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29/08/2008

Romans à lire

Avec 676 romans publiés à la rentrée 2008, il semblerait qu’on enregistre une baisse par rapport à 2007. On croit rêver. Quand pourrait-on trouver le temps de lire une pareille production ?

Ceci dit, si de tels chiffres donnent l’impression que le monde de l’édition se porte bien (je n’ai pas dit la littérature), il ne faudrait tout de même pas perdre de vue que la grosse majorité des ventes (et donc du chiffre d’affaires) tourne autour d’une bonne dizaine d’écrivains à succès. Et les autres, me direz-vous ? Ils rempliront les librairies quelques semaines avant de disparaître comme ils étaient venus.

Pour certains, ce n’est sûrement pas une grande perte, pour d’autres si. Chaque année je me dis qu’il y a sûrement quelques perles dans toute cette production, mais comment la dénicher ? Pas par la critique officielle, qui ne fait que renforcer le système publicitaire des éditeurs (volontairement sans doute, mais involontairement aussi : les critiques eux-mêmes sont noyés par l’abondante production et ils ne lisent que les livres dont on a bien voulu leur parler, autrement ceux sur lesquels les éditeurs, en marchands avisés qu’ils sont, ont misé).

Donc, tout cela, cela fait beaucoup de perte. Perte de temps et d’énergie pour l’écrivain qui ne sera quand même pas lu. Perte de temps pour l’éditeur puisque ces livres ne lui rapporteront rien et qu’ils ne serviront pas à établir sa réputation. Perte de temps pour moi ici qui bavarde sur des livres que je ne lirai jamais. Et je ne parle pas des arbres qu’on a dû couper pour réaliser ces milliers de pages.

Au moins ici, sur un blogue, on respecte la santé des arbres, on ne perturbe pas les éditeurs et on est obligé de faire court si on veut avoir quelques lecteurs. Certes, nous restons dans l’éphémère, mais finalement n’est-ce pas plus en adéquation avec notre destinée ? Tels des étoiles, nous brillons un instant avant de disparaître.

Bien sûr, si Homère, Sophocle, Montaigne ou Baudelaire avaient raisonné de la sorte, nous n’aurions pas le plaisir de lire leurs ouvrages aujourd’hui. Or nous sommes heureux de pouvoir les feuilleter sans cesse, ne serait-ce que pour ne pas devoir se pencher sur ces 676 romans dont on va nous rabattre les oreilles.

27/08/2008

Destruction

Il est des lieux, dans notre enfance, qui nous ont émus nous ne savons trop pourquoi. Plus tard, une fois adultes, quand on y repense ou qu’on les revoit, cela ne se fait jamais sans une certaine nostalgie. Nous avons alors la certitude que l’essentiel était là, que tout était là, finalement, mais que nous ne le savions pas.

Malheureusement, j’ai l’impression que ces lieux, qui sont souvent des paysages (un saule pleureur en majesté au bord de la rivière, une grande plage face à l’océan, un marronnier dans la cour de l’école, un fleuve en crue dont la colère destructrice fascinait l’adolescent que je fus…) ont subi les outrages du temps. S’il m’arrive, à l’occasion, d’en avoir des nouvelles, c’est souvent pour apprendre leur destruction.

Le saule pleureur est toujours à sa place, mais à l’endroit où j’habite aujourd’hui il y avait un autre saule, en tout identique (la rivière en moins). La commune a décidé de le couper pour des raisons qui me restent incompréhensibles. Avec lui, c’est un peu de mon enfance qui s’en est allée, puisqu’il me permettait de rêver à l’autre arbre, là-bas, au bord de sa rivière. Il me semble que le petit garçon que j’étais alors et qui s’arrêtait, sur le chemin de l’école, pour le contempler, ne s’arrête plus maintenant, qu’il a définitivement disparu.

La grande plage des vacances, avec ses falaises de sable où les hirondelles de mer venaient nicher, a bien changé, si j’en crois les photos retrouvées sur Internet. Les touristes sont passés par là, piétinant le sable, faisant s’effondrer les dunes. Il n’y a plus d’hirondelles et même si j’y retourne un jour je n’entendrai plus leurs cris perçants et je ne verrai plus les zigzags fous qu’elles dessinaient dans le grand ciel bleu.

Aux dernières nouvelles, le marronnier de la cour est toujours là, mais l’école n’en est plus une et la porte est définitivement fermée. Qui pourrait dire qu’un jour j’ai gravi ces escaliers de pierre ? Une fois qu’on franchissait le seuil, on était surpris et pénétré par l’odeur âcre de la cuve à mazout (odeur étrange pour moi car chez moi on se chauffait au bois). Il fallait encore gravir une série de marches avant de pénétrer dans la classe. Des vieux bancs de bois s’alignaient, comportant deux trous dans lesquels on insérait l’encrier (ah, cette odeur envoûtante quand on versait l’encre !). Et cette difficulté à tremper la plume et à ne pas faire de tâches sur la feuille immaculée. Ecrire une ligne prenait des heures. Par la fenêtre, on apercevait les feuilles du marronnier, cet ami de toujours.

Le fleuve ? Immense et large, après tant de kilomètres parcourus. Les pluies sur le massif entraînaient immanquablement des crues en contrebas. J’attendais mon bus près d’un pont, au retour du lycée et j’étais véritablement fasciné par la force de ces eaux, qui venaient frapper les piliers du pont. Il me semblait qu’elles auraient pu emporter la ville entière, si elles avaient voulu. Il en aurait fallu d’un rien. J’y suis repassé l’an dernier. Sous l’arcade latérale, on a construit une passerelle pour faire une promenade pour les piétons et une piste cyclable. Ce n’est pas que ce n’est pas joli (encore que… des papiers et des plastiques étaient pris au piège, entre la berge et la passerelle) mais il me semble qu’on a domestiqué mon fleuve en empiétant sur son domaine. Lui, de son côté, a laissé faire, oublieux de ses anciennes colères. Etrange.

Enfin il y avait le barrage, dans la grande forêt. Je m’y étais rendu alors qu’il était encore en construction. C’était ma première grande randonnée en vélo (je devais avoir sept ans) et j’étais fier des 12 km aller-retour que j’avais dû parcourir en tenant un équilibre encore fort précaire. Je viens d’apprendre qu’une autoroute va traverser le bois, contournant la petite ville et facilitant « le transport des personnes et des biens .» Objectivement, cette autoroute est nécessaire, il n’y a pas à dire. Mais elle va détruire ce bois merveilleux et la petite route qui menait au barrage. Une nouvelle fois, ce qui était ne sera plus si ce n’est dans nos souvenirs. Bientôt, nous ne serons plus qu’une armoire à souvenirs.


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23:53 Publié dans Errance | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : enfance

26/08/2008

L'heure des bilans

Petit bilan en grande Sarkozie.

Le candidat Nicolas avait promis des changements lors de sa campagne électorale et le moins que l’on puisse dire, c’est que ces changements ont été au rendez-vous :

- l’Etat a plus de dettes
- Il y a plus de déficits
- Il y a moins de travail
- Les Français sont plus pauvres

Si ce n’est pas bien, tout cela ! Après une bonne année de règne, nous pouvons affirmer que les promesses électorales n’ont finalement pas été tenues. Certes, les Français se lèvent toujours aussi tôt, mais pour le reste, leur portefeuille ne s’est pas rempli.

Du moins pouvait-on espérer une réaffirmation du rôle de la France à l’étranger. Or que voyons-nous ? Sarkozy a bien renforcé le contingent français en Afghanistan, mais il l’a fait pour faire comme tout le monde, sans vraiment donner les moyens aux militaires sur place de mener à bien leur mission. La preuve : dix soldats tués, dont on ne sait toujours pas si leur mort est à mettre sur le compte de l’aviation de l’Otan, d’une mauvaise préparation de la mission ou d’une erreur de commandement (comment peut-on laisser des soldats tombés dans un guet-apens, seuls devant l’ennemi pendant des heures, sans apporter le moindre renfort ?)

Certes, le Président est allé réconforter les survivants, mais il a surtout expliqué qu’il était fier de sa décision. Pourquoi faut-il être en Afghanistan, a-t-il demandé aux soldats qui étaient justement en train de se le demander. Il fallait y être parce que les autres y sont, a-t-il répondu et de citer les Etats-Unis, le Canada et l’Australie, bref les pays anglo-saxons qu’il admire par-dessus tout mais dont il semble être devenu le domestique. Voilà des propos qui ont dû rassurer les personnes présentes ! Devant l’air inquiet des militaires (on les comprend !), il leur a dit, les mains dans les poches (décontracté ou mal à l’aise ?) qu’ils ne devaient pas s’apitoyer sur leur sort, mais relever la tête. Soit. De son côté, il n’a pas vraiment montré l’exemple quand il s’est plaint de la lourdeur de sa tâche : « Jamais à un tel point je n'ai mesuré ce que peut être la solitude d'un chef de l'Etat face aux décisions qu'il doit assumer »

On apprend par ailleurs que l’aviation de l’Otan a bombardé des zones civiles, tuant quatre-vingt-dix innocents. Voilà qui va encore renforcer la confiance de nos militaires. Ils doivent être fiers d’appartenir à une telle force d’intervention pour la paix et la démocratie.

En dehors de ces déboires afghans, Sarkozy a encore dû avaler le non-retrait russe de Géorgie. Pourtant, en bon émissaire européen, il était accouru le premier et avait exigé un cessez le feu immédiat et un retrait de l’armée de Poutine. Hélas, une semaine s’est écoulée et les Russes n’en finissent plus de faire leurs bagages. Bien au contraire, ils installent des missiles en Ossétie du Sud et délogent les populations géorgiennes (ne parlons pas des mines qu’ils ont semées en Géorgie même). Il est vrai qu'il était bien prévu dans l'accord que Sarkozy avait signé avec les Russes que ceux-ci pouvaient occuper la Géorgie au-delà des frontières ossètes (à l’exclusion des villes). Ce n’est pas là ce que le président avait dit devant la presse, quand il s’était écrié que la Russie devait se retirer.» Enfin, passons. Visiblement le temps est loin où il buvait un verre avec Poutine en faisant copain copain. Ou alors celui-ci a compris ce jour-là à quel guignol il avait affaire.



En France même, cela ne va pas beaucoup mieux. Tous les indicateurs sont mauvais : la production industrielle, l’inflation, la croissance et même la création d'emplois.

Comme il n’y a plus d’argent dans les caisses (de l’aveu même du président), on ne voit pas bien ce que le gouvernement pourra faire, si ce n’est mettre sur pied un plan de rigueur draconien. Pour relancer l’emploi, on donnera quelques avantages fiscaux aux entreprises (qui s’enrichiront un peu plus pendant que les caisses de l’état resteront à sec) et on demandera aux citoyens de faire des efforts (soins de santé, etc.) S’ils trouvent cela un peu dur, ils n’ont qu’à écouter Madame Lagarde, qui estime que les mesures prises par le gouvernement pour sauver le pouvoir d’achat (car si on veut que les gens consomment, il faut bien qu’il aient un minimum d’argent) ont apporté aux Français 7,7 milliards d'euros. Cela doit être vrai, puisqu’elle le dit. N’a-t-elle pas fait toute sa carrière aux Etats-Unis, où elle a défendu les intérêts américains et ceux de Boeing et de Lockheed-Martin) contre ceux de la France Airbus et Dassault)? Elle doit donc s’y connaître en chiffres.

A propos de chiffres, c’est le moment de rappeler que le prix de l’énergie augmente. On l’a vu avec le pétrole mais on va le voir avec le gaz (privatisation de GDF et donc tarifs adaptés aux exigences ses actionnaires). La quote-part des citoyens dans les soins de santé ne cesse de croître (et ce n’est pas fini : les mutuelles, que l’on vient de taxer sur le bénéfice qu’elles avaient réalisés avec la généralisation des médicaments génériques ont déjà annoncé qu’elles augmenteraient le montant des cotisations). Sans oublier que de son côté l’état à promis à Bruxelles qu’il parviendrait enfin à réduire son déficit à 3% du PIB.

Bref tout va pour le mieux au royaume de France. Le roi a amusé la galerie avec son divorce (Cécilia), ses amours (Ferrari ? Dati ?), son remariage (Carla) mais l’éclat des lustres du Fouquet’s, dignes du Versailles de Louis XIV n’intéresse plus personne. Les vacances se terminent et pour ceux qui n’avaient pas pris la précaution de se faire inviter sur un yacht en Méditerranée, elles ont été assez pluvieuses. La rentrée, elle, s’annonce chargée de lourds nuages.

Vive Sarkozy, vive la France.


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25/08/2008

Détail pratique

Depuis plusieurs jours, les commentaires comportant une adresse de site ne « passaient » pas chez Hautetfort. Aujourd’hui, tout s’est débloqué, tant mieux. Le problème, c’est que les messages viennent d’être renvoyés une deuxième fois (avec les adresses des sites jointes) à la date du 25.08.08. Sur un même sujet, on se retrouve donc avec deux fois le même commentaire mais à des dates différentes.
Afin de faciliter la lecture de ceux qui prendraient la lecture de ce blogue en cours de route, j’ai supprimé les commentaires redondants du 25.08 et j’ai replacé les adresses des sites auxquels ils renvoyaient dans le commentaire initial (22 ou 23 août).

10:28 Publié dans Blogue | Lien permanent | Commentaires (9)

24/08/2008

De la résistance passive

Dans les commentaires de la note précédente, notre ami Bertrand Redonnet nous disait que pour lui « Une révolution commence quand les fusils se taisent. »

Il n’a peut-être pas tort. Voici un exemple qui voudrait illustrer son propos.

J’ai souvent parlé ici du conflit israélo-palestinien. Par nature, je me suis toujours placé du côté du plus faible, en l’occurrence du côté où n’étaient pas les tanks. L’Etat israélien est entré dans une spirale de violence dont il ne sortira jamais s’il ne fait pas des concessions. Chaque fois qu’un accord est trouvé (accord ô combien fragile), il est aussitôt ruiné par une nouvelle politique de colonisation. Délibérément, on grignote encore un peu plus le petit morceau de terre qui avait été laissé aux Palestiniens, ce qui amène immanquablement quelques extrémistes à lancer une roquette ou à commettre des attentats suicides. Parfois, les faits se passent dans l’ordre inverse et ce sont les Palestiniens qui commencent, mais cela revient au même : la paix est menacée, la colonisation poursuivie et la honte et la colère devant l’oppression grondent.

Car il se passe tout de même la-bas des choses anormales. Les uns se sentent en permanence menacés par un attentat potentiel et les autres sont perpétuellement victimes de brimades dans leur vie quotidienne. Or ce sont ces brimades répétées qui font qu’un individu se renferme, développe de la haine et finit par décider de riposter.

Nous avons parlé du poète Mahmoud Darwich qui n’a pu être enterré dans son village, village détruit en 1948 déjà. Cette situation est fréquente. J’ai connu un prêtre catholique (ayant de bonnes fréquentations) qui avait fait un voyage en Israël pour y rencontrer les Chrétiens arabes (les descendants, donc, de la première christianisation). Ils sont deux fois minoritaires, évidemment : comme Arabes ayant la nationalité israélienne et comme Arabes non musulmans. Leurs villages furent confisqués (ils ont été expulsés de leurs maisons) ainsi que leurs terres les plus fertiles (on leur a laissé quelques arpents caillouteux) afin de construire un village israélien. Leurs maisons furent donc temporairement occupées, puis, quand le nouveau village fut construit, ils purent racheter leur propre maison. Malgré une telle injustice, c’est ce qu’ils ont fait pour pouvoir rester.

Entre-temps, les champs d’oliviers avaient été systématiquement coupés, afin de les inciter à partir.

Ils sont quand même restés.

Privés de leurs champs, ils sont allés chercher du travail en ville, mais la ville n’est accessible que quand l’armée les laisse passer.

Néanmoins, ils sont quand même restés.

Maintenant, à ce qu’on dit, le mur avance vers leur village, et ce qui reste des champs risque de se trouver du mauvais côté.

Mais ils vont quand même rester.

Quand on en arrive à une telle situation, rien d’étonnant à ce que la haine réponde à la haine.

Mais j’en reviens à mon propos du jour sur la révolution sans fusil.

Car il faut être juste. De même que le peuple américain n’approuve pas tout ce que fait celui qu’elle a pourtant élu, de même que tous les Français n’applaudissent pas à notre présence militaire en Afghanistan (même si un grand homme d’état en a ainsi décidé pour eux), en Israël aussi des personnes se lèvent contre les traitements inhumains que leur état fait subir aux Palestiniens. Car à force de ne parler que des exactions de cet état, on finirait par s’imaginer que sa politique est approuvée par cent pour cent de sa population. Or, c’est loin d’être le cas.

Ainsi, je découvrais hier l’histoire de cette femme de soixante-douze ans, qui a pour nom Hanna Barag. Elle consacre sa retraite à dénoncer les exactions des soldats de son pays aux postes frontières et à tenter de venir en aide aux Palestiniens qui restent bloqués aux fameux « Check Points » Les jeunes, dit-elle, ne veulent rien savoir de ce qui se passe de l’autre côté du mur. Cela ne les intéresse pas de connaître le comportement de nos soldats. Moi si. Ils sont payés avec mes impôts et il s’agit de notre futur à tous. Or, ces contrôles militaires la remplissent de honte car sous prétexte d’assurer la sécurité, ils permettent en fait de miner le développement économique des Palestiniens en les empêchant de travailler un jour sur deux. De plus, cela limite fortement l’arrivé de l’aide humanitaire.

Barag est une Juive d’origine allemande. Quelques membres de sa famille avaient péri à Auschwitz, mais la plupart avaient fui en Palestine. Elle-même naquit en Israël, où elle connut une autre menace : les attaques palestiniennes.

A huit heures du matin, on la retrouve devant le poste qui contrôle l’entrée de Naplouse. Là, des hommes, des femmes et des enfants font la file. Les soldats doivent vérifier leurs papiers et décider s’ils vont les laisser passer. Ceux qui ont reçu le feu vert, ressortent du contrôle à moitié déshabillés et la figure rouge de honte. Barag, elle, note tout dans un carnet. C’est qu’il y a à écrire sur ces postes douaniers, qui sont devenus des microcosmes avec leur vie propre. Les délais d’attente sont si longs, certains jours, que les gens dorment par terre sur des cartons, sans quitter la file ou que des femmes accouchent sur place, sans aide médicale aucune. Des amitiés se lient, des conflits éclatent. Bref, c’est la vie et chacun se demande s’il arrivera à temps à son travail.

Parfois, un officier vient menacer Barag. Il lui dit qu’il va appeler la police. Mais elle, qui connaît les règlements à fond, sait très bien à quel endroit elle peut être et à quel endroit elle ne peut pas. Elle ne craint pas les soldats et ne les écoute pas quand ils lui crient qu’elle ferait mieux de retourner à ses casseroles.

Elle, elle reste là.

A la fin, les officiels ont fini par la connaître, ce qui lui permet, de temps à autre, d’intervenir pour demander une faveur ou transmettre une plainte. Quand une centaine de Palestiniens qui se rendent à une noce restent bloqués, c’est elle qui intervient, souvent avec succès (surtout si les futurs époux font eux aussi partie du lot). Parfois il s’agit d’aller accoucher dans un hôpital ou encore de venir mourir dans sa maison.

Petit à petit, les soldats de garde se sont mis à l’écouter. Du haut de son grand âge, elle leur parle comme elle le ferait avec ses petits enfants, leur expliquant qu’il y a des choses qu’on ne fait pas, par respect pour les personnes humaines qu’ils ont en face d’eux.

Notons qu’elle n’est pas la seule à agir de la sorte. L’organisation « MachsomWatch » comporte environ cinq cents membres, des femmes surtout, d’un certain âge et de bons milieux (classes moyennes, universitaires, professeurs, chimistes, doctoresses…). Leur but est de vivre mieux dans un pays plus agréable. Et quand on dit à Barag qu’elle est une dangereuse gauchiste elle éclate de rire car elle se considère comme une véritable sioniste, mais une sioniste qui veut un pays juste, en accord avec la foi judaïque.

Comme quoi, tout espoir n’est pas perdu, même si la situation se présente assez mal. Ce sont des personnes comme cela qui parviendront peut-être à faire changer les consciences et donc, in fine, a modifier les comportements.




20/08/2008

Le grand Lama

Ainsi donc le grand Lama du Tibet est en visite en Europe. Forcément, il profite des jeux olympiques en Chine pour rappeler un peu partout qu’il existe et que son pays est occupé. C’est de bonne guerre, soit.

Je m’étonne cependant de deux choses.

D’abord, je ne comprends pas pourquoi la France, qui est un état laïque et qui s’inquiète à juste titre des signes religieux « ostensibles et ostentatoires» affichés par les femmes musulmanes (en gros le foulard) ne se pose pas la question de savoir quel régime politique le Dalaï Lama instaurerait au Tibet s’il devait un jour être au pouvoir. Car enfin, il s’agit bien d’un religieux. Le pape revendiquerait l’agrandissement de sa cité du Vatican, tout le monde crierait au scandale et moi le premier. Or ici, ce ne sont pas quelques kilomètres carrés qu’il réclame, notre moine bouddhiste, c’est carrément tout un pays. Il semblerait donc que le fait religieux soit mal toléré en France-même mais qu’il soit tout à fait accepté quand cela se passe à l’étranger. Il suffit de voir comme nos télévisions se sont délectées de l’enterrement orthodoxe de Soljenitsyne ou comment elles ont applaudi lors du soulèvement des moines birmans pour se rendre compte qu’un régime théocratique de type féodal ne les dérangerait pas du tout.

Pourquoi, alors, si tel est bien le cas, nous parle-t-on tous les jours des dangers de l’islamisme ? Cela se passe pourtant aussi à l’étranger. Et bien, me répondront les plus sages d’entre vous, c’est parce que les moines bouddhistes sont bien gentils et pacifiques tandis que les intégristes musulmans sont d’affreux terroristes qui risquent, justement, de venir frapper au cœur même de notre beau pays. La preuve qu’ils sont méchants : ils viennent encore de nous tuer dix soldats en Afghanistan.

Sans doute et ce n’est pas moi (on connaît mon opinion sur la religion et la foi) qui vais défendre les intégristes islamistes, qui ne sont finalement que des nationalistes proches de notre extrême-droite. Mais d’un autre côté, j’ai comme l’impression que le fait religieux est surtout accepté quand il se situe dans les anciens pays communistes (et donc autrefois athées). Je me souviens avec quelle délectation on nous présentait, dans les années quatre-vingt-dix, le renouveau su culte orthodoxe en Russie. C’était un signe de grande liberté, les gens pouvaient enfin aller se recueillir dans les églises. Etrange, alors qu’au même moment on n’aurait pas vu une émission sur un monastère français, mais soit, passons.

Et le plus curieux n’est-il pas que c’est justement là où nous avons besoin d’aller pour défendre nos intérêts économiques (en gros, les pays où il y a du pétrole) que les religieux se montrent agressifs et peu coopératifs ? Il faudrait peut-être se demander pourquoi. Et si leur intégrisme était un moyen de rejeter idéologiquement l’Occident et sa culture de consommation ? Si tous ces gens voulaient simplement vivre tranquillement dans leur pays, en se fondant sur des valeurs peut-être différentes, des valeurs qui ne se basent pas uniquement sur la possession des biens de consommation ?

En attendant, c’est bien l’Otan qui est en Afghanistan pour faire la guerre et pas l’inverse. Sans doute y avait-il des camps d’entraînement où on préparait des jeunes à devenir des terroristes. Sans doute. Mais malheureusement voilà des années que nos troupes sont la-bas et il semblerait qu’elles n‘aient pas encore réussi à localiser ces fameux camps…

Allons, de qui se moque-t-on ? Les camps ont été démantelés il y a bien longtemps déjà, mais ce qui compte c’est de rester militairement présent là-bas. Cela tombe bien, car plus on s’en prend à ces pays, plus le nombre de candidats terroristes augmente. A ce rythme, dans un siècle la guerre d’Afghanistan ne sera pas encore achevée. Les Russes s’y étaient cassé les dents et nous sommes en train de faire de même. Mais comme chacun sait, il y a une grosse différence : les Russes sont des méchants qui avaient des visées expansionnistes tandis que nous nous sommes des gentils et nous nous battons pour la démocratie. C’est ce qu’on dit sur TF1, alors…

Une remarque encore à propos de l’Afghanistan : il parait qu’il n’y a jamais eu autant de champs de pavot et que les femmes y sont toujours voilées. Curieux. Il y a dix ans de cela, on nous avait pourtant promis que tout cela allait changer grâce à la démocratie que nos soldats venaient d’y installer de force. Comprenne qui pourra.

Mais revenons à notre grand Lama. La deuxième chose qui m’étonne dans notre attitude à son égard, c’est qu’on ne le défende pas plus, puisqu’on lui a volé son état. Quand l’Irak avait envahi le Koweït, tout le monde s’y était mis pour repousser l’affreux envahisseur (ceci dit, quand le même envahisseur avait déclaré la guerre à l’Iran, on ne l’avait pas réprimandé, au contraire, on lui avait vendu des armes). Quand la Russie envahit la Géorgie pour protéger ses ressortissants russes qui ont été attaqués par l’armée géorgienne, tout le monde crie au scandale et celui qui crie le plus fort, c’est Bush, lui qui a pourtant envahi l’Irak pour des raisons fort douteuses et mensongères.

Alors ? Et bien il semblerait, si on résume tout ceci, que le plus fort gagne toujours et a toujours raison. Si on ne remet pas le Lama sur son trône, c’est parce que la Chine est trop puissante, sinon ce serait déjà fait. Il serait devenu un homme de paille officiel (comme Karzaï et les autres), ce qu’il est déjà en fait puisqu’il sert indirectement nos intérêts (ou du moins ceux de nos amis américains). On l’accueille à bras ouverts puisque cela permet de faire pression sur les Chinois. Certes, on ne va pas leur demander l’indépendance du Tibet (sinon, si on revient toujours en arrière, pourquoi ne pas rendre leur terre aux Palestiniens ?) mais on pourrait trouver quelques petits arrangements, non ? Des accords commerciaux par exemple. On ferme les yeux sur le Tibet et vous nous achetez une dizaine de centrales nucléaires.

Tiens, c’est justement ce que Sarkozy vient de faire. Quel homme, tout de même. Evidemment, moi qui suis naïf, je n’ai toujours pas compris pourquoi on aide la Chine à construire des centrales tandis qu’on est à deux doigts de lancer une bombe atomique sur l’Iran qui développe la même technologie. Il est vrai qu’on avait fait la même chose avec l’Irak. Cela a permis d’aller la détruire un peu après, cette centrale. Construire et détruire, c’est toujours faire des affaires non ? La libre circulation des biens et des personnes comme on dit.


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18/08/2008

Mahmoud Darwich (3)

Ainsi donc Mahmoud Darwich a bénéficié de funérailles nationales. C’est assez rare pour un poète et mérite que nous le soulignions. On pourrait comparer son enterrement à celui de Victor Hugo en France, lui aussi connu pour ses activités politiques. Car bien évidemment, c’est moins le poète que les Palestiniens ont célébré que l’infatigable défenseur d’un état palestinien. De même que les Occidentaux ont surtout vu en Soljenitsyne celui qui a condamné le goulag, beaucoup plus qu’ils n’ont vraiment apprécié l’écrivain.

Ceci étant dit, les différences entre les funérailles des deux hommes de lettres restent significatives. L’écrivain russe était retourné dans sa patrie, celle de ses jeunes années, qu’il avait trouvée changée (on peut tout de même espérer que c’était en mieux) et il a été enterré, comme il l’a voulu, selon le rite orthodoxe.

Mahmoud Darwich, lui, a reçu les honneurs d’un pays qui n’existe toujours pas. Quelque part, donc, cet hommage n’en est pas un puisqu’il émane du cœur des hommes mais n’est pas vraiment officiel.

De plus, s’il est bien revenu vivre en Palestine, c’est dans un pays étranger qu’il s’est retrouvé, en l’occurrence celui d’Israël (1). Sa situation est un peu comparable à celle d’un Alsacien d’expression française qui serait revenu en Alsace occupée en 1871. C’est chez lui et ce n’est pas chez lui.

Enfin, fait significatif entre tous, il a fallu demander l’accord de l’occupant israélien pour savoir où on allait l’enterrer. La logique aurait voulu que ce fût dans son village natal, en Galilée, mais ce privilège lui a été refusé. Il reposera donc bien en Palestine, mais pas dans son pays et encore moins dans son village, celui qu’il avait si bien chanté dans ses poèmes.

Ce village, c’était Birwa (Al-Birweh). Je dis « c’était » car il a été rasé en 1948 par les Israéliens et est devenu Akheï Ehud, à l’époque où ceux-ci construisaient leur état et jetaient sur les routes 750.000 Palestiniens. Il ne reste que le cimetière (2). Cela aurait tout de même suffi pour y inhumer notre poète, mais même cela lui fut refusé.

Il faut dire que si on se place du point de vue israélien, il était impossible de donner un tel accord. En effet, accorder une sépulture à un Palestinien en Galilée, c’était reconnaître que cette terre lui appartenait comme elle avait appartenu à ses ancêtres. En d’autres termes, outre le symbole politique dangereux qu’aurait représenté la tombe de Darwich, c’était prendre le risque de voir les descendants des 750.000 expulsés revenir prendre possession de leurs terres (je ne dirais pas de leurs biens puisque tout a été détruit).

Le cimetière lui-même est menacé. Son accès est contrôlé entièrement par deux municipalités juives, Yasur et Achihud, lesquelles ont pris possession de toutes les terres de l’ancien village.

Darwich savait que ce retour au pays natal lui serait refusé, aussi avait-il simplement manifesté le souhait d’être enterré en Palestine. D’où l’autorisation qui a été accordée de l’inhumer à Ramallah.

Pourtant, de son propre aveu, c’est le souvenir de ce village, d’où il a été chassé avec ses parents alors qu’il avait sept ans, qui est à l’origine de toute sa poésie, une poésie de l’absence, du souvenir et de la nostalgie.

Voici comme il s’exprimait :

« Je préfère garder les souvenirs qui s’attardent toujours dans des espaces ouverts, des champs de pastèques d’oliviers et d’amandiers. Je me souviens du cheval attaché au mûrier dans la cour et comment j’étais monté dessus avant qu’il me fasse tomber et que je sois puni par ma mère… Je me souviens des papillons et du net sentiment que tout était ouvert. Le village était sur une colline et tout s’étendait en contrebas

Plus rien n’est ouvert, aujourd’hui en Palestine. Ce qui n’a pas été détruit est maintenant isolé par le mur.

Certes, on aurait pu enterrer Darwich à Judeidi, le village arabe le plus proche de l’ancien Birwe (là où la famille du poète est revenue s’installer, le plus près possible de leurs anciennes terres). Mais comme disait son frère, Mahmoud n’était pas de Judeidi, il était de Birwe. Et sa mère, qui vit toujours (85 ou 95 ans selon les versions que j’ai consultées), avoue « Je voudrais que mon fils soit enterré ici, mais ce n’est pas que mon fils, c’est le fils du monde arabe tout entier.»

Sa mère !

J’ai la nostalgie du pain de ma mère,
Du café de ma mère,
Des caresses de ma mère...
Et l'enfance grandit en moi,
Jour après jour,
Et je chéris ma vie, car
Si je mourais,
J'aurais honte des larmes de ma mère !


Enfin, bref, voilà pourquoi Mahmoud, aujourd’hui, est enterré à Ramallah et non à Birwe.


Le comble, c’est que du coup les membres de sa propre famille ont dû demander des autorisations pour assister à l’enterrement. Comme Arabes ayant la citoyenneté israélienne, ils n’ont pas le droit de pénétrer dans des zones contrôlées par les Palestiniens telle que Ramallah.
Enfin, finalement, les difficultés furent aplanies et les Darwich purent voir le cercueil mis en terre. C’est déjà cela car Mahmoud, lui, après trois années consécutives d’assignation à domicile, avait été déchu de sa citoyenneté et on lui avait refusé le droit de voir sa famille jusqu’au milieu des années 90 (accords d’Oslo).

Quant à son œuvre poétique, elle est interdite dans les écoles israéliennes, même les écoles arabes.

Pauvre poète. Le voilà issu d’un village détruit et d’une terre confisquée. Enterré en dehors de sa Galilée natale, il repose certes en terre palestinienne, mais pas dans un état palestinien. Quant à ses textes, ils sont officiellement censurés chez lui, même s’ils sont lus par le monde entier. Car aucun mur, jamais, n’arrêtera la poésie et son message de liberté.

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1. Enfin pas vraiment. Depuis 2005, Israël a décidé de se désengager d'une partie de la Cisjordanie et de Gaza. Ces territoires sont donc « occupés par fait de guerre et ne font pas partie du territoire d’Israël, mais ils ne constituent pas non plus un état palestinien indépendant.

2. Pendant des années, les Palestiniens ont essayé d’empêcher les fermiers israéliens de faire paître leurs troupeaux dans le cimetière. Ils ont finalement pu mettre une clôture. Mais aujourd’hui, on construit une grande étable et celle-ci dresse sa structure métallique au-dessus des tombes. La maison du grand-père Darwich se trouvait près de l’entrée de ce cimetière. Des nombreux arbres fruitiers qu’il possédait, il ne reste qu’un grenadier. Un vieil habitant, qui avait 18 ans en 1948, conserve encore la clef rouillée de sa maison détruite et la montre à qui veut la voir.




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17/08/2008

Réveil matinal

Chaque matin, au sortir de la nuit
Il faut, encore plongé dans les rêves,
Goûter ce noir nectar
Au parfum de tropiques.

Le humer lentement,
Et le respirer avec délice
Afin d’en percevoir
Le plus subtil parfum,
La quintessence aromatique.

Les yeux plongés dans le noir breuvage,
Encore ensommeillé
Et l’esprit plein de rêves,
On découvre alors un monde étrange
Et pourtant familier.
Mélange de songes évanouis et de pays lointains,
La boisson aux reflets métalliques
Vous emporte dans le monde que vous venez de quitter.

Les spectres de la nuit se devinent au fond de la tasse
Ainsi que les rêves évanouis et les désirs les plus fous.
Le passé défile et vos actions d’hier et d’avant-hier
Surgissent à la surface et s’évaporent lentement,
Emportées dans le parfum qui envahit la pièce.

Goûtez du bout des lèvres
Cette eau faite délice,
Sans vous presser jamais
Afin que tous vos souvenirs
Aient le temps de resurgir.

Puis regardez dehors,
Car connaître le temps qu’il fait
Est important pour celui qui voyage.

Ne vous dissipez pas.
Revenez aussitôt à la tasse fumante
Et contemplez-en les reflets.
Vos désirs et vos projets
Devraient déjà flotter en sa surface.

Si ce n’est point le cas,
Secouez lentement la tasse
En ayant soin de ne rien renverser
Afin de ne pas irriter les dieux.
Cette fois les projets seront là
Naviguant en ordre de bataille.

Une dernière fois, vous fermerez les yeux
Et respirerez fortement.
S’imposeront subitement des images d’outre-nuit,
Des contrées éloignées,
Des pays impossibles.

Buvez une gorgée, peut-être deux, et reposez la tasse.
Le présent, soudain, vous semblera accessible.
La nuit s’est dissipée, évanouie à jamais.
Reste le bel aujourd’hui et toutes les tâches à accomplir.

Prenez la route courageusement
Et si dehors il pleut,
Tout en marchant, repensez calmement
Au café matinal et à son parfum des tropiques.
Dans la moiteur de l’averse
Et l’odeur de la terre mouillée
Vous croirez vivre encore un réveil tranquille,
Quand vous étiez chez vous
Et que le goût du café vous aidait à oublier toute la nuit.


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02:01 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : réveil matinal, café

16/08/2008

Leo Ferré, "Le bateau espagnol"

Le Bateau Espagnol

J'étais un grand bateau descendant la Garonne
Farci de contrebande et bourré d'Espagnols
Les gens qui regardaient saluaient la Madone
Que j'avais attachée en poupe par le col
Un jour je m'en irai très loin en Amérique
Donner des tonnes d'or aux nègres du coton
Je serai le bateau pensant et prophétique
Et Bordeaux croulera sous mes vastes pontons

Qu'il est long le chemin d'Amérique
Qu'il est long le chemin de l'amour
Le bonheur ça vient toujours après la peine
T'en fais pas mon ami, je reviendrai
Puisque les voyages forment la jeunesse
T'en fais pas mon ami, je vieillirai.

Rassasié d'or ancien ployant sous les tropiques
Un jour m'en reviendrai les voiles en avant
Porteur de blés nouveaux avec mes coups de triques
Tout seul mieux qu'un marin, je violerai le vent
Harnaché d'Espagnols remontant la Garonne
Je rentrerai chez nous éclatant de lueurs
Les gens s'écarteront saluant la Madone
En poupe par le col et d'une autre couleur

Qu'il est doux le chemin de l'Espagne
Qu'il est doux le chemin du retour
Le bonheur ça vient toujours après la peine
T'en fais pas mon ami je reviendrai
Puisque les voyages forment la jeunesse
J' te dirai mon ami : à ton tour !
À ton tour...



Le thème du bateau, comme chez Rimbaud, symbolise le désir de partir au loin, vers des pays inconnus, des pays de rêve.

La Garonne elle-même, ce grand fleuve du Sud, contient déjà des éléments oniriques évidents. L’Amérique, dans l’imaginaire européen, est par définition le pays de tous les possibles depuis l’épopée de Christophe Colomb (voir aussi l’immigration italienne).

Le bateau de Ferré ne doit pas naviguer dans la légalité, on s’en doute. Il s’agit de prendre des chemins de traverse, d’où la contrebande.
Contrebande dont le bateau est « farci » histoire de montrer qu’il est rempli jusque dans ses moindres recoins de produits interdits. Ce terme « farci » connaît un prolongement avec le mot « bourré », qui dénote un aspect quantitatif.

Le thème de l’Espagne revient souvent chez Ferré. Dans son imaginaire, c’est l’Espagne de Garcia Lorca, de la guerre civile, bref un pays où, politiquement, on se bat contre le fascisme pour conquérir sa liberté. De plus, d’une manière générale, l’Espagne est un pays qui fait rêver (voir l’expression « bâtir des châteaux en Espagne »).

La Madone attachée en poupe par le col a de quoi surprendre. Habituellement, c’est une figure féminine à connotation érotique que l’on fixe à la proue du navire (notamment une sirène qui a de préférence les seins nus). Ici, il y a renversement de la situation classique : la statue se trouve à l’arrière du navire. Ainsi, au lieu de se dresser fièrement contre les flots et d’ouvrir symboliquement le passage , elle suit dans une attitude passive. D’ailleurs elle est pendue par le cou (allusion à la balade des pendus de Villon ?) et donc est balancée au gré des courants et des vents. De plus, il s’agit d’une madone, ce qui renvoie à un contexte religieux. Faut-il interpréter cela comme un acte de provocation de la part du capitaine du navire ? Sans doute. Au lieu de mettre son voyage sous la protection divine, en plaçant une statue de saint à l’avant, il fait suivre son bateau par cette madone qui pend ridiculement à l’arrière.

D’un autre côté, tout texte étant polysémique, le lecteur/auditeur est libre d’y trouver une autre interprétation. Ainsi la madone ne renvoie par forcément au contexte religieux. Elle est peut-être tout simplement un symbole de la virginité. Virginité de la jeune fille pure qui contraste avec les marins espagnols contrebandiers. Désir de tourner cette pureté en ridicule ? Peut-être, mais personnellement je pencherais plutôt pour une métaphore. Même si ce voyage est par définition répréhensible (on ne doit pas faire de contrebande comme on ne doit pas fait réaliser un pareil voyage au pays du rêve), il est placé tout de même sous le signe de la virginité. Non seulement il s’agit d’un premier voyage, mais le motif qui l’anime est pur : conquérir l’impossible.

Le but du voyage n’est pas d’aller fonder une colonie ou de piller ces contrées lointaines mais de « donner des tonnes d'or aux nègres du coton ». Une nouvelle fois on assiste à un renversement de la conduite habituelle. Ferré ne part pas en Amérique pour s’enrichir mais pour soulager les descendants des anciens esclaves. Comment ? En leur distribuant les « tonneaux d’or » que les Conquistadores ont volés aux Indiens.

Du coup, le bateau est dit « prophétique », ce qui replace l’expédition en cours sous le signe de la religion. Mais ici, il ne s’agira pas d’aller évangéliser les sauvages de force mais plutôt de soulager leurs misères. La bonté ne se trouve donc pas du côté des officiels (soldats ou religieux) mais du côté de ces contrebandiers au cœur tendre.

« Bordeaux » : allusion au port de l’Atlantique d’où partaient souvent les bateaux pour l’Amérique. Bordeaux c’est aussi la ville où Montaigne fut magistrat et même si rien n’indique que Ferré pensait à cela, rien n’empêche le lecteur, qui vient avec son propre imaginaire, de faire référence à cette haute figure de la littérature qu’était Montaigne.

Mais Bordeaux c’est aussi une ville indépendante, longtemps éloignée de la France puisque sous influence anglaise pendant une bonne partie du Moyen-Age. Bordeaux c’est le commerce du vin et une ville tournée vers le grand océan (idée de liberté).

« mes vastes pontons. » On s’attendrait plutôt à ce qu’il soit fait allusion aux larges quais de Bordeaux ou à ses embarcadères, mais une nouvelle fois nous assistons à un renversement des valeurs : c’est le bateau qui a de larges pontons et Bordeaux en sera tout ébranlé.

Ensuite, le poète nous indique bien que ce voyage vers l’Amérique n’est pas vraiment un voyage dans l’espace mais plutôt un voyage intérieur (initiatique ?). Il s’agit de conquérir l’amour, mais hélas, le chemin qui y mène est long.

Arrivé à ce stade, l’engouement du début semble marquer le pas et les marins découvrent la difficulté de leur entreprise. Comme chez Rimbaud, l’idée du retour surgit. («je reviendrai »)

« Rassasié d'or ancien » : idée de plénitude confinant au dégoût. Cet or est dit ancien probablement par référence à celui des conquistadores. « Les tropiques » renvoient à ce
monde mythique et imaginaire où le bateau est parvenu.

« Un jour m'en reviendrai les voiles en avant » : ici, pour le retour, les voiles sont en avant (on ne parle plus de la madone à la poupe).

« blés nouveaux » : le blé est le symbole par excellence de la germination. Ferré veut donc dire qu’il ramène des tropiques des souvenirs et des expériences qui vont fructifier dans sa nouvelle vie en Europe.

« je violerai le vent » : idée opposée à la virginité de la Madone. Le vent représente évidemment l’élément porteur mais il est aussi un élément hostile et dangereux. Le fait de le violer indique que c’est bien le marin qui est maître de sa destinée. C’est lui qui décide où ce vent va l’emporter.

Puis le voilà de retour au pays, « harnaché d'Espagnols, remontant la Garonne ».

« chez nous » est donc le foyer, le pays où on est né. Ferré revient chez lui, tel Ulysse revenant à Ithaque. Les gens saluent toujours la Madone, amis cette fois ils ne la contemplent plus, ils s’en écartent avec respect (ou crainte) car le poète est désormais porteur d’une vérité supérieure.
Madone qui est devenue d’une autre couleur à la suite du voyage. Effet de la mer et des grands vents ? Ou bien est-elle devenu une Indienne ?

« Qu'il est doux le chemin de l'Espagne » Car la Garonne prend sa source dans les Pyrénées espagnoles (massif de la Maladeta), ce qui permet de renvoyer à ce pays mythique pour Ferré. Le « chez nous » devient étrangement l’Espagne peut-être à cause du nombre d’Espagnols embarqués à bord, peut-être pour indiquer qu’on remonte jusqu’à la source. Dans tous les cas, il s’agit bien d’atteindre un pays hors du commun.

« Le bonheur ça vient toujours après la peine .» Sous la forme d’une sentence, Ferré indique que le bonheur est finalement ici, mais à condition bien entendu, d’être d’abord allé là-bas.
Conseil qu’il lance à son public : « A ton tour... »



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14/08/2008

De la télévision (suite)

Dans la note précédente, une commentatrice s’étonne de l’existence même de cette note, qui ne traite pas de littérature mais d’actualité (visiblement, c’est qu’elle n’était pas encore là pour lire ce blogue au moment de l’élection de Sarkozy, sinon elle serait habituée !). Mais c’est qu’il faut aussi savoir sortir de nos livres et regarder ce qui se passe autour de nous. Pas trop non plus, cependant, sinon on est emporter par le vent de l’actualité. Je ne dis pas cela pour la tenue de ce blogue mais pour notre existence en général. Nous sommes tellement envahis d’images et d’informations (par ailleurs souvent invérifiables, ce qui relativise grandement leur intérêt) que nous finirions par y perdre notre petite musique intérieure. Je veux dire par là qu’il faut certes vivre dans le monde, mais qu’il faut aussi être capables de conserver une distance entre lui et nous, sinon nous courons le risque de devenir des pantins qui s’agitent selon le vent de l’actualité.

D’un côté, nous ne pouvons être indifférents devant les événements de Palestine ou de Géorgie, mais de l’autre il faut se dire que nous n‘avons qu’une vie, qu’elle est courte, que c’est la nôtre et qu’il nous appartient donc de la gérer au mieux. En d’autres termes, si je suis jeune et sans emploi, c’est sans doute très beau d’aller manifester pour le droit des Palestiniens, mais que le bon sens m’oblige de trouver d’abord un emploi. Si je suis pensionné et que j’ai du temps libre, c’est très bien de lutter pour les sans-papiers, mais consacrer du temps à ses petits enfants est également important. Pleurer sur le sort des détenus de Guantanamo, emprisonnés souvent arbitrairement, est nécessaire, mais pleurer toute la journée au point d’en perdre mon équilibre intérieur n’a aucun sens. Il y aura toujours du malheur et des injustices sur cette terre, on n’y peut rien. Si j’attends que cela cesse pour décider d’être heureux ou simplement pour faire ce que j’aime (lire un livre, par exemple), alors j’aurai perdu ma vie.

Tout ceci étant dit, il est bon, cependant, de démonter de temps à autre la vaste machinerie que le pouvoir met en place pour nous influencer dans le sens qui l’intéresse. Ainsi, s’il y a peu de liberté d'expression en Chine, il ne faudrait pas s’imaginer que nous sommes totalement libres dans notre monde occidental. Bien au contraire, tout est faussé, biaisé, corrompu. Cela se sait mais se dit peu.

Ici, avoir la mainmise sur la télévision est très important pour Sarkozy. On a vu ce que cela donnait aux Etats-Unis au moment du déclenchement de la guerre en Irak. Si plus de 65% des Américains étaient convaincus du bien fondé de cette guerre, c’est qu’ils croyaient dur comme fer à l’existence de armes de destructions massive. Or, ils ne sont pas plus bêtes que nous. S’ils y ont cru, c’est qu’ils ont dû subir un matraquage médiatique pendant des mois, tandis qu’en France, comme Chirac était opposé à la guerre (forcément, c’était un ami de Sadam et la France avait des intérêts économiques là-bas ) nous avons reçu une information différente. Mais si demain Sarkozy, pour faire plaisir à Israël, décide qu’il faut se débarrasser de la menace iranienne, je suis persuadé que nous aurons droit à notre tour à une série d’émissions qui dénonceront les abus du pouvoir actuellement en place à Téhéran (justice islamique sommaire, droit des femmes inexistant, etc.).
Il est donc bon de savoir qui se cache derrière notre petit écran (dans la note précédente, j’ai d’ailleurs oublier de citer Christine Ockrent, qui travaille maintenant dans l’ombre et qui est une atlantiste pure et dure)

Nous sommes manipulés en permanence et c’est là, intellectuellement parlant, une situation qui me dérange fortement.

Ainsi, chaque fois que dans la presse je suis tombé sur des articles qui traitaient de dossiers que je connaissais bien, professionnellement parlant, la vérité était toujours tronquée. Tout n’était pas faux, bien entendu, mais on omettait certains éléments (par ignorance ou volontairement ?) ce qui permettait de tirer des conclusions qui, elles, étaient absolument fausses.

Une autre preuve de manipulation. On sait que la mode est aujourd’hui aux privatisations (voir GDF et Suez). Et bien, il y a plus de quinze ans, j’avais entendu une émission dans laquelle un spécialiste parlait du prix de l’eau. Il expliquait que le public ne comprendrait pourquoi une ressource naturelle, qui appartenait finalement à tout le monde et qui (à l’époque) était relativement bon marché, allait voir son prix être multiplié par trois ou quatre simplement pour faire plaisir à des actionnaires privés. Il fallait, disait-il, prévoir une période de transition durant laquelle on influencerait l’opinion en lui parlant d’écologie, de préservation des sites naturels autour des sources, de traitement des eaux usées, etc. Et c’est exactement ce que l’on a fait. Autrefois, dans les villages, l’eau était gratuite. Quand les grandes compagnie d’état ont pris les choses en main, elle est devenue payante. Quand ces mêmes compagnies seront complètement privatisées, elle sera hors de prix. Et c’est bien via les médias qu’on nous conditionne pour que nous acceptions tous ces changements. Méfiance donc.

13/08/2008

De la télévision française

Ce qu’il y a de bien, avec les jeux olympiques, c’est qu’on n’est plus obligé d’ouvrir sa télévision puisque de toute façon on sait qu’on va perdre son temps. Comme avant ces jeux il y a déjà eu du foot, du tennis et un Tour de France, cela fait donc un bon moment que je n’allume plus ladite télévision. Sauf pour les informations, bien entendu, mais j’ai là tort, je dois bien l’avouer, puisque de toute façon il s’agit surtout de désinformation.

Pour s’en convaincre, il ne faut même pas faire l’effort d’essayer de décrypter ce qu’on nous dit pour tenter de repérer les mensonges, il suffit de regarder qui se trouve en coulisses.

Ce qu’il faut savoir, c’est que Monsieur Bouygues, propriétaire de TF1, a nommé JC Dassier à la direction de l’information de la chaîne la plus regardée des Français et Laurence Ferrari comme présentatrice du 20 heures (le journal le plus regardé de la chaîne la plus regardée).

Cette brave dame a ainsi remplacé celui qu’on croyait indéboulonnable, en l’occurrence PPDA (lequel avait pourtant, tel Talleyrand, traversé bien des régimes politiques mais qui cette fois ne s’est pas montré assez prompt, sans doute, pour aller féliciter le nouveau maître de l’Elysée).

Mais que vient faire le Président dans tout cela, me direz-vous. Après tout TF1 est une chaîne privée et le petit Nicolas est le président de tous les Français, alors ? Et bien, ce serait oublier que Monsieur Bouygues était le témoin dudit président (du temps où il n’était pas encore président) lors d’un de ses nombreux mariages. Je crois que c’est celui avec Cécilia car Monsieur Bouygues est aussi parrain de leur fils Louis (curieux, pour un futur président de la République de choisir le prénom favori des rois de France pour son rejeton, mais bon, passons).

Par ailleurs, JC Dassier est le père d’Arnaud Dassier, conseiller pour la communication Internet de Nicolas (et même de l’UMP, cette grande famille politique)

Quant à Laurent Solly, directeur adjoint de la campagne électorale de Sarkozy (du temps où celui-ci voulait devenir président mais ne l’était pas encore, vous me suivez ?), il a été nommé par Bouygues lui-même au même poste (directeur-adjoint) mais à TF1. Logique, me direz-vous. Quelqu’un qui est parvenu à faire élire un bonhomme comme Sarkozy (en faisant croire qu’il allait travailler pour la France et les Français et qui plus est qu’il allait se lever tôt pour cela) parviendra bien à faire monter l’audimat d’une chaîne de télévision. Or l’audimat, c’est important pour Bouygues. D’une part cela lui rapporte de l’argent et puis cela permet d’augmenter la visibilité de son ami Nicolas (dont il reste le parrain du fils, même si Cécilia, elle, est partie écouter une autre musique ailleurs).

Et la jolie Ferrari, dans tout cela ? Comment est-elle arrivée là ? Et bien les mauvaises langues prétendent (ce sont les Anglais qui le disent, mais vous savez comme moi qu’il n’y a rien de plus faux et fourbe qu’un Anglais quand il parle des affaires du bon royaume de France) que notre petit Nicolas aurait eu une liaison avec elle quand les liens sacrés du mariage qu’il avait contracté avec Cécilia commençaient à s’effilocher (sans cela, ce n’est pas lui qui aurait tenté quoi que ce soit, bien entendu et la morale est sauve)

Ceci dit, les Anglais ont beau habiter la perfide Albion, il est certain qu’une source proche de l’Elysée a fait allusion à un week-end à Marrakech durant lequel Nicolas et la belle Ferrari (mais non pas la voiture !) se seraient rencontrés. On dit même que c’est après ce week-end qu’elle aurait décidé de divorcer et de quitter son mari, Thomas Hughes . Simple coïncidence, sans aucun doute et tout cela, ce ne sont que des calomnies. La preuve, les journaux qui en avaient parlé ont aussitôt été condamnés en justice (et n’allez pas me ressortir l’histoire des vacances de la ministre de la Justice aux States avec le Président nouvellement élu. D’ailleurs Cécilia était encore là et en tant que première dame de France, on la voit mal tenir le flambeau).

Mais qui est Thomas Hugues ? Et bien, jusqu’en juillet 2006, c’est lui qui remplaçait PPDA (plus communément connu sous le pseudonyme de Patrick Poivre d’Arvor) pour le JT de 20 heures durant le week-end ou pendant les vacances dudit PPDA (lequel les consacrait comme chacun sait à écrire des livres qui connaissent aujourd’hui un succès bien mérité, succès pour lequel la célébrité bien établie de l’auteur n’a joué en rien, bien entendu).

Et après juillet 2006, vous demandez-vous ? Et bien, après cette date, le pauvre Thomas est évincé de son poste (il a donc finalement tout perdu, son emploi et sa femme) et est remplacé par Harry Roselmack, le premier journaliste de couleur noire à occuper un poste aussi important (et on viendra encore dire que Sarkozy est raciste alors que c’est lui qui l’a placé là. La preuve : il avait deviné avant tout le monde que Roselmack allait occuper ce poste)

Bon, c’était la rubrique « people » de Marche romane, une fois n’est pas coutume. Mais si vous faites comme moi et que vous ne regardez plus que rarement la télévision, cela ne sert à rien de venir lire des blogues comme celui-ci puisque, comme vous le voyez, le niveau est encore plus bas que sur le petit écran.

11/08/2008

Mahmoud Darwich (2)

« J’ai trouvé que la terre était fragile, et la mer, légère ; j’ai appris que la langue et la métaphore ne suffisent point pour fournir un lieu au lieu. (…) N’ayant pu trouver ma place sur la terre, j’ai tenté de la trouver dans l’Histoire. Et l’Histoire ne peut se réduire à une compensation de la géographie perdue. C’est également un point d’observation des ombres, de soi et de l’Autre, saisis dans un cheminement humain plus complexe. (…) Est-ce là simple ruse artistique, simple emprunt ? Est-ce, au contraire, le désespoir qui prend corps ? La réponse n’a aucune importance. L’essentiel est que j’ai trouvé ainsi une plus grande capacité lyrique, et un passage du relatif vers l’absolu. Une ouverture, pour que j’inscrive le national dans l’universel, pour que la Palestine ne se limite pas à la Palestine, mais qu’elle fonde sa légitimité esthétique dans un espace humain plus vaste. "

Mahmoud Darwich

Ainsi donc, cette Palestine qui lui a été refusée pour les raisons que l’on sait est devenue non seulement un pays concret qu’il convient de défendre et de revendiquer, mais aussi un lieu mythique et pour ainsi dire imaginaire (ou en tout cas qui ouvre les portes à l’imagination), la terre rêvée par tous les poètes du monde entier. Partant de son expérience personnelle (l’exil et la séparation) et de celle de son peuple (l’occupation), Darwich ne se contentera pas d’une revendication politique, il fera beaucoup plus en chantant d’une manière lyrique son pays perdu. Pays qui n’est plus simplement la Palestine dont on nous parle tous les jours à la télévision, mais une terre inconnue, une terre de poésie où règnent les mots et l’espoir d’un monde meilleur. De même que Pablo Neruda, dans son « Canto general » ne parle pas seulement du Chili mais de tous les opprimés en général, Darwich, dans son œuvre, nous invite à un voyage vers une terre plus belle, plus humaine, une terre, malheureusement qui n’existe que dans l’univers sacré de la poésie.

Sur le même thème, voir ici.

Les étoiles n’avaient qu’un rôle :
M’apprendre à lire
J’ai une langue dans le ciel
Et sur terre, j’ai une langue
Qui suis-je ? Qui suis-je ?

Je ne veux pas répondre ici
Une étoile pourrait tomber sur son image
La forêt des châtaigniers, me porter de nuit
Vers la voie lactée, et dire
Tu vas demeurer là

Le poème est en haut, et il peut
M’enseigner ce qu’il désire
Ouvrir la fenêtre par exemple
Gérer ma maison entre les légendes
Et il peut m’épouser. Un temps

Et mon père est en bas
Il porte un olivier vieux de mille ans
Qui n’est ni d’Orient, ni d’Occident
Il se repose peut-être des conquérants
Se penche légèrement sur moi
Et me cueille des iris

Le poème s’éloigne
Il pénètre un port de marins qui aiment le vin
Ils ne reviennent jamais à une femme
Et ne gardent regrets, ni nostalgie
Pour quoi que ce soit

Je ne suis pas encore mort d’amour
Mais une mère qui voit le regard de son fils
Dans les œillets, craint qu’il ne blessent le vase
Puis elle pleure pour conjurer l’accident
Et me soustraire aux périls
Que je vive, ici là

Le poème est dans l’entre-deux
Et il peut, des seins d’une jeune fille, éclairer les nuits
D’une pomme, éclairer deux corps
Et par le cri d’un gardénia
Restituer une patrie

Le poème est entre mes mains, et il peut
Gérer les légendes par le travail manuel
Mais j’ai égaré mon âme
Lorsque j’ai trouvé le poème
Et je lui ai demandé
Qui suis-je ?
Qui suis-je ?

10/08/2008

Mahmoud Darwich

""Mais nous souffrons d'un mal incurable qui s'appelle l'espoir. Espoir de libération et d'indépendance. Espoir d'une vie normale où nous ne serons ni héros, ni victimes. Espoir de voir nos enfants aller sans danger à l'école. Espoir pour une femme enceinte de donner naissance à un bébé vivant, dans un hôpital, et pas à un enfant mort devant un poste de contrôle militaire. Espoir que nos poètes verront la beauté de la couleur rouge dans les roses plutôt que dans le sang. Espoir que cette terre retrouvera son nom original : terre d'amour et de paix. Merci pour porter avec nous le fardeau de cet espoir. "

Mahmoud Darwich, poète palestinien, qui s’est éteint samedi à l’âge de 67 ans.

Décidément, ce blogue commence furieusement à ressembler aux pages nécrologiques des quotidiens. Après Soljenitsyne, c’est donc le plus grand poète de langue arabe, en tout cas le plus connu, qui est décédé. Nous avions parlé de lui ici.

De même que l’écrivain russe a d’abord été reconnu pour son opposition au régime de Staline, Darwich l’a été pour son combat contre l’occupation israélienne. Pourtant, l’un comme l’autre sont avant tout des hommes de lettres et leur pensée fut bercée par le souffle des mots. Darwich lui-même, qui pleurait son pays occupé, avait compris à un certain moment que son succès auprès de ses compatriotes palestiniens venait surtout de ses prises de positons politiques (voir le poème « l’Arabe ») alors que lui souhaitait retourner à des chants plus personnels et authentiques : peindre la beauté de sa terre de Galilée. Mais comment, évidemment, chanter cette terre si elle vous a été ravie et si chaque jour de nouvelles colonies viennent grignoter le peu qu’on vous avait laissé ? Comment se taire lorsqu’un mur sépare désormais les habitants d’un même lieu, accordant tout aux uns et rien aux autres et excluant arbitrairement ces derniers du droit de fouler le sol de leurs ancêtres ?

Bien sûr il y a les attentats. Mais pourquoi y a-t-il des attentas ? Le gouvernement israélien devrait le savoir puisque beaucoup de ses ministres historiques en avaient pratiqué eux-mêmes avant 1948 contre l’occupant anglais. Tout est question de succès, évidemment. Nos propres résistants qui faisaient sauter des ponts en 1943 étaient catalogués de terroristes par les Allemands. Ils ne devinrent des héros qu’à la libération.

En attendant, on est loin d’avoir trouvé une solution en Palestine et nos enfants ont beau demander à leurs parents pourquoi Juifs et Arabes ne parviennent pas à s’entendre, ces pauvres parents ne parviennent pas à donner une réponse, tant la situation est complexe. Il y a eu trop de morts de part et d’autres pour que chaque camp puisse oublier.

Et voilà, pour couronner le tout, que le peuple palestinien est maintenant divisé et plonge dans la guerre civile (Hamas/ Fatah) tandis que son plus grand poète vient de quitter définitivement la scène.


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09/08/2008

Eternel présent

Le mécanisme qui rattache nos contemporains aux générations passées semble s’être modifié. Je ne dis pas que c’est un bien ou un mal, je le constate, tout simplement. Il n’y a pas encore si longtemps que les gens vivaient dans des villages, toutes générations confondues et qu’une sorte de savoir impalpable se transmettait de la sorte, des aînés vers les cadets. Puis petit à petit, s’est imposé le mythe d’une éternelle jeunesse, largement véhiculé par la publicité d’ailleurs, laquelle nous a proposé une série de recettes pour ne pas prendre une ride. L’homme moderne est jeune et dynamique, cela va de soi et cette théorie est encore renforcée par l’idéologie libérale ambiante : un cadre supérieur se doit de travailler sans compter pour sa firme et en dessous de soixante heures semaines, il n’a pas droit à notre considération. Dans un tel contexte, tomber malade semble malséant. Du coup, voilà tous les souffreteux relégués à l’hôpital (le nouvel endroit où l’on meurt en toute discrétion et sans importuner son voisin)et les vieillards à l’hospice (d’habitude on dit maison de repos, c’est plus positif, mais dans les faits il s’agit bel et bien d’un simple mouroir dans lequel la société vous installe de force en espérant que vous n’abuserez pas trop longtemps de la petite pension qu’elle vous a chichement accordée).

La plupart des jeunes grandissent donc de nos jours dans une sorte de présent permanent. L’histoire, d’ailleurs, ne s’enseigne plus vraiment. Il est vrai qu’avant on n’en enseignait qu’une partie, celle qui intéressait la classe politique au pouvoir, mais enfin cela créait indéniablement des liens entre les gens. Tout le monde connaissait Vercingétorix, la guerre de cent ans ou la prise de la Bastille. Aujourd’hui, les jeux vidéo ont remplacé tout cela.

Pourtant, les noms de nos rues sont encore remplis de souvenirs pour qui conserve un peu de mémoire : hommes illustres, noms de batailles, etc. Mais la jeune génération préfère l’amnésie. Il est vrai que se souvenir des horreurs du XX° siècle, cela n’a rien de réjouissant : carnage de 14-18, horreurs de la barbarie nazie, guerre d’Algérie, d’Indochine, du Vietnam, génocides, goulag, on a le choix. Dans un tel contexte mieux veut peut-être en effet oublier et devenir fataliste : rien ne changera jamais.

Pourtant le XX° siècle a eu aussi ses faits positifs : décolonisation, disparition du travail des enfants, scolarité obligatoire, sécurité sociale, salaire minimum, émancipation des femmes, progrès médicaux sans précédents. Cela aussi, du coup, on finit par l’oublier.

Certes, il ne faut pas vivre dans le passé, mais il me semble qu’un minimum de mémoire permettrait tout de même, non pas d’empêcher que de nouvelles horreurs ne se reproduisent (il ne faut pas se faire d’illusions sur la nature humaine),mais tout au moins de pressentir leur arrivée.

Mais non, la jeune génération a été conditionnée pour vivre dans un présent éternel. Supposée immortelle, elle n’est là que pour acheter les produits de consommation parfaitement inutiles que la société leur propose et qui sont supposés faire son bonheur. A la limite, elle est plus tournée vers le futur (la sortie de la Playstation III, le dernier Harry Potter) que vers le passé, prenant pour un signe d’ouverture d’esprit ce qui n’est qu’une preuve d’asservissement aux lois du marché.

Je parle de la jeune génération, mais les autres ne valent pas beaucoup mieux. Tout le monde se complaît dans une sorte d’hédonisme jouissif (ou supposé tel, car ne je vois toujours pas en quoi le fait de posséder tel ou tel objet me rend plus heureux, surtout si je n’en ai pas besoin)qui permet de ne plus penser que le temps avance et qu’une tombe nous attend au bout du chemin. Consommant frénétiquement, notre société vit dans un présent éternel, sorte d’Eden fictif et artificiel qui enrichit quelques industriels au passage. Le passé n’a plus de sens et si on en parle, c’est pour en rire (tu te souviens ? A la fin des années soixante-dix on n’avait même pas de micro-ondes ! Comment ont-ils fait dans les années quatre-vingts pour se passer de MP3 ?)

Pourtant, peut-on ramener une vie humaine à ces simples considérations de confort domestique ? Notre destinée n’aurait-elle donc aucune autre portée ? J’ignore quel sens elle a ni même s’il y a un sens à trouver, mais ce qui est sûr c’est que l’Antiquité grecque, qui avait inventé la tragédie, avait une autre conception de notre existence. Certes les dieux étaient méchants et se moquaient des hommes, mais ceux-ci tentaient malgré tout de lutter pour survivre, acquérant ainsi une dignité que nous avons manifestement perdue. Quand je vois à quel degré d’avilissement la publicité peut conduire (ces cadres supérieurs qui se roulent par terre pour manger un yoghourt, ces femmes qui ne vivent que pour engloutir un fromage !), j’en viens à regretter le temps du vieux Montaigne (même s’il a failli mourir de la peste). Au moins il y avait encore des hommes pour tenter de réfléchir sur le pourquoi de leur présence sur terre. Mais qui se souvient encore de Montaigne ? Ce n’est même pas le nom d’une marque de fromage.

00:12 Publié dans Errance | Lien permanent | Commentaires (11)

07/08/2008

Soljenitsyne

Dommage d’ouvrir à nouveau ce blog et de devoir commencer par le décès de Soljenitsyne. C’était là assurément ce qu’on appelle un grand écrivain. Ce qui me dérange, cependant, c’est que l’Occident a surtout vu en lui l’opposant au régime communiste et c’est cet homme manifestement qu’il honore aujourd’hui, en insistant bien sur les chants orthodoxes qui sont désormais permis en Russie post-stalinienne.

En réalité, Soljenitsyne était beaucoup plus que cela. D’abord, ce fut un opposant aux régimes dictatoriaux, dont il a dû subir l’injustice. Il se fait que là où il se trouvait ce régime était communiste, mais eût-il été fasciste qu’il se serait indigné de la même façon, ne l’oublions pas.

Car c’est à cela qu’on reconnaît un grand homme, dans le fait qu’il ose s’attaquer seul à des systèmes puissants et surtout dans le fait qu’il reste fidèle toute sa vie à la ligne de conduite qu’il s’est tracée, sans jamais se laisser influencer.

Ensuite, il ne faut pas perdre de vue son génie d’écrivain. Il a fait autre chose que de dénoncer un pouvoir inique (ce qui est déjà beaucoup), il a su en parler en maniant les mots avec dextérité et en agençant son récit de main de maître.

Enfin, c’est quelqu’un qui se penchait avec compassion sur la vie des hommes, dont il a tenté de peindre la destinée dans ses romans. Je pense surtout au « Pavillon des cancéreux », qui constitue un sommet sur la réflexion devant la mort inéluctable qui approche.

Pour terminer, n’oublions pas qu’il se sentait profondément russe et qu’il est retourné vivre dans sa patrie dès qu’il l’a pu. N’en faisons donc pas un chantre du libéralisme, ce qu’il n’était pas. Lui, il luttait pour la dignité humaine, ce qui est un tout autre combat.


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