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04/10/2007

Cendrillon, une jeune fille en pantoufle

Après avoir parlé l’autre jour du Petit Chaperon rouge, venons-en à Cendrillon (tant il est vrai que les contes de notre enfance, quand on les revisite à l’âge adulte, nous apparaissent d’une grande richesse, ce que nous n’avions pas toujours soupçonné). Sur le blogue « Langue sauce piquante », toujours intéressant, on s’interroge sur le fait de savoir si Cendrillon portait des chaussures de vair ou de verre.

http://correcteurs.blog.lemonde.fr/2007/10/04/la-belle-au...

Voici ma réponse à la question.

J’ai cru longtemps que la bonne version était « vair » et que c’est par une erreur d’impression que « verre » s’était répandu. En fait, il n’en est rien. C’est Balzac et après lui Littré qui ont cru rétablir la version première alors qu’en fait ils s’en éloignaient. Car dans le conte écossais cité, comme dans des contes catalans, c’est bien de chaussures de verre dont il est question.

Cela peut se comprendre si on veut décortiquer les structures de l’imaginaire qui sont à l’œuvre dans ce conte. Outre le fait qu’il serait difficile de danser avec des chaussures (car pantoufle avait bien le sens de chaussure d’intérieur à l’époque de Perrault) en fourrure (lesquelles s’useraient très vite), la nature du verre, par sa transparence, nous permet d’admirer le pied de Cendrillon, lequel est tout de même au centre de l’histoire. En effet, à la pauvre fille qui marchait pieds nus, on propose cette chaussure magique qui va permettre de mettre en valeur ses petits pieds. Le Prince ne s’y trompera pas et c’est bien par l’intermédiaire de la chaussure qu’il va retrouver l’élue de son cœur. La transparence du verre, qui dévoile la nudité du pied peut être comprise comme une synecdoque (la partie pour le tout). C’est tout le corps de Cendrillon qui est désirable, mais la pudeur du récit ne nous parle que du pied. Ce pied que personne ne remarquait quand il était sans chaussure et qui peut maintenant dévoiler tout son charme. Pour cela, il faut bien une chaussure transparente. Le pied est donc à l’image de Cendrillon elle-même que personne n’admirait et qui devient maintenant l’objet de l’attention du prince.
Evidemment, si la logique narrative et la symbolique y trouvent leur compte, ce n’est pas le cas du bon sens. Une chaussure en verre casserait. Mais outre le fait que cette fragilité renvoie elle aussi à la fragilité de la jeune fille (et au côté éphémère, provisoire de cette scène du bal, qui va irrémédiablement s’achever à minuit) il ne faut pas perdre de vue que nous sommes dans un conte et que dès lors des choses merveilleuses et incompréhensibles doivent être acceptées.

Par ailleurs, pour faire maintenant un peu d’étymologie, rappelons que « vair » vient du latin « varius », moucheté, tacheté, bigarré. Au sens moral, il a même pu signifier « inconstant, irrésolu ».
Dans l’ancienne langue, « vair » s’est employé pour qualifier des yeux d'une couleur indécise (ni bleus ni marrons). Cette idée de « varié », « non fixé », on la retrouve pour qualifier une fourrure (« bigarré, multicolore »). C’est ce sens qui a perduré jusqu’à nous.
Notons encore que c’est du même étymon que vient l’adjectif « vairon » (qui désigne des yeux qui n’ont pas la même couleur) ou le substantif « vairon » (poisson moucheté).



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Commentaires

Merci encore pour ça.
C'est précisément ce genre de trucs (excuse le "truc", mais bon) qui me permet de me coucher moins con.

Écrit par : Franswa P. | 08/10/2007

Salut, salut,
Très bonne lecture en effet...J'ai cru que vous alliez parler aussi du caractère èrotique des contes..Il y a eu un livre là-dessus, je ne me souviens plus lequel.
Pour le chaperon rouge, c'est évident. L'expression "voir le loup" est claire... Sans ambages...
A +

Écrit par : redonnet | 09/10/2007

C'était le bouquin de Bettelheim, Psychanalyse des contes de fées, dont tu parles, non, Redonnet ?

Écrit par : Franswa P. | 09/10/2007

Merci. Oui. C'est ça même... C'est loin, tout ça, j'avais oublié.

Écrit par : redonnet | 10/10/2007

Sinon il a le formaliste russe Vladimir Propp: "Morphologie du conte". C'est un peu un précurseur de Lévi-Strauss et du structuralisme. Il tente de définir les personnages (le héros, l'anti-héros, la princesse, le roi, etc.) ainsi que leurs fonctions (reconnaissance, punition, éloignement, etc.)

Le livre ne date pas d'hier (1928 et 1950 pour la traduction) mais reste intéressant.

Écrit par : Feuilly | 10/10/2007

Si je ne me trompe pas, c'est même encore plus précis que ça, dans le travail de Propp - il crée non plus des "types de personnages" mais des "types d'interaction" (élément perturbateur, adjuvant, opposant, etc.) qui expliquent tout le déroulement de l'intrigue, selon un schéma quasiment systématique.
Mais je me mélange peut-être un peu l'esprit.

Écrit par : Franswa P. | 10/10/2007

Non, non, c'est bien cela (pour autant que je m'en souvienne). Finalement, chaque personnage (le roi par exemple), ne peut avoir que certaines fonctions (ainsi il ne sera jamais ni perturbateur ni opposant).

Écrit par : Feuilly | 10/10/2007

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