrivain! Etre écrivain! Cela ne comprendrait donc que le roman, la poésie (mais si peu!) et le théâtre? Et un peu les oeuvres théoriques? Alors, on parlera même davantage d'historien que d'écrivain.

Je ne crois pas. Et disons que je pense tout simplement que les médias biaisent tout. Je suis sûre que des journaux de qualité parlent de TOUT le monde, mais c'est beaucoup plus rentable de monter Nothom en épingle, ou "Les bienveillantes" ou les mystères du Da Vinci code ou Weyergans, etc. etc.

Écrit par : pivoine | 23/08/2007

Ah oui, le Chinois de l'an 2000, qui avait d'abord été édité en Belgique à Carnières.

Écrit par : Feuilly | 23/08/2007

Gao Xingjian !

(Pour la distinction entre "écrivain" et "écrivant", il me semble qu'elle est très différente chez Barthes, qui été le premier à la théoriser : très en gros, l'écrivain se soucie d'écriture, de style, d'idiosyncrasies, alors que l'écrivant se situe dans une dimension plus "communicationnelle" dirait-on aujourd'hui : Loana, Nicolas Sarkozy, Amélie Nothomb...)

Écrit par : Guillaume Cingal | 02/09/2007

Il manque un "a" auxiliaire dans ma parenthèse... !

Écrit par : Guillaume Cingal | 02/09/2007

Oui, pour Barthes il y a ceux qui veulent simplement délivrer un message (article de journal, etc.) et les autres qui veulent faire de la littérature et qui pour se faire utilisent un langage spécifique (langue liitéraire, en fait archaïque, style, disposiiton des mots dans le poème, etc.)

Le texte d'un fait divers de la presse locale peut être mis en poème si je le veux et cela sans changer un mot, rien que par la disposition des termes et par le fait que j'ai décrété que c'était un poème. Enfin c'est que Barthes disait...

Pour lui, est écrivain, celui qui se moque de délivrer un message mais qui s'attache à la forme (enfin, je simplifie). Avec le risque d'être un écrivian qui se regarde écrire. On est loin, alors, du souffle hugolien des Misérables.

Écrit par : Feuilly | 02/09/2007

... sauf que Hugo est le parfait exemple de l'écrivain se regardant écrire, au meilleur sens du terme ! Le qualifier d'"écrivant" au sens barthésien serait on ne peut plus contraire à l'intention de Barthes, quoi que Hugo ne figurât pas au sommet de son panthéon personnel, me semble-t-il...

Écrit par : Guillaume Cingal | 02/09/2007

(Accessoirement, comment faites-vous pour que vos commentaires soient justifiés dans Haut&Fort ? je n'y suis jamais parvenu...)

Écrit par : Guillaume Cingal | 02/09/2007

Oui, c'est vrai que Hugo, avec ses digressions de 60 pages... Mais enfin il avait tout de même du souffle, il avait quelque chose à dire (même s'il jouait à s'écouter écrire, si j'ose dire).

Pour les commentaires, c'est compliqué, il faut aller modifier dans les paramètres et ce n'est d'ailleurs pas moi qui l'ai fait. Je chercherai si vous voulez.

Écrit par : Feuilly | 03/09/2007

Les commentaires sont fermés.