15/10/2007
Alina Reyes.
Alina Reyes, dont j’avais un peu fréquenté le blogue du temps où elle en tenait un, revient sur le devant de la scène, victime de ce qui semble bien être une affaire de plagiat.
Mais d’abord, qui est Alina Reyes ? Ce nom est en fait un pseudonyme emprunté à une nouvelle de Cortazar, ce qui est déjà tout un programme. Elle s’appelle en réalité Aline Nardone et est née en 1956 en Gironde. De cette enfance devant l’océan, elle a manifestement conservé le goût de la nature et des impressions à fleur de peau. En 1988 parait son premier livre, Le Boucher, alors qu’elle est toujours étudiante en lettres. Je me souviens lui avoir demandé comment, avec le recul, elle expliquait cette publication, car on sait qu’il n’est pas facile de se faire remarquer par les éditeurs quand on est un(e) illustre inconnu(e). Sa réponse a été claire : elle était jeune, était une femme et proposait un roman érotique. Cela passait donc beaucoup mieux auprès des éditeurs (qui sont toujours habiles à flairer la bonne affaire) que les manuscrits sérieux et rébarbatifs de quinquagénaires universitaires. Donc acte.
Le problème, c’est que ce qualificatif d’érotique va lui coller à la peau. Ses autres livres ne peuvent pourtant pas tous être qualifiés de tel, loin de là. Disons plutôt qu’ils sont sensuels (ce qui est différent), sensuels dans la mesure où Alina semble décrire son corps et écrire avec ce corps. C’est qu’elle ressent intensément les expériences que la vie lui apporte, que ce soit les rapports avec les gens ou les contacts directs avec la nature. Visiblement, on a voulu la ranger une fois pour toute dans une catégorie, mais elle est trop vraie pour que cela lui convienne. D’elle, je n’ai lu que Moha m’aime , un beau récit sur un voyage au Maroc. L’héroïne, qui est en fait elle-même, y rencontre un jeune pêcheur marocain, Mohamed, avec qui elle se lie d’amitié. Mohamed est un peu son double et il vit en fusion avec la nature (il plonge dans l’océan pour pêcher des poissons qui semblent être sa seule nourriture). Insensiblement elle se rapproche de lui, fascinée par sa douceur et sa générosité. Mais leur aventure ne va pas plus loin que cette reconnaissance de soi dans l’autre (ou l’inverse). C’est donc bien d’un voyage intérieur qu’il s’agit et nous sommes à mille lieues, dans ce petit roman sensible, de l’érotisme au sens habituel. Notons que le livre se termine par un retour en France un peu désabusé. La dernière page, cependant, s’ouvre sur l’espoir. L’héroïne se retrouve dans sa petite maison au sommet des Pyrénées. De ces hauteurs enneigées, en harmonie avec la nature sauvage, elle domine le monde et la folie des hommes.
Notons que la vraie Alina possède une vieille bergerie qu’elle a restaurée, quelque part sur les hauteurs d’Argelès-Gazost. Quand elle n’est pas à Paris, elle va se ressourcer là-bas, commençant sa journée d’écriture par de longues promenades en forêt. Voilà une existence qui fait rêver : partager son temps entre l’écriture et la nature, que désirer de plus ? C’est de tout cela qu’elle parlait autrefois sur son blogue et on se dit que quelqu’un qui vit ainsi ne doit pas être bien méchant et qu’en tout cas ce ne doit pas être le genre à se complaire dans la chicane.
Pourtant, l’autre jour, il lui a bien fallu montrer les dents. Durant l’été était sorti son dernier roman, Forêt profonde, que je n’ai pas encore lu mais que je comptais de toute façon lire dans la mesure où il faisait suite à la tenue et à la fermeture de son blogue. Visiblement déçue par Internet, lieu où elle se disperse en tant qu’écrivain, elle met ses confrères en garde : « Ne vous perdez pas dans ce bourbier » et de conclure : « La blogosphère, c’est l’infini à la portée des rats. ». Nous voilà prévenus. D’après ce que je sais de ce livre, il est avant tout une sorte de mise au point avec elle-même. Elle y raconte « ses amours, ses fantasmes, son désespoir, son mysticisme, sa sensualité, sa soif de liberté, d'absolu, de solitude, de fraternité, sa révolte… ». Bref, il s’agit de quelque chose de fort personnel, une entrée au plus profond de soi-même, en quelque sorte.
Or, voilà qu’elle remarque, en lisant un roman, en l’occurrence Cercle d’un certain Yannick Haenel (par ailleurs totalement inconnu de moi, qui suis plutôt du genre à lire les classiques), l’existence de ressemblances étranges avec son propre imaginaire. Pour faire bref, disons que plus elle poursuit la lecture de ce roman et plus elle y retrouve les thèmes du sien, « Forêt profonde ». Que dis-je, non seulement des thèmes, mais aussi des détails ou même des tournures de phrases. Gênant. Gênant et révoltant, surtout qu’on l’a dit, le sujet de « Forêt profonde », c’est elle-même, Alina. On ne peut donc pas simplement supposer que les deux écrivains ont des imaginaires fort proches, ce qui peut arriver, et expliquerait qu’ils soient amenés à traiter des thèmes semblables.
Alina Reyes envoie donc quelques courriels bien sentis à Yannick Haenel, qui ne répond pas. Devant ce silence, elle passe à l’offensive sur Agoravox, déplorant moins les emprunts que le fait que, selon elle, « on » occulte délibérément son livre au profit de celui de Haenel. Ce « on » renverrait à Philippe Sollers lui-même, qui, en tant que Dieu de l’édition, fait la pluie et le beau temps dans ce petit monde :
http://www.agoravox.fr/article_tous_commentaires.php3?id_...
Puis c’est Pierre Assouline, sur son blogue, qui en parle, disqualifiant d’office l’auteur de « Forêt profonde » en laissant sous-entendre qu’elle vit mal le fait qu’on ne la met plus en avant comme du temps où elle publiait « Le Boucher ». Ceci dit, il doit savoir de quoi il parle et il est certain que la célébrité d’un écrivain tient plus à la publicité qu’on fait de son livre qu’à ses qualités d’écriture. Autrement dit, on fait apparaître ou disparaître les écrivains au gré des goûts du moment. Si nous voulons être objectifs, il se pourrait bien, en effet, qu’Alina Reyes ne réponde plus aux attentes que le monde de l’édition avait mises en elle. En voulant sortir de la zone strictement érotique où on l’a confinée, elle commet peut-être un impair (compréhensible et justifié sur le plan de la littérature, mais suicidaire sur la plan éditorial).
En attendant, il n’en reste pas moins que les procédés employés semblent scandaleux. Assouline, par exemple, donne la réponse (bien tardive) de Haenel mais refuse les commentaires postés par Alina Reyes. On voudrait couler quelqu’un qu’on ne s’y prendrait pas autrement.
Pour ceux que l’affaire intéresse, je me permets de les renvoyer au blogue d’Igor Yanka, lequel en propose un bon résumé. De plus, il a établi un historique de tous les rebondissements successifs.
15:45 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : Littérature, Alina Reyes
Commentaires
Merci pour ce témoignage, Feuilly.
Je l'ai écrit sur mon blog, réouvert spécialement, la vérité ne peut se dire d'un coup. C'est un travail, et je suis en train de le faire. Eclaircir peu à peu les choses. Je suis en train de me ramener des Enfers, vous savez qu'il ne faut pas se retourner avant la sortie, la lumière ! Donc, j'avance.
Vous semblez connaître mon coin de Pyrénées ?
Écrit par : Alina | 15/10/2007
Ce serait dommage de vous transformer en statue de pierre, comme la «Peira Crabèra" du lac de Lourdes.
http://www.lacsdespyrenees.com/lac-de-lourdes.php
J'adore les Pyrénées. J'y suis allé plusieurs fois adolescent, dans la région de Lourdes, précisément, et de là, j'ai rayonné, passant forcément par Argelès-Gazost. Je me souviens qu’en 1975, on pouvait encore atteindre le pied de la chute de Gavarnie sans être trop importuné par les autres touristes. Quand j’y suis revenu en 1983, on se serait cru sur un boulevard parisien…
J’adore le massif des Albères, (là où les Pyrénées tombent dans la Méditerranée)
où je me suis rendu fréquemment. Paradoxalement, c’est un endroit désert, où on peut marcher pendant des heures dans une nature vierge, sans rencontrer personne (ce qui me convient tout à fait), pendant que sur la côte, « la multitude vile, sous le fouet du plaisir, ce bourreau sans merci, va cueillir des remords dans la fête servile… »
Et c’est vrai que votre bergerie d’altitude, coupée du monde en hiver, a de quoi fasciner.
Écrit par : Feuilly | 16/10/2007
Je ne connais, en tant qu'auteurs, aucun des protagonistes de cette lamentable affaire mais je suis époustouflé...
Comment un tel scandale, s'il y a ce hold-up, peut ne pas être mis sur une place publique plus grande et plus visible encore que la blogosphère ?
Écrit par : redonnet | 17/10/2007
Je ne connais, en tant qu'auteurs, aucun des protagonistes de cette lamentable affaire mais je suis époustouflé...
Comment un tel scandale, s'il y a ce hold-up, peut ne pas être mis sur une place publique plus grande et plus visible encore que la blogosphère ?
Écrit par : redonnet | 17/10/2007
Bonjour, Alina.
Vos mots me parviennent en écho. Je ne sais où vous êtes. Sûrement dans les yeux ( et le coeur ) de ces lecteurs. Ainsi vous écrivez et cela fait trembler les critiques, dirait-on !
Un tel vous a plagié, c'est certainement qu'il s'est approché de trop près de la surface de votre regard et qu'il s'est vu comme narcisse, tellement amoureux de son image, mais qui arrêtera le flot de votre langue ? Pas lui, assurément !
Ce qui importe c'est que vous écriviez ( même si je ne suis pas encore prête à vous lire ). Savoir que vous écrivez fait un chant de feu de bois dans l'âtre de la bergerie. Donc, la maison est habitée. Je regarde au loin les nuages percés par les cîmes éblouissantes de l'aube et tout rouges encore des soleils d'hyménée. Le
jour les lavera de l'encre de lumière de votre écriture.
Bon, j'ai à faire. Que le jour vous soit bon.
Écrit par : Christiane | 13/07/2008
J'apprécie votre article, grand merci de partager cette astuce et notez en premier lieu que je partage pleinement votre point de vue. J'insiste, oui votre article est sincèrement excellent, une mine d'infos intéressantes... PS : Ca fait du bien de vous lire !
Écrit par : partant | 16/07/2010
Les commentaires sont fermés.