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27/08/2008

Destruction

Il est des lieux, dans notre enfance, qui nous ont émus nous ne savons trop pourquoi. Plus tard, une fois adultes, quand on y repense ou qu’on les revoit, cela ne se fait jamais sans une certaine nostalgie. Nous avons alors la certitude que l’essentiel était là, que tout était là, finalement, mais que nous ne le savions pas.

Malheureusement, j’ai l’impression que ces lieux, qui sont souvent des paysages (un saule pleureur en majesté au bord de la rivière, une grande plage face à l’océan, un marronnier dans la cour de l’école, un fleuve en crue dont la colère destructrice fascinait l’adolescent que je fus…) ont subi les outrages du temps. S’il m’arrive, à l’occasion, d’en avoir des nouvelles, c’est souvent pour apprendre leur destruction.

Le saule pleureur est toujours à sa place, mais à l’endroit où j’habite aujourd’hui il y avait un autre saule, en tout identique (la rivière en moins). La commune a décidé de le couper pour des raisons qui me restent incompréhensibles. Avec lui, c’est un peu de mon enfance qui s’en est allée, puisqu’il me permettait de rêver à l’autre arbre, là-bas, au bord de sa rivière. Il me semble que le petit garçon que j’étais alors et qui s’arrêtait, sur le chemin de l’école, pour le contempler, ne s’arrête plus maintenant, qu’il a définitivement disparu.

La grande plage des vacances, avec ses falaises de sable où les hirondelles de mer venaient nicher, a bien changé, si j’en crois les photos retrouvées sur Internet. Les touristes sont passés par là, piétinant le sable, faisant s’effondrer les dunes. Il n’y a plus d’hirondelles et même si j’y retourne un jour je n’entendrai plus leurs cris perçants et je ne verrai plus les zigzags fous qu’elles dessinaient dans le grand ciel bleu.

Aux dernières nouvelles, le marronnier de la cour est toujours là, mais l’école n’en est plus une et la porte est définitivement fermée. Qui pourrait dire qu’un jour j’ai gravi ces escaliers de pierre ? Une fois qu’on franchissait le seuil, on était surpris et pénétré par l’odeur âcre de la cuve à mazout (odeur étrange pour moi car chez moi on se chauffait au bois). Il fallait encore gravir une série de marches avant de pénétrer dans la classe. Des vieux bancs de bois s’alignaient, comportant deux trous dans lesquels on insérait l’encrier (ah, cette odeur envoûtante quand on versait l’encre !). Et cette difficulté à tremper la plume et à ne pas faire de tâches sur la feuille immaculée. Ecrire une ligne prenait des heures. Par la fenêtre, on apercevait les feuilles du marronnier, cet ami de toujours.

Le fleuve ? Immense et large, après tant de kilomètres parcourus. Les pluies sur le massif entraînaient immanquablement des crues en contrebas. J’attendais mon bus près d’un pont, au retour du lycée et j’étais véritablement fasciné par la force de ces eaux, qui venaient frapper les piliers du pont. Il me semblait qu’elles auraient pu emporter la ville entière, si elles avaient voulu. Il en aurait fallu d’un rien. J’y suis repassé l’an dernier. Sous l’arcade latérale, on a construit une passerelle pour faire une promenade pour les piétons et une piste cyclable. Ce n’est pas que ce n’est pas joli (encore que… des papiers et des plastiques étaient pris au piège, entre la berge et la passerelle) mais il me semble qu’on a domestiqué mon fleuve en empiétant sur son domaine. Lui, de son côté, a laissé faire, oublieux de ses anciennes colères. Etrange.

Enfin il y avait le barrage, dans la grande forêt. Je m’y étais rendu alors qu’il était encore en construction. C’était ma première grande randonnée en vélo (je devais avoir sept ans) et j’étais fier des 12 km aller-retour que j’avais dû parcourir en tenant un équilibre encore fort précaire. Je viens d’apprendre qu’une autoroute va traverser le bois, contournant la petite ville et facilitant « le transport des personnes et des biens .» Objectivement, cette autoroute est nécessaire, il n’y a pas à dire. Mais elle va détruire ce bois merveilleux et la petite route qui menait au barrage. Une nouvelle fois, ce qui était ne sera plus si ce n’est dans nos souvenirs. Bientôt, nous ne serons plus qu’une armoire à souvenirs.


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23:53 Publié dans Errance | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : enfance

Commentaires

Puis-je entrer ? Je ne dérangerai rien. Je remplirai d'encre violette l'encrier de porcelaine blanche, ramasserai quelques bogues sous le marronnier dont vous sortirez les fruits luisants et doux, je poserai sur le sable de la plage les trois billes d'agate qui roulaient au fond de votre poche, vous rendrai le petit canif d'enfant avec lequel vous aviez taillé une flûte...
Tout est simple dans cette joie car le corps n'oublie pas, il vous offrira sans efforts les fêtes de l'enfance. Hier et aujourd'hui ne font qu'un. Ecrivez, et voilà qu'ils se gravent sur l'écorce de la mémoire. Laissez fondre vos craintes, l'autre saule fait racines, les hirondelles frôlent vos paupières, le fleuve sauvage roule à votre rencontre. La passerelle est jetée entre vos deux saisons. La neige à venir devient pétales-fleurs des cerisiers d'antan. Les parfums de l'automne frémissent doucement de l'odeur de craie mêlée à celle de l'encre ...
Bonheur et nostalgie, coeur vacant d'enfant dans l'attente de l'homme. Posez arbre sur arbre, fleuve sur fleuve, oiseau sur oiseau. Accostez aux rives de l'île de votre mémoire et suivez le chemin des signes...
Un souffle se lève sur ces mots de bonne terre et si nous rencontrons la mort sur ce chemin nous la couvrirons d'un sarrau d'écolier et elle s'éloignera à cloche-pied...
Pimpanicaille le roi des papillons
un, deux, trois, s'est pris l'bouillon...

Écrit par : Christiane | 28/08/2008

Mais petite esquisse d'un monde dont vous êtes seul à toujours posséder la clef et tous les secrets. Et je vous lis.
Dire c'est...

Écrit par : ellisa | 28/08/2008

Dire c'est partager, finalement. C'est recréer ce qui s'en est allé. Quelque part, en effet, ces lieux continuent à exister de par les personnes qui lisent ces lignes. Magie des mots, donc. Et complicité avec tous ces lecteurs/trices qui vont se mettre à leur tour à rêver à leur enfance.

Écrit par : Feuilly | 28/08/2008

Ce qui est mon cas en lisant ce joli billet nostalgique.

L'odeur du platane dans la cour de l'école, celle dans l'encre dans les tables, les traits à tirer à la plume dans le cahier de leçon de choses sans faire de pâté (l'encre allait sous la règle), puis plus tard adolescente, mes chères (petites) montagnes dans lesquelles en solitaire j'aimais méditer ou lire.

Merci Feuilly pour ce voyage dans le temps.

Écrit par : Cigale | 28/08/2008

"Les paysages se lisent comme des palimpsestes" m'écrivait il y a quelques jours mon ami Denis Montebello, de La Rochelle....

Écrit par : Redonnet | 28/08/2008

Après avoir "fait" toute la France et même l'étranger, je suis revenue sur les traces de mes ancêtres, pas loin de celles de mon enfance...
J'ai la chance d'être issue et d'être revenue sur des terres difficiles, pauvres mais courageuses où le temps s'est figé et l'est encore.
J'ai retrouvé intacte mon enfance et même celle des mes aïeux...

Écrit par : Aédia | 28/08/2008

J'attends...

Écrit par : Christiane | 29/08/2008

En vous lisant, la réflexion m'est venue que, peu importe l'endroit où les odeurs de notre enfance. Il s'agit de nos racines, à partir desquelles se sont formés nos premiers souvenirs, notre future nostalgie. Nos plus beaux endroits du monde sont là !

Écrit par : myel | 30/08/2008

Peu importe l'endroit, bien entendu. Il est différent pour chacun de nous.

Écrit par : Feuilly | 30/08/2008

Je me suis mal exprimé : quand je disais peu importe, c'est que les endroits de votre enfance où vous m'avez fait voyager, ne sont pas les miens mais en réveillent l'écho...presque gonflé de larmes.

Écrit par : myel | 02/09/2008

J'ai ouvert moi aussi depuis peu la malle aux souvenirs . Un album photos ouvert par hasard chez une vieille paysanne dans le village de mes vacances d'enfant . La nostalgie passe sur ces images , alors l'envie m'a prise de poser mes pas dans ces traces de ma jeunesse , c'est un joli voyage .....

Écrit par : debla | 05/09/2008

" Pour caresser l'odeur des bois
Une main aux cent mille doigts,
Pour aller dans l'enfance ancienne
Une main pour tenir la tienne...
Et si parfois tu sens sur toi,
Comme aujourd'hui, comme autrefois,
Une main aux cent mille doigts,
Redis-toi toujours que c'est moi...."
Pierre Seghers

Écrit par : cerf...volant | 11/09/2008

"A la question d'où venez-vous ? il nous faudrait toujours répondre : je viens de ce clair-obscur de mon enfance, beau lieu, mauvais lieu ou non-lieu (...) à partir de quoi, de ce pays lilliputien, le jeune garçon va recomposer tout un univers, partir à la recherche, on le sait, du temps perdu, ou plutôt, de ce temple perdu."

Régional et drôle, Jean Rouaud, joca seria 2001

Écrit par : michèle pambrun | 25/10/2008

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